Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/De profundis

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DE PROFUNDIS


MON ANNIVERSAIRE À FONTAINEBLEAU



        « Quitter Paris, quitter le monde,
        « C’est mourir », m’a-t-on dit cent fois.
        Or, dans ma retraite profonde,
        Je suis mort, du moins je le crois. (Bis.)
D’un trépassé prenant le caractère,
Je tiens mon gîte aux indiscrets muré.

Me voilà donc comme à cent pieds sous terre.
De profundis ! car je suis enterré.

Bis.


        Je vis en mort tranquille et sage
        Dans ce coin qui me va si bien ;
        Espérant, moi qui sais l’usage,
        Que l’oubli sera mon gardien.
Mais que de moi l’amitié se souvienne
Pour chaque nœud qu’avec vous j’ai serré.
À mon tombeau que souvent elle vienne.
De profundis ! car je suis enterré.
 
        Je conçois qu’on s’immortalise ;
        Pourtant cela devient banal ;
        Et lettre d’ami, quoi qu’on dise,
        Vaut mieux qu’article de journal.
Laissons la gloire apposer son paraphe
Sur maint brevet par des sots délivré ;
Mes vieux amis, faites mon épitaphe.
De profundis ! car je suis enterré.
 
        Les morts ne se dérangent guères ;
        Venez donc sans deuil ni souci,
        Narguant les larmoyeurs vulgaires,
        Boire au défunt qui gît ici.
Plus ne m’arrive un soupir de colombe ;
Plus un seul vers par Lisette inspiré.
L’amitié seule a des fleurs pour ma tombe.
De profundis ! car je suis enterré.
 
        Pourtant, lorsqu’ici je m’enterre,
        Ne me croyez pas devenu
        Fou misanthrope ou sage austère,
        Contre son siècle prévenu.
Avec le temps si mon esprit plus sombre
Voyait en noir, sous un ciel azuré,
Soyez, amis, indulgents pour mon ombre.
De profundis ! car je suis enterré.

        De profundis ! criait Lazare,
        Rêveur dans la tombe endormi,
        Lorsque armé d’un pouvoir trop rare,
        Jésus réveilla son ami.
Au bout de l’an où tous je vous convie
Pour un service à bas bruit célébré,
Comme à Lazare, ah ! rendez-moi la vie.
De profundis ! car je suis enterré.