Dernière Terre (recueil)/Paysages (2)

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    Matinée de dimanche dans un jeu d'orchestre et
d'éblouissement.
    Je crie vers la consécration de cet épanouissement,
vers la puissance arrêtant toute destinée à cette rencontre
momentanée.
    La révélation n'est jamais qu'un passage et la ferveur,
le point extrême.
    Premières émotions, premières pénétrations de ce goût
de boire la vie, et de l'enlacer, et de la presser contre soi,
et d'être le disciple passionné de son préceptorat.
    J'attire l'univers en moi, je contiens tout, mon être a
fait le geste du créateur et j'ai toutes les richesses à dis-
tribuer.
    Je voudrais évaporer le mal de cette immense fenêtre.
    Je voudrais que le monde apprit l'ampleur captivante
d'un regard.
    Débordement d'involontaires amours, et de fêtes se-
crètes. Je ne sais rien d'immobile en l'être et ne puis
dire la chaleur, l'extension, la plénitude de cette puis-
sance d'inutilisable fécondité.
    Voix intimes de chacun, poèmes inédits de ces longues
communions, splendides participations aux splendeurs
réservées de l'Art tout entier.
    Et ma pensée est une énergie, une gratitude constam-
ment tendue vers l'Appel, vers le Don incalculable de
chaque frôlement de l'âme à l'âme caressante du continuel
échange avec la vie.
    Qui m'ôtera cette fébrilité des magnificences incréées
et du délire d'introuvables pouvoirs.
    Souvenir ami de cette lointaine confiance, décharnée
désormais, comme celles qui s'étaient attardées aux trou-
vailles possibles.
    Recouvrements imprévisibles de mes émotions à la
cadence capricieuse d'effleurements.
    On n'est sûr de la mort d'aucune émotion née. Inven-
tions illimitées.
    Ivresse inlassable de vivre.
    Épuisement coexistant de vivre.
    Parce qu'il suffit d'une seule seconde pour tout décou-
vrire et qu'à partir d'elle il n'y a que recommencements.
    Je retrouve à chaque pas, la trace de mes anciens pas.
Je m'attache à leurs empreintes, plus que je ne m'étais
attachée aux illuminations qui les avaient inscrites.
    J'aime plus que tout, dans ma vie, la trace de ma vie.
    Cette impression d'être raccroché déjà aux mondes
disparus, parce qu'il n'y a plus attente, mais plénitude de
ne plus rien attendre.
    Celle d'être pénétré, à chaque instant, par la nostalgie
fidèle d'une mort permettant la libre et exclusive con-
templation de ce que l'on a aimé.
    J'aime les tolérances de la solitude, et cette immensité
qu'elle seule entrouvre.
    Se briser à des confidences non asservies.
    Laisser avancer les plus profondes détresses, et ne
rien retenir.
                                       BLIDA, 1936 (février).