Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aristote 1

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ARISTOTE, nommé ordinairement le prince des philosophes, ou le philosophe par excellence, a été le fondateur d’une secte qui a surpassé, et qui enfin a englouti toutes les autres [a]. Ce n’est pas qu’elle n’ait eu ses revers et ses infortunes, et qu’en ce siècle XVII surtout, on ne l’ait violemment secouée [b] ; mais les théologiens catholiques d’un côté, et les théologiens protestans de l’autre, ont couru comme au feu à son secours, et se sont tellement fortifiés du bras séculier contre les nouveaux philosophes, qu’il n’y a point d’apparence qu’elle perde de long-temps sa domination. M. Moréri trouva tant de beaux matériaux dans un ouvrage du père Rapin [c], qu’il donna un fort long article d’Aristote, et fort capable de me dispenser de mettre la main à cette matière. Aussi n’ai-je pas dessein de m’y étendre autant qu’elle le pourrait souffrir, et je me contenterai même de ne produire dans les remarques qu’une partie des erreurs que j’ai recueillies concernant ce philosophe. Je pense en avoir trouvé quelques-unes dans la narration du père Rapin (A). Ce n’est pas un fait certain qu’Aristote ait exercé la pharmacie dans Athènes, pendant qu’il était disciple de Platon [d] ; mais on n’est pas non plus certain qu’il ne l’y ait pas exercée. On doit ajouter très-peu de foi à la tradition qui court, qu’il apprit beaucoup de choses d’un Juif, et encore moins au conte de sa prétendue conversion au judaïsme (B). Ceux qui prétendent qu’il était juif lui-même se trompent beaucoup plus grossièrement (C). La mauvaise ponctuation d’un passage a été cause de leur bévue[e]. On s’est trompé, quand on a dit qu’il avait été disciple de Socrate trois années consécutives (D) ; car lorsqu’il naquit, il y avait douze ou quinze ans que Socrate n’était plus au monde. On parle diversement de la conduite d’Aristote envers Platon son maître (E) : les uns veulent que, par une vanité et une ingratitude prodigieuse, il ait élevé autel contre autel, il ait dressé une école dans Athènes, pendant la vie de Platon, afin de lui causer du chagrin ; d’autres disent qu’il ne s’érigea en professeur qu’après la mort de son maître. On débita des choses désavantageuses touchant ses amours (F) : on prétendit qu’il y eut de l’idolâtrie dans sa passion conjugale, et que s’il ne se fût retiré d’Athènes, le procès d’irréligion que les prêtres lui avaient fait (G) aurait pu avoir les mêmes suites que celui de Socrate. Quoiqu’on ait pu lui donner très-justement des éloges magnifiques, il est certain que la plupart des mensonges ou des erreurs qui le concernent doivent être cherchés dans les louanges dont on l’a comblé ; car, par exemple, n’est-ce pas mentir que de dire, que si dans sa Physique Aristote a parlé en homme, dans sa Morale il a parlé en dieu[f] ; et qu’il y a sujet de douter si dans ses Morales il tient plus du jurisconsulte que du prêtre, plus du prêtre que du prophète, plus du prophète que de Dieu[g] ? Je rapporterai dans les remarques quelques éloges encore plus forts que ceux-là (H). Le cardinal Pallavicin ne fait point difficulté d’avouer en quelque façon que, sans Aristote, l’église aurait manqué de quelques-uns de ses articles de foi (I). Les chrétiens ne sont pas les seuls qui aient autorisé sa philosophie : les mahométans ne s’en sont guère moins entêtés[h] ; et l’on débite, qu’encore aujourd’hui, malgré l’ignorance qu’ils laissent régner parmi eux, ils ont des écoles pour cette secte (K). Ce sera un sujet éternel d’étonnement pour les personnes qui savent bien ce que c’est que philosophie, que de voir que l’autorité d’Aristote a été tellement respectée dans les écoles pendant quelques siècles, que lorsqu’un disputant citait un passage de ce philosophe, celui qui soutenait la thèse n’osait point dire, transeat ; il fallait qu’il niât le passage, ou qu’il l’expliquât à sa manière (L). C’est ainsi qu’on en use dans les écoles de théologie, à l’égard de l’Écriture Sainte. Les parlemens, qui ont proscrit toute autre philosophie que celle d’Aristote[i], peuvent être mieux excusés que les docteurs ; car soit que les membres des parlemens fussent persuadés, comme il y a beaucoup d’apparence, que cette philosophie était la meilleure de toutes, soit qu’ils ne le crussent pas, le bien public a pu les porter à proscrire les nouveaux dogmes, de peur que les divisions académiques ne répandissent leurs malignes influences sur la tranquillité de l’état. Ce qui doit donc étonner le plus les hommes sages, c’est que les professeurs se soient si furieusement entêtés des hypothèses philosophiques d’Aristote. Si l’on avait eu cette prévention pour sa Poétique et pour sa Rhétorique, il y aurait moins de sujet de s’étonner ; mais on s’est entêté du plus faible de ses ouvrages, je veux dire de sa Logique et de sa Physique (M). Il faut rendre cette justice, à ses plus aveugles sectateurs, qu’ils l’ont abandonné dans les choses où il a choqué le christianisme (N). Ces choses sont de la dernière conséquence, puisqu’il a soutenu l’éternité de l’univers, et qu’il n’a point cru que la providence s’étendit sur les êtres sublunaires. Pour l’immortalité de l’âme, on ne sait pas bien s’il l’a reconnue (O). Nous rapporterons en quelque autre lieu les longues disputes qui ont régné dans l’Italie sur ce point de fait. Le célèbre capucin Valérien Magni publia un ouvrage de l’athéisme d’Aristote, l’an 1647. Il y avait alors cent trente ans que Marc-Antoine Vénérius avait publié une Philosophie qui montre plusieurs contrariétés entre les dogmes d’Aristote et les vérités de la religion. Campanella soutint la même chose dans son livre de Reductione ad Religionem qui fut approuvé à Rome, l’an 1630. On a soutenu en Hollande, depuis peu dans la préface de quelques livres, que la doctrine de ce philosophe ne diffère pas beaucoup du spinozisme[j]. Cependant, si l’on en veut croire quelques péripatéticiens, il n’ignorait pas le mystère de la Trinité (P), il fit une belle mort, (Q), et il jouit de la félicité éternelle (R). Il composa un très-grand nombre de livres, dont une assez bonne partie est parvenue jusqu’à nous. Il est vrai que certains critiques forment mille doutes sur cela. Nous parlons des aventures de ces livres dans les remarques sur l’article Tyrannion[k]. Il fut extrêmement honoré dans sa patrie (S) ; et il y a eu des hérétiques qui vénéraient son image conjointement avec celle de Jésus-Christ. Je n’ai point trouvé que les antinomiens portassent plus de respect à ce sage païen, qu’à la sagesse incréée (T), ni que les aëtiens aient été excommuniés, parce qu’ils donnaient à leurs disciples les Catégories d’Aristote pour catéchisme[l] ; mais j’ai bien lu quelque part, qu’avant la réformation, il y a eu des églises en Allemagne, où l’on lisait au peuple tous les dimanches la Morale d’Aristote, au lieu de l’Évangile (V). Il n’y a guère de marques de zèle pour la religion, que l’on n’ait données pour le péripatétisme. Paul de Foix, célèbre par ses ambassades et par son érudition, ne voulut pas voir à Ferrare François Patrice, parce qu’il apprit que ce savant homme enseignait une autre philosophie que la péripatéticienne[m]. C’était pratiquer envers les ennemis d’Aristote ce que les zélateurs veulent qu’on fasse à l’égard des hérétiques. Après tout, il ne faut pas s’étonner que le péripatétisme, tel qu’on l’enseigne depuis plusieurs siècles, trouve tant de protecteurs (X), et qu’on en croie les intérêts inséparables de ceux de la théologie[n] ; car il accoutume l’esprit à acquiescer sans évidence. Cette réunion d’intérêt doit être aux péripatéticiens un gage de l’immortalité de leur secte, et aux nouveaux philosophes un sujet de diminuer leurs espérances ; joint qu’il y a des doctrines d’Aristote que les modernes ont rejetées, et qu’il faudra enfin adopter[o]. Les théologiens protestans ont bien changé de maxime, s’il est vrai que les premiers réformateurs aient autant crié que l’on dit contre le péripatétisme (Y). Le genre de mort qui peut à certains égards faire plus d’honneur à la mémoire d’Aristote, est de dire que le chagrin de n’avoir pu découvrir la cause du flux et du reflux de l’Euripe lui causa la maladie dont il mourut (Z). Quelques-uns disent que s’étant réfugié dans l’île d’Eubœe, à cause d’un procès d’irréligion qu’on lui faisait à Athènes il s’empoisonna[p]. Mais il n’avait que faire de sortir de cette ville, pour se délivrer de la persécution par cette voie. Hésychius assure, non-seulement qu’il y eut arrêt de mort contre lui, à cause d’un hymne qu’il avait fait en l’honneur de son beau-père, mais aussi, qu’il avala de l’aconit en exécution de l’arrêt[q]. Si la chose était véritable, elle serait rapportée par plus d’auteurs. Voyez les remarques (G) et (Z).

Le nombre des écrivains anciens et modernes qui ont travaillé sur Aristote, soit pour le commenter, soit pour le traduire, est infini. On en trouve une liste, mais qui n’est pas complète, dans quelques-unes des éditions de toutes les œuvres[r]. Voyez aussi un traité du père Labbe, qui a pour titre, Aristotelis et Platonis græcorum interpretum typis hactenùs editorum brevis Conspectus, et qui fut imprimé à Paris, l’an 1657, in-4°. M. Teissier nomme quatre auteurs qui ont composé la vie d’Aristote, savoir : Ammonius, Guarin de Vérone, Jean‑Jacques Beurerus, et Léonard Arétin[s]. Il a oublié Jérôme Gemusæus, médecin et professeur en philosophie à Bâle, auteur d’un livre de Vitâ Aristotelis, et ejus Operum Censura.

  1. Aristoteles more Ottomanorum regnare se haud tutò posse putabat, nisi fratres suos omnes contrucidâsset. Bacon, de Augment. Scientiar., lib. III, cap. IV.
  2. Voyez le livre de M. de Launoi, de Variâ Aristotelis Fortunâ.
  3. La Comparaison de Platon et d’Aristote.
  4. Voyez la remarque (A), num. 2.
  5. Voyez la remarque (C).
  6. Le père Pardies dans la Lettre d’un philosophe à un cartésien, dit que c’est le sentiment d’un bel-esprit, et il cite en marge Cornel à Lapide, præfat. in Eccles.
  7. C’est le sentiment d’un autre bel esprit, selon le père Pardies, là même.
  8. Voyez le père Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 403.
  9. Voyez la remarque (I), à la fin.
  10. Hassel, dans la préface de l’Anti-Spinoza, de Wittichius, imprimé l’an 1690 et dans la préface de l’Investigatio Epistolæ ad Hebræos du même, imprimée l’an 1691.
  11. Voyez ci-dessus les remarques (B) (C) et (D) de l’article Andronicus.
  12. Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 392.
  13. Thuanus, de Vitâ suâ, lib. I.
  14. Voyez la remarque (I).
  15. Telle est l’hypothèse des intelligences motrices ; car la doctrine des tourbillons sans quelques lois générales, et sans quelque direction particulière à chaque planète, ne peut contenter l’esprit.
  16. Eumelus, apud. D. Laërtium, lib. V, num. 6.
  17. Hesychius, in Vitâ Aristot.
  18. Dans celle de Genève en 1605, et dans celle de Paris en 1629, procurée par Guillaume du Val, et qui est la meilleure de toutes.
  19. Tessier, Catal. Aut. Bibliothec., etc. pag. 367.

(A) Je pense avoir trouvé quelques erreurs touchant Aristote dans la narration du père Rapin. ] Cette remarque sera un peu longue ; ainsi j’userai de division.

I. Dire, qu’encore qu’Aristote eût quitté ses études par pur libertinage, et eût abusé quelque temps de l’indulgence de son tuteur, il réussit néanmoins dans la poésie, témoin le poëme qu’il composa sur la mort des guerriers qui furent tués au siége de Troie[1], n’est pas raisonner juste ; car si Eustatius et Porphyre, qui font mention de ce poëme, ne disent pas expressément qu’Aristote le composa dans sa jeunesse[2], nous pouvons penser qu’il le fit après s’être remis à l’étude ; et alors, on ne pourra plus débiter ce poëme comme une preuve des progrès qu’il fit en poésie, nonobstant son libertinage.

II. Dire, qu’ayant dissipé par ses débauches une partie du bien que son père lui avait laissé, il se jeta dans les troupes de la république[3], est une expression impropre, et très-vague. S’il s’agissait d’un homme né dans Athènes, ou à Lacédémone, on entendrait bien cette expression ; mais il s’agit d’un homme qui était né dans la Macédoine. Athénée ne connaissait qu’un seul auteur qui eût dit qu’Aristote, ayant dépensé son patrimoine, s’enrôla, et puis se mit à vendre des drogues, après avoir vu que la profession des armes n’était point son fait[4]. L’auteur unique de cette histoire était Épicure. Il y a beaucoup d’apparence qu’Elien la tenait de lui[5]. Aristocle, qui l’a rejetée, ne cite que le seul Épicure[6]. Quoi qu’il en soit, aucun des auteurs que le père Rapin allègue, ne spécifie dans quelles troupes Aristote prit parti, et ils arrangent tous de cette manière les faits. Premièrement, Aristote dépensa son bien, puis il s’en alla à la guerre, ensuite il leva boutique et enfin il s’attacha aux leçons de Platon. Le père Rapin veut qu’il ait été en même temps vendeur de drogues et disciple de Platon. Les auteurs qu’il cite[7] ne disent rien touchant l’union de ces deux choses ; mais je ne crois pas que pour cela il le faille censurer ; car il est fort vraisemblable, que parce qu’Aristote avait dissipé son bien, il fut contraint, pour subsister pendant quelque temps, de faire un petit trafic de poudres de senteur, et de remèdes qu’il débitait à Athènes. C’est ainsi que parle le père Rapin, par rapport au temps où Aristote étudiait en philosophie. François Patricius va beaucoup plus loin : il croit qu’Aristote fut auditeur de Platon jusqu’à l’âge de quarante ans, et qu’il exerça la pharmacie et la médecine jusqu’à ce temps-là, afin d’avoir de quoi vivre. Satis constat inter omnes ad quadragesimum usque ætatis annum Platonis fuisse auditorem : quo universo tempore pharmacopolii arte, nec non etiam medicâ, victum quæritâsse satis est et historiæ et rationi consonum[8]. Il ajoute qu’anciennement les médecins faisaient le métier d’apothicaire, et que trois raisons persuadent qu’Aristote était médecin. Il était de famille à cela. Il a composé un ouvrage de la Santé et des Maladies : et il inspira plus que personne à Alexandre l’étude de la médecine, en quoi ce monarque acquit beaucoup de lumières, tant pour la théorie, que pour la pratique[9]. Enfin Patricius allègue le témoignage de Timée. Cet historien a fort mal parlé d’Aristote, et lui a reproché nommément la fermeture d’une boutique de remèdes très renommée. Τὸ πολυτίμητον ἰατρεῖον ἀποκεκλεικότα[10], qui pretiosam tabernam medicam clausit. Je ne sais s’il ne me sera point permis de m’imaginer que Timée se moquait en se servant de l’épithète πολυτίμητον. Sans cela, je ne vois point qu’on puisse accorder ce passage de Suidas avec celui qu’Eusèbe rapporte du même Timée. Il nous donne un fragment où un péripatéticien repousse plusieurs médisances publiées contre Aristote, et en particulier celle de l’historien Timée, qui avait dit qu’Aristote sur ses vieux jours ferma sa boutique de médecin, qui était dans un grand mépris : Ἤ πῶς ἄν τις ἀποδέξαιτο Τιμαίου τοῦ Ταυρομενίτου λέγοντος ἐν ταῖς ἱς ορίαις, ἀδόξου θύρας αὐτὸν ἰατρείου καὶ τὰς τυχούσας, ὀψὲ τῆς ἡλικίας, κλεῖσαι[11]. Ce passage a été fort mal traduit ; car la traduction latine fait dire à Timée, qu’Aristote, dans sa vieillesse, était préposé à fermer la porte de la boutique d’un médecin peu estimé. Quis Timæum Tauromenitanum audiat dum suis in historiis illum ait affectâ jam ætate, neglectis obscuri cujusdam Medici officinæ claudendis foribus præfuisse ? Ne voilà-t-il pas un emploi bien digne de la vieillesse d’Aristote ? Quel relief que d’être suisse d’un apothicaire, ou de médecin qui n’était pas connu !

II. Clément Alexandrin assure, c’est le père Rapin qui parle[12], qu’Aristote eut des conférences à Athènes avec un Juif, pour s’instruire dans la religion des Égyptiens. Eusèbe l’a dit aussi-bien que lui : l’un et l’autre l’ont cru sur le témoignage d’un péripatéticien nommé Clearque. Il y a bien à rabattre dans ces paroles ; car, 1o . tout ce que Clément Alexandrin assure se réduit à ceci : c’est que le péripatéticien Cléarque dit qu’il connaît un Juif qui a eu des conversations avec Aristote. Κλέαρχος ὁ περιπατητικὸς εἰδέναι ϕησί τινα Ἰουδαῖον, ὅς Ἀριςοτέλει συνεγένετο[13]. Clearchus peripateticus dicit se nosse quemdam Judæum qui cum Aristotele versatus est. Quant au lieu et à la matière de ces conversations, demandez-en des nouvelles à qui vous voudrez plutôt qu’à Clément Alexandrin. 2o . Il n’est pas vrai qu’Eusèbe affirme là-dessus quelque chose : il ne fait que rapporter les paroles de Clément d’Alexandrie. 3o . Cléarque, auquel il faut remonter comme à la première source, ne dit point qu’Aristote ait eu des conversations à Athènes avec un Juif : il dit, au contraire, que ce fut dans l’Asie[14] ; et il ne dit point si elles roulèrent sur la religion des Égyptiens, ou sur quelqu’autre matière particulière : il se tient dans une grande généralité. Je pense bien que si nous avions son livre, nous y trouverions du détail ; mais nous n’en avons qu’un passage, qui fut cité par Josephe dans le Ier. livre contre Apion, afin de montrer que la nation judaïque n’avait pas été inconnue aux Grecs. Si le père Rapin avait consulté les originaux, eût-il dit qu’il est assez vraisemblable qu’Aristote, pour suppléer au voyage d’Égypte qu’on croyait alors nécessaire pour devenir savant, se contenta de s’éclaircir en particulier des mystères et de la religion des Égyptiens, afin de ménager le temps qu’on s’expose à perdre dans les voyages ? Aristote ne voyageait-il pas actuellement dans l’Asie, lorsqu’il eut ces conversations, s’il en faut croire Cléarque ? Nous verrons dans la remarque (B) s’il mérite d’être cru.

IV. Il n’est pas vrai qu’Hermias donna sa sœur Pythias en mariage à Aristote[15]. Voyez la remarque (F), vers la fin.

V. Les autres fautes du père Rapin que j’ai observées sont répandues dans les remarques suivantes.

(B) On ne doit pas croire qu’il apprit beaucoup de choses d’un Juif, et encore moins sa conversion au judaïsme. ] Cette tradition n’a point d’autre fondement que le passage de Cléarque dont je viens de faire mention. Ce passage ne serait pas d’une petite autorité, s’il était de Cléarque, qui fut un des plus célèbres disciples d’Aristote : mais, selon toutes les apparences, il est d’un autre Cléarque ; car, 1o . l’auteur cité par Josephe, dit qu’Aristote voyageant en Asie rencontra un Juif, qui eut ensuite plusieurs conversations avec lui, et avec quelques autres personnes d’étude, ἡμῖν τε καί τισιν ἑτέροις τῶν σχολαςικῶν. De savans hommes prétendent qu’au siècle d’Aristote le mot σχολαςικὸς n’était point encore en usage pour signifier un écolier, un disciple, un étudiant[16]. Quoi qu’il en soit, comme ce voyage d’Asie ne peut s’accorder avec l’histoire d’Aristote, il n’y a point d’apparence qu’un de ses disciples eût voulu feindre dans un dialogue un fait tel que celui-ci, dont lui et tant d’autres connaissaient la fausseté. C’est donc un Cléarque plus moderne qui a supposé ce voyage, et il aura pu le faire de bonne foi ; car on sait que Solin assure qu’Aristote suivit Alexandre dans la guerre contre Darius[17]. L’auteur anonyme de la vie d’Aristote[18] débite le même fait. 2°. S’il était vrai qu’Aristote eût eu beaucoup de conversations avec un Juif aussi habile que celui dont il est parlé dans le passage de Cléarque, aurait-il cru ce qu’il débite touchant l’origine des Juifs ? Aurait-il dit que les Juifs descendent des Calains, peuples des Indes, et qu’ils ont pris dans la Syrie le nom de Juifs, à cause qu’ils occupaient une province qui se nommait la Judée ? Voilà ce qu’Aristote débite dans le passage de Cléarque cité par Josephe. Son Juif l’aurait-il laissé dans une erreur si puérile ? et verrions-nous si peu de traces de la Judée, et de la nation judaïque, dans tous les écrits d’Aristote, après tant de belles lumières que le Juif lui aurait communiquées ? 3°. Nous lisons dans Diogène Laërce, que les gymnosophistes descendaient des mages, et qu’il y avait des gens qui donnaient aux Juifs la même origine[19]. Voilà deux faits : quant au premier, on le donne sur le témoignage de Cléarque le disciple d’Aristote ; mais pour second, on ne cite qui que ce soit. N’est-il pas vrai que c’était l’occasion du monde la plus favorable et la plus inévitable de citer Cléarque touchant cette prétendue origine indienne de la nation judaïque, dont il est parlé dans Josephe ? Si le livre de Somno, où Aristote parle de cette origine indienne, était du même Cléarque que Diogène Laërce cite[20], aurait-t-on manqué de le citer ? Je laisse les autres raisons de Jonsius[21] ; ces trois-là me suffisent, pour être persuadé qu’Aristote n’a point dit ce que le Cléarque de Josephe lui attribue. J’entre donc un peu dans le sentiment de ceux qui trouvent mauvais que Cunéus ait maltraité Aristote pour une sottise dont il n’était pas coupable. Petrus Cunœus, l. i de Repub. Hebr., c. 4, Aristotelem falsè nimis et temerè perstringit, quod hic apud Clearchum statuat Judæos ab Indiæ sapientibus esse porpagatos : verba Cunæi hæc sunt : « Portentosum est et cum summâ inscitiâ conjunctum quod Aristoteles apud Clearchum autumavit, Judæos esse ab Indiæ sapientibus propagatos, sed nomen mutavisse. Quippè philosophos illos qui apud Indos Callani appellantur, in cavâ Syriâ Judæos dici. Pudet me anilitatis, adeò hoc nihil est [22]. » On me peut objecter que Cléarque connaissait le Juif qui avait parlé avec Aristote ; qu’il vivait donc en même temps qu’Aristote ; mais je nie que Cléarque le connût. Josephe ne le dit point : c’est Clément Alexandrin qui ajoute cette clause : il cita apparemment de mémoire, qui est un moyen presque infaillible de pervertir un passage à l’égard même des circonstances essentielles. Voyez le peu d’attention des traducteurs ; celui d’Eusèbe[23] traduit εἰδέναι par vidisse ; celui de Clément Alexandrin se contente de nosse. On ne conclurait pas nécessairement qu’un auteur a vécu dans le même temps qu’un autre homme, de ce qu’il dirait qu’il connaît un homme qui a dit ou fait ceci et cela ; car il pourrait entendre qu’il connaît les livres où cet homme a dit telle et telle chose : mais dès qu’on dit qu’un auteur a vu un tel ou un tel, cette conséquence est infaillible, ils sont donc contemporains[24]. Cela ne souffre point de difficulté ; et par conséquent le traducteur d’Eusèbe s’est donné une licence qui, jointe à celle de Clément Alexandrin falsifie étrangement les conséquences qu’on peut tirer du passage de Cléarque tel que Josephe l’a cité. Il y a des Juifs qui assurent, non seulement qu’Aristote avait copié les œuvres de Salomon, mais aussi qu’il s’était fait prosélyte de justice[25].

Non contens de cela, ils ont produit une lettre, qu’ils supposent qu’il écrivit à Alexandre, pour lui donner des nouvelles de sa conversion. Vous trouveriez cette lettre dans un ouvrage du rabbin Gedalia Ben Jachija, et dans le Moderna Theologia Judaïca de M. Lent, professeur en théologie à Herborn[26]. Lisez aussi ce passage de M. Cousin. Le père Bartolocci, à la page 471 du Ier. tome de sa Bibliotheca magna rabbinica, « rapporte un conte dépourvu de toute vraisemblance, que les rabbins font d’Aristote. Quelques-uns d’eux prétendent qu’il était né de la semence d’Israël et descendu des enfans de Coha, de la tribu de Benjamin. D’autres disent qu’il n’était pas juif d’origine, mais que, sur la fin de sa vie, il embrassa leur religion. Ils ajoutent qu’il avait pris toute sa philosophie des livres de Salomon trouvés dans la ville de Jérusalem lorsqu’elle fut prise par Alexandre, et qu’ensuite il les avait brûlés pour se faire honneur de la sagesse qu’il contenaient. Ils ajoutent encore que pour justifier son changement de religion, il écrivit à Alexandre une lettre qui est transcrite toute entière dans cet endroit de la Grande Bibliothéque, et où les rabbins lui font dire que la logique est une iniquité, que la philosophie est mensongère et trompeuse et que le malheur tombe sur ceux qui l’apprennent parce que par la voie de la dispute ils vont en enfer[27]. » Seldenus cite des auteurs juifs qui ont assuré, 1°. qu’Aristote, un peu avant que d’expirer, communiqua à ses disciples la doctrine qu’il avait apprise des Hébreux touchant l’immortalité de l’âme, et celle des peines et des récompenses à venir ; 2°. qu’à l’égard de tous les points où sa doctrine avait été opposée à la loi les Juifs, il fut converti et changé en un autre homme par le grand pontife Siméon le juste[28].

(C) Ceux qui prétendent qu’il était juif.... se trompent..... grossièrement. ] Voici la source de cette bévue. L’ancienne version de Josephe, par George de Trébizonde, portait : Atque ille, inquit, Aristoteles judæus erat, au lieu de atque ille, inquit Aristoteles, judæus erat. Là-dessus, Marcile Ficin se mit à dire qu’Aristote, au rapport de Cléarque, était juif. Clearchus peripateticus scribit Aristotelem fuisse judæum[29]. Genebrard est tombé dans la même faute. Eâ de causâ fortassè Clearchus peripateticus scripsit Aristotelem fuisse judæum[30]. C’est Jonsius qui m’apprend cela[31]. Je ne veux point imiter Schoockius, qui s’est orné de ces dépouilles, sans en donner la gloire à qui elle appartenait[32]. Mais si l’on voulait entendre juif de religion et non pas juif de nation, il faudrait chercher plus-haut la source de ce mensonge.

(D) On s’est trompé lorsqu’on a dit qu’il avait été disciple de Socrate trois années consécutives. ] La vie d’Aristote, attribuée à Ammonius, ou à Jean Philiponus, contient cette faute. Le docte Nunnesius, qui a fait des observations sur cette vie, dit qu’il n’a trouvé personne parmi les anciens, hormis Olympiodore, qui ait dit qu’Aristote ait été disciple de Socrate[* 1]. Il ajoute que le cardinal Bessarion[* 2] a été dans la même erreur, et que Léonard Arétin, au VIe. livre de ses lettres, et Octavien Ferrarius, dans son ouvrage de Sermonibus exotericis, ont montré cet anachronisme.

(E) On parle diversement de la conduite d’Aristote envers Platon, son maître. ] Diogène Laërce dit que Platon, voyant qu’Aristote avait rompu avec lui, se mit à dire : il a rué contre nous comme font les poulains contre leur mère[33]. Élien explique amplement cette pensée de Platon : Le poulain, dit-il[34], donne des coups de pied à sa mère, après s’être rassasié de son lait. Aristote pareillement, après avoir pris de Platon les semences et les provisions philosophiques, se sentant bien engraissé de l’excellente pâture que son maître lui avait fournie, lui jeta des ruades, et ouvrit une école à l’envi de celle de Platon. Consultez Helladius, qui change un peu les images, car il emploie la comparaison d’un cheval qui se plaît à mordre son père : Ἀριςοτέλης ὁ τοῦ περιπάτου προςάτης ὁπὸ Πλάτωνος ἱππος ἐπωνομάζετο, ἐναντιοῦσθαι δοκῶν τῷ διδασκάλῳ· καὶ γὰρ ὁ ἵππος τὸν ἑαυτοῦ ϕιλεῖ πατέρα δάκνειν[35]. Aristoteles peripateticae princeps scholae à Platone equus nominatus est, quòd præceptori contradiceret, equo enim volupe est etiam patrem mordere. Voici bien-pis : Élien raconte en un autre lieu[36] qu’Aristote déplut à Platon par la propreté trop magnifique de ses habits, par son air railleur, et par son trop grand caquet ; de sorte que Platon attacha son amitié à quelques autres de ses disciples. Aristote, ayant fait bande à part, se servit d’une occasion que l’absence de Xénocrate et la maladie de Speusippus lui offrirent. C’étaient pour ainsi dire, les deux épées de chevet de Platon : il était donc facile alors de lui faire insulte. Aristote prit ce temps-là pour aller avec une grande foule de disciples dans l’école de Platon. Ce bon vieillard, figé de quatre-vingts ans, n’avait presque plus de mémoire. Aristote, abusant de l’infirmité de son maître, lui fit cent questions captieuses, le poussa dans tous les coins de sa logique, et triompha fièrement. Depuis cet affront, le bonhomme n’enseigna plus en public ; il se tint chez soi avec ses disciples. Aristote s’empara de la place ; mais Xénocrate ayant su, à son retour dans Athènes, comment tout s’était passé, gronda furieusement Speusippe d’avoir permis qu’Aristote se mit en possession de l’école, et s’opposa si vivement à l’usurpateur, qu’il lui fit quitter la place, et qu’il y rétablit le premier maître. Si Aristote en avait usé ainsi, il mériterait d’être détesté ; mais je ne crois point que ce conte soit véritable. Ses sectateurs ont soutenu qu’il ne manqua ni de respect, ni de gratitude envers son maître. Ce ne serait pas en avoir manqué que d’avoir été l’auteur d’une autre philosophie. Les platoniciens auraient grand tort d’exiger qu’il eût suivi Platon en toutes choses. Platon n’avait-il rien ajouté aux lumières que Socrate lui avait fournies ? Quoi qu’il en soit, on soutient dans la Vie d’Aristote qu’il n’érigea point une école dans le Lycée pendant la vie de son maître, et on le prouve par la raison que Chabrias et Timothée, parens de Platon, et tout-puissans alors à Athènes, ne l’eussent pas enduré. On ajoute qu’Aristote consacra un autel à Platon, avec une inscription glorieuse, et qu’il n’enseigna dans Athènes qu’après la mort de Speusippe, qui avait succédé à Platon. Enfin, on remarque qu’il ne s’ingéra point de lui-même à cet emploi, mais par les sollicitations des Athéniens, qui lui envoyèrent des députés. La vieille version latine de cette Vie d’Aristote est quelquefois plus ample que l’original. Par exemple, à l’endroit où l’auteur nie qu’Aristote ait érigé une école pendant la vie de Platon, la traduction marque que c’est une calomnie d’Aristoxène et d’Aristoclès. Le grec n’a point cela. Voyez ce qu’Eusèbe rapporte du VIIe. Livre de cet Aristoclès : vous y verrez un passage d’Aristoxène qui semble contenir, sous des termes généraux et assez obscurs, cette accusation contre Aristote ; et puis vous verrez qu’Aristoclès, ayant réfuté plusieurs autres accusations, abandonne la cause par rapport à l’ingratitude de ce disciple[37]. Le père Rapin s’est donc bien trompé[38] quand il a dit qu’Eusèbe le justifie entièrement de ce reproche[39]. Je ne sais pourquoi ce-même jésuite a joint à Eusèbe, comme deux apologistes différens, Ammonius et Philoponus ; car la Vie d’Aristote qu’il cite ne vaut qu’un auteur : c’est Ammonius, selon quelques-uns, c’est Philoponus, selon quelques autres.

(F) On débita des choses désavantageuses touchant ses amours. ] Il y a ici une complication d’ordures. Les médisans débitèrent qu’Aristote se retira chez Hermias, qui commandait dans Atarne, petite ville de Mysie, proche l’Hellespont ; qu’Hermias eut pour lui des complaisances très-criminelles : Ὃν οἱ μὲν ϕασὶ παιδικὰ γενέσθαι αὑτοῦ[40]. Quem alii quidem delicias ac lusus ipsius fuisse tradunt ; qu’il lui fit épouser sa fille, ou sa nièce ; que le voyant amoureux de sa concubine, il la lui céda[41] ; qu’Aristote fut si follement amoureux de cette femme, que, l’ayant épousée, il lui offrit un sacrifice tout semblable à celui que les Athéniens offraient à Cérès : il témoigna d’ailleurs sa reconnaissance à Hermias par un hymne qu’il composa en son honneur. Sans que j’en avertisse mes lecteurs, ils verront bien que toutes ces médisances ne venaient pas d’une même plume : les uns débitaient celles-ci, les autres débitaient celles-là. Un des apologistes d’Aristote a observé qu’on ne s’accordait pas à lui intenter les mêmes accusations : chaque censeur venait avec ses satires particulières[42]. C’est une marque, dira-t-on, qu’ils n’agissaient pas de concert : ajoutons que c’est une marque qu’on n’avait de bonnes preuves de rien ; car lorsqu’une accusation grave a été prouvée, tous ceux qui écrivent contre l’accusé la lui reprochent éternellement. Le même apologiste remarque qu’il se formait un si grand nombre de crimes de toutes les accusations particulières qu’on avait écrites contre Aristote, que, quand il n’y en aurait eu qu’une de véritable, il aurait été puni mille fois par les juges qui vivaient alors. Entre autres choses, ses ennemis publièrent qu’il avait trahi sa patrie, et que l’on avait intercepté des lettres qu’il écrivait contre les intérêts des Athéniens[43]. Pour revenir à la femme d’Aristote, quelques-uns dirent que ce fut après sa mort que son mari lui offrit les sacrifices que les Athéniens offraient à Cérès : Φησὶ θύειν Ἀριςοτέλη θυσίαν τέτελευτηκυίᾳ τῇ γυναικὶ τοιαύτην, ὁποίαν Ἁθηναῖοι τἤ Δήμητρι[44]. Scribit (Lycon Pythagoræus) Aristotelem idem sacrificii genus quod Cereri ab Atheniensibus fiebat, demortuæ uxori facere solitum. La réponse d’Aristoclès est, 1°. que les livres d’Apellicon, touchant le commerce d’Hermias et d’Aristote, justifiaient pleinement ces deux amis ; 2°. qu’Aristote lui-même s’était justifié entièrement sur son mariage avec Pithias, dans les lettres qu’il avait écrites à Antipater. Cette Pythias était la sœur d’Hermias, et sa fille d’adoption. Aristote faisait voir qu’il ne l’avait épousée qu’après la mort d’Hermias ; que c’était une fort honnête femme, mais réduite à un si fâcheux état, depuis la mort de son frère, que lui Aristote s’était cru obligé de l’épouser en considération d’Hermias.

(G) Les prêtres d’Athènes lui firent un procès d’irréligion. ] On ignore les circonstances de cette affaire. Diogène Laërce s’est contenté de nous dire[45] que le prêtre Eurymédon accusa Aristote d’impiété, à cause de l’hymne composé pour Hermias, et à cause d’une inscription gravée sur la statue du même Hermias au temple de Delphes. Phavorin attribuait l’accusation à Démophilus[46]. On ne saurait deviner par quelle chicanerie les accusateurs pouvaient trouver quelque ombre de preuve dans l’inscription d’Hermias. Elle consiste en quatre vers qui n’ont nul rapport aux choses sacrées, mais seulement à la perfidie du roi de Perse envers ce malheureux ami d’Aristote. Nous apprenons d’Athénée que l’autre fondement de l’accusation, savoir l’hymne composé pour Hermias, était injuste, vu que ce n’était point un poëme de religion, ni une pièce sacrée, comme Démophile le prétendait[47]. Athénée ajoute qu’Eurymédon avait suborné Démophile, pour donner plus de poids à l’accusation[48]. Apparemment Démophile était quelque homme de qualité, et de grande autorité dans Athènes : peut-être ne pénétra-t-il pas toute la profondeur de la politique sacerdotale, et ne comprit pas que le prêtre Eurymédon ne le voulait faire agir qu’afin de rendre plus suspect le pauvre Aristote. On s’attendait à voir faire ce raisonnement : S’il n’y avait que les prêtres qui accusassent Aristote, le mal pourrait être supportable, leur grande piété les allarme pour les moindres choses qui blessent la religion ; mais voici, un Démophile qui est si scandalisé des blasphèmes d’Aristote, qu’il en demande justice : il faut que le mal soit bien grand. L’hymne en question s’est conservé : on le trouve dans Athénée et dans Diogène Laërce ; et l’on ne saurait y voir aucune trace d’impiété. Mais les accusateurs disaient sans doute qu’Aristote profanait les divins cantiques, en les faisant servir à la gloire d’un homme mortel. Ils soutenaient qu’il chantait tous les jours cet hymne dans ses repas[49] : Aristote, ne se fiant point au bon tour qu’on pouvait donner à son petit poëme, se retira tout doucement à Chalcis, dans l’île d’Eubœe, et plaida sa cause de loin par écrit. Athénée rapporte quelques paroles de cette apologie ; mais il ne garantit pas qu’elle soit effectivement d’Aristote[50]. Phavorin, dans Diogène Laërce, assure qu’Aristote écrivit une harangue dans le genre judiciaire, et qu’il fut le premier qui fit de telles harangues en sa propre cause, ou, que ce fut la première fois qu’il en fit pour lui[51] ; Nunnesius assure que Sénèque, de Vitâ beatâ, remarque qu’Aristote ne fit que celle-là en sa vie[52]. Quoi qu’il en soit, son plus sûr parti était de plaider de loin ; car les accusateurs étaient des gens qui ne lui auraient jamais donné aucun repos, et qui auraient fait agir tant de machines, qu’enfin ils en auraient trouvé une qui aurait fait le coup. Il n’était pas possible, grand esprit comme il était, qu’il ne se fût quelquefois moqué des bassesses du culte public des Athéniens, et qu’il n’eût jamais dit son sentiment sur les fourberies des prêtres. On eût ramassé toutes ses conversations ; on eût fait ouïr des témoins ; en un mot, on l’eût accablé sans ressource. Que sait-on même s’il ne lui était pas échappé quelquefois des impiétés effectives, en pensant ne parler que de la grandeur immuable de l’Être souverainement parfait ? Origène dit que le procès d’impiété qu’on voulait faire à Aristote était fondé sur quelques-uns de ses dogmes[53] : il dit en un autre endroit que c’est un dogme des péripatéticiens, que les prières et les sacrifices ne servaient de rien[54]. Apparemment ils fondaient cela sur ce faux principe, qu’une sagesse infinie fait de tout temps ce qu’elle doit faire, et qu’elle ne change point de route selon les désirs et les intérêts humains, comme si elle avait besoin que nos prières fussent des avis qu’on lui donnât de ne pas faire ce à quoi il nous semble qu’elle est toute déterminée. Un tel principe, quand il n’est pas rectifié par les lumières de la religion, est une impiété très-réelle. Aristote n’aurait jamais échappé aux prêtres athéniens, s’ils l’avaient tenu par-là. Ce qu’il répondit à ceux qui voulurent savoir la cause de sa retraite, montre qu’il craignait qu’on ne trouvât contre lui, ou de bonnes preuves, ou de mauvaises : Je n’ai pas voulu être cause que les Athéniens connaissent une seconde injustice contre la philosophie. La première avait été la mort de Socrate. Πρὸς τὸν ἐρόμενον, διὰ τὶ ἀπέλιπε τὰς Ἀθήνας, ἀπεκρίνατο ὅτι οὐ βούλεται Ἀθηναίους δὶς ἐξαμαρτεῖν εἰς ϕιλοσοϕίαν· τὸ περὶ Σωκράτην πάθος αἰνιττόμενος, καὶ τὸν καθ᾽ ἑαυτὸν κίνδυνον[55]. Interroganti cur reliquisset Athenas respondit, quoniàm noluisset committere ut Athenienses bis peccarent in philosophiam ; obscurè Socratis mortem innuens, et suum periculum. Il se servit d’un vers d’Homère, pour signifier qu’il ne faisait pas bon demeurer dans une ville où la race des délateurs ne décroissait point, les uns succédant aux autres à point nommé. On pourrait croire qu’il se sentait coupable d’avoir offensé personnellement, par quelque trait de raillerie, le prêtre de Cérès Eurymédon[56] et que ce fut ce qui réveilla le zèle du personnage qui avait laissé vingt ans en repos la prétendue impiété de l’hymne. Or, il était plus dangereux d’offenser ces messieurs-là en leur personne, que de les offenser en la personne de leurs dieux. Voyez la remarque (R), où nous dirons ce qu’ont pensé quelques auteurs touchant la cause de la fuite d’Aristote. J’ai dit sur la fin de l’article qu’Hésychius assure qu’on l’avait effectivement condamné et exécuté dans Athènes. Je n’use point d’hyperbole dans l’expression de vingt ans, puisqu’Aristote avait enseigné treize ans à Athènes, lorsque le procès d’irréligion l’obligea de se retirer à Chalcis[57]. Il n’était revenu à Athènes qu’après avoir instruit Alexandre, dont il n’était devenu précepteur qu’après la mort d’Hermias.

(H) On lui a donné quelque éloges encore plus forts, etc. ] « Averroës a dit qu’avant qu’Aristote fût né la nature n’était pas entièrement achevée qu’elle a reçu en lui son dernier accomplissement et la perfection de son être ; qu’elle ne saurait plus passer outre que c’est l’extrémité de ses forces et la borne de l’intelligence humaine. Un autre philosophe a enchéri sur Averroës et a dit depuis, qu’Aristote était une seconde nature. » Ces paroles sont de Balzac à la page 459 des Discours qui ont été imprimés à la suite de son Socrate chrétien. Cela me fait souvenir des scrupules d’un auteur qui, voyant que la nature elle-même souscrit aux imaginations d’Aristote, n’oserait douter de ce qu’il a dit : Rectè et hoc Aristoteles ut cætera ; nec possum non assentiri viro, cujus inventis nec ipsa natura dissentit[58]. Un théologien espagnol prétend que la portée de l’esprit de l’homme ne va pas jusqu’à pouvoir pénétrer, sans l’assistance particulière d’un génie les secrets de la nature autant qu’Aristote les a pénétrés[59]. Il croit donc qu’Aristote avait un bon ou un mauvais ange, qui l’instruisait invisiblement de mille choses à quoi l’intelligence humaine ne saurait atteindre. Guillaume, évêque de Paris soutient « en beaucoup d’endroits de ses œuvres[60], que ce philosophe tenait pour conseiller de toutes ses actions un esprit qu’il avait fait descendre de la sphère de Vénus, par le sacrifice d’un agneau enchevêtré, et quelques autres cérémonies. » D’autres ont dit qu’il n’avait pas eu besoin de tels secours. C’était « l’opinion du célèbre théologien Henri de Assia[61] qu’Aristote avait pu s’acquérir naturellement une aussi parfaite connaissance de la théologie, que celle qui fut découverte à notre premier père lorsqu’il s’endormit au paradis terrestre[62] ou à saint Paul en son ravissement. » Un concile tenu en France sous Philippe-Auguste, fit brûler la Métaphysique d’Aristote. Un docteur anglais de l’ordre de saint Augustin[63], a laissé par écrit qu’on croyait alors qu’il n’y avait que l’Antechrist qui dût bien entendre les livres d’Aristote, dont il se servirait pour convaincre tous ceux qui entreraient en dispute contre lui. Finissons cette petite compilation par un passage d’Agrippa, qui nous apprend que les théologiens de Cologne soutinrent qu’Aristote avait été le précurseur du Messie dans les mystères de la nature, comme saint Jean l’a été dans les mystères de la grâce : Dignissimus profectò, hodiè latinorum gymnasiorum doctor, et quem colonienses mei theologi etiam divis adnumerarent, librumque sub prœlo evulgatum ederent cui titulum facerent de Salute Aristotelis [64], sed et alium versu et metro de Vitâ et Morte Aristotelis, quem theologicâ insuper glossâ illustrârunt, in cujus calce concludunt, Aristotelem sic fuisse Christi præcursorem in naturalibus, quemadmodùm Joannes Baptista in gratuitis [65]. Parlant sans préoccupation ni pour ni contre, on peut dire que ces panégyristes outrés font plus de mal que de bien à la mémoire d’Aristote. On peut assurer d’eux à certains égards le mot de Tacite : pessimum inimicorum genus laudantes[66]. On pouvait donner tant de justes louanges à Aristote[67], qu’il n’y a pas moyen d’excuser ceux qui, non contens de celles-là, y en ont joint d’hyperboliques.

Que ne se contentait-on de dire qu’il trempait sa plume dans le bon sens[68]. C’est ce que doivent faire tous les philosophes, si l’on en croit le chef des stoïciens : Ὁ Ζήνων ἔλεγεν ὅτι δεῖ τὸν ϕιλόσοϕον εἰς νοῦν ἀποϐάπτοντα προϕέρεσθαι τὴν λέξιν[69]. Zeno ait mente tinctum proferre philosophum sermonem debere. Ceux qui voudront voir des compilations des louanges qu’on a données à Aristote, feront bien de lire Georges de Trébizonde[70], Pérérius au chapitre Ier. du Ve. livre de Principiis, Juste Lipse à la Dissertation IV du Ier. livre Manuductionis ad Philosophiam Stoïcam, Théodore Angelotius dans sa réponse à François Patricius, etc.

(I) Le cardinal Pallavicin.. avoue… que, sans Aristote, l’Église aurait manqué de quelques-uns de ses articles de foi. ] L’auteur de l’Évangile nouveau du cardinal Pallavicin ne manqua pas de relever[71] ces paroles du chapitre XIX du VIIIe. livre, num. 13 : Di cio si doveva in gran parte l’obligazione ad Aristotele, il quale se non si fosse adoperato in distinguer accuratamente i generi delle ragioni, noi mancavamo di molti articoli di fede. Cet éloge me fait souvenir d’un passage de Nicius Érythræus, aussi flatteur qu’il s’en puisse voir pour Aristote. Cet auteur prétend qu’en vain le subtil et savant Patricius a combattu de toutes ses forces la doctrine du Lycée, doctrine inébranlable, et qui verra toujours périr ses rivales. Altiùs Aristotelis auctoritas radices egit, quàm ut cujusquam vim impetumque pertimescat : viget, semperque vigebit, hominis disciplina ; tantùmque quis existimabitur scire, quantùm ex doctrinæ ejusdem fontibus haustum intelligentia comprehensum habuerit ; ac nemo, cui cor sapiat, non satius esse ducet in iis, quæ ad philosophiam pertinent, cum Deo, ut ità dicam, philosophorum errare, quàm cum aliis rectè sapere, minorum gentium magistris. Itaque ille, omnibus in gymnasiis, ad sapientiam properantibus, dux semper habebitur : ille theologorum quasi militiæ, adversùs religionis nostræ hostes, definitiones, argumentorum copiam, et alia præclarè dicta multa, tanquam amentatas hastas elargietur, quas illa theologicis lacertis ac viribus, de cælo suppeditatis, torqueat ac vibret[72]. Je me crois obligé de dire, pour agir selon les règles de la bonne foi, que le cardinal Pallavicin n’avance point de lui-même la maxime qu’on a rapportée[* 3], ni comme une observation qu’il voulait apprendre au monde : il ne la rapporte que comme une raillerie maligne du père Paul. Il est vrai qu’il traite cette raillerie d’impertinente, et qu’il prétend que les conciles où l’on distingua si subtilement la substance, la personne, l’hypostase, n’y étaient pas moins sujets : il est vrai, en un mot, qu’il ne nie pas le fait, et qu’il se contente de se moquer de ceux qui s’en moquent[73]. Le père Paul, après avoir rapporté le décret de la VIe. session, allègue ce que l’on y critiqua ; et il dit, entre autres choses, que ceux qui étaient versés dans l’histoire ecclésiastique remarquèrent que tous les autres conciles pris ensemble avaient décidé moins d’articles que cette seule session, à quoi Aristote avait eu beaucoup de part : In che haveva una gran parte Aristotele, coll’ haver distinto essattamente tutti i generi di cause, a che, se egli non se fosse adoperato, noi mancavamo di molti articoli di fede[74]. Les remontrances de la Sorbonne, sur lesquelles le parlement de Paris donna un arrêt contre des chimistes, l’an 1629, portaient : qu’on ne pouvait choquer les principes de la philosophie d’Aristote, sans choquer ceux de la théologie scolastique, reçue dans l’Église[75]. L’an 1624, le parlement de Paris bannit de son ressort trois hommes qui avaient voulu soutenir publiquement des thèses contre la doctrine d’Aristote ; défendit, à toutes personnes de publier, vendre ou débiter les propositions contenues dans ces thèses, à peine de punition corporelle, et d’enseigner aucune maxime contre les anciens auteurs et approuvés, à peine de la vie[76].

(K) Encore aujourd’hui, les mahométans.... ont des écoles pour sa secte. ] « La philosophie péripatétique s’est tellement établie partout, qu’on n’en lit plus d’autre par toutes les universités chrétiennes. Celles mêmes qui sont contraintes de recevoir les impostures de Mahomet n’enseignent les sciences que conformément aux principes du Lycée, auxquels ils s’attachent si fort, qu’Averroës, Alfarabius, Almubassar [77], et assez d’autres philosophes arabes, se sont souvent éloignés des sentimens de leur prophète, pour ne pas contredire ceux d’Aristote, que les Turcs ont eu leur idiome turquesque et en arabe, comme Belon[* 4] le rapporte [78]. » L’auteur dont j’emprunte ces paroles dit, dans un autre volume[79], que selon la relation d’Oléarius, les Perses ont toutes les œuvres d’Aristote expliquées par beaucoup de commentaires arabes, qui nomment communément sa philosophie le gobelet du monde. Bergeron, dit-il, remarque dans son Traité des Tartares, qu’ils possèdent les livres d’Aristote traduits en leur langue, enseignant, avec autant de soumission qu’on peut faire ici, sa doctrine à Samarcand, université du Grand Mogol, et à présent ville capitale du royaume d’Usbec.

(L) Lorsqu’on citait un passage de ce philosophe, on n’osait dire, transeat : il fallait ou le nier ; ou l’expliquer à sa manière. ] Si quelqu’un osait contester ce fait, je le renverrais à plusieurs cours de philosophie imprimés dans le XVIe. siècle, où l’on voit régner la méthode que voici. L’auteur prouve sa thèse, premièrement par autorités, et puis par raisons. Les preuves par autorités sont des passages d’Aristote. La réponse aux objections comprend aussi deux parties. On satisfait premièrement aux passages d’Aristote qui semblent contraires à la thèse, et qui sont des preuves d’autorité pour l’autre parti ; ensuite, on satisfait aux raisons mais on se garde bien de dire : J’avoue qu’Aristote a cru cela, et je nie néanmoins que ma thèse, où je soutiens une autre doctrine, soit fausse. On emploie son industrie à donner aux passages objectés un sens qui s’accommode avec la chose en question. On en use encore ainsi dans les écoles de théologie à l’égard de saint Augustin et de Thomas d’Aquin, parmi ceux de l’église romaine.

(M) On s’est entêté du plus faible de ses ouvrages, je veux dire de sa Logique et de sa Physique. ] Pour être convaincu de la faiblesse ses ouvrages, il ne faut que voir Gassendi dans ses Exercitationes paradoxicæ adversùs Aristoteleos[80]. Il en dit assez contre la philosophie d’Aristote en général, pour persuader à tout lecteur non préoccupé, qu’elle est très-défectueuse ; mais il ruine en particulier la dialectique de ce philosophe. Il se préparait à critiquer de la même sorte la Physique, la Métaphysique, et la Morale, lorsqu’ayant appris l’indignation formidable du parti péripatéticien contre lui, il aima mieux abandonner son ouvrage, que s’exposer à de fâcheuses persécutions.

Notez qu’on ne prétend pas nier qu’il ne se trouve dans la Logique et dans la Physique d’Aristote beaucoup de choses qui marquent l’élévation et la profondeur de son génie. On peut convenir de cela, et juger en même temps qu’il y a de l’hyperbole dans les louanges de Casaubon : Ego pueros puto fuisse (stoïcos in logicâ) prœ divino Aristotele, et eorum in hoc genere scripta ὕθλον καὶ ϕλήναϕον prœ Aristotelis organo ; quo opere omnia mortalium ingénia (divina aut de rebus divinis semper excipio) longé superavit[81] : et dans ce passage du père Rapin : « Il ne parut rien de réglé et d’établi sur la logique devant Aristote [* 5]. Ce génie, si plein de raison et d’intelligence, approfondit tellement l’abîme de l’esprit humain, qu’il en pénétra tous les ressorts, par la distinction exacte qu’il fit de ses opérations. On n’avait point encore sondé ce vaste fond des pensées de l’homme, pour en connaître la profondeur. Aristote fut le premier qui découvrit cette nouvelle voie, pour parvenir à la science par l’évidence de la démonstration, et pour aller géométriquement à la démonstration par l’infaillibilité du syllogisme, l’ouvrage le plus accompli, et l’effort le plus grand de l’esprit humain. Voilà en abrégé l’art et la méthode de la Logique d’Aristote, qui est si sûre, qu’elle ne peut avoir de parfaite certitude dans le raisonnement, que par cette méthode, laquelle est une règle de penser juste ce qu’il faut penser[82]. » On peut louer dignement le Traité du Syllogisme de ce philosophe, sans employer des expressions si outrées. Il y a dans sa Physique plusieurs questions très-sublimes, qu’il pousse et qu’il éclaircit en grand maître ; mais enfin, le gros, le total de cet ouvrage, ne vaut rien : infelix operis summa. La principale source de ce défaut est qu’Aristote abandonna le chemin des plus excellens physiciens qui eussent philosophé avant lui. Ils avaient cru que les changemens qui arrivent dans la nature ne sont qu’un nouvel arrangement des particules de la matière : ils n’avaient point admis de génération proprement dite. Ce fut un dogme qu’il rejeta[83] ; et, par cette réjection, il fut dérouté. Il fallut qu’il enseignât qu’il se produit de nouveaux êtres, et qu’il s’en perd. Il les distingua de la matière, il leur donna des noms inconnus, il affirma ou il supposa des choses dont il n’avait aucune idée distincte. Or, il est aussi impossible de bien philosopher sans l’évidence des idées, que de bien naviguer sans voir l’étoile polaire, ou sans avoir une boussole. C’est perdre la tramontane, que d’abandonner cette évidence ; c’est imiter un voyageur qui, dans un pays inconnu, se déferait de son guide ; c’est vouloir rôder de nuit sans chandelle dans une maison dont on ignore les êtres. Chacun sait le nombre infini de formes et de facultés distinctes de la substance, que les sectateurs d’Aristote ont introduites : il leur avait ouvert ce chemin d’égarement ; et si, dans le XVIIIe. siècle, la physique a reparu avec quelque lustre, ce n’a été que par la restauration des anciens principes qu’il avait quittés, ce n’a été que par la culture de l’évidence, c’est enfin parce que l’on a exclu de la doctrine des générations ce grand d’ombre d’entités, dont notre esprit n’a aucune idée, et que l’on s’est attaché à la figure, au mouvement, et à la situation des particules de la matière, toutes choses que l’on conçoit clairement et distinctement.

(N) On doit cette justice à ses plus aveugles sectateurs, qu’ils l’ont abandonné..... où il a choqué le christianisme. ] Je ne veux pas néanmoins entrer en procès contre Luther, pour les théologiens de Cologne. Il leur reproche, et à ceux de Louvain aussi, qu’ils défendent ou qu’ils adoucissent par des interprétations forcées les plus grandes et les plus impies absurdités d’Aristote. Aristotelem ipsis in summo esse pretio, et nihil ab eo dictum esse tam absurdè, vel alienè à nostrâ religione, quod non defendant, quod non aliquâ interpretatione quantumvis longè petitâ circumvestiant, quo suus illi constet honos atque nominis existimatio[84]. De quoi n’est point capable l’entêtement !

(O) On ne sait pas s’il a reconnu l’immortalité de l’âme. ] Pomponace et Niphus ont eu une grosse querelle sur ce sujet. Le premier soutint qu’on ne pouvait accorder l’immortalité de l’âme avec les principes d’Aristote ; le dernier s’engagea à soutenir le contraire. Voyez le discours de la Mothe-le-Vayer sur l’immortalité de l’âme[85], et Bodin, à la page 15 de la préface de la Démonomanie.

(P) Selon quelques péripatéticiens, il n’ignorait point le mystère de la Trinité. ] Emmanuel de Moura, disputant contre ceux qui accusent Aristote d’athéisme, dit 1°. qu’une femme le cajola si bien, qu’elle lui fit consulter l’oracle d’Apollon[86] ; 2°. qu’il ordonna par son testament, que l’on dédiât à Jupiter et à Minerve les effigies de certains animaux qu’il avait voués pour le salut de Nicanor[87] ; 3°. Qu’il confesse au premier livre du Ciel et du Monde[88], se cum aliis obtulisse diis trina sacrificia in recognitionem trinæ perfectionis in iis inventæ[89]. On conclut de ces passages, non-seulement qu’il croyait des diables, et qu’il était superstitieux ; mais aussi qu’il avait connu la trinité des personnes avec l’unité de l’essence, comme a voulu Salmeron[90], et auparavant lui, George Trapezonce[91], qui a fait un livre entier de la conformité de la doctrine d’Aristote avec la Sainte Écriture. Naudé, dont j’emprunte ce qu’on vient de lire, remarque qu’Emmanuel de Moura impose manifestement à Philoponus, qui ne dit rien autre chose suivant le texte grec, et la vieille traduction conforme à celle de Nunnesius, sinon qu’Aristote ayant atteint l’âge de seize ans[92], fut conseillé par l’oracle pythien de s’adonner principalement à la philosophie... Les trois sacrifices qu’il fit aux dieux, c’est Naudé qui parle, ou la connaissance de la Trinité, que lui ont donnée beaucoup de docteurs catholiques, « sont toutes chimères, qui ont pris leur origine et fondement sur ce qu’il dit en son Ier. livre du Ciel, parlant du nombre ternaire, Διὸ πα ρὰ τῆς ϕύσεως εἰληϕότες ὥσπερ νόμους ἐκείνης, καὶ πρὸς τὰς ἀγιςείας τῶν Θεῶν χρώμεθα τῷ ἀριθμῷ τούτῳ ; c’est-à-dire, quapropter hoc à naturâ numero sumpto perindè atque quâdam illius lege, et in deorum sacrificiis celebrandis uti solemus. Duquel passage on ne saurait conclure autre chose, sinon qu’Aristote dit que l’on se servait en son temps du nombre de trois aux sacrifices ; ce qui nous est aussi témoigné par Théocrite. » Après cela, Naudé remarque que le cardinal Bessarion[93] se moque de Trapezonce, de ce qu’il avait tant pris de peine, pour prouver par ce texte, qu’Aristote avait une entière connaissance de la Trinité. Les scolastiques Modernes ne démordent pas de ces prétentions. Voyez Piccinardi, professeur à Padoue, dans ses Dogmata philosophiæ peripateticæ. Le journal d’Italie en parle sous le 31 d’août 1674.

(Q) .... il fit une belle mort. ] Se sentant proche de sa fin, il versa un torrent de larmes ; et, tout pénétré de douleur et d’espérance, il implora la miséricorde du Souverain Être. Il approuvait extrêmement une sentence d’Homère, qui porte qu’il ne sied pas mal aux dieux de se revêtir de la nature de l’homme, afin d’éclairer le genre humain. C’étaient des pressentimens de l’incarnation du fils de Dieu. Proditum et illud monumentis est, quùm philosophus hic extrema sibi ingruere præsensisset, dolore ac spe in lacrymas ampliùs profusum primæ causæ misericordiam intentiùs implorâsse. Quin et Homeri sententiam ex Odysseâ vehementer approbâsse, quâ non esse immortalibus diis indecorum pronunciatur hominis induere naturam, quo ab erroribus sevocentur mortales. Quâ in re Christi præsensisse adventum augurantur nonnulli ejus viri gloriæ in primis addicti. Voilà ce que nous lisons dans Cœlius Rhodiginus[94]. Son autorité dans un fait de cette nature ne vaut guère mieux que rien. D’autres parlent bien autrement des dernières heures d’Aristote. « Ils disent qu’il mourut de déplaisir de n’avoir pu comprendre la cause du flux et du reflux de l’Euripe. Sur quoi quelques modernes ont inventé cette fable, qui depuis a eu cours, que ce philosophe se précipita dans l’Euripe en, disant ces paroles : Que l’Euripe m’engloutisse, puisque je ne puis le comprendre[95]. » Diogène de Laërce cite un auteur nommé Eumelus, qui avait dit qu’Aristote s’étant réfugié à Chalcis s’empoisonna à l’âge de soixante-dix ans[96]. Apollodore me paraît plus digne de foi : il a dit que ce grand homme mourut de maladie, à l’âge de soixante-trois ans[97].

(R) ..... il jouit de la félicité éternelle. ] Sépulvéda, l’un des plus savans hommes du XVIe. siècle, n’a point hésité à le placer parmi les bienheureux ; il a soutenu publiquement son opinion, et par écrit[98]. Le jésuite Gretserus le reprend d’avoir été trop hardi, mais néanmoins il avoue qu’il incline en faveur d’Aristote, aussi‑bien que Sépulvéda, dont il n’improuve en cela que la façon de parler affirmative[99]. Joignez à ceci ce que j’ai cité de Cœlius Rhodiginus[100], et ce que des gens de poids ont remarqué touchant la raison qui obligea Aristote à sortir d’Athènes. Albert-le-Grand a soutenu qu’on le chassa, à cause de ses bonnes mœurs : propter morum rectitudinem pulsus Athenis[101]. Gretserus, dans sa dispute contre Sépulvéda, touchant le salut d’Aristote, ne doute point qu’il n’ait voulu éviter par ce bannissement volontaire la nécessité où on voulait le réduire, de rendre à des idoles un culte qu’il croyait n’être dû qu’à Dieu seul[102]. Nous avons donc en sa personne un illustre réfugié pour la vraie religion. Origène a favorablement interprété cette fuite d’Aristote[103] ; car, lorsqu’il explique le précepte, que Notre-Seigneur donne à ses apôtres de fuir d’une ville où ils seraient persécutés dans une autre[104] ; il dit à Celsus, qui se moquait de cela avec ses profanations ordinaires, que l’éloignement d’Aristote dont nous parlons a été conforme à la morale de l’Évangile, et qu’il fit la même chose, étant poursuivi calomnieusement, que Jésus-Christ conseille à ses disciples[105].

J’ai cité[106] un passage d’Agrippa, où il est parlé d’un livre de Salute Aristotelis. M. Voet, qui avait une si ample connaissance des livres n’avait point vu celui-là ; mais il en savait à peu près l’année de l’impression. Il dit dans une thèse soutenue le 15 de décembre 1638, qu’il y avait 140 ans qu’on l’avait fait imprimer à Oppenheim, et que François Junius en avait vu un exemplaire[107]. Il ajoute qu’un certain Lambertus de Monte, auteur d’un commentaire sur la Physique d’Aristote où, l’an 1486, on le qualifie docteur en théologie, avait écrit du salut de ce philosophe ; Quæstionem magistralem satis acutam scripsisse, ostendentem per autoritates Scripturæ divinæ, quid juxta saniorem doctorum sententiam probabilius dici possit de salvatione Aristotelis stagiritæ[108]. Vous trouverez dans un ouvrage de Pietate Aristotelis erga Deum et hominem, que Fortunius Licetus dédia à Innocent X, et qui fut approuvé par deux inquisiteurs généraux, plusieurs raisons par lesquelles il s’efforce de persuader qu’Aristote n’est point damné.

(S) Il fut extrêmement honoré dans sa patrie. ] Elle avait été ruinée par le roi Philippe ; mais Alexandre la fit rebâtir à la prière d’Aristote. Les habitans, pour reconnaître ce bienfait, consacrèrent un jour de fête à ce philosophe, et, lorsqu’il mourut à Chalcis, dans l’île d’Eubœe, ils transportèrent ses os chez eux ; ils dressèrent un autel sur son monument ; ils donnèrent à ce lieu le nom d’Aristote, et y tinrent dans la suite leurs assemblées[109]. Mandeville dans la fabuleuse relation de ses voyages, dit que tout cela subsistait encore de son temps[110], c’est-à-dire, dans le XIVe. siècle.

(T) Il y a eu des hérétiques qui vénéraient son image avec celle de Jésus-Christ. Je n’ai point trouvé que les antinomiens lui apportassent plus de respect qu’à la sagesse incréée. ] Voici un passage du père Rapin[111] « Les carpocratiens furent condamnés pour avoir mis l’image de ce philosophe avec celle de Jésus-Christ, et pour l’avoir adorée avec une extravagance de zèle pour sa doctrine[* 6]. Les aétiens furent excommuniés par l’Église, et par les ariens mêmes, dont ils étaient sortis, parce qu’ils donnaient à leurs disciples les Catégories d’Aristote pour catéchismes [* 7]. Les antinomiens allèrent jusques à cet excès d’impiété, que de porter plus de respect à ce sage païen, qu’à la sagesse incréée[* 8]. » Je n’avais jamais si bien connu qu’en cet endroit-ci, que cet agréable écrivain ne se donnait pas la peine de consulter les originaux. J’avoue que Baronius, sous l’année que le père Rapin cite, dit que les carpocratiens avaient des images, et entre autres celles de Jésus-Christ, (qu’ils disaient avoir été faite par Pilate,) celle de Pythagoras, celle de Platon, celle d’Aristote, et qu’ils leur rendaient la vénération que les païens rendaient aux idoles ; mais cela ne méritait pas d’être allégué, car, outre que Baronius ne dit point que ç’ait été la raison pour quoi on condamna ces hérétiques, il ne paraît pas qu’ils aient eu plus de zèle pour la doctrine d’Aristote que pour celle des autres philosophes dont ils vénéraient les images. Mon édition de Baronius[112] ne contient pas un seul mot, sous l’année 208, de ce que le père Rapin raconte. Aussi n’est-il pas possible que des gens qui sont sortis des ariens soient chassés de la communion de l’Église au commencement du IIIe. siècle. C’est sous l’an 356 que Baronius a parlé d’Aëtius : il rapporte un long passage de Suidas, où on trouve, non pas que cet hérétique donnait à ses sectateurs les Catégories d’Aristote pour Catéchisme, mais qu’il leur expliquait les choses selon la méthode des Catégories d’Aristote. C’est qu’il était fort versé dans les subtilités et dans les disputes de la dialectique. C’est ainsi que présentement un scolastique espagnol qui entreprendrait d’expliquer un point de foi, le bâtirait selon le plan de l’école. Pourrait-on dire qu’il substituerait les ouvrages d’Aristote à nos livres de religion ? Citer Eusèbe au chap. 27 de son histoire, est une manière de citer insoutenable. Je ne pense pas que cet auteur ait rien dit sur les antinomiens.

(V) En quelques églises d’Allemagne,..... on lisait la morale d’Aristote, au lieu de l’Évangile. ] Je m’en vais citer mon auteur : c’est M. Spanheim le père, dans la harangue séculaire qu’il prononça à Genève, l’an 1635[113]. Quin et Philippus Melanchton, dit-il[114], vir candidissimus, testatur diebus dominicis variis in locis pro thematibus dominicalibus, indè à Karoli M. ætate opera P. Guarenfridt seculo octavo in cathedras ecclesiasticas introductis, Éthica Aristotelis publicè populo prælecta, et à se Tubingæ in agro wirtenburgico audita[* 9]. Si on me demande un autre témoin, et qu’on veuille se contenter de Magirus, je le produirai. Tubingæ quondàm monachus, dit-il[115], pro concione Aristotelis librum Ethicorum explicavit ; ita vulgò dicebat : Quemadmodùm Johannes Baptista Christi præcursor fuit in theologicalibus, ità Aristoteles fuit præcursor Christi in physicalibus[116].

(X) Il n’est pas étonnant que le péripatétisme..... trouve tant de protecteurs. ] Si tous ceux qui ont embrassé la philosophie de M. Descartes avaient eu cette sage retenue qui fait qu’on s’arrête quand on est parvenu jusques à un certain point ; s’ils avaient su discerner ce qu’il faut dire et ce qu’il faut taire[117], ils n’auraient pas tant fait crier contre la secte en général. La méthode des anciens maîtres était fondée sur de bonnes raisons. Ils avaient des dogmes pour tout le monde, et des dogmes pour les disciples initiés aux mystères. Quoi qu’il en soit, l’application qu’on a voulu faire des principes de M. Descartes aux dogmes de la religion a fait un grand préjudice à sa secte, et en arrête les progrès. C’est un cas presque inévitable. Les anciens pères se plaignirent extrêmement de la secte d’Aristote[118], et c’est une plainte presque générale, que la philosophie fait tort à la théologie ; mais, d’un autre côté il est certain que la théologie nuit à la philosophie. Ce sont deux facultés qui ne s’accorderaient guère sur le règlement des limites, si la voie de l’autorité, toujours dans les intérêts de la première, n’y donnait bon ordre.

(Y) Les premiers réformateurs ont beaucoup crié contre le péripatétisme. ] Voici encore un passage du père Rapin[119]. « Rien ne fit plus d’honneur à la doctrine de ce grand homme[120] dans le siècle passé, que les invectives atroces de Luther, de Melanchthon, de Bucer, de Calvin, de Postel, de Paul Sarpi[121], et de tous ceux qui écrivirent alors contre l’église romaine ; car ils ne se plaignent tous d’Aristote que parce que la solidité de sa méthode donne un grand avantage aux catholiques pour découvrir les ruses et les artifices des faux raisonnemens dont se sert l’hérésie pour déguiser le mensonge, et détruire la vérité. Dans un autre ouvrage, cet auteur ne parle pas si en l’air ni avec si peu de preuves. « Saint Thomas, dit-il[122], s’est servi de la méthode d’Aristote avec tant de succès pour expliquer la doctrine de l’église romaine, que Bucer, un des plus grands ennemis qu’ait eus notre religion, avait coutume de dire Qu’on supprime les ouvrages de saint Thomas, et je détruirai l’église romaine[* 10]. Ce fut cette méthode prise à Aristote, qui rendit la doctrine de notre religion si redoutable à tous les novateurs des derniers siècles, que, ne pouvant y résister ils entreprirent de la décrier, en déclamant contre les scolastiques, et principalement contre Aristote duquel ils avaient auparavant emprunté la méthode, qui s’est établie dans l’école depuis saint Thomas. Les anabaptistes commencèrent les premiers à rendre l’usage universel de la philosophie suspect à ceux de leur secte, dans tout le septentrion où ils eurent de l’autorité et ils se servirent des paroles de saint Paul aux Colossiens, pour l’interdire dans leurs écoles[* 11] Luther se déclara avec tant de chaleur contre la philosophie d’Aristote, qu’il avança dans des thèses soutenues à Heidelberg l’année 1518 qu’on ne pouvait raisonner selon les principes de ce païen, sans abandonner les maximes de la sagesse de Jésus-Christ[* 12] et il ne laisse passer aucune occasion dans ses ouvrages de s’emporter contre ce philosophe : en quoi il a été suivi de Zuingle, de Pierre Martyr, de Zanchius, de Mélanchthon[123], et de tous ceux ont combattu la doctrine de l’église romaine. Ce qui a fait dire à Melchior Cano, évêque des Canaries le plus disert de tous les scolastiques que les luthériens avaient un grand mépris pour la philosophie qui s’enseignait alors en l’école[* 13]. Calvin ne parle jamais d’Aristote qu’avec toute l’aigreur et toute l’amertume de style que lui inspirait son génie naturellement chagrin et médisant. Et ce fut ainsi qu’en usèrent tous ceux qui écrivirent dans les derniers siècles contre l’église romaine. »

(Z) Le genre de mort le plus honorable pour Aristote serait de dire que le chagrin de n’avoir pu découvrir la cause du flux et reflux de l’Euripe lui causa la maladie dont il mourut. ] Ce genre de mort serait une preuve de l’ardeur immense avec laquelle Aristote aurait fouillé dans les secrets de la nature. Il marquerait une extrême sensibilité pour la gloire d’avoir appris au genre humain les mystères les plus cachés. Ne serait-ce pas mourir au lit d’honneur ? ne serait-ce pas s’être appliqué à sa charge, avec la ferme résolution de venir à bout de son entreprise, ou de mourir à la peine ? Je trouve que ceux qui ont dit que le génie d’Aristote n’avait point d’autres bornes que celles de la nature, ou qu’il avait été admis à la plus intime confidence et au secrétariat de la nature[124], ne devraient point admettre d’autre tradition, touchant sa mort, que celle dont je parle ici. Un confident qui se voit disgracié, et qui éprouve sur ses vieux jours qu’on lui fait mystère d’une chose, ne doit point survivre à cette chute. Sérieusement parlant, je ne pense pas qu’Aristote ait été assez mal habile homme pour mourir d’un tel chagrin. Quelle apparence qu’un homme aussi avisé que lui eût pu se résoudre..., à s’abandonner au chagrin et au désespoir de ne pouvoir comprendre le flux et le reflux, lui qui sentait son esprit borné sur tant d’autres choses, qu’il ignorait sans en avoir d’inquiétude[125] ?

Au reste, on attribue souvent à Justin Martyr et à Grégoire de Nazianze ce qu’ils n’ont point dit touchant la mort d’Aristote ; ils n’ont point dit qu’il se précipita dans l’Euripe. Justin dit seulement que la honte de n’avoir pu découvrir la cause du phénomène qu’on y voyait le fit mourir de chagrin. Οὐδὲ τὴν τοῦ Εὐρίπου ϕύσιν τοῦ ὄντος ἐν Χαλκίδι γνῶναι δυνηθεὶς, διὰ πολλὴν ἀδοξίαν καὶ αἰσχύνην λυπηθεὶς μετέςη τοῦ βίου[126]. Cùm neque Euripi Chalcidici naturam cognoscere posset, undè propter ingens probrum et pudorem in mœrorem conjectus, morte vitam commutavit. Saint Grégoire de Nazianze, à proprement parler, n’en dit pas autant : il se contente de ne point contredire Julien, qui avait allégué Aristote comme un exemple d’une si grande passion pour l’étude, qu’elle lui avait donné la mort. Ἢ καὶ τὴν Ὡμήρου ϕιλομάθειαν περὶ τὸ Ἀρκαδικὸν ζήτημα· καὶ τὴν Ἀριςοτέλους ϕιλοσοϕίαν καὶ προσεδρίαν ἐπὶ ταῖς τοῦ Εὐρίπου μεταϐολαῖς ὑϕ᾽ ὧν τεθνήκασι[127]. Laudas insuper in Homero discendi amorem circa Arcadicam quæstionem, et in Aristotele philosophiam et diutinam moram ad reciprocos Euripi æstus, quibus uterque occubuit. Ceci est fort remarquable, et je ne sais si quelqu’un s’en est encore aperçu. Plusieurs personnes, n’ayant pas pour les pères de l’église tout le respect qu’il faudrait, se plaisent à les taxer d’une aveugle crédulité : ils les accusent nommément d’avoir diffamé Aristote au sujet de l’Euripe ; mais il y a quelque apparence que Julien apostat avouait le fait dont Justin Martyr a parlé ; car il paraît, par la réponse de saint Grégoire de Nazianze, que cet empereur avait joint Homère avec Aristote pour produire deux exemples d’une avidité de savoir qui avait causé la mort. Or, selon la tradition qui concerne Homère, il mourut de déplaisir de n’avoir pas pu entendre la réponse que lui firent certains pêcheurs. On peut donc croire que Julien avait adopté une tradition semblable touchant Aristote et l’Euripe. Je conviens néanmoins qu’il se pourrait faire qu’il n’eût voulu dire, sinon qu’Aristote observa avec tant d’assiduité les mouvements de l’Euripe, et médita si profondément sur ce sujet, que cette forte application de corps et d’esprit ruina sa santé, et lui attira la maladie qui le fit mourir. Je croirais cela plutôt que toute autre chose. Il ne semble pas qu’Eustathius en veuille dire davantage, lorsqu’il parle de l’Euripe en cette manière : Ἑπτάκις τὸ ὅλον νυχθήμερον μεταϐάλλει ὁ περὶ Εὔϐοιαν Εὺρίπος περὶ ὅν ϕασι διατρίψαντα τὸν Ἀριςοτέλην καταλύσαι τὸν βίον. Septies intra diem naturalem reciproco æstu agitatus Euboïcus Euripus, circa quemdicunt Aristotelem occupatum interiisse. Voyez un long passage de M. le Fèvre, où, après avoir donné un coup de dent en passant aux prédicateurs, il impute à Justin Martyr, et encore plus à Grégoire de Nazianze, ce qu’ils n’ont point dit. Videlicet in Græciâ, quemadmodùm hodièque fit, oratores sacri, si tamen tanto nomine illa pulpitorum crepitacula, et plebeculæ cymbala, cohonestari oporteat vulgò dictitabant Aristotelem, cùm illius septenæ in dies singulos reciprocationis causam non potuisset cognoscere, ibi tum misellum sese in Euripum dedisse præcipitem, et in maximam malam crucem abiisse. Justinus cognomento Martyr, et Gregorius Nazianzenus, qui primi, aut inter primos, hanc fabulam olim in scripta sua retulerunt, id vel studio philosophiæ christianæ (ità enim isti Græculi christianismum vocare solent) fecêre ; dum videlicet insanientem veterum Græcorum sapientiam, obscurandam et premendam existimârunt ; vel fortassè etiam (quidni enim veris locus sit ?), priscæ historiæ ignoratione. Nam ex Eumolpi, Apollodori, Favorinique scriptis, quæ illâ etiam tempestate superfuisse scimus, facilè didicisse boni viri poterant, rem longè se secùs habuisse, quàm prodiderunt[128].

Le Gyraldi avait déjà imputé la même chose à ces pères, et avait conclu de tous ces faits une réflexion pieuse. Il dit, 1°. Que Justin Martyr assure qu’Aristote mourut pour n’avoir pu découvrir la cause du flux et du reflux de l’Euripe ; 2°. que Procope, au IVe. livre de son histoire, l’a dit aussi ; 3°. que Grégoire de Nazianze, ayant observé qu’il en prit très-mal à Homère de n’avoir pu résoudre une question, méprise tout aussitôt la philosophie d’Aristote à l’égard des variétés de l’Euripe, qui le firent mourir ; 4°. que le commentateur grec de ce père rapporte que ce philosophe se précipita dans ce bras de mer, en disant : Que l’Euripe me tienne, puisque je n’ai pu le tenir : Ἐπειδὴ Ἀριςτοτέλης οὐχ εἷλε τὸν Εὔριπον, Εὔριπος ἐχέτω τὸν Ἀριςοτέλην. Postquàm Aristoteles non prehendit Euripum, Euripus habeat Aristotelem[129] ; 5°. qu’il faut recueillir de là que la fortune a été contraire aux impies, non-seulement dans la vraie religion, mais aussi dans la fausse.

  1. (*) Praxi XLII in Gergiam Platoni.
  2. (*) Liv. I, advers. Calumniator. Platonis.
  3. * Cet aveu de Bayle fait tomber la remarque de Joly qui reproche à Bayle de faire dire à Pallavicin ce qu’il n’a pas dit.
  4. (*) Lib. III, cap. XIV.
  5. (*) Aristoteles utriusque partis dialecticæ princeps. Ciceron, Topic. cap. II.
  6. (*) Baronius, Ann. Eccles., ad ann. 120.
  7. (*) Baronius, Ann. Eccles., ad ann. 208.
  8. (*) Euseb. Hist., cap. XXVII.
  9. * Leclerc, dans sa Lettre critique, dit que probablement, d’un fait singulier dont Mélanchthon pouvait avoir été témoin, quelqu’un aura fait une coutume. Joly, après avoir copié Leclerc, sans rien dire, suivant son usage, ajoute du moins dans ses Additions, un passage de J. Hermann de Elswich, auteur d’un traité intitulé, De variâ Aristotelis in scholis protestantium fortunâ Schediasma, 1720, in-8o., qui appuie la conjecture de Leclerc.
  10. (*) Tolle Thomam, et Ecclesiam romanam subvertam. Bucer. Le père Rapin eût bien fait de citer le livre et la page de Bucer.
  11. (*) Ex Nicolao Blesdikio, in Historiâ Davidis Georgii ; ex Hornii Hist. Philosophicâ.
  12. (*) Qui in Aristotele vult philosophari, priùs oportet in Christo stultificari.
  13. (*) Nullo apud lutheranos philosophiam esse in pretio. Loc theol., lib. IX, cap. III.
  1. Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 303.
  2. Le père Rapin ne dit point qu’ils fassent cette remarque.
  3. Là même.
  4. Athen., lib. VIII, pag. 354.
  5. Ælian., Var. Hist., lib. V, cap. IX.
  6. Apud Eusebium Præp., lib. XV, cap. II, pag. 791.
  7. Aristocles Messen. ex Epistolâ Epicurii ; Ælian., lib. V, cap. IX ; Athenæus, lib. VIII.
  8. Fr. Patricius, Discus. Peripat., tom. I, pag. 3.
  9. Plutarch., in Alexandro.
  10. Timæus, apud Suidam, in Ἀριςοτέλης.
  11. Aristocles, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. XV, cap. II, pag. 791.
  12. Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 304.
  13. Clem. Alexandr. Stromat., lib. I, pag. 304.
  14. Τότε διατριϐόντων ἡμῶν περὶ τὴν Ἀσίαν. Nobis tum in Asiâ fortè degentibus. C’est Aristote qui parle dans ce livre de Cléarque de Somno, apud Joseph., lib. I, contra Apion. et apud Euseb. Præparat. Evangel., lib IX, cap. V, pag. 410.
  15. Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 306.
  16. Jonsius, de Scriptoribus. Hist. Philos., pag. 99.
  17. Solinus, cap. XIV, apud Jonsium de Script. Hist. Philosoph., pag. 100.
  18. Ammonius, selon quelques-uns ; Philoponus, selon quelques autres. Voyez les Notes de Nunnesius sur cette Vie, num. 44.
  19. Diog. Laert., in Prooemio, num. 9.
  20. C’est-à-dire de celui qui a été disciple d’Aristote.
  21. Notez que Schoockius, Fabulæ Hamelensis part. II, cap. XII, allègue presque mot à mot les plus belles observations de Jonsius sans le citer.
  22. Jonsius, de Scriptorib. Hist. Philos., pag. 98.
  23. De Præparat., lib. XV, pag. 410.
  24. Bien entendu qu’on suppose que le témoin est sincère.
  25. Apud Buxtorfium, citante Konigio Biblioth. pag. 61.
  26. Ce livre fut imprimé à Herborn l’an 1694.
  27. Journal des Savans, du 14 juillet 1692, pag. 463, édition de Hollande.
  28. Voyez Seldenus, de Jura Natur. et Gentium, lib. I, cap. I, pag. 14 et 15, édit. Lips, an. 1695.
  29. Marsil. Ficin. de Christ. Religione, cap. XXVI.
  30. Genebrardi Chronologia, ad ann. 2670.
  31. Jonsius, de Scriptorib. Hist. philos., pag. 100.
  32. Schoockii Fabula Hamelensis : Voyez ci-dessus la citation (21).
  33. Diog. Laërtius, lib. V, num. 2, in Vitâ Aristotelis.
  34. Ælian. Var. Hist., lib. IV, cap. IX.
  35. Helladius, apud Photium, Biblioth., pag. 1589.
  36. Ælian. Var. Histor., lib. III, cap. XIX.
  37. Eusebii Præparat. Evangel., lib. XV, cap. II.
  38. Rapin, dans sa Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 305.
  39. Ce ne serait pas Eusèbe qui le justifierait ; ce serait Aristoclès. Mais ni l’un ni l’autre ne le justifient.
  40. Diog. Laërtius, in Vitâ Aristot., lib. V, num. 3.
  41. Aristippus, in primo de Antiquis Deliciis libro, apud Laërtium in Vitâ Aristot., lib. V, num. 3.
  42. Aristocles, apud Eusebium, Præparat., lib. XV, cap. II.
  43. Aristocles, ibid., p. 792.
  44. Idem, ibid., p. 792.
  45. In Vitâ Aristotelis, lib. V, num. 5.
  46. Phavorin., in omnimodâ Historiâ, apud Laërtium, in Vitâ Aristotelis, num. 5.
  47. Athen., lib. XV, cap. XVI, pag. 696.
  48. Voyez les Notes de Casaubon sur Athénée, pag. 984.
  49. Athen., pag. 696, B.
  50. Idem, pag. 697, A.
  51. Diog. Laërtius, in Vitâ Aristot., num. 9.
  52. Nunnesii Notæ in Vitam Aristotelis, pag. 147.
  53. Orig. contra Celsum, lib. I.
  54. Idem, ibid., lib. II.
  55. Ælian., lib. III, capite XXXVI. Vide etiam Ammonium, in Vitâ Aristot. Origenes contra Celsum, lib. I, Diogenes Laërtius, in Arist., num. 9.
  56. Diog. Laërtius, in Vitâ Aristot., num. 8.
  57. Ammon., in ejus Vitâ.
  58. Macrobius, Saturn., lib. VIII, cap. VI.
  59. Medina, in Thom. Aquin. I. Secundæ Quæst. CIX, art. I, cité par Naudé, Apolog. des grands Hommes, pag. 327.
  60. De Universo Spiritu, part. I, cap. XCII, CLIII, et II part., cap. VI, cité par Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 328.
  61. Apud Sibillam I, Decade peregrin., Quæst. cap. VIII, Qu. I, Quæstiunculâ IV, cité par Naudé, apologie des Grands Hommes, pag. 319.
  62. Voyez ci-dessus la citation (11) de l’article d’Adam.
  63. Alexander Neccam., lib. de Nat. Rerum, cité par la Mothe-le-Vayer, de la Vertu des Païens, tom. V, pag. 102 de ses Œuvres, édit. in-12.
  64. Voyez la remarque (R).
  65. Agrippa, de Vanit. Scientiar., cap. LIV, pag. 95. Balée a copié ceci, Cent. XIV, pag. 220. Voyez ci-dessous la remarque (V).
  66. Tacit., in Vitâ Agricolæ, cap. XLI.
  67. Vous en trouverez plusieurs de telles dans les Harangues de Conringius, intitulées Aristotelis Laudatio.
  68. Voyez les paroles de Suidas, ci-dessous, remarque (Z) au commencement.
  69. Plotarch., in Vitâ Phocionis, pag. 743, E.
  70. De Comparat. Platonis et Aristotelis.
  71. Chap. VI, art. VI, pag. 253.
  72. Nic. Erythræi Pinacoth. I, pag. 204.
  73. Ma quale stoltizia è quello scherno, che di ciò si doveva in gran parte l’obligazione ad Aristotele, etc. Voyez le père Rapin, Réflex. sur la Philosoph. pag. 449.
  74. Fra Paolo, Hist. del Concil. Tridentino. lib. II, all’ ann. 1547, pag. 234, edit. dell’ ann. 1629. On trouve cela dans la page 211 de la version d’Amelot, édit. de 1686.
  75. Rapin, Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 413,
  76. Mercure français, tom. X, pag. 504.
  77. Il fallait dire Albumassar ou Albumasar.
  78. La Mothe-le-Vayer, de la Vertu des Païens. tom. V, pag. 101.
  79. Le XIIe., pag. 245.
  80. Elles sont dans le IIIe. volume de ses Œuvres.
  81. Casaubon., in Persium, Sat. V, vs. 86, pag. 415.
  82. Rapin, Reflex. sur la Logique, num. 4, pag. 374, 375.
  83. Voyez le Ier. livre d’Aristote, de Generatione et Corruptione.
  84. Apud Sleidanum. de Statu Relig. et Reipubl. lib. II, fol. 33.
  85. Il est au IVe. tome de l’édition de ses Œuvres, in-12.
  86. Il cite Philoponus, en la Vie d’Aristote.
  87. Il cite Plutarque et Diogène.
  88. Sect. II, cap. II, num. 10, cité par Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 328.
  89. Emman. de Moura, lib. de Ensal., sect. II, cap. III, num. 19, cité par Naudé, même.
  90. Tomo II, tract. XXIII, cité par Naudé, là-même, pag. 329.
  91. Lib. II, de Compar. Aristot. et Plat. cité par Naudé, là même.
  92. La circonstance de l’âge énerverait toute la preuve de Moura : car ceux qui prétendraient qu’Aristote aurait nié l’existence des esprits ne le prendraient pas à l’âge de dix-sept ans.
  93. Cap. XV, lib. III, adversùs Calumniat. Platonis.
  94. Antiq. Lection., lib. XVII, capite XXXIV.
  95. Le père Rapin, Compar. d’Aristote et de Platon, pag. 310, qui cite Justin., in Adm. ad Gentes. Greg. Naz. contra Jul. Voyez aussi Rhodigin., lib. XXIX, cap. VIII. Quant aux citations du père Rapin, voyez la remarque (Z).
  96. Diog. Laërte, in Aristot., num. 6.
  97. Apollod. apud Diogenem Laërt., in Aristot., num. 10.
  98. Sepulveda, lib. de Anim. cité par la Mothe-le-Vayer, tom. V, pag. 114.
  99. Gretserus, cité par la Mothe-le-Vayer, là même.
  100. Ci-dessus, citation (94).
  101. Albertus Magnus, Ethic., lib. V, cap. I, cité par Rapin, pag. 310.
  102. Gretserus, de Variis cœl. Luth., cap. XIII, cité par la Mothe-le-Vayer, tom. V, pag. 109.
  103. Orig. contra Celsum, liv. II, cité par le même.
  104. Matth., chap. X, vs. 23.
  105. La Mothe-le-Vayer, tom. V, pag. 109.
  106. Dans la remarque (H), citation (65).
  107. Gisb. Voetius, Disputat. Theol., tom. II, pag. 602.
  108. Gisb. Voetii Disput. Theolog., tom. II, pag. 602, ex Append. II ad Trithem. De Scriptor. Eccles., edit. Colon. anni 1546.
  109. Ammonius, in Vitâ Aristotelis.
  110. Mandevil., Itinerar., cap. II. apud Hornium, Hist. Phil., lib. III, cap. XV, pag. 197.
  111. Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 392.
  112. C’est celle d’Anvers, en 1597.
  113. Elle a pour titre, Geneva restituta.
  114. Pag. 17, 18.
  115. Magirus, in Eponymologio critico, pag. 81, 82.
  116. Il cite Greg. Michaël, in Not. ad Jac. Gaffarelli Curiositat. inauditas, pag. 109.
  117. Finita potestas denique cuique
    Quânam sit ratione atque alte terminus hærens.
    Lucretius, lib. I, vs. 77.

  118. Voyez dans M. de Launoi, de Variâ Aristotelis fortunâ, cap. I, une longue liste de leurs passages.
  119. Compar. de Plat. et d’Aristote, pag. 412.
  120. Il parle d’Aristote.
  121. Comment peut-on dire qu’il ait écrit contre l’église romaine dans le XVIe. siècle ?
  122. Réflexions sur la Philos., pag. 450.
  123. Nous ferons voir en son lieu que Mélanchthon était fauteur d’Aristote.
  124. Ἀριςοτέλης τῆς ϕὐσεως γραμματεὺς ἦν. Τὸν κάλαμον ἀποϐρέχων εἰς νοῦν. Aristoteles fuit naturæ scriba calamum imbuens mente. Suidas. Voyez ci-dessus la remarque (H), à la fin.
  125. Rapin, Comp. de Platon et d’Aristote, pag. 310.
  126. Justini Cohort. ad Græcos, pag. 34.
  127. Greg. Nazianzen., Orat. III, pag. 79.
  128. Tanaq. Fabri Epistolar. part. I, pag. 49, 50.
  129. Lilius Gregor. Gyraldus, Dialogismo, XXX, pag. 912, tom. II, Oper. Edit. ann. 1696.

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