Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Abéliens

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ABÉLIENS ou Abéloniens, secte d’hérétiques qui s’était formée à la campagne, proche d’Hippone, et qui était déjà éteinte du temps de saint Augustin. Elle avait d’étranges principes, et peu propres à la faire durer (A). Elle ordonnait à chacun d’avoir sa chacune ; elle ne trouvait point bon et ne souffrait point que l’homme fut seul ; il fallait selon les statuts de l’ordre qu’il eût une aide semblable à lui ; mais il ne lui était pas permis de s’appuyer sur cette aide ; je veux dire de s’unir corporellement avec sa femme : c’était pour lui l’arbre de science de bien et de mal, dont le fruit lui était sévèrement défendu. Ces gens-là réglaient le mariage sur le pied du paradis terrestre, où il n’y eut entre Adam et Ève que l’union du cœur : ou plutôt ils se réglaient sur l’exemple d’Abel ; car ils prétendaient qu’Abel avait été marié, mais qu’il était pourtant mort sans avoir jamais connu de femme. C’était de lui que leur secte avait pris son nom[a]. Quand un homme et une femme étaient entrés dans cette sorte de société, ils adoptaient deux enfans, un garçon et une fille, qui succédaient à leurs biens, et qui se mariaient sous les mêmes conditions de ne faire point d’enfans, mais d’en adopter deux qui différassent en sexe. Ils ne manquaient pas de trouver de pauvres gens dans le voisinage qui leur fournissaient des enfans à adopter. Voilà ce que saint Augustin nous en apprend[b] et comme il est presque le seul qui en parle, il faut croire que cette secte ne fut connue qu’en peu de lieux et qu’elle ne dura pas long-temps. On croit qu’elle commença sous l’empire d’Arcadius, et qu’elle finit sous celui de Théodose-le-Jeune. Tous ceux qui la composaient, réduits enfin à un seul village, se réunirent à l’église catholique.

  1. Voyez Bochart, Geogr. sacr., lib. II, cap. XVI, qui croit que la fable de la continence d’Adam pendant 130 ans après la mort d’Abel a donné lieu au nom de ces hérétiques.
  2. August., de Hær., cap. LXXXVII. Vide ibi Lambert. Danæum.

(A) Peu propres à la faire durer. ] C’était un état trop violent que celui de continence entre un homme et une femme qui avaient d’ailleurs toutes choses communes, et dont la société était censée un vrai mariage ; c’était, dis-je, un état trop violent pour durer beaucoup ; nullum violentum durabile. Les abéliens n’étaient que des encratites et des novatiens mitigés : ceux-ci condamnaient hautement le mariage ; les abéliens le louaient et le retenaient. Il est vrai que ce n’était presque que de nom : ils en avaient l’apparence ; mais ils en reniaient la force. Hi nomen quidem conjugii et nuptiarum retinuerunt, vim autem et effectum earum prorsùs sustulerunt [1]. S’ils avaient cru que le mariage était un sacrement, ils auraient été sur cet article ce que les zuingliens ont été sur celui de l’eucharistie : ils n’eussent admis que la figure, et point du tout de réalité. Or, c’est ce qui a dû contribuer à l’extinction de la secte. Vous trouverez, dans le dictionnaire de Furetière[2], que

Boire et manger, coucher ensemble,
C’est mariage, ce me semble.


Voilà l’idée naturelle qu’on se forme de cet état ; et, dans cette idée, le dernier des trois attributs passe pour le principal, et pour la différence spécifique. C’est celui-là que l’on nomme la consommation du mariage : sans celui-là le contrat le plus solennel, les fiançailles, la bénédiction nuptiale, ne passent que pour des préliminaires dont on se dégage facilement. C’est celui-là qui serre le nœud et qui le rend indissoluble. C’est la fin, le but et la couronne de l’œuvre ; c’est le non plus ultrà. Il y avait donc peu d’apparence que beaucoup de gens, même après que la nouveauté du dogme serait passée, voulussent avoir le nom et le lien de gens mariés, et se priver de ce que le célibat avait dès lors de plus éclatant, sans goûter les fruits et les délices du mariage. Il n’a donc pas été nécessaire, quand j’ai dit que les principes de cette secte étaient peu propres à la faire durer, que je fisse quelque allusion au bon mot qu’on attribue à Sixte V : Non si chiava in questa religinone, non durarà[3]. Les adoptions y tenaient lieu de générations ; et, à cause de cela, on ne pouvait pas dire des abéliens ce que Florus remarque touchant les premiers habitans de Rome : Res erat unius ætatis, populus virorum[4]. Si d’autres causes ne s’en fussent pas mêlées, cette secte aurait pu durer éternellement : Per sæculorum millia (incredibile dictu) gens æterna est in quâ nemo nascitur. C’est ce que Pline a dit des esséniens[5], et ce que l’on dit tous les jours des moines.

  1. Danæus in lib. Augustini de Hæres., cap. LXXXVII.
  2. Furetière, au mot Mariage.
  3. Confess. cathol. de Saucy, liv. I, chap. I.
  4. Florus, lib. I, cap. I.
  5. Plinius, lib. V, cap. XVII.

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