Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arcésilas

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ARCÉSILAS, l’un des plus célèbres philosophes de l’antiquité, naquit à Pitane, dans l’Éolide (A). Il fut disciple du mathématicien Autolycus son compatriote, et il le suivit à Sardes. Après cela il vint à Athènes, et y fut disciple de Xanthus, et puis de Théophraste, et enfin de Crantor (B). Il apprit aussi la géométrie sous Hipponicus [a]. Il eut quelque attachement à la poésie, et il se plut extrêmement à la lecture d’Homère (C) ; mais la passion d’être philosophe fut supérieure à toutes les autres. Il succéda à Cratès dans la régence de l’école platonique (D), et il s’y rendit innovateur ; car il fonda une secte, qu’on nomma la seconde académie, pour la distinguer de celle de Platon. Il était fort opposé aux dogmatiques, il n’affirmait rien, il doutait de tout, il discourait du pour et du contre, et suspendait son jugement. C’est parce, disait-il, qu’il n’y a rien de certain. Il attaquait d’une grande force tout ce que les autres sectes affirmaient (L) ; et c’est pourquoi on le regarda, en matières de philosophie, comme un perturbateur du repos public [b]. Quelques-uns soutiennent que, ne trouvant point d’évidence qui l’empêchât de flotter également entre l’affirmation et la négation, il ne voulut point écrire de livres [c] : mais d’autres assurent qu’il en écrivit, et puis ils contestent sur la question s’il en publia ; car les uns l’affirment, et les autres disent qu’il jeta au feu ce qu’il avait composé [d]. On remarque néanmoins qu’il dédia quelques livres à Eumènes, prince de Pergame, et qu’il n’en dédia qu’à ce prince [e]. Nous verrons comment il a été combattu par un père de l’Église (F). Comme il avait une éloquence très-persuasive et qui retournait toujours à son sujet principal, et que d’ailleurs il répondait subtilement et heureusement aux objections, il attira à son auditoire un grand nombre de disciples (G), quoiqu’il fût piquant dans ses censures. Au fond, l’on était persuadé de sa bonté, et il remplissait d’espérances ses écoliers : c’est ce qui les empêchait de se fâcher de ses réprimandes un peu trop fortes [f]. Il y a des gens qui assurent qu’il ne faisait le sceptique que pour éprouver ses écoliers, et qu’après l’épreuve il enseignait d’une autre manière (H). Il était l’homme du monde le plus communicatif de son argent, et l’on raconte des choses bien singulières de sa libéralité (I). On l’accusa d’être vain, et de travailler avec trop d’empressement à plaire au peuple [g]. Les autres philosophes le mordaient avec plaisir [h] ; mais l’égalaient-ils en modestie, et en exemption de jalousie ? Exhortaient-ils leurs disciples à ouïr les autres professeurs ? C’est ce qu’il faisait [i]. Il mena même l’un de ses élèves, qui témoignait que l’école d’un péripatéticien lui serait plus agréable ; il le mena, dis-je, à ce professeur, et le lui recommanda [j]. Une autre fois, il bannit de son école l’un de ses disciples, qui avait choqué Cléanthe dans un vers de comédie, et ne le reçut en grâce qu’après que la personne offensée eut reçu satisfaction [k]. On connaîtra mieux le mérite de ce procédé, quand on saura que Cléanthe fut le successeur de Zénon, qui avait été le grand adversaire d’Arcésilas. Celui-ci n’eut pas le défaut des plagiaires : il déclara qu’il n’enseignait rien qu’il n’eût trouvé dans les livres [l]. Il en usa apparemment de la sorte, afin de donner plus d’autorité à ses sentimens, et pour apaiser la haine que le nom d’innovateur lui attirait. Il n’aimait point à se mêler des affaires politiques [m] : néanmoins lorsqu’on le choisit pour aller négocier quelque chose à Démétriade, en faveur de sa patrie, auprès du roi Antigonus, il accepta la députation. Il en revint sans succès ; et ce fut peut-être, parce qu’il n’avait jamais voulu faire sa cour à ce prince, ni entrer même chez lui, ni lui écrire des lettres de consolation après la perte d’une bataille navale [n], comme faisaient plusieurs autres [o]. Il eut beaucoup de part à l’amitié du gouverneur du Pirée [p], et il reçut plusieurs beaux présens d’Eumènes, prince de Pergame [q]. Il eut une fort bonne pensée touchant la mort ; car il disait que de tous les maux c’est le seul dont la présence n’ait jamais incommodé personne, et qui ne chagrine qu’en son absence [r]. Ses dogmes tendaient au renversement de tous les préceptes de la morale ; et néanmoins on remarque qu’il la pratiquait. Le témoignage qui lui fut rendu là-dessus par le stoïcien Cléanthe, ce qu’il répondit, et ce qu’on lui répliqua, sont des choses très-curieuses (K). Il ne se maria jamais [s], quoiqu’il fût d’un tempérament à aimer les femmes, et qu’il ne suivit que trop le penchant de la nature ; et cela, jusqu’à des excès honteux (L). Il florissait vers la 120e. olympiade [t], et il mourut d’avoir trop bu, et en délire, à l’âge de soixante-quinze ans [u], la quatrième année de l’olympiade 134 [v]. Il s’était vanté d’une grande force de courage pendant les douleurs de la goutte (M). Diogène Laërce ne lui a point donné Bion pour successeur : le père Rapin s’est imaginé cela sans nul fondement (N). Je n’ai qu’une faute à reprocher à M. Moréri : c’est d’avoir dit qu’Arcésilas étudia sous Xanthus et sous Théophraste, avant que de venir à Athènes. J’en ai remarqué une très-grossière dans Sidonius Apollinaris (O).

  1. Diogen. Laërtius, lib. IV, num. 32.
  2. Voyez la remarque (E), citation (49).
  3. Diogen. Laërtius, lib. IV, num. 32.
  4. Diogen. Laërtius, lib. IV, num. 32.
  5. Idem, ibid., num. 38.
  6. Idem, ibid., num. 37.
  7. Idem, ibid., num. 4.
  8. Idem, ibid.
  9. Idem, ibid., num. 42.
  10. Idem, ibid.
  11. Plut. de Discrim. adulat. et amici, pag. 55, C
  12. Voyez le passage de Plutarque, ci-dessous, citation (47).
  13. Diogen. Laërtius, lib. IV, num. 40.
  14. Id., ibid., num. 39.
  15. Id., ibid.
  16. Id., ibid.
  17. Diogen. Laërtius, lib. IV, num. 38.
  18. Plutarch. de Consolat. ad Apollonium, pag. 110, A.
  19. Diogen. Laërtius, lib. IV, num. 43.
  20. Apollodorus, apud Diog. Laërtium, lib. IV, num. 45.
  21. Id., ibid, num. 44.
  22. Diog. Laërce, num. 61, met en cette année le commencement de la régence de Lacydès, successeur d’Arcésilas.

(A) Il naquit à Pitane, dans l’Éolide. ] Diogène Laërce n’est pas le seul qui l’assure [1] : lisez ces paroles de Pomponius Méla, dans le chapitre où il décrit le pays des Æoliens : Caicus inter Eleam decurrit, et Pitanen illam quæ Arcesilam tulit, nihil affirmantis academiæ clarissimum antistitem [2]. Voyez aussi Strabon : Πιτάνη πόλις᾽ Αιολικὴ..... ἐκ δὲ τῆς Πιτάνῆς ἐςὶν Ἀρκεσίλαος [3]. Pitane urbs Æolica... Pitane patria fuit Arcesilai. Mais n’écoutez point Solin, qui donne Pitane, ville de Laconie, pour le lieu natal de ce philosophe [4]. M. de Saumaise [5] et M. Ménage [6] le réfutent. Je ne sais si c’est par l’inadvertance de l’auteur, ou par celle du correcteur, que l’on trouve Arcesilas Pritanæus dans M. Gassendi [7] : il fallait mettre Pitanœus.

(B) Il fut disciple de Théophraste, et enfin de Crantor [8]. ] Je m’étonne que Diogène Laërce, après avoir insinué clairement en d’autres endroits, qu’Arcésilas fut disciple de Polémon, ne le dise pas expressément dans la Vie d’Arcésilas. Voici les endroits où il l’insinue. Arcésilas, dit-il, ayant quitté l’école de Théophraste, pour s’attacher à Polémon et à Cratès, déclara qu’ils étaient des dieux, ou des restes du siècle d’or. Ἔνθεν καὶ Ἀρκεσίλαον μετελθόντα παρὰ Θεοϕράςου πρὸς αὐτοὺς λέγειν, ὡς εἶεν Θεοί τινες ἢ λείψανα τοῦ χρυσοῦ γένους [9]. Hinc et Arcesilaum cùm ad eos à Theophrasto diverteret, dixisse ferunt, « Illos deos esse quospiam, aut aurei seculi reliquias. » Un peu plus bas, il observe que Crantor et Arcésilas logeaient ensemble, et que Polémon et Cratès, qui n’avaient qu’un même logis avec un bourgeois nommé Lysiclès, allaient souper fort souvent chez Crantor ; et que Cratès était le mignon de Polémon, comme Arcésilas était le mignon de Crantor. Le traducteur de Diogène Laërce a renversé tout ceci ; car il suppose que Polémon était le mignon de Cratès, et que Crantor était le mignon d’Arcésilas. Voyons le grec : Ἦν δὲ ἐρώμενος, Κράτης μὲν, ὡς προείρηται, Πολέμωνος· Ἀρκεσίλαος δὲ Κράντορος [10]. Cela veut dire : Erat autem amasius, ut quidem prædictum est, Polemonis quidem Crates, Crantoris autem Arcesilas. La version latine, qu’aucun commentateur ne censure, a mis amator où il fallait mettre amasius : on n’a point pris garde à la signification passive d’ἐρώμενος. On n’a point non plus pris garde qu’on s’est contredit un peu après ; car, comme le grec l’ordonne, on a représenté Arcésilas sous le personnage de patient. Ἀρκεσίλαος θέλων ὑπ᾽ αὐτοῦ (Κράντορος) συσταθῆναι Πολέμωνι, καίπερ ἐρῶντος [11]. Arcesilaus volens ab illo (Crantore) se Polemoni commendari quanquam amatore suo. Éloignons d’ici les sales et abominables idées que cet auteur et plusieurs autres en même cas semblent vouloir suggérer. Quand ils parlent d’un grand philosophe, et de ses disciples, ils observent presque toujours qu’il était l’amant d’un tel ou d’un tel. J’avoue qu’en quelques rencontres cela peut s’entendre en un vilain sens ; mais je crois aussi qu’en cent autres occasions il ne faut entendre qu’une tendresse bonne et honnête. Parmi plusieurs disciples, il y en avait un qui était le bien-aimé et le favori de son maître. C’était celui qu’on désignait pour son successeur, celui qui avait le plus de docilité ou de respect, ou de génie, etc. ; fallait-il désigner cela par le terme d’ἐρώμενος ? mais revenons au fait. Le dernier passage que j’ai cité de Diogène Laërce nous apprend qu’Arcésilas demanda à Crantor de le recommander à Polémon. L’historien ajoute que Crantor, qui était malade, ne le trouva point mauvais ; et qu’au contraire, dès qu’il se porta bien, il s’en alla lui aussi aux leçons de Polémon : Ἀλλὰ καὶ αὐτὸν ὑγιάναντα διακούειν Πολέμωνος [12]. Ipse quoque cùm sanus factus esset se ad audiendum Polemonem contulit. C’est une preuve qu’Arcésilas fut des auditeurs ou des disciples de ce philosophe. Il le fut si bien, que Cicéron ne lui donne pas d’autre maître : Arcesilas tuus, etsi fuit in disserendo pertinacior, tamen noster fuit, erat enim Polemonis [13]. Numénius lui en donne plusieurs autres : il le fait successivement disciple de Polémon, de Théophraste, de Diodore, et enfin de Pyrrhon [14]. Il apprit de Crantor, ajoute-t-il, à être persuasif, de Diodore à être sophiste, et de Pyrrhon à tourner de toutes parts en guise de girouette, et à n’être rien : Ὧν ὑπὸ μὲν Κράντορος πιθανουργικός, ὑπὸ Διοδώρου δὲ σοϕιςής, ὑπὸ δὲ Πύῤῥωνος ἐγένετο παντοδαπὸς, καὶ ἴτης καὶ οὐδέν [15]. Et à Crantore quidem ad persuadendum callidus, à Diodoro autem sophista, deniquè à Pyrrhone cum omnem in partem versatilis ac temerarius, tum etiam nullus esse didicit. Il se fixa dans l’inconstance pyrrhonienne, il ne lui manquait que le nom de Pyrrhonien ; il n’avait que le nom d’académicien, et il ne garda ce nom que par respect pour le philosophe Crantor son maître et son amant : Πλὴν τῆς προσρήσεως ἐνέμεινε Πύῤῥωνί ὡς τῇ πάντων ἀναιρέσει.... αἰδοῖ τοῦ ἐραςοῦ ὑπέμεινε λέγεσθαι Ἀκαδημαϊκὸς ἔτι. ἦν μὲν τοίνυν Πυῤῥώνειος, πλὴν τοῦ ὀνόματος. Ἀκαδημαϊκὸς δ᾽ οὐκ ἦν, πλὴν τοῦ λέγεσται. [16]. In Pyrrhone si appellationem excipias, tanquam in omnium eversione acquievit.... is pro suâ in amatorem observantiâ academicum se vocari adhuc passus est. Ità qui Pyrrhonicus excepto nomine tolus erat, idem academicus præter nomen habebat nihil. Numénius venait de dire qu’Arcésilas, beau garçon, et encore jeune, s’étant fait aimer de Crantor, s’était attaché à lui : Διὰ τὸ καλὸς εἶναι
ἔτι ὢν ὡραῖος τυχὼν ἐραςοῦ Κράντορος τοῦ Ἀκαδημαϊκοῦ προσεχώρησε μὲν τούτῳ [17]. Eleganti formâ et commodâ adhuc ætate cùm esset, Crantorem academicum amatorem nactus, ejus consuetudine usus est ille quidem. ajoute que les leçons de Ménedème le rendirent un disputeur plus ardent, et il cite Timon [18]. Voilà bien des omissions dans la liste que Diogène Laërce nous a laissée des maîtres d’Arcésilas. J’y ai suppléé.

(C) Il se plut extrêmement à la lecture d’Homère. ] Il le préférait à tous les autres : il en lisait quelque chose tous les soirs, avant que de s’endormir ; et il disait le matin, en se levant, je m’en vais voir ma maîtresse [19] ; cela signifiait qu’il allait lire ce poëte : Ἀπεδέχετο δὲ πάντων μᾶλλον Ὅμηρον, οὗ καὶ εἰς ὕπνον ἰὼν πάντως τὶ ἀνεγίνωσκεν. ἀλλὰ καὶ ὄρθρου λέγων ἐπὶ τὸν ἐρώμενον ἀπιέναι, ὁπότ᾽ ἂν βούλοιτο ἀναγνῶναι [20]. Amplectebatur Homerum maximè ex omnibus, cujus adeò studiosus erat, ut semper ante somnum ejus aliquid legeret. Manè quoque cùm surgeret, dicens, se ad amasium ire, cùm se velle legere innueret.

(D) Il succéda à Cratès dans la régence de l’école platonique [21]. ] Il y a bien des auteurs qui, sans parler de ce Cratès, mettent notre Arcésilas immédiatement après Polémon. Voyez la note d’Aldobrandin sur un passage de Diogène Laërce [22], vous y lirez que ce savant commentateur n’avait trouvé nulle part que Cratès ait succédé à Polémon. Vous y trouverez aussi ces paroles de saint Augustin : Moritur Polemo, succedit ei Arcesilas, Zenonis quidem condiscipulus, sed sub Polemonis magisterio [23]. On peut joindre à ce passage celui de la lettre LVI : Iidem quippè academici qui Platonici, quod docet auditorum ipsa successio. Arcesilas enim, qui primus occultatâ sententiâ suâ nihil aliud istos quam refellere statuit, quære cui successerit ; Polemonem invenies : quære cui Polemon ; Xenocratem. Xenocrati autem discipulo academiam scholam suam reliquit Plato [24]. Il ne faut pas se fonder ici sur l’autorité de saint Augustin ; car il ne s’est pas attaché rigoureusement à l’exactitude ; et puisqu’il saute un degré entre Platon et Xénocrate [25], il en peut avoir sauté un autre entre Polémon et Arcésilas. Je n’insiste point sur son silence à l’égard de Crantor, académicien célèbre [26], qui paraît avoir été le successeur immédiat de Polémon, et qui mourut avant lui et avant Cratès [27]. Si le mot de successeur vous déplaît ici, dites que Crantor enseigna du vivant de Polémon. On assure la même chose de Cratès ; et de là vient que l’on dit tantôt que Crantor succéda à Polémon, tantôt que Cratès lui succéda, tantôt qu’ils furent tous deux ses successeurs ; mais pour l’ordinaire, on met Cratès après Crantor [28]. Encore un coup, je n’objecte point à saint Augustin l’omission de Crantor ; je m’imagine qu’on a tort de compter ce philosophe pour le successeur de Polémon : il mourut avant son maître ; et je trouve que Lacydès, successeur d’Arcésilas, fut le premier qui résigna pendant sa vie la succession de sa chaire [29]. Disons donc qu’il n’y eut que Cratès qui succéda à Polémon, et rejetons cette période du père Rapin : Cratès et Crantor, qui se suivirent dans l’école de Platon, ne changèrent rien à sa doctrine [30]. Il se serait moins trompé, s’il avait mis Crantor au premier rang ; Crantor, dis-je, mort avant Cratès. Un célèbre critique [31], en corrigeant un passage de Nonius Marcellus [32], a fourni une autorité qui favorise merveilleusement le texte de cette remarque. Suivant cette correction, nous devons croire que Lucilius a dit : Polemon et amavit Cratem, et huic transmisit suam scholam quam dicunt. Le grec de Diogène Laërce est du même sens : Κράτης..... καὶ ἀκροατὴς ἅμα καὶ ερώμενος Πολέμωνος. ἀλλὰ καὶ διεδέξατο τὴν σχολὴν αὐτοῦ [33]. Crates auditor simul amasiusque [34] Polemonis, illiusque scholæ successor. Je n’appuie pas sur ces paroles de Cicéron : Speusippus autem et Xenocrates, qui primi Platonis rationem autoritatemque susceperant, et post eos Polemo et Crates unàque Crantor, in academiâ congregati, diligenter eis quæ à superioribus acceperant, utebantur [35]. Elles ne sont pas assez précises, ou aussi nettes, que cet endroit de Diogène Laërce : Πλάτων᾽, ὁ τὴν ἀρχαίαν Ἀκαδημίαν συστησάμενος. οὗ Σπεύσιππος καὶ Ξενοκράτης, οὗ Πολέμων, οὗ Κράντωρ καὶ Κράτης, οὗ Ἀρκεσίλαος, ὁ τὴν μέσην Ἀκαδημίαν εἰσηγησάμενος [36]. Plato, qui veterem academiam instituit : Platoni Speusippus et Xenocrates ; ei Polemon ; Polemoni Crantor et Crates ; cui Arcesilaus, qui mediam invexit academiam. Casaubon, dans sa note sur ce passage, cite Galien, qui dit que la vieille académie finit à Crantès ; et qu’Arcésilas, disciple de Crantès, fonda l’académie moyenne [37]. Ce commentateur ignore ce que c’est que le Crantès de Galien [38] ; mais on voit facilement, ou que les copistes ont mis Crantès au lieu de Cratès, ou que Galien lui-même n’orthographia pas bien le nom du prédécesseur d’Arcésilas. Il arrive tous les jours aux plus savans personnages d’insérer ou de retrancher quelque lettre aux noms des auteurs qu’ils citent. Ils ont dessein de nommer la même personne que les autres allèguent selon la vraie orthographe. J’en pourrais donner cent exemples, et je m’étonne que Casaubon se fasse ici des difficultés. Souvenons-nous qu’il admire que Galien n’ait pas fait mention de Crantor. Quis verò non miretur omissum à Galeno Crantorem [39] ?

(E) Il attaquait d’une grande force tout ce que les autres sectes affirmaient. ] On aurait tort de prétendre qu’il n’a point été appelé à juste titre un innovateur ; mais Diogène Laërce se trompe quand il le prend pour le premier qui ait introduit la coutume de disputer de part et d’autre. Πρῶτος δὲ καὶ ἐς ἑκάτερον ἐπεχείρησε [40]. Primusque in utramque disserere partem aggressus est. Ce fut l’esprit de Socrate, et Platon le conserva. Nous allons citer Cicéron qui nous apprend que la méthode d’Arcésilas, de disputer contre tout ce qu’on lui proposait, était celle de Socrate, et qu’Arcésilas fut instruit au pyrrhonisme [41] par les livres de Platon, et par les discours que l’on supposait que Socrate avait tenus : Arcesilas primùm, qui Polemonem audierat, ex variis Platonis libris, sermonisbusque Socraticis hoc maximè arripuit, nihilesse certi, quod aut sensibus, aut animo percipi possit : quem ferunt eximio quodam usum lepore dicendi aspernatum esse omne animi sensûsque judicium, primùmque instituisse (quanquam id fuit Socraticum maximè) non quid ipse sentiret ostendere, sed contra id quod quisque se sentire dixisset, disputare [42]. Il dit dans un autre livre que la méthode de Socrate, qui n’était pas observée, fut rétablie par Arcésilas. C’est en cela que consiste l’innovation de ce dernier : et ainsi, les expressions de Diogène Laërce ne sont point exactes ; car il est visible qu’un philosophe, qui fait profession d’attaquer tout ce qu’on répond à ses questions, met en usage la méthode de soutenir le pour et le contre. Prenez bien garde à ces paroles : Is (Socrates) percontando atque interrogando elicere solebat eorum opiniones, quibuscum disserebat, ut ad ea quæ hi respondissent, si quid videretur, diceret. Qui mos quùm à posterioribus non esset retentus, Arcesilas eum revocavit, instituitque ut hi qui se audire vellent, non de se quærerent, sed ipsi dicerent, quid sentirent. Quod quùm dixissent, ille contrà, sed qui audiebant quoàd poterant, defendebant sententiam suam : apud cæteros autem philosophos qui quæsivit aliquid tacet, quod quidem jam fit etiam in Academiâ [43]. Si ce témoignage ne vous paraît pas assez formel, que direz-vous de celui-ci, où l’on assure que l’académie d’Arcésilas n’était autre que celle de Platon ? Hanc academiam novam appellant, quæ mihi vetus videtur. Siquidem Platonem ex illâ vetere numeramus, cujus in libris nihil affirmatur, et in utramque partem multa disseruntur, de omnibus quæritur, nihil certi dicitur [44]. Je cite ailleurs [45] un autre passage qui n’est pas moins fort que celui-là. Si l’on veut de la bigarrure grecque, j’en donnerai. J’ai lu quelque part qu’Épicure ne voyait point sans chagrin la gloire d’Arcésilas, le plus renommé philosophe de ce temps-là, et qu’il lui reprochait de s’être acquis de l’estime chez les ignorans, sans rien tirer de son fonds : Τοῦ δ᾽ Ἀρκεσιλάου τὸν Ἐπίκουρον οὐ μετρίως ἔοικεν ἡ δόξα παραλυπεῖν, ἐν τοῖς τότε χρόνοις μάλιςα τῶν Φιλοσόϕων ἀγαπηθέντος [46]. Arcesilai autem gloria videretur Epicuro haud mediocrem attulisse ægritudinem, qui inter ejus temporis philosophos maximi fiebat. Il était vrai qu’Arcésilas ne se piquait point d’avoir inventé : il donnait à Socrate, à Platon, à Parménide et à Héraclite, la gloire de l’invention de l’époque, et de l’acatalepsie : Ὀ δ᾽ Ἀρκεσίλαος τοσοῦτον ἀπέδει τοῦ καινοτομίας τινὰ δόξαν ἀγαπᾷν καὶ ὑποποιεῖσθαί τῶν παλαιῶν, ὥςε᾽ ἐγκαλεῖν τοὺς τότε σοϕιςάς, ὅτι προςρίϐεται Σωκράτει καὶ Πλάτωνι καὶ Παρμενίδῃ καὶ Ἡρακλείτῳ τὰ περὶ τῆς ἐποχῆς δόγματα καὶ τῆς ἀκαταληψίας, οὐδὲν δεόμενος, ἀλλὰ οἷον ἀναγωγὴν καὶ βεϐαίωσιν αὐτῶν εἰς ἄνδρας ἐνδόξους ποιούμενος [47]. Sanè Arcesilaus tantùm abfuit ab omni novandi, aut vetera sibi arrogandi studio, ut etiam vitio ei sophistæ ejus ætatis dederint, quòd sententias de cohibendâ assensione, et comprehensionis negatione, Socrati, Platoni, Parmenidi, Heraclito, acceptas ferret : nullâ quidem necessitate, sed tantùm eas viris nobilibus inscribendo confirmans ac commendans. Notez, je vous prie, que de l’aveu même de Diogène, notre Ârcésilas ne fit que rendre plus contentieuse la méthode platonique : ce fut tout le changement qu’il y fit : Πρῶτος τὸν λόγον ἐκίνησε τὸν ὑπὸ Πλάτωνος παραδεδομένον, καὶ ἐποίησε διʼ ἐρωτήσεως καὶ ἀποκρίσεως ἐριςικώτερον [48]. Primus orationis genus quod Plato tradiderat movit, effecitque per interrogationem et responsionem contentiosis. On a pu néanmoins dire qu’il fut le premier perturbateur du repos public des philosophes ; car, outre qu’il ressuscita une mode dont on ne se souvenait guère, il poussa le principe de Socrate avec plus d’ardeur qu’on n’avait fait auparavant, et il se montra plus vif, plus opiniâtre, plus inquiet que les premiers inventeurs. Voilà pourquoi l’on a dit de lui ce que je m’en vais écrire : Nonne jam quùm philosophorum discipline gravissimæ constitissent, tum ut exortus est in optimâ Republicâ Tiberius Gracchus, qui otium perturbaret, sic Arcesilas, qui constitutam philosophiam everteret, et in eorum autoritate delitesceret qui negavissent quicquam sciri, aut percipi posse [49] ?

On a cherché la raison de la conduite d’Arcésilas, et l’on a cru la trouver dans l’émulation ardente qui s’éleva entre lui et Zénon son condisciple. Ils avaient été tous deux écoliers de Polémon [50], et ils se piquèrent de se surpasser l’un l’autre [51]. Or Zénon prit le parti des dogmatiques : il donna des définitions et des axiomes qu’Arcésilas combattit vigoureusement ; et, afin d’y mieux réussir, il fut bien aise de renverser tous les fondemens des sciences, et de réduire toutes choses à l’incertitude. Le passage que je vais citer témoigne cela, et en même temps le peu de succès de cette entreprise [52], quoiqu’elle fût soutenue par une éloquence qui plaisait beaucoup : Fuerint illa vetera, si vultis, incognita ; nihil ne est ergò actum quod investigatum est potteaquàm Arcesilas Zenoni, ut putant, obtrectans, nihil novi reperienti, sed emendanti superiores immutationes verborum, dum hujus definitiones labefactare vult, conatus est clarissimis rebus tenebras obducere ; cujus primùm non admodùm probata ratio quanquam floruit tum acumine ingenii tum admirabili quodam lepore dicendi, proximè à Lacyde solo retenta est [53] ? D’autres disent que la crainte d’être accablé par les objections de certaines gens, qui prenaient plaisir à harceler les philosophes, contraignit Arcésilas à n’affirmer rien. Il mit devant lui l’époque comme un rempart : ce fut une nuit, à la faveur de laquelle il espéra de se dérober à la poursuite du sophiste Bion, et des sectateurs de Théodore, frondeurs perpétuels des philosophes. Numénius, qui observe que Dioclès le Cnidien avait adopté cette conjecture, la rejette, et il me semble qu’il a raison ; car quoiqu’en ne décidant ni pour ni contre l’on se puisse garantir de mille difficultés embarrassantes, on ne laisse pas de se commettre beaucoup : et si d’un côté l’on a moins à craindre les objections graves et sérieuses, les rétorsions, et les argumens ad hominem, l’écueil ordinaire et inévitable des dogmatiques, l’on s’expose de l’autre beaucoup plus à la raillerie, et aux insultes des goguenards. Or il est certain que Bion, le plus grand moqueur de son siècle, était moins terrible quand il raisonnait que quand il plaisantait. Généralement parlant, c’est un poste très-incommode que celui où l’on vous tourne aisément en ridicule. Arcésilas lui-même employait la raillerie contre ceux qui rejetaient le témoignage des sens [54]. Quoi qu’il en soit, voyons les paroles de Numénius : Οὐ γὰρ πείθομαι, τοῦ Κνιδίου Διοκλέους ϕάσκοντος ἐν ταῖς ἐπιγραϕομέναις Διατριϐαῖς, Ἀρκεσίλαον ϕόϐῳ τῶν Θεοδωρείων τε καὶ Βίωνος τοῦ Σοϕιςοῦ, ἐπεισιόντων τοῖς ϕιλοσοϕοῦσι, καὶ οὐδὲν ὀκνούντων ἀπὸ παντὸς ἐλέγχειν, αὐτὸν ἐξευλαϐηθέντα, ἵνα μὴ πράγματα ἔχῃ, μηδὲν γε δόγμα ὑπειπεῖν ϕαινόμενον, ὥσπερ γὰρ τὸ μέλαν τὰς σηπίας, προϐάλέσθαι πρὸ ἑαυτοῦ τὴν ἐποχὴν. Τοῦτ´ οὖν ἐγὼ οὐ πείθομαι. [55]. Neque enim Gnidium illum Dioclem audio, qui in suis, ut eas inscripsit, diatribis, Arcesilam docet, Theodoreorum ac Bionis sophistæ metu, qui philosophis infesti, nullam non eos coarguendi occasionem acciperent, ità sibi, ne quid ab iis molestiæ pateretur, cavisse, ut nec certi quicquam statueret ; nam ut sepias effuso atramento, sic illum sese objectâ hâc assensionis retentione tegere ac tueri. Verùm hoc, ut dixi, minùs credo. Notez qu’un des interlocuteurs de Cicéron a soutenu qu’Arcésilas ne passa point dans le parti de l’époque, pour contredire Zénon, mais par le désir de trouver la vérité : Arcesilam verò non obtrectandi causâ cum Zenone pugnavisse, sed verum invenire voluisse sic intelligitur [56]. Il prétend qu’Arcésilas fut le premier qui découvrit et qui approuva cette proposition : Il est possible qu’un homme n’affirme et ne nie rien sur les matières incertaines, et c’est le devoir de l’homme sage : Nemo superiorum non modò expresserat, sed ne dixerat quidem posse hominem nihil opinari, nec solùm posse, sed ità necesse esse sapienti, visa est Arcesilæ cùm vera sententia, tum honesta et digna sapiente [57]. Il prétend que ce philosophe demanda à Zénon : Qu’arrivera-t-il, si l’homme sage ne peut rien connaître clairement, et s’il ne doit rien admettre qui ne soit clairement vrai ? et que Zénon répondit : Il comprendra clairement certaines choses, et ainsi il n’admettra rien d’obscur. Il fallut ensuite assigner le caractère des choses clairement comprises. Celui que Zénon donna fut combattu par Arcésilas, qui lui soutint que la fausseté peut paraître sous la même idée que la vérité, et qu’ainsi l’on ne saurait faire le discernement du vrai et du faux. Zénon accorda qu’on ne pourrait rien comprendre, si ce qui n’est pas pouvait nous paraître sous la même forme que ce qui est ; mais il nia la conformité d’idées entre ce qui est et ce qui n’est point. Arcésilas, au contraire, insista sur cette conformité : Incubuit in eas disputationes ut doceret nullum tale esse visum à vero, ut non ejusmodi etiam à falso possit [58]. Voilà le pivot de leur dispute. On avait déjà dit dans cet ouvrage de Cicéron, que l’obscurité des choses, et non pas l’opiniâtreté, ou le désir de la victoire, avait engagé Arcésilas à disputer contre Zénon [59].

J’ai dit qu’il poussa plus loin l’hypothèse de l’incertitude que Socrate : et j’ai eu raison ; car il ne voulut pas même avouer, comme Socrate, qu’il savait qu’il ne savait rien. Il se tint dans la suspension généralement sur toutes choses, et il ne disputa que pour se convaincre que les raisons d’affirmer n’étaient pas meilleures que les raisons de nier : Arcesilas negabat esse quicquam quod sciri posset, ne illud quidem ipsum quod Socrates sibi reliquisset. Sic omnia latere censebat in occulto, neque esse quicquam quod cerni, aut intelligi possit. Quibus de causis nihil oportere neque profiteri, neque affirmare quemquam, neque assertione approbare, cohibereque semper, et ab omni lapsu continere temeritatem, quæ tum esset insignis, quùm aut falsa, aut incognita res approbaretur, neque hoc quicquam esset turpius, quàm cognitioni et perceptioni, assertionem approbationemque præcurrere. Huc (rationi quod erat consentaneum) faciebat, ut contra omnium sententias dies jam plerosque deduceret, ut quùm in eâdem re paria contrariis in partibus momenta rationum invenirentur, faciliùs ab utrâque parte assertio sustineretur [60]. Il fut celui qui enseigna l’acatalepsie, ou l’incompréhensibilité, plus formellement qu’on ne l’avait jamais fait ; et il outra tellement les choses que Carnéade, qui aurait pu le soutenir mieux que lui, se crut obligé d’y apporter quelque modification [61] : mais il est certain qu’Arcésilas ne fit qu’étendre et développer ce qui avait été dit par les plus grands maîtres : Cum Zenone... Arcesilas sibi omne certamen instituit..…. earum rerum obscuritate, quæ ad confessionem ignorationis adduxerant Socratem, et veluti amantes Socratem, Democritum, Anaxagoram, Empedoclem, omnes penè veteres, qui nihil cognosci, nihil percipi, nihil sciri posse dixerunt, angustos sensus, imbecillos animos, brevia curricula vitæ, et (ut Democritus) in profundo veritatem esse demersam, opinionibus et institutis omnia teneri, nihil veritati relinqui, deinceps teneri, nihil teneri, omnia tenebris circumfusa esse dixerunt [62]. C’est sous l’autorité de ces grands noms qu’il attaquait les dogmatiques [63]. Il en pouvait alléguer encore d’autres, comme vous pourrez l’apprendre dans le second livre des Questions Académiques [64]. Néanmoins, Numénius, qui s’emporte contre lui très-durement, fonde son indignation sur la révolte qu’il lui attribue [65]. Vous trouverez quelques traits de sa colère dans la description de l’inconstance de ce philosophe : C’était un homme, dit-il, qui niait et qui affirmait les mêmes choses : il se jetait aveuglément à droite et à gauche ; il faisait gloire d’ignorer la différence du bien et du mal : il débitait la première fantaisie qui lui venait dans l’esprit ; et tout d’un coup il la renversait par plus de raisons qu’il ne l’avait établie. C’était une hydre qui se déchirait elle-même. Les termes de l’original sont plus expressifs, et plus féconds : Ἔλεγε, και ἀντέλεγε, καὶ μετεκυλιν δεῖτο κἀκεῖθεν, κἀντεῦθεν, ἑκατέρωθεν, ὁπόθεν τύχοι, παλινάγρετος, καὶ δύσκριτος, καὶ παλίμϐολός τε ἅμα, καὶ παρακεκινδυνευμένος, οὐδέν τε εἰδώς, ὡς αὐτὸς ἔϕη, γενναῖος ὤν.... [66]. Κατέχαιρε τῷ ὀνείδει, καὶ ἡμϐρύνετο θαυμαςῶς, ὅτι μήτε τί αἰσχρὸν ἢ καλὸν, μήτε ἀγαθὸν, μήτε αὖ κακόν ἐςι τί, ᾔδει, ἀλλ᾽ ὁπότερον εἰς τὰς ψυχὰς πέσοι, τοῦτο εἰπὼν, αὖθις μεταϐαλὼν, ἀνέτρεπεν ἂν πλεοναχῶς, ἢ δι᾽ ὅσων κατεσκευάκει. Ἦν οὖν ὕδραν τέμνων ἑαυτὸν, καὶ τεμνόμενος ὑϕ’ ἑαυτοῦ, ἀμϕότερα ἀλλήλων δυσκρίτως, καὶ τοῦ δέοντος ἀσκέπτως [67]. Affirmans simul idem, idemque negans, hinc, illinc, utrinque, vel undique potiùs subitò se temerèque versans ac revocans, incerti ambiguique sensus, veterator, præceps, atque ut ipsemet, adeò ingenuus est, confitetur, nihil omninò sciens.... hoc ut probro jucundissimo frueretur, eoque se nomine mirum in modum circumspiceret, quòd quid turpe quidve honestum, quid bonum quidve malum esset, ignoraret : sed potiùs, ubi quod primum. in mentem venerat effutisset, tum repentè mutatus, id ipsum pluribus quàm ante stabilierat, everteret. Seipsum igitur ille quasi Hydram secabat, et secabatur à se ipso, dum sic in utramque partem loqueretur, ut nec quid sibi vellet intelligeret : nec ullam ipse decori rationem haberet. Au reste, il reconnaissait le doigt de Dieu dans l’ignorance de l’homme ; car il louait beaucoup un vers d’Hésiode, où il est dit que les dieux tiennent l’esprit humain derrière le voile : Ἐπῄνει γοῦν Ἡσιόδου τουτί τὸ ἀπόϕθεγμα,

Κρύψαντες γὰρ ἔχουσι θεοὶ νόον ἀνθρώποισι [68].

(Oper. et Di., v. 42.)
Quarè laudabat illud Hesiodi,
Ignares hominum suspendunt numina mentes.

(F) Voici comment il a été combattu par un père de l’Église. ] Je veux parler de Lactance : il prétend ruiner toute la philosophie, en établissant avec Socrate que l’on ne peut rien savoir, et avec Zénon qu’il ne faut croire que ce que l’on sait : Si neque, sciri, dit-il [69], quicquam potest, ut Socrates docuit, nec opinari oportet, ut Zeno, tota philosophia sublata est. Il confirme sa prétention par le grand nombre de sectes en quoi la philosophie était divisée. Chacune s’attribuait la vérité et la sagesse, et donnait l’erreur et la folie en partage à toutes les autres. Ainsi, quelque secte particulière que l’on condamnât, on avait pour soi le suffrage des philosophes qui n’étaient point de celle-là : vous pouviez donc être assuré du suffrage du plus grand nombre, en les condamnant toutes ; car chacune en particulier aurait approuvé votre jugement par rapport à toutes les autres, et n’aurait pu vous opposer que le témoignage qu’elle se rendait à elle-même, juge en sa propre cause, et par conséquent, indigne de foi. Voilà de quelle manière Lactance détruit toutes les sectes de l’ancienne philosophie les unes par les autres : « Elles s’entr’égorgent, il n’en reste aucune en vie, dit-il : la raison en est, qu’elles ont bien une épée, mais non pas un bouclier ; elles ont des forces pour les guerres offensives, mais non pas pour les défensives. » Pereunt igitur universi hoc modo, et tanquam Spartiatæ illi poëtarum [70] sic se invicem jugulant, ut nemo ex ominibus restet. Quod eo fit, quia gladium habent, scutum non habent. di ergò singulæ sectæ multarum sectarum judicio stultitiæ convincuntur, omnes igitur vanæ, atque inanes reperiuntur. Ità se ipsam philosophia consumit, et conficit [71]. « Arcésilas voyant cela, continue-t-il, s’arma contre toutes, et fonda une nouvelle secte de philosophie, qui consistait à ne point philosopher. » Quod cùm intelligeret Arcesilas, academiæ conditor, reprehensiones omnium inter se collegit, confessionemque ignorantiæ clarorum philosophorum, armavitque se adversùs omnes. Ità constituit novam non philosophandi philosophiam [72]. Il y eut donc dès lors deux partis : l’un s’attribuait la science, l’autre la déchirait. Celui-là tombe par terre, si la nature des choses ne peut pas être connue ; celui-ci est perdu, si elle le peut : s’ils sont égaux, la philosophie ne laissera pas de périr ; car elle sera partagée : « Que si, comme je l’ai enseigné, la misère de notre condition ne permet pas qu’il y ait dans l’homme une science proprement dite, Arcésilas gagne la victoire ; mais il ne se soutiendra pas : il n’est point possible que l’on ne sache quelque chose ; on périrait nécessairement, si l’on ignorait ce qui est utile ou pernicieux à la vie. » Si autem (ut docui) nulla potest esse in homine interna et propria scientia, ob fragilitatem conditionis humanæ, Arcesilæ manus vicit. Sed ne ipsa quidem stabit, quia non potest omninò nihil sciri. Sunt enim multa, quæ natura ipsa nos scire, et usus frequens, et vitæ necessitas cogit. Itaque pereundum est nisi scias quæ ad vitam sunt utilia, ut appetas, quæ periculosa, ut fugias et vites [73]. Lactance nous donne ensuite un détail de plusieurs choses que les hommes savent, et se moque d’Arcésilas, qui ne pouvait dégrader les autres, sans se dégrader soi-même, puisqu’ils pouvaient lui répondre : Si vous prouvez que nous n’avons point de science, et qu’ainsi nous ne sommes pas philosophes, vous ne l’êtes point non plus ; car vous confessez que vous ne savez rien. Il se coupait donc la gorge avec le même poignard qu’il employait à tuer les autres : Quid ergò promovit Arcesilas, nisi quod confectis omnibus philosophis seipsum quoque eodem mucrone transfixit [74] ? Lactance ne le blâme pas en tout, il le loue d’avoir connu la folie de ceux qui croient que des conjectures de la vérité sont une science : Rectè vidit Arcesilas arrogantes vel potiùs stultos esse qui putent scientiam veritatis conjecturâ posse comprehendi [75] ; mais il s’arrête très-peu à le louer : il passe d’abord au reproche de contradiction que l’on a tant fait aux Pyrrhoniens : « Par cela même que vous ne savez aucune chose, vous en savez une. » Arcesilas…… introduxit genus philosophiæ ἀσύςατον, quod latinè instabile, sivè inconstans possumus dicere. Ut enim nihil sciri posse sciendum sit, aliquid sciri necesse est, nam si omninò nihil scias, idipsum nihil sciri posse tolletur. Itaque, qui velut sententiæ loco pronunciat nihil sciri, tanquam præceptum profitetur, et cognitum, ergò aliquid sciri potest. Huic simile est illud, quod in scholis proponi solet in asystati generis exemplum, somniâsse quemdam, ne somniis crederet : Si enim crediderit, tum sequitur, ut credendum non sit ; si autem non crediderit, tum sequitur, ut credendum sit. Ita si nihil sciri potest, necesse est idipsum sciri quod nihil sciatur. Si autem scitur, posse nihil sciri, falsum est ergò quod dicitur, nihil sciri posse. Sic inducitur dogma sibi ipsi repugnans, seque dissolvens [76]. Enfin Lactance confesse qu’à l’égard de la physique il n’y a aucune science, et qu’il ne faut pas même l’y rechercher : Quant faceret sapientiùs, ac veriùs, si exceptione factâ, diceret causas, rationesque duntaxat rerum cœlestium, seu naturalium, quia sunt abditæ, nesciri posse, quia nullus doceat, nec quæri oportere, quia inveniri quærendo non possunt [77] !

Faisons quelques petites remarques sur cette dispute. 1o. L’argument dont il se sert pour ruiner toutes les sectes de philosophie, les unes par les autres, prouve trop. Un athée qui s’en servirait aujourd’hui, pour renverser tout le christianisme, raisonnerait mal : les sectes chrétiennes s’entre-damnent les unes les autres, je l’avoue ; mais si vous en condamniez une dans tous les points de sa doctrine, vous n’obtiendriez pas l’approbation de toutes les autres. 2o. Lactance se contredit pitoyablement. Il avoue que s’il n’y a point de science parmi les hommes, Arcésilas gagne la victoire ; et il prétend avoir démontré que nous sommes trop fragiles pour parvenir à la science. Pourquoi donc tout aussitôt ajoute-t-il qu’Arcésilas perd la victoire, vu qu’il y a plusieurs sciences parmi les hommes ? 3o. Les exemples qu’il en donne sont nuls ; car ce n’est point une science, au sens que l’on prend ce mot dans cette dispute, que de savoir discerner les bons alimens d’avec les mauvais ; et cette sorte de connaissance n’a point été révoquée en doute par les acataleptiques. 4o. Le reproche de contradiction a moins de solidité que de faux brillant ; c’est plutôt une subtilité qu’une raison convaincante : le bon sens débrouille bientôt cet embarras. Si je songe que je ne dois pas croire aux songes, me voilà bien attrapé ; car si je n’y crois pas, j’y croirai ; et si j’y crois, je n’y croirai pas. Où est l’homme qui ne voie qu’en ce cas-là il faut excepter des autres songes celui en particulier qui m’avertit de ne croire pas aux songes ? Voyez dans Sextus Empiricus ce que les sceptiques répondaient à cette objection. 5o. L’aveu de Lactance, par rapport à la physique, n’était guère propre à son dessein : on eût pu en tirer de l’avantage contre sa cause.

(G) Il attira à son auditoire un grand nombre de disciples. ] L’entreprise de combattre toutes les sciences, et de rejeter non-seulement le témoignage des sens, mais aussi le témoignage de la raison, est la plus hardie qu’on puisse former dans la république des lettres. Elle est semblable à celle des Alexandre et des autres conquérans qui ont voulu subjuguer toutes les nations. Elle demande beaucoup d’esprit, beaucoup d’éloquence, beaucoup de lecture, beaucoup de méditation : Si singulas disciplinas percipere magnum est, quantò majus omnes ? quod facere iis necesse est quibus propositum est veri reperiendi causa, et contra omnes philosophos pro omnibus dicere [78] ! Arcésilas était aussi propre qu’on le pouvait être à cette entreprise. La nature et l’art avaient concouru à l’armer de toutes pièces. Il était naturellement d’un génie heureux, prompt, vif [79] ; sa personne était remplie d’agrémens ; il parlait de bonne grâce. Les charmes de son visage secondaient admirablement ceux de sa voix, et il apprit sous de bons maîtres tout ce qui était le plus capable de perfectionner ses dons naturels, je veux dire d’étendre leurs forces par la réunion de plusieurs parties différentes. Vous trouverez ce détail dans Numénius ; mais vous l’y verrez tourné d’une manière odieuse. Numénius n’aimait point Arcésilas, il n’a pu pourtant s’empêcher de dire ceci : Πλὴν τοῖς ἀκούουσιν ἥρκεσεν, ὁμοῦ τῇ ἀκροάσει εὐπρόσωπον ὄντα θεωμένοις· ἦν ὄυν ἀκουόμενος καὶ ϐλεπόμενος ἥδιςος, ἐπεί τοι προσειθίσθησαν ἀποδέχεσθαι αὐτοῦ τοὺς λόγους ἰόντας ἀπὸ καλοῦ προσώπου τε καὶ ςόματος, οὐκ ἄνευ τῆς ἐν τοῖς ὄμμασι ϕιλοϕροσύνης [80]. Tenebat ille tamen auditores, dum in loquente summam oris dignitatem videbant. Fuit enim auditu simul aspectuque jucundissimus, adeòque libentissimè hominis orationem excipiebant, præstanti ex vultu et ore manantem, nec absque nativâ quâdam suavitate oculorum. Il a dit aussi qu’Arcésilas étonnait les stoïciens par ses diverses manières de réfuter ses antagonistes. Rapportons tout le passage : il est infiniment propre à nous montrer l’habileté de notre homme, et l’estime immense qu’il s’acquit : Οἱ Στοϊκοὶ δὲ ὑπήκουον ἐκπεπληγμένοι. Ἡ μοῦσα γὰρ αὐτοῖς οὐδὲ τότε ἦν ϕιλόλογος, οὐδ᾽ ἐργάτις χαρίτων, ὑϕ᾽ ὧν ὁ Ἀρκεσίλαος, τὰ μὲν περικρούων, τὰ δὲ ὑποτέμνων, ἄλλα δ᾽ ὑποσκελίζων, κατεγλωττίζετο αὐτοὺς, καὶ πιθανὸς ἦν. Τοιγαροῦν πρὸς οὓς μὲν ἀντέλεγεν, ἡττωμένων, ἐν οἷς δὲ λέγων ἦν, καταπεπληγμένων, δεδειγμένον πῶς τοῖς τότε ἀνθρώποις ὑπῆρχε, μηδὲν εἶναι μήτ᾽ οὖν ἔπος, μήτε πάθος, μήτε ἔργον ἓν βραχὺ, μηδὲ ἄχρηςον τοὐναντίον ὀϕθῆναί ποτ᾽ ἄν, εἴ τι μὴ Ἀρκεσιλάῳ δοκεῖ τῷ Πιταναίῳ [81]. Atque hæc stoïci cum stupore audiebant. Erat enim adhuc infans eorum musa, nec illarum facetiarum artifex, quibus Arcesilas Zenonis argumenta partìm explodens, pertìm succidens, partìm supplantans, sic eos linguæ vi obruebat, ut fidem etiam aliis faceret. Ità, cùm et ii quibuscum oratione pugnabat, victi atque prostrati, et ii quorum in coronâ dicebat, perculsi attonitique manerent : quasi pro comperto erat ejusdem ætatis hominibus, nec vocem, nec malum, nec opus ullum vel minimum, quicquam esse, nec inane frivolumque contra visu iri quicquam, nisi quod Arcesilæ Pitanæo tale videretur. Les remarques précédentes vous ont pu déjà fournir des autorités sur le mérite d’Arcésilas. En voici une nouvelle. Quelqu’un dit, dans Cicéron, que jamais personne n’eût suivi le sentiment de ce philosophe, si l’absurdité manifeste qui s’y trouvait n’eût disparu sous l’éloquence et l’habileté du docteur : Quis ista tam apertè perspicuèque et perversa et falsa sequutus esset, nisi tanta in Arcesilâ.... et copia rerum et dicendi vis fuisset [82] ?

(H) On dit qu’il ne faisait, le sceptique que pour éprouver ses écoliers. ] Sextus Empiricus, ayant dit qu’Arcésilas ne paraît point différer des pyrrhoniens, ajoute que, s’il fallait croire certains bruits, ce n’était qu’un pyrrhonien d’apparence, qui, dans le fond, suivait la méthode des dogmatiques. Les doutes qu’il proposait à ses auditeurs, afin de voir s’ils avaient assez de génie pour comprendre les dogmes de Platon, le firent regarder comme un philosophe qui n’affirmait rien ; mais il débitait affirmativement la doctrine platonique à ceux à qui il avait trouvé une grande force d’esprit [83]. Il est difficile de découvrir si ce conte est véritable. Voyez les Dissertations de M. Foucher sur la philosophie des académiciens [84], et la note de Thomas Aldobrandin que je vous indique [85].

(I) On raconte des choses bien singulières de sa libéralité. ] Il faisait du bien, et ne voulait pas qu’on le sût. Ἐυεργετῆσαι πρόχειρος, καὶ λαθεῖν τὴν χάριν ἀτυϕότατος [86]. Erat ad ferenda beneficia promptus ; latere quoque gratiam omni studio quærebat, fastum ejusmodi maximè exhorrens. C’était pratiquer l’Évangile avant qu’il eût été annoncé. Ayant fait une visite à Ctésibius, qui était malade et qui manquait du nécessaire, il lui glissa adroitement sous l’oreiller une bourse pleine d’argent [87]. Sénèque nous le va dire : Arcesilaüs, ut aïunt, amico pauperi, et paupertatem suam dissimulanti, ægro autem, et ne hoc quidem confitenti deesse sibi in sumptum ad necessarios usus, cùm clàm succurrendum judicâsset, pulvino ejus ignorantis sacculum subjecit, ut homo inutiliter verecundus, quod desiderabat, inveniret potiùs quam acciperet [88]. Plutarque raconte plus amplement le même fait ; mais il suppose que le malade n’était point Ctésibius : il le nomme Apelle de Chio [89]. Ajoutons qu’Arcésilas ayant prêté de la vaisselle d’argent à un ami qui devait donner un festin, ne la redemanda point. Il supposa qu’il l’avait donnée, et non pas prêtée. Quelques-uns disent que, considérant les besoins de cet ami, il ne voulut pas la reprendre, lorsqu’on la lui reporta [90].

(K) Le témoignage qui lui fut rendu par... Cléanthe, touchant l’opposition entre ses dogmes et sa pratique, etc., sont des choses très-curieuses. ] Dès qu’on assure qu’il n’y a rien de certain, et que tout est incompréhensible, on déclare qu’il n’est pas certain qu’il y ait des vices et des vertus. Or, un tel dogme paraît très-propre à inspirer l’indifférence pour le bien honnête, et pour les devoirs de la vie. C’est pourquoi les adversaires d’Arcésilas le censurèrent de négliger ses devoirs. Ils prétendirent qu’il vivait selon ses principes. Mais Cléanthe, quoique d’une secte fort contraire à ce philosophe, prit son parti. Taisez vous, dit-il à quelqu’un de ses critiques, ne blâmez point Arcésilas : il renverse les devoirs par ses paroles ; mais il les établit par ses actions : Παῦσαι, ἔϕη, καὶ μὴ ψέγε, εἰ γὰρ καὶ λόγῳ τὸ καθῆκον ἀναιρεῖ, τοῖς γοῦν ἔργοις αὐτὸ τιθεῖ [91]. Quiesce, inquit, neque vituperes : ille enim, etsi verbis officium tollit, operibus tamen id ponit. Arcésilas lui répondit qu’il n’aimait point à être flatté : Est-ce vous flatter, répliqua Cléanthe, que de soutenir que vous dites une chose, et que vous en faites une autre [92] ? Il y a beaucoup d’esprit dans la repartie. Ce fut apparemment une allusion aux vers d’Homère qui portent que ces fourbes et ces hypocrites, dont les pensées sont contraires aux paroles, méritent d’être détestés comme l’enfer [93]. Cependant Cléanthe louait dans le fond la bonne vie d’Arcésilas. Notez que dans la doctrine des plus grands pyrrhoniens il y avait une théorie favorable à la vertu ; car, quelle que fût selon eux l’essence même des choses, ils enseignaient que, pour la pratique de la vie, il fallait se conformer aux apparences. Quoi qu’il en soit, le vrai principe de nos mœurs est si peu dans les jugemens spéculatifs que nous formons sur la nature des choses, qu’il n’est rien de plus ordinaire que des chrétiens orthodoxes qui vivent mal, et que des libertins d’esprit qui vivent bien.

(L) Il suivit le penchant de la nature... jusqu’à des excès honteux. ] Les bonnes qualités que j’ai rapportées dans le corps de cet article, et dans la remarque précédente, se trouvèrent réunies en sa personne avec l’impudicité la plus criminelle ; tant il est vrai que les vices et les vertus savent l’art de s’allier. Il entrait à la vue de tout le monde chez Theodota et chez Phileta, deux femmes publiques : Καὶ Θεοδότῃ τε καὶ Φιλαίτῃ Ἠλιαίαις, ἐταίραις συνῴκει ϕανερῶς [94]. Theodotæ item ac Philetæ, Eliensibus scortis, palàm congrediebatur. Le pis fut qu’il s’adonna au péché contre nature : Φιλομειράκιός τε ἦν καὶ καταϕερής. ὅθεν οἱ περὶ Ἀρίςωνα τὸν Χῖον Στωϊκοὶ ἐπεκάλουν αὐτὸν ϕθορέα τῶν νέων, καὶ κιναιδολόγον καὶ θρασὺν ἀποκαλοῦντες [95]. Adolescentibus item maximè studebat, eratque in amorem pronus. Undè illum Aristo Chius, stoïcus, corruptorem juvenum, disertumque impudicum, et temerarium appellabat.

(M) Il s’est vanté d’une grande force de courage pendant les douleurs de la goutte. ] « Rien n’est passé de là ici, » dit-il en montrant ses pieds et sa poitrine à Carnéades l’épicurien, qui s’affligeait de le voir si tourmenté : Is quùm arderet podagræ doloribus, visitassetque hominem Carneades epicuri perfamiliaris, et tristis exiret : « Mane quæso, inquit, Carneade noster, nihil illinc huc pervenit, ostendens pedes et pectus [96]. » C’était parler en stoïcien, quoiqu’Arcésilas fût l’antagoniste du fondateur des stoïciens.

(N) Diogène Laërce ne lui donne point Bion pour successeur. Le père Rapin s’est imaginé cela sans nul fondement. ] Voici ses paroles : « Cicéron, qui connaissait fort bien les successeurs de Platon, ne dit rien de ce Bion, que Diogène donne pour successeur à Arcésilas, et qui se rendit si célèbre par la véhémence de ses satires, au sentiment d’Horace [97]. » Tout le fondement du père Rapin consiste en ce que la vie de Bion suit immédiatement celle d’Arcésilas dans l’ouvrage de Diogène Laërce. Cette raison est nulle, puisque l’auteur dit expressément que Lacydes fut le successeur d’Arcésilas [98] ; et que Bion, étant même auditeur de Cratès, méprisa les sentimens de l’académie, et qu’ensuite il embrassa d’autres partis [99].

(O) J’ai trouvé à son sujet une faute très-grossière dans Sidonius Apollinaris. ] Il prétend que selon Arcésilas, antérieur à Socrate, Dieu est la cause efficiente de l’univers, et que les atomes en sont la matière :

Post hos Arcesilas divinâ mente patratam
Conjicit hanc molem, confectam partibus ellis
Quas atomos vocat ipse leves. Socratica post hunc
Secta micat, quæ de naturæ pondere migrans
Ad mores hominum limandos transtulit usum [100].


Savaron, sans dire rien de cette bévue de chronologie, s’est contenté d’observer que tout le monde attribue à Épicure et à Démocrite le dogme que Sidomus Apollinaris attribue à Arcésilas [101]. Cette observation est mauvaise ; car personne n’a prétendu que Démocrite et Épicure ont enseigné que univers était l’ouvrage de Dieu.

  1. Diogen. Laërtius, lib. IV, num. 20.
  2. Pomp. Mela, lib. I, cap. XVIII, num. 20.
  3. Strabo, lib. XIII, pag. 422, in fine.
  4. Solin., cap. VII, pag. 22.
  5. Salmas. Exercitat. Plin., pag. 138.
  6. Menag., in Diogen. Laërt., pag. 176.
  7. Gassendi Operum tom. I, pag. 18.
  8. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 28, 29.
  9. Idem, in Cratete, lib. IV, pag. 240, num. 22.
  10. Id., ibid.
  11. Id., pag. 241, num. 24.
  12. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 25.
  13. Cicero, de Finibus, lib. V, cap. XXXI. Voyez-le aussi de Oratore, lib. III, cap. XVIII.
  14. Numenius, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. V, pag. 729.
  15. Id., ibid.
  16. Idem, apud eumdem, cap. VI, pag. 931.
  17. Idem, ibid.
  18. Les deux vers de Timon qu’il cite sont plus corrects que dans Diogène Laërce.
  19. Pour n’accommoder au style de notre temps, j’ai quitté la traduction littérale.
  20. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 31.
  21. Id., ibid., num. 32.
  22. Au commencement de la Vie de Cratès, liv. IV, num. 21.
  23. Sanctus Augustinus, lib. III, contrà Academicos.
  24. August., Epist. LVI, pag. 267. Eusèbe, Prépar. Evang., liv. XIV, pag. 736, dit qu’on dit qu’Arcésilas succéda à Polémon.
  25. Speusippus, fils d’une sœur de Platon, régit l’école avant Xénocrate.
  26. Crantor ille, qui in nostrâ Academiâ vel in primis fuit nobilis. Cicero, Tuscul. Quæstion., lib. III, cap. VI.
  27. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 27.
  28. Voyez Gassendi, Operum tom. I, pag. 18, et Jonsius, de Script. Histor. Philosoph., pag. 52, ou plutôt Diogène Laërce, cité ci-dessous, citation (36).
  29. Diog. Laërt., in Lacyde, lib. IV, num. 60.
  30. Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote, IVe. part., chap. I, pag. 365.
  31. Petrus Victorius. Voyez les Notes de Josias Mercerus sur Nonius Marcellus, pag. 193.
  32. Nonius Marcellus, voce Transmittere, pag. 414. Il cite le XXVIIIe. livre de Lucilius.
  33. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 21.
  34. Et non pas amator, comme porte la version imprimée : faute que les commentateurs ne relèvent pas.
  35. Cicero, Academ. Quæst., lib. I, cap. IX.
  36. Diog. Laërt., in Proœmio, num. 14, pag. 10.
  37. Galenus, in Hist. Philosophorum.
  38. Ego quisnam sit Crantes Galeni planè ignoro. Casaub., i.n Diog. Laërtium, Proœm. num. 14.
  39. Idem, ibid.
  40. Diog. Laërt., lib. IV, num. 28.
  41. Je me sers de ce terme sans avoir égard à la personne de Pyrrhon.
  42. Cicero, de Oratore, lib. III, cap. XVIII.
  43. Idem, de Finibus, lib. II, C. I.
  44. Idem, Academ. Quæstion., lib. I, C. ult.
  45. Dans la remarque (B) de l’article Carnéade, citation (6). Ce passage est du Ier. liv. de Cicéron, de Naturâ Deorum, chap. V.
  46. Plutarch, adv. Colotem, pag. 1121, E.
  47. Idem, ibid.
  48. Diog. Laërt., lib. IV, num. 28.
  49. Cicero, Academ. Quæstion., lib. II, cap. V.
  50. Idem, ibid., lib. I, cap. IX. Numenius apud Euseb. Præp. Evangel., lib. XIV, cap. VI, pag. 729, 731.
  51. Numenius, apud eumdem, ibid.
  52. Cela ne s’accorde pas avec ce qu’on rapportera dans la remarque (G).
  53. Cicero, Academic. Quæstion., lib. II, cap. VI.
  54. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 34.
  55. Numenius, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. VI, pag. 731, B. C.
  56. Cicero, Academic. Quæstion., lib. II, cap. XXIV.
  57. Idem, ibid.
  58. Idem, ibid.
  59. Voyez ci-dessous, citation (62).
  60. Cicero, Acad. Quæst., lib. I, cap. XII.
  61. Voyez l’article Carnéade.
  62. Cicero, Academ. Quæstion., lib. I, cap. XII.
  63. Idem, ibid., lib. II, cap. V. Voyez ci-dessus, citation (49).
  64. Cap. XXIV.
  65. Numenius, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. V, pag. 730.
  66. Idem, ibid., cap. V, pag. 730, A.
  67. Idem, ibid., cap. VI, pag. 730, C.
  68. Euseb., ibid., cap. IV, pag. 726, D.
  69. Lactant. Divin. Institution., lib. III, cap. IV, pag. 353.
  70. La note de Thysius sur ce mot est ridicule. Qui se invicem conficiunt, dit-il, sicut Cleomedes et socii apud Spartanos, teste Plutarcho. Ne voit-il pas que Lactance parle, non pas du temps historique, mais du temps mythologique, et de ces hommes qui naquirent des dents d’un serpent semées par Cadmus ?
  71. Lactant. Divin. Institution., lib. III, cap. IV, pag. 154.
  72. Idem, ibid.
  73. Lactant., Divin. Institution., lib. III, cap. IV, pag. 155.
  74. Idem, ibid., cap. V, pag. 156.
  75. Idem, ibid, cap. VI, pag. 157.
  76. Idem, ibid.
  77. Idem, ibid., pag. 158.
  78. Cicero, de Nat. Deorum, lib. I, cap. V.
  79. Τὸν Θεόϕραςον κνιζόμενον ϕασὶν εἰπεῖν ὡς εὐϕυής καὶ εὐεπιχείρητος ἀπεληλυθὼς τῆς διατριϐῆς ἐίη νεανίσκος. Ægrè tulisse Theophrastum ajunt illius recessum ac dixisse, quàm ingeniosus promptusque adolescens è scholâ discessit ! Diogen. Laërtius, lib. IV, 246, num. 30. Voyez aussi num. 37. p. 249.
  80. Numenius, apud Eusebium. Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. VI, pag. 730, D.
  81. Idem, ibid., pag. 733, C.
  82. Cicero, Academ. Quæstion., lib. II, cap. XVIII, fin.
  83. Sextus Empiricus, Pyrrhon. Hypotypos. lib. I, cap. XXXIII.
  84. Foucher, liv. I, pag. 32 et liv. III, pag. 154, et suiv.
  85. Th. Aldobrand., in Diogen. Laërtium, lib. IV, num. 28.
  86. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 37.
  87. Idem, ibid.
  88. Seneca, de Benef., lib. II, cap. X, pag. 25.
  89. Plut., de Discrim. amici et adulator., pag. 63.
  90. Diog. Laërtus, lib. IV, num. 38.
  91. Diog. Laërtius, in Cleanthe, lib. VII, num 171.
  92. Idem, ibid.
  93. Homerus, Iliad., lib. IX, vs. 312.
  94. Diog. Laërtus, lib. IV, num. 40.
  95. Idem, ibid.
  96. Cicero, de Finibus, lib. V, cap. XXXI, in fine.
  97. Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote IVe. part., chap. I, pag. 369.
  98. Diog. Laërtius, lib. IV, num. 59, in Lacyde, initio.
  99. Idem, ibid., num. 51, 52, in Bione.
  100. Sidon. Apollinaris, carm. XV, vs. 94, pag. 152.
  101. Savaro, in hunc locum Sidonii Apollinar.

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