Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alcméon 2

La bibliothèque libre.

◄  Alcméon
Index alphabétique — A
Alcméon  ►
Index par tome


ALCMÉON, fils d’Amphiaraüs et d’Ériphyle, sœur d’Adraste, tua sa mère pour obéir au commandement de son père. Vous allez voir la raison d’un commandement si étrange. Amphiaraüs regardait Ériphyle comme la cause de sa mort. Il ne voulait point aller à la guerre contre les Thébains ; car, comme il était grand devin, il avait prévu que s’il y allait, il y périrait. D’ailleurs, il avait promis avec serment, que pour ce qui regarderait les disputes qu’il pourrait avoir avec Adraste, il s’en remettrait à tout ce que sa femme en ordonnerait. Ils eurent un différent sur l’expédition de Thèbes. Adraste voulait qu’Amphiaraüs s’y engageât. Amphiaraüs n’en voulait rien faire, et en détournait les autres. Ériphyle décida selon les désirs d’Adraste, après avoir été gagnée par le beau collier[a] que Polynice lui offrit [b], et qu’elle accepta sans avoir égard aux défenses que son mari lui avait faites de rien prendre de Polynice. Elle est devenue par-là un grand fonds de lieux communs et de pensées morales entre les mains des censeurs du sexe. On sait qu’Amphiaraüs, ayant pris la fuite lors de la déroute de l’armée, fut englouti par un abîme qu’un coup de foudre avait ouvert sur son chemin. Il avait donné ordre à ses fils, avant que de marcher contre Thèbes, qu’aussitôt que l’âge le leur permettrait ils tuassent Ériphyle. Tous les autres généraux, à la réserve d’Adraste, périrent dans cette guerre. Leurs fils résolurent dix ans après d’aller venger cet affront, et ils choisirent Alcméon pour leur généralissime. Ériphyle, gagnée encore par des présens, les sollicita à cette guerre. Thersandre, fille de Polynice, lui avait donné un collier[c] et une robe[d]. Alcméon, quelque envie qu’il eût de tuer sa mère avant d’accepter le généralat, marcha contre Thèbes sans avoir exécuté l’ordre d’Amphiaraüs. Cette expédition fut très-heureuse : les Thébains, par le conseil de Tirésias, abandonnèrent leur ville ; on la pilla et on la ruina. Alcméon, transporté d’une nouvelle colère, après avoir su qu’Ériphyle s’était laissé corrompre par des présens contre lui aussi, ne balança plus à la tuer lorsqu’il eut consulté l’oracle. Quelques-uns soutiennent que son frère Amphilochus l’assista dans ce parricide ; mais le plus grand nombre des auteurs nient cela. Alcméon, persécuté par les furies à cause de cette action, se retira à Psophis dans l’Arcadie, où il expia son crime entre les mains de Phégéus, selon les cérémonies ordinaires en pareils cas, et se maria avec Arsinoë[e], fille du même Phégéus, à laquelle il fit présent du collier et de l’habit qui avaient été donnés à Ériphyle. Une grande famine s’étant élevée, on eut recours à l’oracle, qui ordonna à Alcméon de se réfugier chez Achéloüs. Il s’y rendit après plusieurs courses vagabondes : il y reçut de nouveau les cérémonies de l’expiation ; il s’y maria avec Callirhoé, fille d’Achéloüs, et il s’établit dans un coin de terre que cette rivière avait formé (A) en accumulant des sables. Callirhoé lui déclara qu’elle ne coucherait point avec lui, s’il ne lui faisait présent du collier et de la robe d’Ériphyle. Cela le contraignit de retourner chez Phégéus, dont il obtint le collier après lui avoir fait accroire qu’il avait appris de l’oracle que la persécution des furies ne cesserait que lorsqu’il aurait offert ce collier à Apollon. Phégée sut ensuite qu’Alcméon avait destiné ce présent à Callirhoë ; c’est pourquoi il donna ordre à ses deux fils de le poursuivre et de le tuer ; ce qu’ils firent : et parce que Arsinoë s’en formalisa, ils la transportèrent à Tégée, dans un coffre, et lui imputèrent ce meurtre. Quelques-uns disent qu’Alcméon, pendant sa fureur, se divertit avec la prophétesse Manto, fille de Tirésias, et qu’il en eut deux enfans[f]. Voyez la suite de tout ceci dans l’article de Callirhoé. Les furies d’Alcméon ont fait un grand bruit sur le théâtre de l’ancienne Grèce[g] ; mais il ne nous reste aucune de ces tragédies (B). Ce qu’on a dit de son tombeau mérite d’être considéré (C). Les Oropiens, qui devancèrent tous les autres peuples à mettre Amphiaraüs au rang des Dieux, exclurent Alcméon des honneurs divins qu’ils conférèrent à son père et à son frère : ils l’en exclurent, dis-je, à cause de son parricide[h]. On remarque qu’un Perse nommé Oronte, lui ressemblait parfaitement[i].

Il y a des historiens qui disent qu’Alcméon, après la seconde guerre de Thèbes, s’en alla en Étolie, attiré par Diomède, qu’il l’aida à conquérir ce pays et l’Acarnanie, et qu’ayant été sommés de se trouver à l’expédition de Troie, Diomède s’y rendit ; mais qu’Alcméon s’arrêta dans l’Acarnanie, et, pour faire honneur à son frère[j], qu’il bâtit une ville qu’il nomma Argos d’Amphilochus[k]. Notez qu’il prophétisa dans l’Acarnanie[l].

  1. Voyez, touchant ce collier, les remarques de l’article Callirhoé.
  2. Hygin, chap. LXXIII, dit qu’Adraste donna le collier, et qu’Ériphyle découvrit le lieu où Amphiaraüs s’était caché.
  3. Fiez-vous plutôt à Diodore de Sicile, qui dit que Thersandre donna seulement le Peplum. Il ne pouvait pas donner le collier, puisque Ériphyle l’avait déjà.
  4. Nommée en grec Πέπλος.
  5. Pausan., liv. VIII, pag. 255, la nomme Alphésibée.
  6. Tiré de la Bibliothéque d’Apollodore, liv. III, pag. 187 et suivantes. Voyez aussi Diodore de Sicile, liv. V, chap. VI.
  7. Alcmæon olìm tragicorum pulpita lassavit cum furore suo, nunc nullam sui nominis fabulam habet, Barthius in Statium, tom II, pag. 449.
  8. Pausan., lib. I, pag. 33.
  9. Plutarch. in Arato, pag. 1028.
  10. Il s’appelait Amphilochus : voyez les remarques de son article.
  11. Strabo, lib. VII, pag. 225. Voyez aussi lib. X, pag. 318.
  12. Clem. Alexandr. Stromat., lib. I, p. 334.

(A) Il s’établit dans un coin de terre que la rivière d’Achéloüs avait formé. ] Il ne sera pas mal d’éclaircir Apollodore par un passage de Pausanias, qui porte qu’Alcméon, après avoir tué sa mère, s’enfuit d’Argos à Psophis, où il épousa Alphésibée, fille de Phégéus[1]. Le mariage ne le guérit pas de sa fureur ; ainsi il recourut à l’oracle, qui lui ordonna de se retirer sur une terre toute neuve, et faite depuis le meurtre d’Ériphyle. On l’assura que les furies ne l’y poursuivraient point. Ayant donc rencontré aux embouchures de la rivière d’Achéloüs une terre que les flots avaient charriée, il y prit poste, et se maria avec Callirhoé.

(B) Il ne nous reste aucune des tragédies faites sur son sujet. ] Je ne doute point que les deux vers que Plutarque a rapportés dans l’un de ses livres, ne soient pris de quelqu’une de ces pièces. Le lieu commun que Plutarque touche en cet endroit est plus important qu’on ne pense : il regarde un défaut qu’on trouve partout. C’est celui de ceux qui reprochent à leur prochain un vice qu’ils ont eux-mêmes, ou qui est plus petit que le leur. Alcméon reproche à Adraste qu’il est frère d’une femme qui a tué son mari : Adraste lui répond : Et vous, vous avez tué votre propre mère. Il ne faut point faire le Caton et le censeur, lorsqu’on est tout plein de défauts. Οὐκοῦν μηδὲ μοιχὸν λοιδορήσῃς, αὐτὸς ὢν παιδομανής. Μηδ´ ἄσωτον, ἀυτὸς ὢν ἀνελεύθερος.

Ἀνδροκτόνου γυναικὸς ὁμογενὴς ἔϕυς :


Τὸν Ἄδραςον ὁ Ἀλκμαίων. Τὶ οὖν ἐκεῖνος ; οὐκ ἀλλότριον ἀλλὰ ἴδιον ἑαυτῷ προϕέρων ὄνειδος,

Εὺ δ´ ἀυτόχειρ γε μητρὸς ῆ σ´ ἐγείνατο.[2].


Non itaque adulterium objice alteri, ipse insano puerorum amore flagrans, neque prodigalitatem sordidus ipse. Alcmæon Adrastum hoc maledicto incessit,

Tibi quæ maritum suum interfecit est soror.


Quid Adrastus ? Non alienum, sed proprium ei reponit opprobrium,

Matrem necâsti tu manu tuâ tuam.

(C) Ce qu’on a dit de son tombeau mérite d’être considéré ]. Ce tombeau était à Psophis dans l’Arcadie : il n’avait guère d’éclat ni d’ornemens ; mais il était entouré de cyprès si hauts, qu’ils pouvaient couvrir de leur ombre le coteau qui dominait sur la ville. On ne les coupait point, parce qu’on les croyait consacrés à Alcméon, et on les appelait les pucelles[3].

  1. Pausan., lib. VIII, pag. 255.
  2. Plutarch. de Capiendâ ex inimic. utilitate, pag. 88
  3. Idem, ibid. Pausan., lib. VIII, p. 255.

◄  Alcméon
Alcméon  ►