Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Gâble

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GABLE, s. m. Terme de charpenterie appliqué à la maçonnerie. Il y a encore une association de charpentiers à laquelle on donne le nom de Gavauds, et, dans le Berri, un homme qui a les jambes arquées en dehors s’appelle un gavaud. Le gâble est originairement la réunion, à leur sommet, de deux pièces de bois inclinées. Le gâble d’une lucarne comprend deux arbalétriers assemblés dans un bout de poinçon et venant reposer au pied, à l’extrémité de deux semelles (1).
Nous avons vu ailleurs (voy. Cathédrale, Construction) qu’à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, on reconstruisit, dans les villes du domaine royal et du nord de la France, toutes les cathédrales et un grand nombre d’églises paroissiales. Bien qu’en commençant ces édifices les ressources fussent abondantes, lorsqu’on atteignit le niveau des voûtes hautes, l’argent vint à manquer, ou du moins ne put-on le recueillir que beaucoup plus lentement. Il fallut donc employer des moyens provisoires de couvertures qui permissent d’abriter les constructions faites, tant pour éviter les dégradations causées par la pluie et la gelée que pour livrer ces édifices au culte. D’ailleurs, dans les très-grands monuments, comme la cathédrale d’Amiens, par exemple, il eût été imprudent d’élever les piles, les grandes fenêtres, le mur et le bahut qui les surmontent, de poser la charpente supérieure sur ces murs isolés, ou plutôt sur ce quillage, sans bander les grandes voûtes et les arcs-boutants qui les contre-buttent ; car la stabilité de ces sortes d’édifices ne consiste qu’en un système d’équilibre, de pressions opposées, dont nous avons suffisamment expliqué le mécanisme à l’article Construction. Il fallait donc souvent maçonner les hautes voûtes parties par parties, puis attendre la récolte des ressources nécessaires pour élever, les murs-goutterots et les grandes charpentes. Alors on couvrait provisoirement chaque portion de voûte terminée par le procédé le plus simple et le plus économique : au-dessus des arcs-formerets, on élevait des gâbles en charpente dont le sommet était au niveau d’un faîtage posé sur des potelets suivant l’axe principal de la voûte. On réunissait ces sommets de gâbles avec ce faîtage, on chevronnait, et on posait du lattis et de la tuile sur le tout (2) (voy. le tracé A).
Les constructeurs avaient eu le soin de réserver, dans les reins des voûtes, des cuvettes aboutissant à des gargouilles jetant les eaux directement sur le sol, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, ou dans les caniveaux de couronnements d’arcs-boutants, comme à Notre-Dame d’Amiens (v. le tracé B, en C). Ainsi pouvait-on attendre plusieurs mois, plusieurs années même, avant de se mettre à élever les tympans au-dessus des fenêtres, les bahuts et les grandes charpentes ; les voûtes étaient couvertes, et les maçonneries n’avaient rien à craindre de la pluie, de la neige ou de la gelée. Dès que les approvisionnements accumulés permettaient de continuer l’œuvre, entre ces gâbles, et sans détruire les couvertures provisoires, on élevait les piles D et les portions de bahuts G ; sur ces portions de bahuts, dont l’arase supérieure atteignait le niveau des faîtages des couvertures provisoires, on faisait passer les sablières du comble définitif (voy. le tracé A, en H), on posait la grande charpente, on la couvrait et, celle-ci terminée, on enlevait par-dessous les couvertures provisoires, les gâbles de bois, et on posait les tympans sur les formerets ou archivoltes de fenêtres, ainsi que les bouts de corniches et de bahuts manquants. Des tuyaux ménagés dans les piles D (voy. le tracé B) jetaient les eaux des chéneaux E dans les gargouilles C, qui avaient ainsi été utilisées avec les couvertures provisoires et avec les couvertures définitives. Mais les yeux s’étaient habitués à voir ces gâbles de bois surmontant les formerets des voûtes, interrompant les lignes horizontales des corniches et bahuts. Lorsqu’on les enlevait, souvent les couronnements des édifices achevés devaient paraître froids et pauvres ; les architectes eurent donc l’idée de substituer à ces constructions provisoires, dont l’effet était agréable, des gâbles en pierre. C’est ce que Pierre de Montereau fit à la Sainte-Chapelle de Paris dès 1245[1]. Cet exemple fut suivi fréquemment vers la fin du XIIIe siècle, et notamment autour du chœur de la cathédrale d’Amiens ; puis, plus tard, à Cologne.

Pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, les gâbles de pierre devinrent ainsi un motif de décoration souvent employé. Les portails nord et sud du transsept de la cathédrale de Paris, dont la construction date de 1257, sont surmontés de gâbles qui ne remplissent aucune fonction utile, mais qui terminent les archivoltes par de grands triangles en partie ajourés, rompant la monotonie des lignes horizontales de ces immenses pignons.

Voici (3) le gâble du portail méridional de Notre-Dame de Paris. La balustrade et la galerie passent derrière ce gâble, qui n’est autre chose qu’un mur triangulaire isolé de 0,33 c. d’épaisseur. D’autres gâbles, plus petits, surmontent les niches qui accompagnent ce portail, et forment ainsi une grande dentelure à la base de l’édifice. Nous avons dit ailleurs[2] comment les constructeurs du moyen âge s’étaient servis de ces gâbles décoratifs pour charger les sommets des arcs-formerets et empêcher leur gauchissement.

Les trois portails de la cathédrale d’Amiens, très-profonds, compris entre de larges contre-forts saillants, sont couverts par des combles à double pente fermés par des gâbles pleins, donnant un angle presque droit au sommet et décorés seulement par des crochets rampants et un fleuron de couronnement. À la cathédrale de Laon, la même disposition a été adoptée ; mais l’architecte de la façade de la cathédrale de Reims, vers 1260, voulut, tout en conservant ce principe, donner aux gâbles des trois portails une richesse sans égale.

Le gâble du portail central (4) représente le Couronnement de la Vierge de grandeur colossale, surmonté d’une succession de dais s’étageant, en manière de gradins, jusqu’au sommet du triangle. La statuaire est ronde-bosse ; les saillies sont prononcées au point de faire presque oublier la forme primitive du gâble. Ici les lignes de l’architecture sont détruites par la sculpture.

Le XIVe siècle, tout en donnant aux gâbles une grande richesse de détails, eut toujours pour principe, cependant, de laisser aux lignes de l’architecture leur importance nécessaire. Le gâble du portail de la Calende, à la cathédrale de Rouen, est un des mieux composés parmi ceux qui nous restent de cette époque (5).


Il est entièrement ajouré au-dessus de la galerie, et orné de bas-reliefs dans des lobes au-dessous ; ses rampants sont garnis de redans délicats, qui ont remplacé les crochets, comme au portail méridional de la cathédrale de Paris.

Au XVe siècle, les rampants des gâbles deviennent plus aigus encore, plus épais, plus chargés de moulures, et les découpures intérieures plus ajourées et plus maigres. À la fin du XVe siècle, souvent les rampants des gâbles forment des angles curvilignes concaves, en manière d’accolades allongées, au-dessus des archivoltes. (Voy. Construction, fig. 106, 108 ; Fenêtre, fig. 19, 26 ; Flèche, fig. 4, 6 ; Lucarne, Pignon.)

  1. Voy. Fenêtre, fig. 19.
  2. Voy. Construction, fig. 108.