De l’indigestion chez les grands ruminants

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ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


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DE L’INDIGESTION


CHEZ


LES GRANDS RUMINANTS


PAR


ALBERT BRU


De Caudecoste (Lot-et-Garonne)


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THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN VÉTÉRINAIRE


Présentée le 20 juillet 1875


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TOULOUSE


IMPRIMERIE DES ORPHELINS JULES PAILHÈS


36, Rue des Filatiers, 36


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1875



À MES PARENTS


Témoignage d’affection et de sincère reconnaissance.


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À MES PROFESSEURS


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À MES AMIS.


A. B.

AVANT-PROPOS




Bien que les indigestions des animaux de l’espèce bovine soient aujourd’hui parfaitement connues, je n’ai pas hésité à en faire l’objet de ma thèse, parce que ces affections, très fréquentes dans le pays où je dois exercer la médecine vétérinaire, résultent généralement du fait même des propriétaires, qui méconnaissent trop souvent les règles fondamentales de l’hygiène.

C’est pourquoi, aussi, je m’efforcerai de donner à cette monographie inaugurale un caractère essentiellement pratique.

En conséquence, je m’attacherai surtout à signaler les nombreuses causes des indigestions du bœuf ainsi que les divers modes de traitement qu’il convient d’appliquer à ces maladies. Le traitement préservatif même, quoique découlant de l’étude étiologique, fera l’objet d’un article spécial, car le vétérinaire, comme le médecin, doit s’inspirer de la justesse de cet aphorisme médical que la science a érigé en principe : « Il vaut mieux prévenir les maladies qu’avoir à les combattre. »

Afin de faciliter la compréhension des phénomènes qui surviennent dans le cours des affections dont je vais m’occuper, il me paraît indispensable de donner quelques notions préliminaires sur la disposition et les fonctions de l’appareil digestif des ruminants. Ce sera là l’objet de la première partie de cet opuscule, pour lequel j’ose espérer, de la part du lecteur, l’indulgence que mérite tout premier essai.

A. BRU
§ 1.


CONSIDÉRATIONS ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR L’APPAREIL DIGESTIFS DES RUMINANTS ANATOMIE


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ANATOMIE


Les organes de préhension, de mastication, d’insalivation et de déglutition des Ruminants ont beaucoup de ressemblance avec ceux des autres animaux herbivores. Mais il n’en est pas de même pour l’estomac qui, lui, présente des différences essentielles.

Au lieu d’être simple, il se trouve en effet divisé en quatre compartiments : le rumen, le réseau, le feuillet et la caillette, dont un seul, le dernier, jouit de propriétés vraiment digérantes.

Le Rumen ou la panse est le premier réservoir gastrique, celui qui présente l’insertion de l’extrémité inférieure de l’œsophage, extrémité dont la forme représente celle d’un entonnoir. Il a un volume énorme, puisqu’il occupe à lui seul les trois quarts de la cavité abdominale. Logé dans cette cavité un peu à gauche du plan médian, cet organe se trouve immédiatement situé sous le flanc gauche et arrive en arrière jusque dans le bassin, tandis qu’il adhère en avant au diaphragme, surtout au pourtour de l’insertion œsophagienne. Une scissure médiane le divise en deux sacs peu distincts, l’un droit, l’autre gauche. Cette scissure extérieure correspond à des colonnes charnues intérieures ou piliers du rumen qui, par leurs prolongements, peuvent produire la contraction en tous sens de l’organe. Cette contraction peut être produite en outre par la couche charnue des parois du rumen. Quant à la surface interne de ce réservoir, elle est tapissée par une muqueuse épaisse recouverte par un épithélium très résistant fournissant une multitude de prolongements papillaires.

Le Réseau ou bonnet, le second et le plus petit des compartiments gastriques, est appliqué contre la face postérieure du diaphragme, sous l’extrémité antérieure du cul de sac gauche du rumen avec lequel il communique par une ouverture assez large. Cet orifice, situé en regard de l’insertion œsophagienne, présente sur son bord supérieur une sorte de demi canal, véritable continuation de l’œsophage faisant communiquer ce conduit avec le troisième estomac ou le feuillet.

Ce demi-canal, désigné sous le nom de Gouttière œsophagienne, présente une longueur de 15 à 20 centimètres et se trouve formé par l’adossement de deux lèvres mobiles renflées à leur bord libre et fixées par leur bord adhérent sur la paroi supérieure du réseau, en regard de la cavité du rumen. Sous la muqueuse, on trouve dans les parois de cette gouttière des fibres charnues transversales et des faisceaux musculeux longitudinaux dont les contractions alternatives déterminent le cheminement, dans ce canal devenu complet, des matières alimentaires suffisamment fluides.

Le Feuillet est donc mis en communication directe avec l’œsophage au moyen de la gouttière œsophagienne. Ce réservoir gastrique dont le volume égale, chez le bœuf, celui du réseau est contourné sur lui-même de façon à présenter deux courbures, l’une convexe, l’autre concave ; il est couché sur le réseau et le cul de sac droit du rumen, et communique en arrière avec la caillette par un orifice assez large.

Le feuillet est rempli par des lames muqueuses inégalement développées et disposées parallèlement suivant sa longueur. Ces lames ont un bord adhérent fixé, soit sur la grande courbure, soit sur les faces de l’organe, et un bord libre, concave, tourné vers la petite courbure où existe un canal communiquant d’une part avec la gouttière œsophagienne, d’autre part avec la caillette.

La Caillette ou quatrième compartiment gastrique est le véritable estomac, le seul qui jouisse de la faculté digérante. Ce réservoir, un peu incurvé sur lui-même et allongé d’avant en arrière, fait suite au feuillet et est placé sur le sac droit du rumen, contre l’hypochondre droit. Son extrémité postérieure ou sa pointe communique par la pylore avec le duodénum, la première partie de l’intestin. La muqueuse de ce réservoir est la seule qui sécrète le suc gastrique, c’est-à-dire le liquide vraiment digestif, et, afin d’en fournir une plus grande quantité, son étendue est augmentée par de nombreux replis qui affectent à l’intérieur de l’organe une disposition spiroïde.

L’intestin du bœuf est peu volumineux et d’un calibre assez faible, mais il présente une longueur très grande, pouvant aller jusqu’à cinquante mètres dans les animaux adultes.


PHYSIOLOGIE


Par suite de la disposition que nous venons de signaler, les matières alimentaires sont soumises deux fois à l’action des dents molaires : une première fois après leur préhension, et une seconde fois lorsque, par la rumination, elles sont renvoyées dans la bouche.

L’insalivation s’opère dans la bouche non-seulement pendant les périodes de ces deux mastications, mais elle se continue tout aussi abondamment pendant les intervalles des repas et de la rumination. L’imprégnation des substances alimentaires amassées dans le rumen est, en effet, la condition nécessaire à l’accomplissement régulier des fonctions digestives, car si la salive, au lieu de se rendre dans ce réservoir, est tarie ou déversée au dehors, la rumination devient bientôt impossible, et, à l’autopsie, on trouverait les aliments tassés et durcis dans les divers compartiments gastriques. L’insalivation joue par suite, de même que la mastication, un rôle important comme acte préparatoire de la digestion chez les ruminants.

Considérons maintenant les fonctions propres du rumen :

C’est dans ce réservoir que viennent s’accumuler les aliments ingérés après la première mastication parce que les bols qui sont alors déglutis sont assez volumineux pour écarter suffisamment les lèvres de la gouttière œsophagienne et s’échapper de ce conduit. Au lieu de rester immobiles dans le rumen et entassés dans l’ordre de leur introduction, les aliments subissent de la part de cet organe un mouvement continu qui a pour but de les mélanger intimement entre eux et aux liquides auxquels ils sont associés. C’est seulement lorsqu’ils seront suffisamment imprégnés et ramollis qu’ils seront rejetés vers la bouche pour y subir une seconde mastication et être ensuite déglutis. L’ensemble de ces derniers mouvements constitue le phénomène de la rumination, acte physiologique sur le mécanisme duquel on n’est pas encore très bien fixé, du moins en ce qui concerne son premier temps, c’est-à-dire la réjection du bol. M. M. Chauveau et Arloing ont cependant donné de ce fait une explication généralement admise aujourd’hui. Ces savants physiologistes se basant sur les rapports intimes qui existent entre le diaphragme et le rumen à la terminaison de l’œsophage, admettent que la réjection du bol alimentaire s’effectue par une sorte d’aspiration du côté du conduit œsophagien. Cette aspiration résulte d’une raréfaction de l’air contenu dans le poumon, produite par une contraction très énergique et très brusque du diaphragme pendant que la glotte se trouve fermée. Les matières du rumen et du réseau rapprochées du cardia et suffisamment délayées se précipitent, par suite de cette aspiration, dans l’orifice béant de l’œsophage. Immédiatement, une contraction du pilier droit du diaphragme, en coupant ces matières, provoque la contraction antipéristaltique de l’œsophage qui les amène ainsi à la bouche.

Cette hypothèse vient d’être confirmée récemment par les expériences de M. Toussaint, de Lyon, au moyen des appareils enregistreurs.

Quoiqu’il en soit, pour que la rumination puisse s’effectuer, il faut que les aliments soient suffisamment détrempés dans la région du vestibule cardiaque, car c’est la condition nécessaire pour que leur pénétration dans l’œsophage puisse se produire.

Outre la fluidité convenable des aliments, deux conditions sont encore nécessaires pour la production et le maintien de la rumination : il faut que le rumen ne soit ni trop chargé ni pas assez. Quand il est distendu à l’excès par les aliments solides et liquides qu’il renferme, ses parois ne peuvent plus imprimer à ces matières les mouvements nécessaires à leur mélange intime et le diaphragme ne pouvant se contracter suffisamment pour produire l’aspiration, il en résulte fatalement la suspension de la rumination.

Ce. phénomène physiologique se trouve encore empêché lorsque la panse est trop vide, car, pour que la contractilité des parois de ce réservoir soit mise en jeu, il faut qu’elles aient à réagir contre un certain poids. Ce poids, dans la mesure voulue, est aussi nécessaire afin que les muscles abdominaux qui agissent aussi dans l’acte de la réjection trouvent à appliquer leur effort contre une masse qui leur offre une certaine résistance.

Les matières alimentaires contenues dans le rumen subissent pendant leur séjour dans ce réservoir quelques modifications physiques et chimiques : leurs parties solubles se dissolvent dans les liquides et une certaine partie de leur fécule s’y convertit en dextrine et en glycose sous l’action des salives ; mais ces transformations se produiraient aussi bien dans un vase inerte, car la faible quantité de liquide alcalin sécrété par la muqueuse de la panse reste sans action sur les matières alimentaires. Cet organe n’est donc qu’un réservoir d’attente. Peu après l’arrivée des aliments à son intérieur il se produit des fermentations portant principalement sur les matières sucrées de ces aliments. Ces fermentations donnent naissance à des gaz qui se dégagent dans la panse, et auxquels viennent s’ajouter ceux provenant d’autres sources, par exemple l’air qui est battu avec la salive pendant la mastication, et celui qui est dissout dans l’eau.

Ce dégagement gazeux est donc un fait normal ; mais dans l’état physiologique, les gaz ainsi produits ne s’accumulent pas dans la panse de façon à en gêner les fonctions, l’animal s’en débarrasse au fur et à mesure de leur production par des éructations qui sont surtout fréquentes après les repas.

Les éructations sont, chez les ruminants, un phénomène tout à fait physiologique et si, pour une cause ou pour une autre, elles ne peuvent se produire, des symptômes de météorisme ne tardent pas à se manifester.

Notons enfin que la rumination est si étroitement subordonnée à l’état de santé des animaux, qu’elle peut en être considérée comme l’expression fidèle, car elle se trouve suspendue dans l’état de maladie ou de souffrance tant soit peu grave, et pour qu’elle puisse se rétablir il faut que cet état morbide ait cessé lui-même. Il n’est même pas rare, quand il s’est prolongé, que, même après sa cessation, la rumination ne se rétablisse pas encore, et qu’elle reste assez longtemps suspendue par suite du dessèchement des matières alimentaires à l’intérieur du rumen et de l’inertie consécutive des parois de ce réservoir. De la sorte, la suppression de la rumination, qui n’était d’abord que la conséquence d’un état morbide, peut devenir ensuite pour elle-même sa propre cause, cause d’autant plus efficace que cette fonction a été plus longtemps suspendue.

L’action du réseau est si étroitement liée à celle du rumen qu’il n’est pas possible de distinguer dans les indigestions du premier estomac les symptômes qui procèdent de lui exclusivement et ceux qui seraient plus particulièrement l’expression des troubles fonctionnels du deuxième. Aussi quand les fonctions du rumen sont troublées, celles du réseau le sont-elles également.

Lorsque les aliments reviennent de la bouche après avoir subi la seconde mastication, ils présentent un degré de fluidité suffisant pour leur permettre de suivre l’étroit conduit formé par la gouttière œsophagienne et de parvenir ainsi dans le feuillet. Si des bols étaient trop volumineux, il y aurait, comme dans la première déglutition, écartement des lèvres de cette gouttière et chute dans le rumen. Un fait semblable se produit dans la déglutition des liquides : si ceux-ci sont avalés à grandes gorgées, la plus grande partie tombe dans le rumen, tandis que s’ils sont avalés lentement ils se rendent directement dans le feuillet et la caillette. Nous tirerons de ce fait physiologique des indications importantes pour l’administration des breuvages.

Les matières demi-fluides arrivant dans le feuillet se répandent entre les lames muqueuses de cet organe et cheminent vers l’ouverture de la caillette par un mouvement lent et continu qui paraît produit par une force à tergo. Mais lorsque la rumination est suspendue et que, conséquemment, le feuillet cesse de recevoir de nouvelles matières, celles qui sont interposées entre ses lames s’y immobilisent et ne tardent pas à s’y dessécher. Les parois de cet organe les expriment, en effet, en les resserrant, des liquides qui leur étaient associés, ou enlèvent encore ces liquides par absorption, de sorte qu’en résultat dernier le feuillet ne renferme plus que des matières alimentaires disposées en tablettes dures et résistantes. Dans cet état de presque obstruction et d’inertie consécutive du feuillet, les substances alimentaires n’arrivent plus que très difficilement dans la caillette, de sorte que le rumen, ne pouvant plus se débarrasser des matières qu’il reçoit, cesse ses fonctions jusqu’à ce que les voies alimentaires soient de nouveau rendues libres.

Les matières alimentaires quittant le feuillet pour tomber dans la caillette ont subi des préparations physiques si complètes et des modifications chimiques déjà si avancées que les indigestions du quatrième estomac sont rendues à peu près impossibles. Ce qui contribue, en outre, à la régularité des fonctions de la caillette, c’est la lenteur avec laquelle le feuillet verse à son intérieur les petites ondées successives de pâte alimentaire.

La disposition des réservoirs gastriques chez le bœuf rend donc impossible la véritable indigestion stomacale, c’est-à-dire celle de la caillette. Aussi les animaux adultes n’en sont-ils point atteints. Les jeunes ruminants seuls y sont exposés pendant les premiers mois de la vie, parce qu’alors le rumen, peu développé, ne fonctionne pas encore, et que le lait se rend directement dans la caillette où son accumulation peut donner lieu à des troubles morbides.

La perfection de l’action des estomacs sur les matières alimentaires et la lenteur avec laquelle le pylore les laisse passer dans l’intestin expliquent la rareté et même l’impossibilité de (indigestion intestinale chez les ruminants.


§ II.


CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES INDIGESTIONS DES GRANDS RUMINANTS.


Lorsque les actions diverses exercée par l’appareil digestif sur les matières alimentaires renfermées dans ses différents diverticulums sont suspendues ou ne s’exécutent que d’une manière incomplète, il se produit des états morbidesd’intensité et de durée variables, prompts ou plus ou moins lents à se manifester, auxquels on donne le nom d’indigestion.

L’indigestion ne consiste donc pas dans les troubles eux-mêmes des fonctions digestives ou dans leur imperfection, mais bien dans l’état pathologique appréciable qui en est la conséquence. Il est possible, en effet, que des matières alimentaires parcourent toute l’étendue du tube digestif et soient expulsées à peu près telles qu’elles sont entrées sans que, pour cela, il y ait indigestion ; cette affection n’existe réellement que lorsque les troubles fonctionnels de l’estomac ou des intestins se traduisent à l’extérieur par des symptômes morbides.

Chez les ruminants, avons-nous dit, l’indigestion n’est jamais intestinale, et son siège se trouve borné au rumen et au feuillet dans les animaux adultes. On n’a pas été de tout temps d’accord sur la dénomination à donner à cette affection. C’est ainsi qu’on la désignait sous les noms divers de tympanite, de météorisation ou de météorisme ; mais ces mots ont l’inconvénient de n’indiquer qu’un symptôme de la maladie, aussi le nom d’indigestion donné par Chabert aux troubles fonctionnels des divers compartiments gastriques des ruminants a-t-il prévalu. Il est aujourd’hui généralement adopté, car, si le rumen, le réseau et le feuillet peuvent être considérés anatomiquement comme des dilatations de l’œsophage, il n’en est pas moins vrai qu’ils concourent d’une manière active à la digestion.

Avant Chabert, les rares auteurs qui avaient écrit sur les maladies des bœufs n’avaient guère signalé que la météorisation ou enflure du ventre, c’est-à-dire l’indigestion simple. Ce grand praticien donna, le premier, en 1792, une description complète des indigestions des ruminants, et il en distinguait cinq variétés : 1o indigestion méphitique simple ; 2o indigestion méphitique avec surcharge d’aliments ; 3o l’indigestion putride simple ; 4o l’indigestion putride compliquée de la dureté de la panse, et 5o enfin, l’indigestion par irritation de la membrane muqueuse du rumen.

Les auteurs de ce siècle ont suivi à peu de chose près la division de Chabert. Lafore n’a distingué que trois variétés d’indigestion des premiers estomacs : l’indigestion centreuse simple, l’indigestion avec surcharge et l’indigestion par inflammation des estomacs. Il a décrit en outre l’indigestion laiteuse ou de la caillette.

M. Lafosse, notre éminent professeur, a divisé les indigestions des premiers réservoirs, d’après leur marche aiguë ou chronique, en deux grandes catégories comprenant chacune des variétés suivant quelles sont simples ou compliquées de surcharge, et selon qu’elles ont leur siège dans le rumen ou dans le feuillet.

Quant à M. Bouley, il a, dans l’excellent article Indigestion de son dictionnaire, classé les indigestions des ruminants d’après leur siège, c’est-à dire en indigestions du rumen, indigestion du feuillet et indigestion de la caillette. Dans celles du rumen il reconnaît deux variétés : l’indigestion simple ou sans surcharge, et l’indigestion compliquée de surcharge. Il distingue enfin deux types dans l’indigestion du feuillet, le type aigu et le type chronique. Cette classification, qui n’est autre que celle de M. Lafosse un peu modifiée, sera celle que nous suivrons ; nous aurons soin seulement de faire remarquer que l’indigestion du rumen avec surcharge peut offrir elle-même deux variétés suivant que sa marche est lente ou rapide.

Au lieu d’adopter pour l’étude de ces affections l’ordre généralement suivi dans les ouvrages de pathologie, c’est-à-dire traiter séparément les diverses variétés d’indigestions en faisant connaître d’une manière continue à propos de chacune d’elles les causes, les symptômes, les lésions et le traitement, nous préférons faire marcher de front la description de ces variétés ; ainsi à l’article étiologie nous passerons en revue toutes les causes qui peuvent les faire développer ; il en sera de même pour les symptômes, les altérations pathologiques etc.

Nous croyons, par ce moyen, faciliter au lecteur l’examen comparatif qu’il désirerait faire des éléments descriptifs de ces maladies.

Toutefois, nous ne suivrons cette marche que pour l’étude des indigestions pouvant affecter les animaux adultes, c’est-à-dire pour celles du rumen et celle du feuillet, et nous décrirons dans un article spécial l’indigestion de la caillette qui, on le sait, ne se manifeste guère que sur les jeunes ruminants à la mamelle.


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§ III.

INDIGESTIONS DU RUMEN ET DU FEUILLET.


Les troubles digestifs ayant leur siège dans le rumen peuvent être simplement occasionnés par un dégagement considérable de gaz ou bien par une trop grande accumulation de matières alimentaires dans ce réservoir. Dans le premier cas c’est l’indigestion simple, dans le second l’indigestion avec surcharge. Il n’est pas à dire pour cela que dans la première variété il n’y ait pas à l’intérieur de la panse une quantité même assez grande de fourrages ; mais ces fourrages ont une action tellement secondaire qu’une fois les accidents du météorisme conjurés, l’appareil digestif s’en débarrasse avec facilité. Dans l’indigestion compliquée de surcharge, au contraire, c’est la surcharge elle-même qui constitue le fait principal dans les troubles morbides, et le météorisme n’en est qu’un phénomène accessoire ; aussi peut-il disparaître sans que pour cela le rumen puisse reprendre ses fonctions tant qu’il sera distendu par l’excès d’aliments.

L’indigestion la plus redoutable et la plus terrible que les ruminants puissent éprouver est, sans contredit, celle qui résulte du dessèchement des aliments contenus dans le feuillet. Cette affection, encore nommée obstruction ou engouement du feuillet, n’est pas facile à distinguer sur l’animal vivant de l’indigestion de la panse à cause de leur coexistence fréquente qui résulte de ce que l’une entraîne l’autre presque inévitablement et réciproquement. C’est sans doute cette concomitance qui a porté quelques auteurs à contester cette forme spéciale de l’indigestion, mais il n’en est pas moins vrai que l’arrêt de fonctionnement du feuillet devient dans certains cas partie essentielle de l’état pathologique, c’est-à-dire le fond même de la maladie qu’il s’agit de combattre.

ÉTIOLOGIE.


I. Causes des indigestions du rumen. — Les indigestions sont rares chez les ruminants à l’état de nature parce que ces animaux, guidés par leurs instincts, instincts qui ne les trompent guère, ne mangent que la quantité d’herbe nécessaire à leur estomac, de sorte que celui-ci n’en étant jamais surchargé s’en débarrasse toujours avec facilité.

À l’état domestique il n’en est plus de même, car, au lieu de prendre eux-mêmes leurs aliments, les animaux les reçoivent de la main de l’homme, et au lieu de trouver toujours sous leurs pas la nourriture nécessaire à leur entretien, il n’en reçoivent souvent que des quantités insuffisantes ou peu en rapport avec les besoins de leurs organes. Leurs instincts restant ainsi inactifs finissent par s’affaiblir et ne leur permettent plus de distinguer ce qui est sain de ce qui est nuisible. Il n’est pas étonnant alors que nos grands ruminants domestiques, presque toujours parcimonieusement nourris, se gorgent outre mesure d’aliments lorsqu’ils en trouvent à leur disposition, et ingèrent en même temps des substances nuisibles que, sans aucun doute, ils auraient su discerner à l’état de nature.

La domestication a donc prédisposé les animaux à contracter des indigestions ; aussi l’homme doit-il par un régime convenable et régulier s’efforcer d’atténuer les effets de cet asservissement.

L’état même du sujet exerce une influence bien plus directe sur la production des indigestions ; c’est ainsi que les sujets dont les dents sont irrégulières ou cariées, ceux dont l’appareil salivaire est altéré, se trouvent par le fait même prédisposés aux indigestions du rumen, à cause de l’importance d’une bonne mastication et d’une salivation complète.

Nous avons déjà dit, dans les considérations physiologiques préliminaires, comment la suspension de la rumination par quelque état morbide pouvait devenir à la longue une cause propre d’indigestion ; mais il est aussi des affections qui, sans arrêter complètement la rumination, gênent souvent cette fonction au point de s’opposer à l’action des estomacs. Telle est la tuberculose, maladie si fréquente de l’espèce bovine, qui peut empêcher la réjection des gaz ou des matières alimentaires vers la bouche par suite de la compression qu’exercent sur l’œsophage les ganglions bronchiques tuberculeux et hypertrophiés.

C’est par un mécanisme analogue que peut se produire l’indigestion du rumen lorsque des corps étrangers sont arrêtés dans l’œsophage. Le travail, en s’opposant à la rumination, devient une cause d’indigestion lorsqu’il suit de trop près les repas et qu’il est trop longtemps prolongé. Cette action se manifeste assez souvent sur les bœufs de labour aux époques des grands travaux de l’année, celle des semailles par exemple, où l’on voit ces animaux rester presque toute la journée sous le joug. Rentrés à l’étable, ils reçoivent presqu’immédiatement leur ration et ils l’absorbent avant d’avoir ruminé celle du matin, de sorte que leur estomac se trouve surchargé. Pour peu alors que les sujets soient affaiblis par l’âge ou par l’excès de travail, ils ne pourront se débarrasser de cette masse alimentaire et présenteront bientôt les symptômes d’une indigestion du rumen avec surcharge.

Pendant les grandes chaleurs, le travail, n’a pas une moins grande influence sur les arrêts de la rumination ; il n’est pas rare en effet de voir nos grands ruminants affectés d’indigestion après avoir dépiqué pendant des heures entières sous les feux d’une chaleur tropicale.

Mais les causes diverses que nous venons de signaler sont loin d’agir dans la production des indigestions dits ruminants avec la même fréquence et la même activité que celles qui résultent du régime alimentaire de ces animaux. Les aliments, en effet, donnent souvent lieu à des troubles fonctionnels des estomacs, soit par leur nature, soit par l’état dans lequel ils sont ingérés, soit encore par leurs propriétés particulières ou les altérations qu’ils ont subies.

Tous les aliments, quelle que soit leur nature, peuvent donner lieu à des indigestions, les bons aussi bien que les mauvais et plus facilement même que les mauvais, à cause des excitations plus vives qu’ils produisent sur l’appétit. C’est pourquoi les fourrages verts déterminent si souvent de graves météorisations. Parmi ces fourrages, les plus actifs dans leurs désastreux effets sont la grande luzerne (medicago satina) vulgairement appelée sainfoin dans le midi, et le trèfle de Hollande ou trèfle des près (trifolium pratense). Le trèfle incarnat est bien moins dangereux, et d’ailleurs il est généralement donné à l’étable ; il en est de même de l’esparcette.

Les propriétés spéciales de ces plantes viennent ajouter leurs effets à l’action de leur masse et quelquefois même remplacer complètement cette action. Il n’est pas rare, en effet, de voir des bœufs fortement météorisés avant d’avoir ingéré, soit en trèfle, soit en luzerne, le quart de leur ration journalière. Cependant il est aussi des cas où ces animaux peuvent prendre une bonne ration de ces mêmes fourrages avant d’en être incommodés. D’où vient cette différence ? D’abord de l’état du sujet, en second lieu des conditions dans lesquelles se trouvent ces aliments.

Il est incontestable que les animaux conduits à jeun dans les pâturages se météorisent très-vite à cause de la rapidité avec laquelle, par suite de leur appétit, ils absorbent les herbes savoureuses qui sont sous leurs pas.

Mais l’état même des fourrages à une influence non moins malheureuse. Il est de remarque, en effet, que la dépaissance est surtout à craindre lorsque les herbes sont mouillées par la pluie ou par la rosée, parce que, dans ces conditions, les fermentations s’établissant plus lentement dans la panse, l’animal peut ingérer une quantité très considérable de ferment avant d’en ressentir les premiers effets qui le porteront à cesser de manger. On constate aussi que les météorisations sont fréquentes lorsque souffle le vent du midi et que les bestiaux paissent la tête tournée au vent.

Le sorgho, que l’on avait essayé d’introduire il y a quelques années, dans l’alimentation des grands ruminants, a produit de nombreux et de graves météorismes. Mais ces sortes d’indigestions se distinguent de celles que produisent la luzerne ou le trèfle en ce qu’elles s’accompagnent souvent de torpeur et de vertige. J’ai moi-même vu une vache à laquelle on avait donné quelques feuilles de sorgho rester couchée et comme engourdie pendant plus de trois heures, même après que le météorisme eût été dissipé. Cette plante a donc une action toute particulière qui, d’après M. Lafosse, pourrait provenir de sa richesse en matières sucrées. En fermentant dans le rumen, ces matières sucrées, tout en fournissant le dégagement de gaz, pourraient en effet produire de grandes quantités d’alcool qui, absorbé, donnerait lieu aux phénomènes nerveux que l’on observe en même temps que le météorisme. Quoi qu’il en soit, le sorgho, vert ou sec, doit être banni de l’alimentation jusqu’à ce que l’on ait trouvé le moyen d’utiliser sans danger cette plante qui présenterait des avantages marqués à tant d’autres égards.

Les fourrages secs qui, par leur nature, sont plus réfractaires aux actions digestives que les fourrages verts ne donnent pas lieu cependant à des indigestions aussi fréquentes, parce qu’étant moins appétissants ils sont mangés avec moins d’avidité, et parce qu’étant moins fermentescibles ils n’occasionnent pas des accidents de météorisme aussi rapides et aussi graves. Mais lorsque les animaux, pressés par la faim, en ingèrent rapidement une grande quantité, les indigestions qui surviennent dans de telles conditions sont autrement graves que les précédentes, parce qu’alors le rumen est surchargé par une masse alimentaire dont il ne peut se débarrasser.

Parmi les aliments de cette nature qui occasionnent le plus souvent les indigestions du rumen avec surcharge, on peut citer : les foins des prairies basses et humides parce qu’ils sont souvent mêlés à des laiches, des joncs, des renoncules, des carex etc., le trèfle, le sainfoin et la luzerne lorsqu’ils sont desséchés, poudreux et réduits à leurs tiges, les plantes plus ou moins irritantes que l’on ramasse un peu partout et que l’on donne aux animaux dans les temps de disette, les feuilles de vigne, de choux même, les balles de blé, d’avoine etc.

Les aliments peuvent encore devenir nuisibles par suite des conditions dans lesquelles ils ont été récoltés. C’est ce qui a lieu pour les foins vasés ou qui ont subi l’action de la pluie après le fauchage, pour ceux encore que l’on a rentrés incomplètement secs. Ces derniers peuvent se recouvrir de végétations cryptogamiques qui, en irritant d’abord l’estomac, ne manqueront pas de produire ensuite des indigestions. Les grains eux-mêmes, lorsqu’ils ont été mal conservés, les tubercules lorsqu’ils sont germés, peuvent produire les mêmes effets désastreux.

Il est encore des aliments qui n’entrent pas dans la ration ordinaire des animaux et que l’on administre quelquefois aux ruminants dans les années de disette. Il y a souvent un principe irritant ou narcotique dans ces aliments ; quelquefois il y a de l’acide prussique dans les tourteaux, de l’amylène dans les résidus des distilleries, des astringents et de l’acide acétique dans le marc de raisin : ce sont autant de causes d’indigestion.

Il est possible, enfin, que des propriétés narcotiques se développent dans certaines plantes lorsqu’elles se sont échauffées en séjournant en tas ; c’est ce qui se produit surtout pour les feuilles de betteraves dont les effets sont alors comparables à ceux du sorgho.

Quoiqu’il en soit, lorsque les aliments sont très fermentescibles, comme les fourrages verts, c’est surtout une indigestion simple qui se produit, tandis que l’excès de travail, les fourrages secs ou grossiers, déterminent généralement des indigestions avec surcharge.

II. Causes de l’indigestion du feuillet. — On a admis pour l’indigestion du feuillet les diverses causes de l’indigestion du rumen avec surcharge, parce que les fonctions de ces deux réservoirs gastriques sont, dans la plupart des cas, simultanément suspendues. Cependant les matières alimentaires peuvent s’arrêter et s’immobiliser primitivement dans le feuillet, soit par suite de l’état même des aliments, soit comme conséquence d’un état fébrile ou d’une inertie générale.

La cause la plus fréquente de l’obstruction du feuillet consiste dans l’administration de fourrage trop menu, de foin et de paille trop finement bâchés, de son, de balles de graminées. Ces aliments, en effet, en raison de leur degré de division peuvent, s’ils sont donnés seuls, ne pas forcer les lèvres de la gouttière œsophagienne et, au lieu de tomber dans le rumen, s’engager directement dans le feuillet. Parvenus entre les lames de cet organe, ils ont besoin d’une grande quantité de sucs pour être imbibés, et comme le feuillet ne peut leur en fournir suffisamment, ils se dessèchent et forment bientôt des tablettes dures qui s’opposent au courant des matières alimentaires du rumen vers la caillette.

Ce fait se produit souvent sur les animaux affaiblis que l’on veut engraisser trop rapidement par l’usage de pulpes et de farineux. Crusel a observé souvent ces sortes d’indigestions qu’il attribue à une surcharge du rumen, mais qui ne sont en réalité que la conséquence de l’arrêt de fonctionnement du feuillet.

L’influence de l’état fébrile sur les fonctions de l’estomac des ruminants n’est pas douteuse ; cette influence se fait surtout sentir sur le feuillet, et elle est rendue manifeste par le résultat des autopsies d’animaux qui ont succombé à des maladies aiguës à marche plus ou moins rapide. Les troubles généraux de l’organisme retentissent donc sur le feuillet et donnent lieu aux troubles propres de sa fonction, lesquels se traduisent, en résultat dernier, par son obstruction, conséquence de l’interruption et du dessèchement des matières alimentaires à l’intérieur de ses nombreuses rigoles.

L’inertie générale des sujets devient aussi dans certains cas une cause l’obstruction du feuillet. Lorsque, par exemple, à la suite d’indigestion du rumen, l’animal ne peut reprendre que lentement l’exercice de ses fonctions digestives, les matières arrêtées dans le feuillet s’y dessèchent et peuvent devenir à leur tour une cause morbide. Pour la même raison, une indigestion antérieure, surtout si l’animal est encore en convalescence, est une circonstance qui prédispose à l’obstruction du feuillet.


SYMPTOMATOLOGIE.


I. Indigestion simple du rumen. — Le symptôme prédominant en même temps que le plus caractéristique de cette variété d’indigestion est l’augmentation rapide du volume du ventre, principalement du côté gauche. Cette distension des parois abdominales résulte de la pression exercée en tous sens par le rumen rempli et dilaté par des gaz. D’un côté cette pression s’effectue sur l’intestin ; de l’autre, et d’une manière directe, sur la paroi abdominale gauche ; en avant, enfin, sur le diaphragme qui se trouve ainsi refoulé dans la cavité thoracique.

Cette action qu’exerce le rumen pour se faire une place proportionnelle à son volume accru nous donne l’explication de tous les symptômes morbides que présente un bœuf météorisé.

Du côté gauche, les parois abdominales étant immédiatement en rapport avec la panse cèdent bientôt à la poussée de cet organe et, soulevée par lui, ne tardent pas à dépasser le niveau de l’arête dorsale. Ces parois sont par suite tendues, élastiques, et sonores à la percussion, d’où le nom de tympanite souvent employé pour désigner la météorisation. Cette tension et cette élasticité, bien que manifeste ; dans toute l’étendue de la cavité abdominale, se remarquent surtout à gauche, à cause de la position plus superficielle du rumen.

L’intestin, par suite de la pression qu’il reçoit, ne tarde pas à expulser les matières qu’il renferme ; mais bientôt la pression devenant excessive, il est dans l’impossibilité d’exécuter ses fonctions, et c’est alors que survient l’absence de défécation.

En même temps le diaphragme refoulé dans la poitrine presse le poumon, s’oppose à sa dilatation, d’où il suit que la respiration devient de plus en plus difficile ; elle est courte et accélérée, et l’animal pour ne pas tomber asphyxié reste immobile et la bouche entrouverte. Il va de soi que pendant cet état symptomatique la rumination est suspendue et les éructations difficiles.

L’action du diaphragme se fait sentir non-seulement sur le poumon, mais encore sur le cœur et les gros vaisseaux intra-thoraciques, ce qui produit des troubles profonds de la circulation sanguine et explique pourquoi la mort survient parfois comme par apoplexie.

Il suffit souvent de moins d’une heure pour que cette sorte d’indigestion se termine par la mort. Cependant les animaux ne sont pas toujours fatalement condamnés à périr, car il est des cas où ils parviennent par des éructations successives à se débarrasser peu à peu de la masse gazeuse qui cause tous leurs troubles. Cette terminaison heureuse est d’autant plus possible que la météorisation est moins forte, car les efforts de régurgitation ne peuvent se manifester lorsque la distension du rumen est extrême.

II Indigestion du rumen avec surcharge d’aliments. — L’indigestion avec surcharge se manifeste avec plus de lenteur que la précédente. Elle se traduit d’abord par le refus d’aliments, l’inrumination et une légère augmentation du volume de la panse. Bientôt l’animal devient triste, il s’éloigne de la crèche et pousse parfois de sourdes plaintes ; son flanc gauche est soulevé, mais à un moindre degré que dans l’indigestion simple, d’ailleurs, ici, la pression fait constater, au-dessous d’une faible couche de gaz, la présence de matières alimentaires d’une consistance pâteuse. Cette présence d’aliments établit entre les deux variétés d’indigestion du rumen la différence essentielle, différence qui persiste, toujours saisissable, même lorsque le météorisme vient ajouter ses symptômes à ceux de la surcharge elle-même.

La complication de météorisme se produit fatalement lorsque l’affection persiste plusieurs jours, par suite de la fermentation que subissent les matières immobilisées à l’intérieur de la panse. Ce réservoir n’effectue plus en effet ses mouvements vermiculaires qui, en agitant la pâte alimentaire, facilitent l’expulsion des gaz ; et l’on ne sent plus, en appliquant l’oreille contre le flanc gauche, les bruits de frottement et de crépitation qui sont si manifestes à l’état normal.

Lorsque cette maladie prend de suite un caractère aigu, en peu d’heures le météorisme devient considérable et rend la respiration très-difficile ; l’animal est comme suffoqué, sa bouche se garnit d’écume, le pouls s’efface tandis que les battements du cœur sont forts, l’anxiété devient extrême, des tremblements musculaires se manifestent aux membres eau cou, enfin l’animal tombe et peut mourir instantanément.

La guérison spontanée est cependant possible si l’animal, par suite du malaise qu’il éprouve, se livre à de violents efforts de réjection qui amènent la régurgitation de matières alimentaires. Ce véritable vomissement soulage immédiatement les animaux et les dangers de mort se trouvent conjurés. Santin, Girard, Cruzel, Weber ont constaté des terminaisons de ce genre.

Malheureusement le vomissement est rare chez les ruminants, et même impossible à produire. D’où vient cette difficulté chez des animaux effectuant avec tant de facilité un phénomène analogue, la rumination, et dont le cardia présente les conditions les plus convenables pour la réjection alimentaire ? Il y a lieu de croire que cela tient à la difficulté de production de la nausée chez ces animaux et à l’impuissance du rumen sur une masse trop compacte et insuffisamment délayée.

Mais l’indigestion avec surcharge n’affecte pas toujours cette forme aiguë que nous venons de décrire ; quelquefois elle affecte une marche lente et peut alors être appelée chronique. Dans ce cas, le météorisme est moins considérable, mais la rumination est complètement suspendue et la peau renferme une masse alimentaire dure, peu pâteuse ; le mufle est sec, l’appétit nul, et il y a constipation ou seulement quelques déjections alvines fétides. Les animaux maigrissent rapidement, leur poil se pique, leurs yeux s’enfoncent dans les orbites, et si cet état pathologique se prolonge plus de huit ou dix jours, si la rumination n’est pas bientôt reprise, il y a complication d’inflammation de la muqueuse des estomacs, quelquefois du péritoine, ce qui achève de conduire les animaux au marasme et à la mort.

Il faut dire cependant que l’indigestion avec surcharge se termine généralement par la guérison lorsque la rumination a pu être reprise. Dans certains cas, cette fonction a pu rester suspendue pendant quinze à dix-huit jours sans que la mort ait été la conséquence d’un arrêt si prolongé du fonctionnement du rumen.

L’indigestion du rumen avec surcharge alimentaire est une maladie grave à cause de la difficulté du vomissement chez les ruminants ; néanmoins cette gravité est atténuée par la facilité avec laquelle on peut extraire du rumen les matières qui le surchargent.

III. Indigestion du feuillet. — Si l’indigestion du feuillet est essentielle, c’est-à-dire qu’elle débute en l’absence de toute autre affection, les animaux refusent d’abord les aliments, ils s’éloignent de la crèche, et s’ils ruminent, ce n’est qu’à de rares intervalles et méfie avec assez de difficulté ; ils ont aussi de légères coliques. Le rumen n’est pas surrempli d’aliments, mais la masse qu’il renferme est un peu dure, pâteuse, et conserve l’impression des doigts ; il y a quelquefois un peu de météorisme et un peu de constipation, néanmoins les excréments sont encore peu modifiés.

Après être restée deux ou trois jours dans cet état, la maladie s’aggrave ordinairement et alors les symptômes déjà signalés prennent plus d’intensité : la tristesse et l’abattement augmentent, les mouvements deviennent lents et pénibles, l’animal refuse le fourrage qu’on lui présente ou s’il le flaire, c’est pour le délaisser aussitôt, il ne rumine plus ou s’il parvient à faire remonter quelques bols dans la bouche, il les laisse souvent tomber comme s’ils produisaient une impression désagréable sur sa muqueuse gustative ; enfin le mufle est sec et les évacuations alvines nulles ou très-rares et durcies. Le rumen qui n’avait jusqu’ici fourni aucun symptôme saillant augmente peu à peu de dureté et cesse ses mouvements ; mais bientôt il se trouve légèrement soulevé par des gaz. Comme chez l’animal atteint d’indigestion du feuillet la soif est ordinairement conservée, les liquides, ne pouvant arriver facilement dans la caillette, tombent en grande partie dans le rumen et viennent surnager les matières solides desséchées que renferme cet organe. En pressant le flanc gauche on sent, par suite, d’abord la couche gazeuse, puis la fluctuation due aux liquides ; enfin, si la pression est suffisante, ou peut constater au dessous de la couche liquide la présence des matières alimentaires tassées et durcies.

Lors de l’indigestion du feuillet n’est pas guérie en sept ou huit jours, elle se complique généralement d’inflammation des estomacs et même de l’intestin. Alors les poils se hérissent, les yeux deviennent ternes et enfoncés dans l’orbite, le mufle se gerce, le pouls devient dur et accéléré, et les extrémités ainsi que les cornes et les oreilles se refroidissent.

Le ventre est douloureux à la pression et la constipation persiste ; cependant les excréments se ramollissent parfois et l’on peut y voir, d’après M. Lafosse, des plaques minces et sèches qui semblent provenir du feuillet et sont quelquefois recouvertes par l’épithélium détaché du viscère.

La desquamation de cet épithélium doit être même la condition nécessaire de la désobstruction du feuillet, en permettant la disjonction des plaques alimentaires et leur glissement hors des gouttières de l’organe où elles avaient adhéré par le fait de leur dessication. Le feuillet, dans ces conditions, récupère sa contractilité, et la rumination ne tarde pas à se rétablir ; l’animal est moins abattu et mangerait même si on le lui permettait, ce dont il faut bien se garder encore.

Mais si l’obstruction persiste, la mort doit s’en suivre inévitablement. Alors apparaissent des tremblements généraux, une grande faiblesse, l’effacement des pouls, le décubitus presque continu et enfin des mouvements convulsifs, prélude de la mort qui arrive ordinairement du vingtième au trentième jour.

Dans d’autres cas plus rares, l’affection se complique de paraplégie, de péritonite, et quelquefois d’avortement chez les femelles pleines.

Chabert, Meyer et Zundel ont signalé comme autre complication l’épanchement de gaz dans le tissu cellulaire sous cutané surtout dans la région dorso-lombaire. D’après Chabert, cet emphysème général serait quelquefois semblable à

celui que le boucher opère par l’insufflation.
ANATOMIE PATHOLOGIQUE

I Indigestion simple du rumen. — Le fait le plus caractéristique que l’on constate à l’autopsie des animaux qui sont morts des suites du météorisme, c’est la distension énorme des deux premiers réservoirs gastriques, principalement du rumen. Si on incise les parois de ce réservoir, il s’en échappe aussitôt en abondance des gaz généralement fétides et souvent inflammables dont la composition est un peu variable suivant la nature des aliments et la période de la maladie.

Ces gaz sont l’acide carbonique qui constitue à lui seul la plus grande partie de la masse gazeuse, le protocarbure d’hydrogène, et, dans quelques cas exceptionnels, l’hydrogène sulfuré avec des gaz ammoniacaux.

Quand les gaz se sont échappés, il ne reste plus dans le rumen qu’une masse alimentaire d’un assez faible volume.

Du côté de la poitrine on remarque des lésions non moins manifestes : le diaphragme est fortement refoulé par suite de la distension du rumen, et le poumon comprimé est gorgé d’un sang noir ainsi que les gros vaisseaux. Le sang est de même épanché dans le foie et la rate, et il a partout une coloration noire, ce qui indique clairement, avec l’engorgement du poumon, que la mort est le résultat d’une véritable asphyxie.

Ce genre de mort dans les cas de météorisme explique pourquoi les animaux reviennent si facilement à la santé lorsque par le dégonflement du rumen on permet à la respiration de s’effectuer librement.

II Indigestion du rumen avec surcharge alimentaire. — Lorsque la mort résulte de l’indigestion avec surcharge d’aliments, la distension du rumen est produite non-seulement par des gaz, mais encore par l’accumulation très-grande des matières alimentaires.

De même que dans l’indigestion simple, le rumen comprime les intestins et presse sur le diaphragme de façon à le refouler profondément dans la cavité thoracique. On trouve, par suite, les mêmes lésions dans le poumon et le cœur. Le foie et la rate sont flétris et fortement comprimés. Le sang est noirâtre si l’affection a été rapidement mortelle, tandis que si sa marche a été lente, ce fluide est souvent aqueux, presque incolore, et les chairs pâles et lavées comme à la suite de la mort par inanition.

Les gaz du rumen sont d’une grande fétidité, ce qui indique un commencement de fermentation putride des matières renfermées dans ce réservoir. Celles-ci sont un peu desséchées et, dans beaucoup de points, adhérentes à l’épithélium détaché de la panse ou du réseau. Souvent on remarque l’éraillement de ces viscères, l’écartement de leurs fibres ; plus rarement, une rupture proprement dite. La rupture du diaphragme a été quelquefois constatée. Dans ces cas, les bords des déchirures sont ecchymosés, ce qui indique qu’elles ont eu lieu avant la mort. Le feuillet est rempli de matières desséchées, et la caillette renferme des liquides sanguinolents d’apparence glaireuse. Sur les femelles pleines, dit Zundel, on trouve des cotylédons détachés de l’utérus et plus ou moins de sang répandu entre cet organe et le chorion. La congestion est en effet toujours plus forte dans le train postérieur, à cause de la compression exercée par le rumen sur la veine cave postérieure.

La caillette, l’intestin et le péritoine présentent aussi des signes d’inflammation.

III. Indigestion du feuillet. — Sur le cadavre des animaux qui ont succombé à l’indigestion du feuillet on constate que ce compartiment gastrique est très volumineux, très dur et rempli d’aliments secs disposés entre ses lames nombreuses sous forme de plaques sèches et cassantes. Ces sortes de tablettes sont souvent formées de fourrages incomplètement divisés ; ceux-ci, arrivés directement dans le feuillet sans avoir par conséquent subi la mastication mérycique, sont souvent la cause provocatrice de l’affection. L’épithélium du troisième estomac adhère dans presque toute son étendue aux tablettes alimentaires et se trouve détaché de la muqueuse qui, ainsi dépouillée, présente une coloration d’un rouge assez vif et des érosions plus ou moins vastes.

Ces lésions du feuillet s’observent encore à la suite des maladies où il y a eu arrêt prolongé de la rumination, et principalement lorsque la mort résulte d’affections fébriles, telles que le charbon, le typhus, la fièvre vitulaire, etc.

Dans le rumen on trouve une masse alimentaire condensée en une sorte de pelote entourée de liquides et répandant une odeur qui indique un commencement de fermentation putride. La caillette présente généralement des caractères inflammatoires bien manifestes ; sa muqueuse est épaissie, rouge, et quelquefois érosionnée.

L’intestin, aussi congestionné, présente à son intérieur des mucosités glaireuses abondantes résultant de la sécrétion des diverses glandes de ce conduit.

De même que lors d’indigestion du rumen avec surcharge, le sang et les chairs sont décolorés comme dans les cas d’hydroémie.


TRAITEMENT.

I. Indigestion simple du rumen. — La première indication à remplir consiste à débarrasser le rumen de la masse gazeuse qui le remplit et le distend. On arrive à ce résultat de trois manières différentes : 1o par la condensation des gaz : 2o par leur neutralisation : 3o en favorisant leur évacuation, soit par les voies naturelles, soit par une voie artificielle.

La condensation des gaz peut s’obtenir par l’application de réfrigérants à la surface du corps, principalement sur les flancs, soit au moyen de couvertures imbibées d’eau froide, soit sous forme de douches ou d’immersion dans un courant d’eau. Cette réfrigération, par la chaleur qu’elle enlève au rumen, contribue à réduire le volume des gaz que renferme ce réservoir elle a en outre pour effet de favoriser les éructations en mettant en jeu, par action réflexe, la contractilité des parois de la panse et des muscles abdominaux. Dans ce dernier but on pourrait encore administrer des lavements d’eau très-froide.

Mais, hâtons-nous de le dire, ces moyens sont souvent impuissants à arrêter les progrès du météorisme. Il devient alors nécessaire de réduire le volume des gaz en les neutralisant et d’arrêter en même temps leur développement en agissant sur la matière fermentescible d’où ils se dégagent ; enfin l’on doit chercher encore à réveiller la contractilité de la panse dont les fonctions sont momentanément suspendues. De là l’indication pour combattre les indigestions simples du rumen, comme aussi les indigestions avec surcharge, de recourir à l’emploi de médicaments qui en se combinant aux gaz de la panse réduisent leur volume, et qui jouissent en outre de propriétés antifermentescibles et excitantes.

Beaucoup de substances possèdent à elles seules ces trois propriétés et bon nombre d’entre elles ont déjà été distinguées depuis longtemps par l’observation et l’expérience. Telles sont l’ammoniaque, l’eau de chaux, la lessive de cendres, l’eau de savon et autres agents alcalins qui forment rapidement avec les gaz du rumen des composés d’un volume très-minime, et qui jouissent en outre, ainsi que l’a démontré M. Dumas, de la propriété d’arrêter les fermentations.

L’ammoniaque est, de tous ces agents, le plus fréquemment employé ; on le donne à la dose de 20 à 30 grammes dans un litre d’eau froide, en ayant soin de l’administrer à grandes gorgées ainsi que tous les breuvages destinés à tomber dans le rumen. On peut répéter plusieurs fois ce breuvage si le météorisme persiste. Ce médicament est peu coûteux et, administré à temps, il produit toujours des effets infaillibles ; aussi ne saurions-nous trop engager les propriétaires et les éleveurs à en avoir, toujours à leur portée.

L’eau de chaux jouit des mêmes propriétés que l’ammoniaque et est aussi très souvent utilisée. On la donne à la dose de un litre. Je l’ai employée plusieurs fois à défaut d’ammoniaque et elle m’a toujours donné de prompts résultats, même lorsque l’eau de savon était restée inefficace.

La lessive de cendres de bois neuf à la dose d’un litre, l’eau savonneuse à raison de 40 grammes de savon pour un litre d’eau, une solution de 15 grammes de carbonate de potasse en solution dans une même quantité d’eau, produisent des résultats identiques, bien qu’un peu moins prompts.

Les chlorures et les hypochlorites sont tout aussi efficaces que les bases alcalines pour dissiper le météorisme. L’un croit, à tort peut-être, que le chlore se combine à l’hydrogène des gaz, mais quel que soit le mode d’action de ces agents, il est certain qu’ils sont antifermentescibles et antiputrides.

La dose des hypochlorites de chaux ou de soude est de 15 à 20 grammes dans un litre d’eau, celle du chlorure de chaux est de 10 à 15 grammes.

De tous ces médicaments, l’ammoniaque et l’eau de chaux sont les plus efficaces, et l’on doit préférer leur emploi à celui de l’éther, bien que l’action de ce dernier soit tout aussi rapide et aussi peu dangereuse. L’éther a en effet l’inconvénient de donner aux viandes une saveur telle qu’il est absolument impossible de livrer à la consommation les animaux abattus peu de temps après l’administration d’un breuvage éthéré. C’est pourquoi ce médicament ne peut être employé que quand l’asphyxie n’est pas déjà imminente. Sa dose varie entre 30 et 60 grammes, dans un litre d’eau.

L’éther étant antifermentescible peut arrêter le dégagement gazeux ; mais il est reconnu qu’il produit tout aussi rapidement que l’ammoniaque la réduction du volume des gaz déjà formés. Comment expliquer cette action si prompte puisque l’éther ne peut entrer en combinaison qu’à l’état naissant, c’est-à-dire au moment même où il se forme ? voilà un point qui reste mystérieux malgré les explications diverses qui ont été données. L’hypothèse qui paraît la plus probable, cependant, est celle de Prévost et Royer-Tingry, qui attribuent à l’éther la propriété de favoriser l’évacuation des gaz en dissolvant les nombreuses bulles qui les tiennent emprisonnés dans les spumosités de la panse. Ce médicament peut aussi favoriser les évacuations par suite de ses propriétés carminatives.

Les corps gras jouissent de propriétés anti-fermentescibles très marquées ; c’est ce qui explique l’action quelquefois efficace contre le météorisme de l’huile d’olive ou de ces breuvages obtenus par l’ébullition d’un litre de vin avec une couenne de lard et qui sont encore recommandés par certains empiriques.

Quand on n’a point de substances médicamenteuses à sa disposition on peut tenter l’évacuation des gaz du rumen, par les voies naturelles d’abord, et enfin par des voies artificielles. Plusieurs procédés se rattachent à l’évacuation par les voies naturelles ; nous allons décrire brièvement les principaux.

Il y a d’abord celui que l’on désigne sous le nom de Bâtonnage. Il consiste à exercer au moyen d’un petit bâton sur le voile du palais et la muqueuse pharyngienne des excitations qui ont pour effet de produire, par action réflexe, des efforts de réjection pouvant amener des éructations. Cette titillation du voile du palais est rendue plus efficace par le bâillonnement qui consiste à maintenir la bouche entr’ouverte, soit au moyen d’un billot en bois, soit à l’aide d’une planchette percée en son centre.

Wenzel et Viborg avaient conseillé l’introduction dans l’œsophage d’une baguette d’osier pour favoriser l’expulsion des gaz, mais cette baguette peut être brisée par les dents et rester en partie dans l’œsophage, ce qui devient une complication quelquefois plus grave que la maladie elle-même. Les maréchaux emploient encore, dans le même but, un manche de fouet souple et flexible après l’avoir convenablement graissé.

Ces moyens barbares ont été perfectionnés de différentes manières. Monro, d’Édimbourg, a préconisé l’emploi d’une sonde creuse constituée par un fil métallique roulé en spirale très serrée et entouré d’une enveloppe de cuir. Depuis on a fait des sondes en baleine, en caoutchouc, en gutta-percha, munies d’un mandrin que l’on pouvait retirer après leur introduction dans le rumen et présentant à l’une de leurs extrémités un renflement olivaire percillé comme une pomme d’arrosoir. Mais, en arrivant dans le rumen, cette extrémité de la sonde ne pénètre pas toujours dans une couche gazeuse ; aussi le dégagement peut-il être suspendu par suite de l’obstruction des ouvertures de l’olive de la sonde par des parcelles alimentaires.

Ce procédé est donc peu pratique ; néanmoins si l’on y avait recours, il faudrait enduire la sonde d’un corps gras avant de s’en servir et l’enfoncer avec précaution, afin d’éviter de la faire entrer dans le larynx et la trachée. On doit, après l’avoir placée sur la base de la langue, ne l’enfoncer que peu à peu, se contenter presque de la maintenir, car l’animal, par les mouvements de déglution qu’il effectue, la dirige lui-même vers la bonne voie.

Quels que soient les moyens que l’on emploie contre le météorisme, il est toujours bon de placer les animaux de façon que leur train antérieur soit plus élevé que le train postérieur, car les matières alimentaires seront ainsi reportées un peu en arrière, et les gaz pourront par suite s’engouffrer plus facilement dans l’ouverture cardiaque pour être expulsés par la bouche. Une autre précaution non moins efficace consiste à faire promener les animaux météorisés afin de favoriser les éructations par les mouvements successifs du rumen ; mais il faut se garder de les faire courir, ainsi qu’on le pratique trop souvent, car on ne peut par ce moyen que hâter l’asphyxie.

Lorsque les progrès du météorisme font craindre une mort prochaine, on ne doit point chercher à administrer des médicaments ni à provoquer l’évacuation des gaz par les voies naturelles, car les mouvements auxquels se livrerait l’animal pour se défendre ne feraient qu’accélérer le terme fatal. L’on doit, dans ce cas, offrir au plus vite une issue aux gaz emprisonnés dans la panse par une ponction faite dans le flanc gauche. Aussitôt cette ponction pratiquée, les gaz s’échappent avec violence entraînant parfois avec eux des parcelles de fourrages, et l’animal ainsi débarrassé de la masse qui comprimait son poumon reprend la liberté de sa respiration et revient soudainement à la vie.

La ponction du rumen est donc, de tous les moyens propres à prévenir les conséquences du météorisme, celui qui est le plus prompt à agir et le plus certain dans ses effets, soit qu’on pratique cette ponction à l’aide d’un trocart, soit qu’on l’exécute au moyen d’un couteau, d’un bistouri ou d’un instrument acéré quelconque. Cette opération étant en outre peu dangereuse, on ne doit pas hésiter à la pratiquer dans tous les cas où il y a menace d’asphyxie.

Pour effectuer cette ponction du rumen on doit autant que possible enfoncer l’instrument dans un point central du flanc, c’est-à-dire à égale distance des côtes, des apophyses transverses et de l’angle de la hanche. Mais quand il y a tympanite, les points de repère ne sont plus visibles, et le lieu d’élection est alors indiqué par le point le plus culminant du flanc soulevé.

Si l’on se sert du trocart, il est bon, à moins que l’asphyxie soit menaçante, de faciliter son introduction par une incision préalable faite à la peau au moyen de la flamme. Sans cette précaution, on court le risque de l’enfoncer vers des régions qui doivent être respectées ; du côté du rein gauche par exemple. Au lieu de faire pénétrer l’instrument dans une direction perpendiculaire, il est préférable de le diriger vers l’appendice xiphoïde du sternum ou le pied antérieur droit.

Lorsque le trocart est parvenu dans le rumen, on retire le poinçon et on maintient la canule : en entourant le ventre au moyen de ligatures attachées au pavillon du trocart. Mais, par suite des variations de volume du ventre, ces ligatures se relâchent ou deviennent trop tendues, et la canule peut tomber ; c’est pourquoi M. Lafosse préfère maintenir celle-ci à l’aide de deux bourdonnets passés près de son pavillon dans la peau du flanc gauche. Brogniez a imaginé une canule à double pavillon, l’un interne, l’autre externe ; cet instrument peut se maintenir de lui-même et rapproche en outre le rumen de la paroi abdominale de façon à empêcher l’épanchement des parcelles alimentaires dans le péritoine. Mais l’introduction de cet instrument n’est pas facile et, d’un autre côté, le pavillon interne peut laisser échapper les lèvres de l’ouverture du rumen.

C’est pourquoi le trocart ordinaire nous paraît le plus convenable, mais en le fixant au moyen d’une ligature passée autour de l’abdomen et sur le trajet de laquelle on aura placé un ruban de caoutchouc assez résistant, de 40 à 50 centimètres de longueur.

Lorsque le dégagement gazeux a complètement cessé, on retire la canule, et la petite plaie se cicatrise rapidement ; on doit tout simplement la recouvrir au moyen d’un emplâtre de pâte de térébenthine.

Après l’échappement des gaz de la panse la rumination se rétablit bientôt ; si elle tardait trop à se produire on pourrait la favoriser par des breuvages excitants, tout en facilitant le cours des aliments par quelques lavements froids d’eau salée ou d’eau de savon.

Quand les signes d’asphyxie persistent malgré la ponction, on peut faire des aspersions et ablutions d’eau froide vinaigrée sur le nez et le front des animaux. Une légère saignée est même quelquefois nécessaire pour dégorger le poumon, comme aussi lorsqu’il y a des signes d’apoplexie cérébrale.

L’on voit donc, en résumé, que les moyens de traitement des indigestions simples du rumen sont nombreux et différents les uns des autres par leur mode d’action, leur efficacité et la promptitude des résultats qu’ils sont susceptibles de produire ; c’est pourquoi il est nécessaire de faire un choix entre eux et de les adapter pour ainsi dire aux circonstances, de manière à n’employer que les plus simples pour les cas les moins graves et à parer au contraire aux dangers les plus pressants par l’emploi de ceux dont l’action est le plus promptement efficace.

II Indigestion du rumen avec surcharge. — Lorsque cette affection suit une marche rapide, le météorisme est ordinairement considérable ; aussi est-ce de cet épiphénomène qu’il faut d’abord s’occuper : Après avoir réduit le volume des gaz par les moyens déjà indiqués, il reste à débarrasser le rumen de l’excès des matières alimentaires. Pour arriver à ce résultat, on essaie de rétablir la rumination en délayant convenablement la pâte alimentaire et en excitant en même temps les contractions : des parois de la panse ; c’est pourquoi on doit administrer fréquemment des breuvages qui, au lieu d’avoir pour véhicule l’eau fraîche, sont composés d’infusions stimulantes et toniques, de menthe, de camomille, de tilleul, de mélisse, par exemple. Le café produirait aussi d’excellents résultats, de même que le quinquina et les diverses préparations alcooliques. Ces médicaments jouissent, en outre, de la propriété d’arrêter les fermentations et d’empêcher ainsi le dégagement gazeux, tout en exerçant leur action stimulante sur les parois de ce réservoir gastrique.

Il est un moyen très simple que j’ai souvent employé dans les cas d’indigestion et qui m’a presque toujours réussi pour rappeler la rumination, même lorsque cette fonction était suspendue depuis quatre ou cinq jours, c’est l’administration de vin fortement miellé que l’on donne à la dose d’un litre pouvant être répétée plusieurs fois dans la journée.

Ce breuvage remplit en effet toutes les conditions nécessaires en pareil cas : comme les alcooliques, le vin arrête les fermentations et stimule les contractions du rumen, tandis que le miel sert à masquer, pour ainsi dire, le goût aigre des matières alimentaires qui, n’exerçant plus une impression aussi désagréable sur la muqueuse buccale, sont plus facilement ruminées.

Indépendamment des breuvages, on doit administrer des lavements excitants d’eau de savon, d’eau salée ou de solution de sulfate de soude.

Bien souvent la maladie résiste à ces premiers moyens, surtout lorsqu’elle résulte de l’ingestion de fourrages secs ou altérés, et qu’elle suit une marche lente. Dans ce cas les accidents ne résultent généralement pas de la violence du météorisme, mais bien du séjour prolongé des aliments dans les réservoirs gastriques et de l’inflammation dont ces organes peuvent être le siège.

Il devient alors nécessaire de provoquer la rumination en ajoutant de l’émétique, à la dose de quelques grammes, aux breuvages stimulants qui ne le décomposent pas ; on peut aussi administrer, à l’exemple de Festal, un mélange de 30 grammes d’aloès avec 3 ou 4, grammes d’ipéca, mais non sous forme d’électuaire comme le faisait cet éminent praticien.

Si ces moyens restent insuffisants, on doit recourir à l’usage des purgatifs, tels que séné, aloès, huile de ricin, en ayant soin, dans ce cas, de les faire avaler par petites gorgées afin qu’ils ne forcent pas les lèvres de la gouttière œsophagienne et puissent arriver directement dans la caillette et dans l’intestin.

L’action purgative, bien qu’elle ne s’exerce pas sur le rumen et le réseau, se propage sympathiquement à ces organes dont les sécrétions et les contractions se trouvent ainsi activées. Par suite de cette excitation, le rumen peut se vider pendant l’abstinence, sans rumination, par le passage direct des aliments qu’il renferme dans le feuillet. C’est du moins ce que M. Lafosse a plusieurs fois constaté.

Mais ces cas sont rares, et, d’un autre côté, les divers médicaments sont souvent impuissants à produire le rétablissement de la rumination, de sorte que le rumen ne peut être évacué et pas même désempli par les voies naturelles des aliments qui sont accumulés à son intérieur, Il n’y a plus alors qu’une seule ressource pour sauver la vie des animaux, c’est d’ouvrir à cette masse alimentaire une ouverture qui permette son extraction ou son échappement au dehors.

Pour établir cette porte d’évacuation, on pratique aux parois du flanc et de la panse une incision de huit à neuf centimètres, c’est-à-dire assez étendue pour permettre l’introduction de la main et du bras de l’opérateur. Cette incision doit être verticale et commencer supérieurement trois centimètres au-dessus du point où la ponction au moyen du trocart doit être pratiquée. Quand l’opération est terminée, des liquides et des solides sont quelquefois entraînés par le courant aérien et jaillissent à distance ; le rumen peut, par suite, se débarrasser de lui-même d’une partie de son contenu, surtout si on favorise l’évacuation par la promenade ou la pression de l’abdomen.

Généralement, cependant, lorsque cette gastrotomie est indiquée, les fourrages accumulés dans la panse ont trop de compacité pour s’échapper ainsi au dehors, et l’on est obligé de les extraire avec la main introduite à travers l’ouverture pratiquée. Mais ici une difficulté se présente, car les aliments, soit qu’ils s’échappent spontanément, soit qu’on les enlève avec la main, peuvent tomber en partie entre les parois de la panse et celles de l’abdomen et donner lieu, par suite à de graves péritonites.

Pour obvier à cet inconvénient redoutable, les anciens appliquaient, au préalable, sur les lèvres de l’incision un linge dont une partie s’enfonçait dans le rumen tandis que l’autre restait à la surface de la peau. Ce procédé a été perfectionné de différentes manières. M. Lafosse préfère fixer le rumen aux parois abdominales par deux points de suture. Roche-Lubin a fait connaître en 1849 un moyen à peu près semblable qui consiste à obtenir le contact entre la panse et l’abdomen au moyen d’un bourdonnet passé de dedans en dehors à deux centimètres de chaque lèvre de l’incision. Il nous paraît préférable de passer une ligature de dehors en dedans d’abord pour la faire ressortir à 4 ou 6 centimètres du même côté de l’incision ; l’on a ainsi, en agissant de même sur l’autre lèvre, quatre bourdonnets au moyen desquels un aide placé au flanc droit peut maintenir rapprochées les parois de la panse et celles de l’abdomen tout en écartant les bords de l’ouverture, de façon à faciliter l’introduction de la main.

Quoi qu’il en soit de ces moyens préalables, on ne doit pas retirer du rumen une quantité trop considérable de matières, car il faut laisser à cet organe le lest suffisant pour lui permettre de reprendre ses contractions ; cependant on peut en extraire le tiers et même la moitié, c’est-à-dire deux ou trois seaux pleins environ.

Brogniez a inventé pour exécuter cette vidange de la panse un gastrotome, sorte de trocart très large et creux qui peut livrer passage à une pince à cuiller de très grande dimension ; mais cet instrument n’est rien moins qu’inutile, la main lui est infiniment préférable.

Lorsque le rumen est débarrassé du poids qui le surchargeait, l’animal qui était faible et chancelant pendant l’opération, ne tarde pas à reprendre la liberté de ses mouvements et la régularité de la respiration. Avant de fermer la plaie du rumen on doit introduire directement dans cet organe deux ou trois litres de vin miellé, ou encore des infusions aromatiques auxquelles on associe des liquides spiritueux. On peut ensuite, au moyen des bourdonnets noués deux à deux, resserrer l’ouverture du flanc et maintenir même sur l’incision un plumasseau imbibé d’eau-de-vie camphrée. Cette ouverture peut être mise à profit pour médicamenter l’animal pendant quelques jours par injections directes dans le rumen.

La rumination se rétablit ordinairement deux ou trois jours après l’opération, et les animaux manifestent alors un peu d’appétit. Il ne faut pas les priver complètement d’aliments, car les fourrages verts, les racines ou les tubercules pris en quantité modérée, réveillent et entretiennent les fonctions du rumen en se mélangeant à la masse alimentaire laissée dans ce réservoir.

Quant à la plaie du flanc, elle se cicatrise rapidement ; on la panse comme une plaie simple et l’on peut retirer les bourdonnets vers le dixième jour.

Lorsqu’il y a complication de l’inflammation des estomacs, on doit pratiquer une légère saignée si les animaux sont robustes, et administrer quelques émollients, soit en lavements, soif en breuvages. L’on peut aussi chercher à obtenir une dérivation par des frictions sinapisées sur les membres et sur le ventre.

III Indigestion du feuillet. — Dans l’indigestion du feuillet les indications restent à peu près les mêmes que dans l’indigestion du rumen avec surcharge. Il faut, en effet, réduire le météorisme quand il se manifeste, et chercher à rétablir par les mêmes moyens le cours des matières alimentaires.

La plus grande difficulté à résoudre est, ici, de délayer le plus possible, par une imbibition continue, les aliments desséchés dans le feuillet, afin de faciliter leur cheminement vers la caillette. Or ce résultat ne peut être obtenu que par l’administration fréquente de breuvages ayant à la fois une action délayante et stimulante.

M. Zundel s’est bien trouvé de l’emploi de breuvages stimulants acidulés par l’acide chlorydrique. Il a aussi utilisé avec succès l’essence de térébenthine dont les bons effets contre l’indigestion du feuillet avaient déjà été indiqués en 1847 par M. Robellet. Ce médicament peut être administré à la dose de 35 à 40 grammes en breuvages et en lavements que l’on peut répéter trois ou quatre fois dans la journée.

L’émétique, l’ipéca, les purgatifs divers, ont tour à tour été conseillés par les auteurs, mais ils restent trop souvent impuissants à produire la désobstruction du feuillet. L’on pourrait peut-être, lorsque l’engouement persiste, essayer la désobstruction directe du feuillet en dirigeant des douches à l’intérieur de cet organe par une incision faite au flanc, ainsi que le conseille Brogniez, ou encore au moyen de la main, ce qui ne paraît pas impossible d’après les expériences de M. Colin.

Si, grâce à la desquamation de l’épithélium du troisième estomac, les matières alimentaires reprennent leur cours, les animaux manifestent ordinairement un peu d’appétit, mais il faut se garder de le satisfaire ; une diète sévère doit être observée pendant les premiers jours de la convalescence. Le malade pourra seulement recevoir dès le début des boissons blanches que l’on alternera peu, à peu avec quelques poignées des fourrages qu’il appète le plus.


PROPHYLAXIE.


Les principaux moyens de préserver les ruminants des indigestions consistent à surveiller le mode d’alimentation, car ces affections résultent généralement du mépris du régime, de l’oubli de ses lois.

Voici l’énoncé des principales indications prophylactiques qui résultent de l’étude étiologique des indigestions des ruminants.

Les bestiaux ne devront autant que possible être conduits aux pâturages que lorsque les herbes ne sont pas couvertes de rosée, et ils devront avoir mangé, au préalable, un peu de fourrages secs pour que leur appétit soit moins surexcité et l’ingestion d’herbes vertes moins considérable. Si les fourrages sont abondants, on aura soin de ne pas les laisser pâturer trop longtemps et de les tenir en mouvement pour qu’ils se gorgent moins vite.

Lorsqu’on les nourrit à l’étable avec des fourrages verts, ceux-ci devront être fauchés depuis la veille et ne pas être restés longtemps en tas pour qu’ils n’aient pas déjà commencé à s’échauffer. L’on devra éviter aussi de donner ces fourrages lorsqu’ils ont été mouillés par la pluie ; ils devront être alors étalés et remués afin qu’ils puissent se sécher.

Au commencement de l’emploi des aliments verts, ceux-ci devront être mélangés à une égale quantité de paille ou de fourrages secs, afin d’empêcher les effets pernicieux que déterminerait la présence d’une trop grande quantité de matières fermentescibles dans le rumen.

Mais en dehors du régime du vert bien des circonstances peuvent donner lieu à des indigestions ; c’est ainsi que ces affections résultent souvent de l’usage trop longtemps continué de fourrages secs, fibreux, vasés ou altérés, d’herbes ou de produits irritants.

Lorsque la fatalité des circonstances impose un pareil régime, le propriétaire doit augmenter d’attention pour le rationnement de ses bêtes ; les aliments devront être administrés en plus petite quantité à la fois, on pourra les arroser avec de l’eau salée, les faire macérer même, pour rendre leur digestion plus facile. Il est quelquefois utile de mélanger ces aliments entre eux et surtout de leur associer, s’il est possible, des racines et des tubercules.

L’imbibition des aliments secs nécessitant une grande quantité de liquide, les animaux devront être plus souvent abreuvés, et si l’on est enfin dans la nécessité d’utiliser des herbes un peu irritantes, il sera convenable de leur faire subir au préalable une légère cuisson.

Dans tous les cas, comme les indigestions peuvent aussi résulter de la voracité propre des animaux, on préviendra ces affections par une distribution modérée et régulière des aliments.

Si les animaux sont obligés de rester trop longtemps sous le joug, on devra partager l’attelée afin de leur permettre de ruminer leur ration du matin avant d’absorber leur second repas de la journée.

Il est des cas enfin où les indigestions résultent de l’imperfection, consécutive à la vieillesse, des organes masticateurs ou salivaires ; l’on doit, dans ce cas, nourrir les animaux avec des aliments de mastication facile, tels que farineux, pulpes ou fourrages bâchés, mais ces derniers doivent être administrés en quantité modérée, sans quoi ils pourraient produire l’obstruction du feuillet.


§IV.


L’INDIGESTION DE LA CAILLETTE.


Si dans l’âge adulte, grâce à la rumination et à l’appareil régulateur du feuillet, les ruminants ne sont pas exposés à cette variété d’indigestion, il n’en est plus de même pendant les premiers mois de la vie, alors que, le rumen ne fonctionnant pas encore, la caillette reçoit directement par la gouttière œsophagienne le lait ou autres aliments liquides dont se nourrit exclusivement le jeune animal.

L’indigestion de la caillette résulte donc de la réplétion excessive de cet organe par le lait ; voilà pourquoi on lui donne souvent le nom d’indigestion laiteuse.

Causes. — Chez les races qui sont à la fois travailleuses et laitières, comme la race garonnaise, les indigestions laiteuses sont assez communes, parce que les veaux restent souvent trop longtemps séparés de leur mère, et sont ainsi exposés à se gorger avec excès sous l’excitation de leur appétit trop développé par la privation.

Ces affections peuvent encore être produites par les mauvaises qualités de lait résultant de la surexcitation déterminée par le travail. Le lait est alors échauffé, et si l’on ne laisse pas reposer les mères avant de laisser téter le veau, ceux-ci contractent généralement une indigestion de la caillette, vulgairement connue sous le nom de coup de lait.

Dans beaucoup de pays, les vaches laitières ne travaillent pas, mais leurs veaux n’en sont pas moins exposés à l’indigestion, car le lait est généralement vendu ou utilisé de diverses manières, et les jeunes animaux sont nourris artificiellement au moyen de bouillons et de liquides farineux. Il résulte souvent de ce régime des réplétions trop considérables de la caillette, parce que les repas ne sont pas toujours très réguliers et que la quantité d’aliments n’est pas toujours proportionnée à l’âge du jeune sujet.

Cruzel a signalé sur les ruminants adultes une indigestion de la caillette qu’il aurait observée lorsque, par suite des grandes chaleurs, les animaux ingèrent de trop grandes quantités d’eau. Il l’a surtout remarquée sur les bœufs de travail.

Symptômes. — L’indigestion laiteuse, se traduit bientôt par le refus de téter ou de boire, par des bâillements fréquents, et par la tension du ventre qui est quelquefois un peu ballonné. Le jeune animal fait des efforts de réjection qui aboutissent le plus souvent à des éructations, et parfois au vomissement du lait cailleboté. La langue est généralement recouverte d’un enduit blanc ou grisâtre, le ventre est douloureux, mais à la constipation du début succède bientôt une diarrhée fétide qui amène la guérison de la maladie.

Cette affection est assez grave, car si elle ne fait pas périr les animaux, ceux-ci ne reprennent que lentement la santé et leur appétit. Elle peut, en outre, se compliquer de l’inflammation de la caillette et de l’intestin.

L’indigestion d’eau des animaux adultes se traduit par la tension du ventre et par des coliques qui peuvent durer une heure ou deux. L’affection se termine ordinairement par une diarrhée liquide.

Traitement. — On doit d’abord activer les fonctions de l’estomac par des breuvages légèrement excitants, tels que infusions de camomille, de tilleul, de thé ou de café. Quand il y a météorisme, on peut ajouter un peu de magnésie ; mais s’il y a diarrhée, on doit la combattre par de légers astringents, du sous-nitrate de bismuth par exemple.

La manne, la crème de tartre, le sulfate de magnésie, conviennent aussi très bien dans le traitement de l’indigestion laiteuse. S’il y a constipation, on doit administrer des lavements de sulfate de soude ou d’eau légèrement savonneuse.

Contre l’indigestion d’eau des adultes, la promenade est nécessaire pendant tout le temps que durent les coliques ; lorsque celles-ci ont cessé, on peut administrer des liquides alcooliques, du vin, par exemple, ou des infusions aromatiques. Les moyens de prévenir les indigestions laiteuses découlent de la connaissance des causes. Il ne faut pas laisser les jeunes veaux trop longtemps à la mamelle, et si leurs mères viennent de travailler, il est nécessaire de ne les laisser téter qu’après avoir laissé reposer celles-ci pendant une heure et moins ; il ne faut pas non plus, lorsqu’ils sont allaités artificiellement ou nourris avec des farineux, leur permettre de satisfaire leur appétit surexcité.


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