Dictionnaire analytique d’économie politique/D

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DÉBOUCHÉS. — Ce mot exprime le débit et la consommation des produits du travail.

Il y a deux sortes de débouchés pour chaque pays, Je marché national et le marché étranger.

Dans le marché national le débouché est borné ; on ne peut débiter que les produits indigènes que le pays a volonté et les facultés de consommer. (Voyez Commerce et Consommation.) Au delà tout débit est impossible, d’où il suit que la production est limitée à la consommation locale, et qu’il n’y a aucun espoir d’accroissement du travail, du capital et de toutes les sources productives de la richesse générale.

Le débouché dans le marché étranger est d’une nature différente : il a l’inappréciable mérite d’être illimité. Il semble défier la production, les efforts du travail, les talens de l’industrie, le génie du commerce. Dans les marchés du monde, la production stimule la consommation, elles luttent sans s’épuiser et le producteur et le consommateur éprouvent le regret de n’avoir ni assez produit ni assez consommé. Ce phénomène s’explique facilement.

Les produits indigènes qu’un pays ne peut ou ne veut pas consommer, qui resteraient invendus dans le marché national, et qui, n’y ayant pas de débouché, ne seraient pas reproduits, sont-ils exportés dans les marchés du monde, y trouvent des consommateurs qui donnent en échange d’autres produits, que leur importation dans le marché national fait rechercher et consommer. Les vins, que la France ne veut ou ne peut pas consommer ne trouvent pas de consommateurs dans le marché national ; exportés en Suède, ils y sont échangés contre les fers de ce pays, et ces fers importés en France y sont consommés ; de, sorte que les produits indigènes, repoussés du marché national, sous leur forme naturelle, y sont débités après leur métamorphose en produits exotiques. Le marché étranger agrandit donc le marché national, donne aux consommateurs nationaux plus de volonté plus de moyens de consommer, offre aux consommateurs et aux producteurs de tous les pays des ressources indéfinies et inépuisables, et leur ouvre une carrière de prospérité et de richesse dont ils ne peuvent pas atteindre le terme ; prodige impossible au marché national, quelle que soit son étendue, fût-elle égale ou supérieure à celle, du marché de la Chine. (Voyez Commerce.)

DÉFICIT. — C’est un terme de finance qui emploie pour exprimer la situation d’un état dont le revenu ne suffit pas à ses dépenses.

Quelle que soit la cause du déficit, qu’il dérive soit de la nature du pays, qui l’assujettit à des dépenses supérieures à ses ressources, ce dont l’histoire moderne offre plus d’un exemple ;

Soit de l’ambition et des prodigalités du pouvoir qui semblent le caractériser et en être inséparables ;

Soit des vices de l’administration contre lesquels on déclame sans cesse, et auxquels on ne remédie jamais ;

On est également fondé à le regarder comme la source des plus grands désastres qui puissent affliger un pays. Il favorise les désordres des agens du pouvoir, élève le prix du matériel du service au delà du prix du marché, détruit le crédit, déconsidère le pouvoir, énerve son autorité au dedans, affaiblit sa puissance au dehors, et exerce une influence funeste sur les destinées de l’état.

Sans doute on est parvenu par d’habiles mesures de finance à détourner de si déplorables, calamités. On a, par l’accumulation des déficits, formé la dette publique, et si cette dette n’a pas payé le déficit, elle l’a du moins régularisé et rendu moins onéreux aux générations actuelles, en appelant à leur secours les générations qui doivent leur succéder ; mais toutes ces combinai, loin de remédier au mal, n’ont fait que l’accroître, parce qu’elles n’ont servi qu’à grossir les dépenses, et si, malgré sa pesanteur, le fardeau est encore supporté, il peut, si l’on n’y prend garde, par la progression de sa masse, écraser la civilisation dont il a été sans contredit le plus puissant levier. (Voyez Dette publique.)

DEMANDE. — Ce mot exprime le besoin des produits du travail, et ce besoin est la mesure de leur production. Tant que les besoins et les produits restent dans une exacte proportion, les prix conservent leur cours ordinaire. Si les produits sont inférieurs aux besoins, les prix haussent ; dans le cas contraire, ils baissent. Sans des circonstances extraordinaires, ou des accidens imprévus, les besoins et les produits, ou là demande et l’approvisionnement, tendent à se mettre en équilibre. (Voyez Offres.)

DENRÉES.— Ce sont les produits du travail que chaque producteur réserve pour sa consommation, ou qui sont mis en vente par lui ou par le commerce, pour être consommés. Le mot denrées emporte toujours avec lui l’idée d’une consommation actuelle ou prochaine.

DÉPENSES. — Ce mot exprime la consommation actuelle des produits du travail. Il y a deux sortes de dépenses, les dépenses publiques et les dépenses privées.

Les unes et les autres n’intéressent la science économique que sous le rapport des consommations. (Voyez ce mot.)

Mais les dépenses publiques se rattachent spécialement à la science des finances dont elles sont une partie très-importante. Je n’ai pas le dessein d’embrasser un si vaste sujet, il me suffit d’avoir fait remarquer sa connexité avec celui qui m’occupe.

DETTE PUBLIQUE.— C’est la partie de la dépense publique qui n’a point été acquittée avec le revenu public, soit à cause de son insuffisance, soit à cause de sa dilapidation.

Ce qui embarrasse, quand on arrête sa pensée sur les causes de la dette publique, c’est qu’on ne les ait pas encore regardées comme des obstacles permanens et absolus à sa libération.

Effectivement, ces causes ne sont pas transitoires et accidentelles, mais inhérentes à la nature de l’état social et politique. Si des guerres, des événemens imprévus, des abus ou des dilapidations ont élevé les dépenses de l’état au delà de son revenu, et l’ont Forcé, de transformer ses arriérés en dette publique, les mêmes causes la perpétueront. Aussi depuis près de cent cinquante ans que les gouvernemens ont contracté une dette publique, non-seulement aucun ne l’a remboursée, mais tous l’ont au contraire augmentée dans des proportions qui épouvantent l’imagination.

La dette de l’Angleterre, la seule connue, constatée et authentique, la seule qu’on peut suivre dans ses variations depuis son origine jusqu’à nos jours, loin de s’éteindre par les remboursemens qu’on en a faits, a été constamment progressive.

En 1701 elle se montait à

liv. st. 16,394,791

Depuis cette époque elle
s’est élevée progressivement :

en 1714, à 53,681,076
en 1748, à 78,293,313
en 1764, à 139,516,807
en 1786, à 260,000,000
en 1802, à 553,712,807
et en 1814, à 778,478,521

Et cependant l’Angleterre est de tous les états modernes celui qui s’est occupé avec le plus de soin du remboursement de sa dette. Dans l’espace d’un siècle elle a remboursé la somme énorme de liv. st. 275,568,550

Mais ce remboursement, tout immense qu’il est, forme à peine le quart de sa dette, et n’en a que faiblement allégé le poids. On peut donc affirmer, sans être accusé de paradoxe ou d’exagération, que toute dette publique est de sa nature inextinguible, et il ne faut point s’en étonner.

Un particulier qui dépense au delà de son revenu a trois moyens d’éteindre la dette qu’il a contractée par l’excès de ses dépenses. Il peut réduire sa dépense et se libérer par ses économies, il peut améliorer son revenu par plus de travail ; il peut enfin trouver des ressources dans l’aliénation de son capital.

Un état, ou un gouvernement, n’a à sa disposition aucun de ces moyens de libération.

1o. Il ne peut pas réduire les dépenses ordinaires presque toujours déterminées par la situation relative du pays, par ses relations avec l’étranger, par ses mœurs, ses habitudes et ses usages. Des dépenses extraordinaires ne sont pas une raison suffisante pour réduire les dépenses ordinaires. On n’économise pas sur le nécessaire, ou du moins telle n’est pas la vertu des gouvernemens. Lors même que la réduction des dépenses ordinaires serait possible, elle serait insuffisante pour opérer la libération de la dette publique des états modernes.

2o. L’amélioration du revenu général du pays dont le revenu public est une partie aliquote, offre sans doute des ressources plus étendues et plus efficaces que la réduction des dépenses ordinaires. Qui peut en effet calculer la puissance de l’amélioration de la fortune d’un grand peuple ? mais cette puissance consiste dans le génie, l’industrie et l’activité de la population, et comment leur donner le mouvement là où il n’existe pas, et comment l’améliorer là où il existe ? On ne peut y parvenir que par l’éducation dés classes laborieuses et industrieuses, par la liberté dé l’ouvrage et de l’ouvrier, par la facilité de la circulation des hommes et des choses, par la protection générale des individus au dedans et au dehors, par l’égalité de la justice, des récompenses, des grâces et des honneurs entre tous ceux qui ont bien mérité de leur pays.

Mais peu de gouvernemens connaissent l’influence de ces causes sur la richesse générale d’un pays, peu savent en faire usage ; peu sont assez éclairés bu assez généreux pour n’en concevoir aucun ombrage. On en a au contraire un tel effroi, qu’on se fait un devoir de les paralyser, de les entraver, de leur opposer d’insurmontables obstacles : Le besoin de la richesse est sacrifié aux terreurs qu’elle inspire. On ne peut donc pas plus comme pour le remboursement de la dette publique sur l’amélioration du revenu public, que sur la réduction des dépenses ordinaires de l’état.

3°. On ne peut pas davantage attendre sa libération de l’aliénation des domaines de l’état qui forment son capital : depuis long-temps ces inaliénables domaines sont aliénés, et ce n’est que pour suppléer à leurs ressources qu’on a eu recours à la dette publique. On ne peut donc pas l’éteindre par l’aliénation du domaine public.

Les gouvernemens n’ont par conséquent aucun moyen de se libérer de la dette publique qu’ils ont contractée.

D’où vient donc qu’il en existe une dans chaque état, qu’elle est progressive, et que ses progrès sont si rapides, qu’on ne sait où elle s’arrêtera ? D’où vient surtout que son énormité, qui devait avoir une si funeste influence sur la fortune des peuples, et sur la richesse générale, n’en a eu aucune, et peut-être leur a été plus favorable que contraire ? C’est sans contredit un des plus grands problèmes de l’économie politique.

Peut-on se flatter de le résoudre par la sagesse des plans de finance qui, depuis l’origine des dettes publiques, ont été appliqués à leur libération ? Tous ont échoué, et les meilleurs diffèrent peu des plus mauvais. Tous ont appelé le temps à leur secours ; et le temps s’est joué de toutes leurs combinaisons.

D’abord on promit au créancier de le rembourser à des termes fixes, et plus ou moins éloignés ; mais on reconnut bientôt que la situation politique des états est si précaire, que les gouvernemens les plus réguliers et les plus économes n’ont jamais la certitude de faire honneur à leurs engagemens, et qu’ils ne peuvent y manquer sans perdre leur crédit, et sans, s’exposer à de déplorables calamités. Il fallut donc renoncer aux remboursemens à termes, également funestes aux gouvernemens et à leurs créanciers.

On eut encore recours aux annuités à courts et à longs termes, qui promettent de rembourser chaque année l’intérêt et une partie du capital (Voyez Annuités) ; on se flattait que ce mode de remboursement qui ne grevait que faiblement le revenu public, ne compromettrait ni la foi des gouvernemens, ni les besoins de leurs créanciers. On se trompa encore. Tout remboursement, quelque faible qu’il soit, dépasse l’es forces du revenu public, et les états qui n’ont pas d’autres ressources à offrir à leurs créanciers se trouvent placés entre le danger d’imposer un intolérable fardeau aux contribuables, ou d’opérer la ruine de leurs créanciers. On fut donc forcé d’abandonner les annuités comme les remboursemens à termes.

On ne fut pas plus heureux dans le mode de remboursement par forme de rente viagère qui n’est qu’une modification de l’annuité. On dut y renoncer quand on eut acquis la certitude que la chance de la rente viagère aggrave prodigieusement la condition de l’état débiteur.

On en vint enfin à ne promettre que le paiement à perpétuité de l’intérêt de la dette publique, et l’on devait d’autant plus compter sur la fidélité de cette promesse, qu’elle s’accordait parfaitement avec la nature du revenu public ; mais on apprit encore par l’expérience, ce régulateur de toutes les combinaisons humaines et sociales, que la dette publique grossit chaque année de toute l’insuffisance du revenu public, et qu’à une époque peu reculée elle en absorbe une si grande partie, que ce qui en reste ne suffit plus aux indispensables besoins du service ordinaire. Que fit-on dans cette position désespérée ? On inventa l’amortissement qui, avec une faible somme consacrée à racheter la dette publique au cours du marché, parvient à arrêter son accroissement indéfini. (Voyez Amortissement.)

Ainsi, depuis que la dette publique existe, elle n’a jamais été remboursée, quoiqu’on ait multiplié les plans de remboursement ; à peine en a-t-on payé l’intérêt ; et cependant le zèle des prêteurs ne s’est point ralenti, la fortune publique n’en à point souffert, et la condition des peuples s’est prodigieusement améliorée.

Sans doute on dira que tous ces avantages ont été obtenus malgré la dette publique, et que sans elle ils auraient été bien plus grands ? Mais ce n’est là qu’une assertion, et il reste à la prouver, ce qu’on n’a pas encore fait. Quelle est donc la cause de ce singulier phénomène ? Comment concevoir que les peuples s’enrichissent quand leurs gouvernemens ne peuvent pas payer les dettes de l’état ; et, ce qui est encore bien plus étrange, comment le revenu public augmente-t-il dans la proportion de l’accroissement de la dette publique, sans arrêter la progression de la richesse générale, et sans lui porter la moindre atteinte. C’est là, sans contredit, un prodige qui semble au-dessus des efforts de la science économique. Essayons cependant de pénétrer ce mystère.

Que fait un gouvernement qui contracte une dette publique pour combler les déficits du service ordinaire, et les dépenses imprévues et extraordinaires ? Il consomme des économies volontaires ou forcées.

Elles sont volontaires quand on les lui prête volontairement.

Elles sont forcées quand il ne paye pas ses créanciers.

Mais, volontaires ou forcées, ces économies existent, et si elles sont consommées sans reproduction, leur consommation laisse le pays dans le même état que si elles n’avaient pas encore été faites ; dans ce cas la richesse reste stationnaire.

Heureusement il n’en va pas tout-à-fait ainsi, et l’opération est plus compliquée dans ses résultats.

La consommation des économies volontaires ou forcées est une consommation extraordinaire qui renchérit la valeur des produits, favorise le producteur, l’encourage à donner une plus grande extension à la production, et, par conséquent, donne une nouvelle impulsion aux économies, au travail, à tous les mobiles de la richesse. Tel est l’effet infaillible de tout accroissement de la consommation.

Sans doute, si le gouvernement se bornait à consommer les produits des économies et du travail, et ne donnait à l’économe et au producteur aucun équivalent de leurs économies et de leurs produits, le mobile des économies et de la production s’arrêterait et n’opérerait que comme, le fouet sur l’esclave ; dans ce cas le gouvernement, éprouverait le sort du prodigue, qui ne trouve plus rien à dépenser quand il n’a plus le moyen, de payer sa dépense.

Mais le gouvernement a, dans la faculté d’imposer, un équivalent dont ses prêteurs se contentent, quand ils sont assurés que l’impôt sera payé, et ils ont toujours cette certitude, quand l’impôt ne dépasse pas les forces des contribuables, parce que, dans ce cas, le contribuable a intérêt et profit à produire tout ce que l’impôt lui demande.

Effectivement un gouvernement qui emprunte cent millions de francs, qu’il emploie à consommer des produits du travail, augmente de la même somme la valeur de tous les produits destinés à la consommation. Cette augmentation des prix réduit d’autant la consommation ordinaire, et laisse les produits non consommés disponibles pour la consommation extraordinaire, et si les choses en restaient là, une classe de la population consommerait ce que d’autres classes auraient économisé ; mais ce résultat n’est pas le seul.

Comme la réduction des consommations ordinaires ne s’opère que par l’élévation des prix, le renchérissement des prix avertit le producteur que la consommation a besoin d’une plus grande quantité de produits, et les profits qu’il a faits par le renchérissement de ceux qu’il avait, lui donnent les moyens d’étendre sa production dans la proportion des besoins de la consommation.

Mais un produit ne peut être obtenu, soit primitivement, soit additionnellement, que par une augmentation du capital, du travail et de la rente du propriétaire du sol, d’où il suit que tout impôt qui nécessite une plus grande production, excite impérieusement un accroissement du capital, des salaires et de la rente de la terre, et par conséquent tout contribuable a intérêt et profit à produire tout ce que lui demande l’impôt.

N’est-ce pas là en effet ce qui se passe en Europe depuis l’établissement de la dette publique ?

Chaque année, les dépenses publiques dépassent le revenu public ; à des époques peu éloignées on emprunte pour couvrir les déficits et les arriérés, et l’on augmente les impôts pour effectuer le paiement de l’intérêt de l’emprunt et de l’amortissement du capital. L’impôt excite le contribuable à économiser et à produire davantage pour couvrir sa part contributive, et le pays se trouve plus riche de tout ce que l’impôt a augmenté la production. On peut d’autant moins élever des doutes sur ce résultat, que non-seulement l’accroissement graduel de l’emprunt et de l’impôt, depuis un siècle, n’a opposé aucun obstacle aux progrès de l’emprunt ou de l’impôt, mais même qu’il les a rendus tellement faciles, qu’ils se sont élevés à plus de cinq fois ce qu’ils étaient à cette époque ; que le pays est cinq fois plus riche, et que là population a double dans quelques lieux, et augmenté de plus du tiers dans d’autres ; d’où il résulte évidemment que si les dépenses publiques et la dette qui les représenté n’ont pas été la cause directe et immédiate de là progression des richesses particulières et générales, du moins elles ne l’ont ni arrêtée, ni entravée, ni paralysée. Il est donc permis de croire qu’on s’est égaré dans cette partie de la science, quand on a dit et enseigné que la dette publique est une consommation improductive de la richesse d’un pays, et un poids mort sur les facultés productives.

Mais n’a-t-on pas eu raison de dire que, lorsque le gouvernement emprunte, il consomme un capital qui produisait un revenu et qui n’en produit plus, ce qui fait éprouver à l’état la double perte de son capital et de sont revenu ?

Sans doute la dette publique atteste la consommation de valeurs en produits du travail égales à sa quotité ; et si, comme en n’en peut douter, le gouvernement anglais a reçu de ses préteurs une somme de 14 à 15 milliards, il est hors de doute qu’il a consommé 14 à 15 milliards de valeurs. Mais quelles sont ces valeurs ? Sont-ce des capitaux qui produisaient un revenu ! Non, ce sont, comme on l’a vu, des économies volontaires ou forcées qui, sans cette consommation, n’auraient pas eu lieu, ou qui, si elles avaient été faites, n’auraient pas eu d’emploi, et par conséquent auraient été sans profit pour l’état et même pour celui qui les aurait faites. (Voyez Économie.)

Ce qui distingue les économies des capitaux, c’est que les économies cherchent un emploi, et que les capitaux en ont un certain et assuré.

Or il est naturel de croire que le gouvernement consomme des économies sans emploi plutôt qu’un capital employé, et ce qui le prouve sans réplique, c’est que si le gouvernement consommait le capital employé, les travaux alimentés par cet emploi cesseraient à chaque emprunt ; les produits diminueraient, la richesse décroîtrait, et le pays marcherait à une ruine rapide et inévitable. Si l’Angleterre avait consommé 14 à 15 milliards de capitaux employés ; depuis long-temps elle serait sans capital, sans travail, sans industrie, sans commerce ; depuis long-temps elle n’existerait plus. L’absurdité de cette conséquence suffit pour démontrer l’absurdité de l’assertion dont elle dérive. Ou peut donc conclure avec certitude que la dette publique des états modernes n’a point consommé des capitaux qui produisaient un revenu.

Qu’a donc consommé la dette publique ? Pas autre chose que des économies sans emploi, auxquelles elle en a ouvert un tout aussi productif que l’emploi des autres économies converties en capitaux.

Quand un gouvernement emprunte 100 millions d’économies sans emploi, il ne donne à ses créanciers aucune valeur actuelle, et en cela il ressemble à tout particulier qui n’a à offrir d’autres gages de l’emprunt qu’il contracte que son amour du travail et de l’économie ; son habileté et sa probité.

Il se met à l’œuvre pour faire honneur à ses engagemens, et presque toujours il y parvient ; presque toujours les produits de son travail le mettent en état de reproduire le capital qu’il à consommé, les profits du capitaliste, les salaires de son travail et la rente de la terre ; de telle sorte que l’emploi du capital qu’il a emprunté enrichit le pays des salaires du travail, des profits du capitaliste et de la rente de la terre.

De même, après son emprunt, le gouvernement met à l’œuvre ses contribuables, qui reproduisent dans le paiement de l’impôt les profits et l’amortissement du capital emprunté et en outre les salaires du travail, les profits du capital qui l’a alimenté et la rente de la terre. L’impôt nécessite tous ces produits, parce que sans eux on ne consentirait pas à augmenter la production ; seulement l’impôt se répartit sur l’accroissement des produits, et en opère la réduction à due concurrence ; mais cette réduction ne suffit pas pour arrêter la production, car si elle n’avait pas lieu, l’impôt ne serait pas payé, l’intérêt et l’amortissement seraient pris sur l’ancienne production, le pays s’appauvrirait, et l’emprunt s’arrêterait avec l’impôt ; car on ne prête pas plus à un pays qui s’appauvrit, qu’un pays pauvre ne peut couvrir les emprunts de son gouvernement. Il n’y a donc, quant à la richesse d’un pays, aucune différence entre les emprunts des particuliers et les emprunts publics ; tous reproduisent ce qu’ils consomment, ou ils ne pourraient pas être continués.

Mais ne peut-on pas dire avec raison que si le gouvernement n’avait pas employé les contribuables à produire pour payer ses dettes, ils auraient produit pour eux-mêmes et auraient et tous les bénéfices de la production, au lieu qu’ils n’ont travaillé que pour les créanciers du gouvernement.

Peu importe pour la richesse générale que les produits du travail se distribuant l’une ou à l’autre classe de la population, ce qui suffit, c’est que cette distribution ne nuise pas à la reproduction, et l’on ne voit pas pourquoi elle souffrirait de ce que les produits sont consommés par les créanciers de l’état plutôt que par les producteurs ; dans les deux cas il y a consommation avec équivalent, et il n’en faut pas davantage pour assurer la reproduction.

Il faut d’ailleurs observer que si le gouvernement, par ses consommations extraordinaires, n’avait pas provoqué l’accroissement des protections, cet accroissement n’aurait pas eu lieu, car la production se proportionne nécessairement à la consommation, la dépasserait sans profit et éprouverait des pertes qu’il est de son intérêt d’éviter.

Il n’est pas d’ailleurs exact de dire que les consommations extraordinaires du gouvernement ne sont d’aucun profit pour le pays. Elles sont la cause et le principe de toutes les améliorations sociales ; et si elles ne les produisent pas toujours et nécessairement, on doit convertir qu’il n’y a pas d’autre moyen de les obtenir. Sans consommations extraordinaires il y aurait sans doute plus d’aisance, de fortune et d’opulence dans les particuliers, mais on ne pourrait pas en attendre ces institutions, ces établissemens et ces monumens qui honorent les peuples, illustrent et immortalisent les empires.

Qu’on se garde cependant de conclure de cette manière d’envisager la dette publique qu’un gouvernement peut ne pas mettre de bornes à ses dépenses, et que plus il les augmente, plus il enrichit ses sujets.

Ses dépenses ont une première limité dans la possibilité des économies de ses sujets. S’ils ne veulent ou ne peuvent pas en faire, on ne peut que difficilement les y contraindre, et les contraintes que le pouvoir exerce contre eux avertissent qu’il est arrivé au terme de ses dépenses ; car, du moment qu’il ne trouve plus à emprunter, il ne peut plus se permettre des dépenses extraordinaires.

Lors même que les contribuables consentiraient à travailler pour payer, par l’impôt, les dépenses extraordinaires du gouvernement, il faudrait encore assurer un nouveau débouché aux nouveaux produits du travail, et ce débouché n’est pas toujours à la disposition du gouvernement. De là vient le principe fondamental des impôts qu’un gouvernement ne peut les augmenter qu’autant qu’il ouvre aux contribuables ; de nouvelles sources de richesses pour le pays.

Il y a donc dans la nature des choses des limites naturelles et nécessaires aux dépenses du pouvoir, et ces limites sont celles, de l’économie, de la production et de L’écoulement, de ses produits. Tant qu’on n’est pas arrivé à ces limites, il est permis de croire que la dette publique n’est point un obstacle aux progrès de la richesse et de l’opulence d’un pays.

Ainsi s’explique l’étrange phénomène de l’accroissement de la dette publique et des progrès de la richesse moderne ; on m’accusera sans doute de paradoxe, si j’avance qu’ils sont tour à tour, cause et effet ; mais les principes conduisent à ce résultat, et sous leur égide, il m’est permis, et c’est même un devoir de ne pas les sacrifier à de vaines et d’impuissantes considérations.

DIVISION. — Ce mot pris isolément n’a aucun sens en économie politique ; mais il y occupe une place très-importante quand on l’applique soit au travail, soit à la terre. (Voyez ces deux mots.)

DIVISION DU TRAVAIL. (Voyez Travail et Terre.)

DOUANES. — Les douanes sont des barrières élevées aux frontières de chaque pays, soit pour percevoir des tributs sur l’importation des produits exotiques, soit pour protéger l’industrie nationale conte la concurrence de l’industrie étrangère ; ce n’est pas là sans doute l’origine des douanes, mais peu importe, c’est là leur destination actuelle.

Comme fiscales, les douanes forment une branche des contributions publiques, et sous ce rapport, elles sont étrangères à mon sujet, et ne doivent pas trouver place ici.

Comme protection des produits indigènes, les douanes se rattachent à la question de l’influence des relations commerciales des peuples sur leur prospérité particulière et sur la richesse générale, question que j’ai traitée au mot commerce (voyez ce mot.)

Une seule difficulté reste encore encore sur ce sujet important, c’est de savoir si la protection des douanes doit être prohibitive ou seulement restrictive de l’importation des produits du travail étranger. Cette difficulté est d’une grande importance et mérite bien qu’on s’y arrête.

La prohibition des produits étrangers établit un monopole au profit des produits indigènes, et tout monopole prive le pays qui le subit des avantages de la concurrence, ce mobile de toute industrie, de tout perfectionnement et surtout du bon marché ; il le condamne à toutes les calamités de l’ignorance, de la paresse et de la maladresse de l’ouvrier, réduit les grandes masses de la population à la misère, à l’indigence, et concentre les richesses dans le petit nombre des favoris de la fortune. (Voyez Monopole)

Lorsqu’un pays en est réduit à redouter la concurrence des produits étrangers dans ses marchés, bien loin de les en exclure, il doit les y appeler en les assujettissant à des taxes calculées, de manière à en élever le prix assez haut pour que les classes miches et opulentes soient seules en état de concourir à leur consommation.

Quand les choses en restent là, les produits étrangers n’opposent pas un obsolète dangereux aux progrès du travail du pays. Partout les basses riches et opulentes sont en petit nombre, ont peu d’influence par leurs consommations sur les productions indigènes, ou du moins leurs consommations des produits étrangers n’opèrent qu’une faible réduction des consommations nationale.

Dans ce cas les produits exotiques ne paraissait dans le marché national que pour y exciter une émulation salutaire, une rivalité généreuse, de louables et de profitables efforts. Tous les travaux, toutes les industries s’efforcent de se surpasser, et cette lutte est le plus sûr garant de leur perfectionnement indéfini et de toutes les prospérités sociales.

Il importe surtout que la taxe protectrice ne soit que temporaire, et finisse au moment où l’industrie nationale est en état de soutenir la concurrence de l’industrie étrangère, ou a perdu l’espoir d’y parvenir. L’intérêt du consommateur doit être l’objet et le but de la prohibition publique, parce qu’il sympathise avec tous les intérêts, et n’est jamais en opposition avec aucun. Quand le producteur national n’est pas et ne peut pas être aussi favorable au consommateur que le producteur étranger, il faut préférer celui-là à celui-ci ; et c’est alors qu’il est vrai de dire qu’on doit acheter de l’étranger tout ce qu’on ne peut faire aussi bien, ni à aussi bon marché que lui. Tout ce que le consommateur économise par le bon marché des produits étrangers seconde d’autres branches du travail national, et multiplie les moyens d’aisance, de prospérité et de richesse.

Long-temps consacrées par la science, ces vérités ont été constamment repoussées par le pouvoir, et ce qu’il y avait de plus fâcheux, c’est que le système prohibitif avait obtenu parmi les peuples, les plus célèbres par leurs richesses, des succès qui semblaient devoir opposer un obstacle insurmontable à l’adoption du système libéral.

Mais à mesure que le système prohibitif s’est introduit, par la force de l’exemple, chez tous les peuples industrieux et commerçans, on a compris qu’il se détruit en se généralisant, s’énerve par sa progression et s’épuise par ses propres efforts. S’il convient en effet à un pays d’approvisionner les marchés des autres peuples, et de les repousser de ses marchés, les autres peuples ont les mêmes intérêts et les mêmes droits, et doivent, par leur exclusion mutuelle et réciproque, se restreindre au marché national.

Réduit à ces termes, le système prohibitif isole les peuples, resserre leurs relations commerciales dans d’étroites limites, rend inutiles leurs progrès et leurs supériorités dans tous les genres de production, et les prive de tous les avantages qu’ils auraient recueillis de leurs échanges.

L’Angleterre qui avait si long-temps mis à profit le système prohibitif, et qui lui doit ses immenses richesses, a, la première, aperçu la crise qu’allait opérer dans son commerce la généralisation du système prohibitif, et elle a pu craindre qu’il ne lui fût aussi funeste qu’il lui avait été propice. Dans cette position difficile et délicate, elle a fait de, nécessité, vertu ; elle paraît disposée à l’abandonner, et ce qui doit paraître assez singulier, elle essaie de s’en faire un mérite aux yeux des autres peuples ; peu s’en faut qu’elle ne se flatte de leur persuader qu’elle leur fait un sacrifice de ses intérêts. Mais on peut lui prédire qu’elle n’abusera personne ; le tardif hommage qu’elle rend aux principes de la liberté du commerce des peuples change son système, sans lui faire rien perdre de ses avantages. L’incontestable supériorité de son industrie et de son commerce sur toutes les industries et sur tous les commerces lui permet d’ouvrir ses marchés à la concurrence étrangère, sans en avoir rien à redouter ; et si les autres peuples étaient assez imprudens pour l’imiter et lever les barrières qui lui ferment leurs marchés, elle tirerait de la liberté qu’elle proclame d’aussi grands et peut-être de plus grands avantages que de la prohibition ; mais on est maintenant trop instruit dans le monde commerçant pour ne pas savoir que, si tous les peuples doivent aspirer à la liberté du commerce, et si elle doit être le but et le terme de leurs efforts et de leur ambition, ils ne doivent s’engager dans sa poursuite que lorsqu’ils auront essayé leurs, forces avec le bouclier du système restrictif, et qu’ils pourront se flatter d’égaler leurs concurrens. Jusque-là leur témérité les condamnerait à une éternelle infériorité, et leur fermerait la route, des richesses qu’ils sont appelés à parcourir avec un succès dont ils ne doivent jamais désespérer. En un mot, les douanes prohibitives sont essentiellement pernicieuses, les douanes restrictives sont temporairement utiles, et la liberté est la loi générale du commerce.

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