Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Bourreau

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Éd. Garnier - Tome 18
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BOURREAU[1].

Il semble que ce mot n’aurait point dû souiller un dictionnaire des arts et des sciences ; cependant il tient à la jurisprudence et à l’histoire. Nos grands poètes n’ont pas dédaigné de se servir fort souvent de ce mot dans les tragédies ; Clytemnestre, dans Iphigénie, dit à Agamemnon :

Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin
Que d’en faire à sa mère un horrible festin.

(Acte IV, scène iv.)

On emploie gaiement ce mot en comédie : Mercure dit dans l’Amphitryon (acte I, scène ii) :

Comment ! bourreau, tu fais des cris !

Le joueur dit (acte IV, scène xiii) :

. . . . Que je chante, bourreau !

Et les Romains se permettaient de dire :

Quorsum vadis, carnifex ?

Le Dictionnaire encyclopédique, au mot Exécuteur, détaille tous les privilèges du bourreau de Paris ; mais un auteur nouveau a été plus loin[2]. Dans un roman d’éducation, qui n’est ni celui de Xénophon, ni celui de Télémaque, il prétend que le monarque doit donner sans balancer la fille du bourreau en mariage à l’héritier présomptif de la couronne, si cette fille est bien élevée, et si elle a beaucoup de convenance avec le jeune prince[3]. C’est dommage qu’il n’ait pas stipulé la dot qu’on devait donner à la fille, et les honneurs qu’on devait rendre au père le jour des noces.

Par convenance on ne pouvait guère pousser plus loin la morale approfondie, les règles nouvelles de l’honnêteté publique, les beaux paradoxes, les maximes divines, dont cet auteur a régalé notre siècle. Il aurait été sans doute par convenance un des garçons... de la noce. Il aurait fait l’épithalame de la princesse, et n’aurait pas manqué de célébrer les hautes œuvres de son père. C’est pour lors que la nouvelle mariée aurait donné des baisers âcres, car le même écrivain introduit dans un autre roman, intitulé Héloïse, un jeune Suisse qui a gagné dans Paris une de ces maladies qu’on ne nomme pas, et qui dit à sa Suissesse : Garde tes baisers, ils sont trop âcres[4].

On ne croira pas un jour que de tels ouvrages aient eu une espèce de vogue. Elle ne ferait pas honneur à notre siècle si elle avait duré. Les pères de famille ont conclu bientôt qu’il n’était pas honnête de marier leurs fils aînés à des filles de bourreau, quelque convenance qu’on pût apercevoir entre le poursuivant et la poursuivie.

Est modus in rebus, sunt certi denique fines,
Quos ultra citraque nequit consistere rectum.

(Hor., lib. I, sat. i.)


  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Roman intitulé Émile, livre V. (Note de Voltaire.)
  3. « Je ne dis pas, écrit J.-J. Rousseau, que les rapports conventionnels soient indifférents dans le mariage ; mais je dis que l’influence des rapports naturels l’emporte tellement sur la leur, que c’est elle seule qui décide du sort de la vie, et qu’il y a telle convenance de goût, d’humeur, de sentiment, de caractère, qui devrait engager un père sage, fût-il prince, fût-il monarque, à donner sans balancer à son fils la fille avec laquelle il aurait toutes ces convenances, fût-elle née dans une famille déshonnête, fût-elle la fille du bourreau. »
  4. Voyez la Nouvelle Héloïse de J.-J. Rousseau, lettre xiv de la première partie.


Bourges

Bourreau

Brachmanes, Brames