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Rose et Vert-Pomme/Deux gosses

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(Redirigé depuis Deux gosses)
Rose et Vert-PommePaul Ollendorff. (p. 283-288).

DEUX GOSSES


Voulez-vous me permettre de vous présenter deux amis à moi ?

Le premier : M. Henri, jeune gentleman frisant la douzaine. (On dit : friser la quarantaine ; pourquoi ne friserait-on pas la douzaine ou même la demi-douzaine ? Et pourquoi les hommes mûrs détiendraient-ils le privilège de faire des papillotes à leur âge !)

Mon autre camarade, le frère du premier, répond au nom de Toto (quand il condescend à répondre) et se dispose à la proche mélancolie de son sixième automne.

Leur papa, un peintre de beaucoup de talent, doublé du meilleur des hommes et veuf depuis deux ou trois ans, a élevé ses mômes de telle façon que ce serait bien plus simple de dire qu’il ne les a pas élevés du tout.

On pourrait soigneusement fouiller toute l’Europe Occidentale avant de découvrir des drilles aussi fâcheusement éduqués.

Mais si drôles avec ça, si malins, si peu pas banals ! Et leur conversation !

Comparées à leurs coutumiers propos, les réflexions du jeune Bob (celui de Gyp) sembleraient discours académiques.

Henri cueille des prunes, non sans témérité.

— Papa ! s’écrie Toto.

— Quoi, Toto ?

— Dix sous qu’Henri se casse la g… avant trois minutes ?

— Tenu.

Papa gagna le pari, Henri redescendant indemne de sa cueillette (à part quelques notables fragments de culotte demeurés aux aspérités du prunier).

— Tiens, papa, v’là tes dix sous.

— Je t’en fais cadeau, Toto.

— Dis donc, est-ce que tu me prends pour un sale rasta ? Quand j’ai perdu, moi, je casque.

Le petit cottage qu’ils habitent encore serait un véritable Éden, sans un redoutable professeur qui vient chaque jour inculquer à Henri des notions de toutes sortes : histoire, arithmétique, latin, allemand, etc.

Henri professe pour l’histoire grecque une aversion sans bornes, et comme papa cherche à rallier sur cette branche d’éducation les suffrages de son fils :

— Mais enfin, papa, proteste Henri, qu’est-ce que tu veux que ça me f… à moi les histoires de tous ces vieux types, qui sont claqués il y a plus de trois mille ans !

Son jeune frère manifesterait plutôt une vague tendance aux études historiques.

Il a assisté l’autre jour à une leçon d’histoire grecque, infligée à son aîné, et voici le suc qu’il en a retiré :

— Dis donc, papa, tu ne sais pas ce qu’ils faisaient, les Macélédoniens ?

— Les… quoi, Toto ?

Macélédoniens.

— Tu veux dire, sans doute, les Lacédémoniens.

— Oui, les Lamécédoniens, pour empêcher les gosses de se saoûler ?

— Raconte-moi ça, Toto.

— Eh bien ! ils fichaient une bonne cuite à des pilotes.

— À des pilotes, Toto ?

— Oui, à des pilotes.

— À des ilotes, tu veux dire, Toto ?

— Peut-être bien… Mais j’avais entendu des pilotes. Mais une bonne cuite, tu sais ! Une sale cuite ! Alors, c’était tellement dégoûtant, que les gosses ne buvaient plus que de l’eau, après.

L’application de Toto à l’étude des civilisations hellènes ne l’empêche pas de se coller au front des ecchymoses polychromes où le bleu, pourtant, domine.

— Qu’est-ce que tu t’es fait, Toto ? demande papa, un peu alarmé.

— Oh ! c’est rien, papa ! En courant dans la serre, je me suis cogné contre un oranger.

— Est-ce que tu ne te f… pas un peu de moi, Toto ?

— Mais non, papa ? Pourquoi ?

— Parce que, mon vieux Toto, depuis le temps que je fais de la peinture, c’est la première fois que je vois faire du bleu avec un orangé.

Que voulez-vous que des enfants deviennent avec une telle éducation ?