Dictionnaire analytique d’économie politique/V

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VALEUR. — Ce mot exprime le pouvoir inhérent aux produits du travail de s’échanger les uns contre les autres.

D’où leur vient ce pouvoir d’échange ? de leur propriété à satisfaire aux besoins des consommateurs, propriété plus particulièrement désignée sous la dénomination générale d’utilité. Sans utilité, point de valeur, et sans valeur, point d’échange.

Ce n’est que par une erreur manifeste qu’on admet deux valeurs, l’une d’usage, l’autre d’échange.

Que peut-on en effet entendre par valeur d’usage ? Est-ce, comme l’a dit un écrivain célèbre, l’utilité intrinsèque des denrées ? mais pour que cette utilité soit valeur, il ne suffit pas qu’elle existe, il faut qu’elle soit connue, et tant que l’échange ne la fait pas connaître, elle n’existe pas. L’utilité intrinsèque ne constitue qu’une valeur facultative. L’échange seul forme une valeur réelle et effective.

C’est tout aussi improprement qu’on croit voir une valeur d’usage dans l’utilité de l’eau, de l’air, de la lumière. Il n’y a point là de valeur, parce que l’utilité n’est point-adhérente à un produit du travail, et ne donne lieu à aucun échange ; deux conditions sans lesquels il n’y a point de valeur.

Il n’existe point de valeur d’usage ; il n’y a que celle d’échange, c’est-à-dire celle que l’échange donne à tout produit du travail, et qui a son fondement dans l’utilité du produit pour la consommation.

Quoiqu’il n’y ait de valeur que celle d’échange, on la considère sous divers rapports qui lui ont fait donner autant de noms particuliers tels que :

La valeur naturelle, qui consiste dans ce que chaque chose a coûté à produire ;

La valeur nominale, qui se compose des métaux que l’échange donne pour l’équivalent de chaque produit ;

La valeur réelle, qui reçoit en échange d’autres produits du travail ;

Enfin, la valeur vénale, qui résulte de la fixation par le marché, ou par la concurrence de l’offre et de la demande.

Ces diverses considérations de la valeur apprennent peu de choses et sont de peu d’importance.

Qu’est-ce, en effet, qu’une valeur qui est nominale parce qu’on lui donne pour équivalent des métaux précieux, et qui est réelle, si elle s’échange contre d’autres produits ? Sans doute il n’arrive que trop souvent que la monnaie métallique ne donne pas tout ce qu’elle promet ; mais n’en est-il pas de même de tous les produits du travail ? sont-ils toujours ce qu’ils paraissent être, et n’y a-t-il aucune différence dans leur consistance ? à quoi sert donc la distinction des valeurs réelles et nominales, sinon à surcharger et à compliquer la science.

Dans mon opinion, la valeur d’échange ne se présente que sous deux rapports qu’il importé et qu’il est utile de fixer.

Considérée dans ce qu’elle a coûté à produire, on peut l’appeler valeur naturelle.

Comme aussi on peut l’appeler vénale, lorsque l’échange ou le marché détermine son prix.

Ces deux caractères me semblent devoir être conservés à la valeur, parce qu’ils diffèrent l’un de l’autre, et qu’il n’est pas moins utile dans les sciences de ne pas négliger leurs divers points de vue que de les multiplier sans nécessité.

Mais comment parvient-on à fixer la valeur aux deux époques de sa formation et de son échange ? y a-t-il une mesure commune pour l’une et l’autre époque ?

On est unanimement d’accord qu’il y aurait un très-grand avantage pour la science s’il y avait une mesure générale de la valeur, dans tous les temps et dans tous les lieux. On pourrait alors apprécier les salaire du travail, les denrées et les revenus dans tous les pays et dans tous les temps, et se former des notions exactes de la condition relative et absolue de l’espèce humaine aux divers degrés de la civilisation. C’est dans cet espoir qu’on a examiné tout à tour si l’on ne pourrait pas trouver une mesure universelle des valeurs,

Dans le travail employé à chaque produit ;

Dans le travail que chaque produit peut commander ;

Dans les métaux précieux ou monnaie métallique ;

Dans le blé ;

Et dans le résultat moyen du travail et du blé.

Malheureusement, aucun de ces objets ne remplit la condition indispensable à la formation d’une mesure. Il est dans sa nature d’être fixe et invariable, et tous les objets dont on veut former la mesure des valeurs sont tellement mobiles qu’il est aussi difficile de déterminer leur valeur que celle qu’ils doivent apprécier.

Et d’abord s’il est vrai que le travail, qu’un objet a coûté à produire, compose la plus grande partie de sa valeur ; il est tout aussi certain que le travail ne la compose pas toute entière, et, par conséquent, le travail qu’un produit a coûté n’est pas la mesure de sa valeur.

D’ailleurs, le travail employé n’est pas le même dans le même lieu et dans le même temps, et à plus forte raison dans des temps et dans des lieux éloignés les uns des autres. On peut voir au mot travail qu’il est plus ou moins dispendieux, selon que les salaires sont plus ou moins élevés, et qui dépend de l’état progressif, stationnaire ou rétrograde de la richesse locale ; et comme la richesse n’est pas au même degré dans tous les lieux du même pays, et à plus forte raison dans des pays différens, il est évident que le travail employé dans un pays à produire une valeur, ne peut pas être la mesure du travail employé à produire une valeur dans un autre pays et dans un autre temps.

Indépendament du travail employé à la production de la valeur, le capital y contribue pour une partie considérable, et les profits de ce capital ne sont pas les mêmes dans le même pays et dans le même temps, ni dans des pays et des temps différens. (Voyez Capital.)

Enfin, la valeur des produits du travail varie encore selon que les outils et instrumens du travail sont plus ou moins perfectionnés, qu’on emploie plus ou moins de machines ; qu’on importe plus ou moins de produits étrangers ; que les contributions sont plus ou moins fortes, et que le travail est plus ou moins entravé par le monopole.

Il est donc certain que la quantité de travail, employé à la production d’une valeur, n’est ni ne peut être sa mesure exacte, ni celle des autres valeurs produites dans le même temps et dans le même lieu, ou dans des temps et des lieux éloignés.

En est-il autrement du travail qu’un produit commande, ou, en d’autres termes, le prix du travail est-il une mesure invariable de la valeur de tous les produits dans tous les temps et dans tous les lieux ?

Sans contredit, le prix qu’on est obligé de payer pour faire travailler à la production d’une denrée est une mesure plus exacte de la valeur de cette denrée que la quantité de travail employée à sa production. Comme le travail consomme la plus grande partie de ses produits il doit s’établir entre eux et lui des rapports qui influent sur leur appréciation respective. Néanmoins cette mesure est encore irrégulière et incomplète, puisque le même produit commande plus ou moins de travail, selon qu’il est plus ou moins demandé et qu’on a plus ou moins de moyen de le payer. Le marché fait varier le prix du travail et, par conséquent, le rend impropre à servir de mesure des valeurs.

Ce que le travail ne peut pas faire par sa quantité ou par son prix les métaux précieux ne le font pas non plus. Subordonnés comme, produits du travail à la loi de l’offre et de la demande, ils éprouvent encore de plus grandes variations que la plupart de ces produits, surtout dans des pays différens et dans des temps éloignés. Quand ils sont parvenus à un certain degré d’accumulation, comme ils ne s’usent point, ils ne peuvent se proportionner à la diminution de la demande ni au besoin du commerce étranger, ni à l’inégalité de leur distribution dans les différens pays. Tant de variations dans les métaux précieux ne permettent donc pas de les considérer comme la mesure invariable de la valeur des produits du travail dans tous les temps et dans tous les lieux. Il est certain cependant qu’ils ont cet avantage quand il ne s’agit que de déterminer la valeur des choses dans le même temps et dans le même lieu, ou dans des temps ou des lieux peu éloignés, parce qu’alors ils sont sujets à de moindres variations que tous les autres produits du travail.

Le blé est sujet à de si grandes variations de valeur, d’année en, année et de siècle en siècle, qu’il est difficile de comprendre comment on a pu concevoir la pensée d’en faire une mesure invariable de la valeur. On avance, néanmoins, qu’il peut en servir pour faire connaître la valeur des choses dans des temps reculés, ou pour la faire pressentir dans les temps à venir ; mais il est difficile de se le persuader lorsqu’on fait attention à l’extrême mobilité de la valeur du blé.

Je conçois encore moins comment la valeur du blé réunie à celle du travail, et comment ces deux valeurs réduites à une valeur moyenne pourraient être la mesure invariable des autres valeurs. Deux valeurs variables de quelque manière qu’on les combine ne peuvent pas donner une valeur invariable, pas plus que deux causes mobiles ne peuvent produire un effet immobile. C’est tomber dans une grave erreur que de transformer des chances, et des approximations en mesure des valeurs. Je le répète, sans fixité dans la mesure point de mesure.

Il n’y a donc en définitif qu’une valeur, c’est la valeur d’échange qui prend différens aspects, selon qu’on la considère à sa formation comme valeur naturelle, ou à son échange comme valeur vénale.

Dans l’usage, la valeur naturelle et la valeur vénale se proportionnent entre elles ou tendent se proportionner.

Si la valeur vénale n’était pas égale à la valeur naturelle, ou si le marché ne restituait pas au producteur tout ce que ses produits lui ont coûté, il serait en perte et ne pourrait pas ou ne voudrait pas continuer une production ruineuse pour lui.

Si au contraire la valeur vénale surpassait la valeur naturelle, ou si la vente des produits donnait au producteur beaucoup au delà de ce que leur production lui a coûté, lui et d’autres producteurs donneraient plus d’extension à la production, jusqu’à ce que l’équilibre fût rétabli entre la valeur vénale et la valeur naturelle.

C’est dans cet état d’équilibre actuel ou espéré qu’il faut concevoir la valeur des produits du travail. Hors de là il n’y a qu’obscurité, erreur et illusion.

VIREMENS. — C’est le nom qu’on donne, dans la ville de Lyon, à la libération des dettes de son commerce.

Cette libération se fait aux quatre grandes foires qui se tiennent à Lyon tous les trois mois ; et elle s’opère d’une manière fort simple.

Tous les commerçans de Lyon contractent tous leurs engagemens actifs et passifs en effets de commerce payables aux foires de Lyon, ce qu’ils doivent et ce qui leur est dû échoit par conséquent le même jour ; quand ce jour est arrivé, les commerçans à la fois créanciers et débiteurs, se réunissent dans le même local, se libèrent les uns envers les autres par l’échange de leurs titres, et n’ont à payer que les appoints et les différences qui, en général sont peu de choses. Par ce moyen, le commerce de Lyon, malgré son étendue, n’emploie que peu de monnaie ; ce qui est pour lui une grande économie.

La même opération se fait à Londres, et de la même manière. Plusieurs banquiers sont dans l’usage d’envoyer leurs commis à une heure de l’après-midi dans un lieu convenu à l’effet d’y faire l’échange de leurs titres respectifs de créance et de payer les appoints qu’ils se doivent, de sorte qu’ils n’ont à payer qu’une très-faible somme en papier de banque ou en monnaie.

Ce mode de libération des dettes du commerce, est certainement très-avantageux ; mais il ne convient qu’aux villes de commerce dont les créances et les dettes ont la même échéance, ou à celles qui, comme Londres, ont chaque semaine un si grand nombre d’échéance, qu’il est possible de les éteindre les unes par les autres. Partout ailleurs, les banques font la même liquidation avec la même facilité ; mais avec moins d’économie. (Voyez Banques.)

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