Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carlovingienne à la Renaissance/Châsse
CHASSE, s. f. La châsse n’est, à proprement parler, que le cercueil de pierre, de bois ou de métal dans lequel sont enfermés les restes d’un mort. Le mot de châsse, au moyen âge, s’applique indistinctement aux coffres qui renferment des corps de saints ou de grands personnages.
Les mots arca, capsa, furent employés, dans les premiers siècles et jusqu’à l’époque carlovingienne, indifféremment pour désigner des coffres destinés à un usage profane ou sacré. Grégoire de Tours rapporte[1] que l’empereur Justinien étant mort à Constantinople, Justin, qui lui succéda, était d’une avarice outrée. « Telle était sa cupidité, dit cet auteur, qu’il fit construire des coffres de fer[2] pour y entasser des milliers de pièces d’or. »
Frédégonde, voulant se venger de sa fille Rigonthe, qui l’insultait, l’engage, comme pour adoucir son mauvais naturel, à prendre ce que bon lui semblerait parmi ses bijoux. « … Entrant dans le réduit qui renfermait le trésor, elle ouvrit un coffre[3] rempli de colliers et d’autres ornements précieux ; et, après en avoir pendant longtemps retiré, en présence de sa fille, divers objets qu’elle lui remettait : « Je suis fatiguée, lui dit-elle ; enfonce toi-même la main dans le coffre, et tires-en ce que tu trouveras. » Pendant que, le bras enfoncé dans le coffre, celle-ci en tirait les effets, sa mère prit le couvercle et le lui rabattit sur la tête, puis pesa dessus avec tant de force, que le devant (du coffre) lui pressa le cou au point que les yeux étaient près de lui sortir de la tête[4]. » Il faut supposer que ces coffres à bijoux étaient de la grandeur d’une huche ou d’un bahut.
Le même auteur rapporte encore qu’étant évêque de Tours et ayant rebâti l’église de Saint-Martin, il trouva dans une auge de pierre, fermée par un couvercle, une cassette d’argent[5] contenant des reliques des martyrs de la légion sacrée.
Depuis le XVIe siècle, le mot châsse ne s’emploie que pour désigner le coffre transportable dans lequel est déposé le corps d’un saint. Il serait difficile de préciser l’époque où les corps des saints commencèrent à être déposés dans des châsses (capsœ), que l’on pouvait transporter d’un lieu à un autre ; originairement, ces restes vénérés étaient placés dans des sarcophages, au-dessus et au devant desquels on élevait un autel. Mais, sauf quelques rares exceptions, et dès l’époque carlovingienne déjà, on retira les restes des corps-saints des tombeaux fixes, pour les renfermer dans des coffres meubles. Les incursions des Normands contribuèrent à répandre cet usage. Ces barbares, faisant subitement irruption dans les Gaules, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, se jetaient de préférence sur les riches abbayes, sur les églises qui possédaient des trésors ; les religieux voulurent empêcher que les sépultures des saints martyrs ne fussent violées, leurs restes dispersés. Car, à cette époque, outre le respect dont on entourait ces reliques, celles-ci étaient pour les monastères une source intarissable de richesses. L’église pillée, dévastée, brûlée se relevait promptement de ses ruines, si les reliques du saint vénéré dans son enceinte étaient conservées. Il y a donc lieu de croire que c’est surtout pendant les IXe et Xe siècles que l’usage des châsses mobiles devint général, spécialement sur le littoral nord et ouest de la France.
Les premières châsses furent naturellement exécutées en bois ; ce n’étaient que des coffres assez légers pour être facilement transportés d’un lieu à un autre, assez simples pour ne pas exciter la cupidité. Pendant les invasions normandes, il est sans cesse question de corps-saints enlevés par les religieux, cachés, en attendant des temps meilleurs. La réintégration des reliques, lorsque le calme était rétabli, donnait lieu à des processions, à des cérémonies pendant lesquelles le saint, rétabli dans son sanctuaire, faisait quelques guérisons miraculeuses : c’était l’occasion pour les églises de recevoir des dons considérables. Nous ne pouvons que difficilement nous faire une idée aujourd’hui de la désolation qui s’emparait des populations lorsqu’il fallait se séparer des restes du saint vénéré dans la localité, de la joie qu’elles éprouvaient lorsque revenait en grande pompe la châsse contenant ces restes. C’est qu’en effet un corps-saint, pour une population, avait une importance dont nous ne trouvons pas aujourd’hui l’équivalent. Le corps-saint faisait de l’église un lieu inviolable ; il était le témoin muet de tous les actes publics, le protecteur du faible contre l’oppresseur ; c’était sur lui que l’on prêtait serment ; c’était à lui qu’on demandait la cessation des fléaux, de la peste, de la famine ; lui seul avait le pouvoir d’arrêter souvent la main de l’homme violent ; quand l’ennemi était aux portes, la châsse, paraissant sur les murailles, donnait du courage aux défenseurs de la cité. Ce n’est pas tout : si le corps-saint avait le pouvoir de protéger la vie des citoyens, d’exciter leur patriotisme, de les guérir de leurs maux et de détourner les calamités qui les affligeaient, il était encore une source de richesse matérielle, non-seulement pour l’église, mais pour la population au milieu de laquelle il résidait, en attirant de nombreux pèlerins, des étrangers, en devenant l’occasion de fêtes qui étaient presque toujours aussi bien commerciales que religieuses. Il nous suffit, nous le croyons, de signaler cette influence pour faire comprendre que rien aujourd’hui, si ce n’est peut-être le drapeau pour l’armée, ne remplace le corps-saint au milieu de nos cités. Qui donc oserait traiter de superstition le sentiment qui fait que le soldat se jette au milieu de la mitraille pour reprendre un morceau d’étoffe cloué à une hampe ? Et comment nous tous, qui regardons cet acte comme un simple devoir que l’on ne saurait discuter, dont l’accomplissement fait la force d’une armée, comme le symbole de la discipline et du patriotisme le plus pur, comment n’aurions-nous plus, à défaut de foi vive, un profond respect pour ces châsses qui, elles aussi, ont été si longtemps en France l’arche de la civilisation ? Et cependant nous avons vu et nous voyons encore des églises se défaire de ces meubles vénérables, les vendre à des brocanteurs, s’ils ont quelque valeur, ou les laisser pourrir dans quelque coin obscur parmi les immondices, si la matière en est grossière. Des églises, les châsses précieuses épargnées par la révolution ont presque toutes passé, en France, des mains du clergé dans les collections publiques ou particulières.
L’histoire des reliques de saint Germain d’Auxerre est celle de presque tous les corps-saints depuis les premiers siècles du christianisme jusqu’au XIe ou XIIe siècle. L’abbé Lebeuf l’a recueillie avec soin d’après les renseignements les plus authentiques[6] ; nous la donnons ici sommairement, afin de bien établir dans l’esprit de nos lecteurs cette distinction qu’il faut faire entre le sépulcre et la châsse.
Vers le milieu du Ve siècle, saint Germain meurt à Ravenne ; il demande en mourant que son corps soit transporté à Auxerre. En effet, ses restes sont déposés dans cette ville deux mois après sa mort. Le cercueil était de bois de cyprès, selon Héric ; il fut descendu dans un sarcophage de pierre placé sous la petite église de Saint-Maurice. Sainte Clotilde fait rebâtir sur ce tombeau une église plus grande avec une vaste crypte, et la dédie à saint Germain. Un des successeurs de Clovis fait surmonter le tombeau du saint d’un dais recouvert d’or et d’argent. En 841, le tombeau est ouvert en présence de Charles le Chauve, et le corps est placé dans un nouveau tombeau. Lothaire, fils de ce prince et abbé de Saint-Germain, fait faire peu après une châsse magnifique, couverte d’or et de pierreries, pour y renfermer le corps du saint. Vers la fin du IXe siècle, la crainte qu’inspiraient les Normands fit songer à cacher cette chasse somptueuse, et probablement les reliques de Saint-Germain, qui jusqu’alors étaient restées dans le sépulcre donné par Charles le Chauve, y furent renfermées. On augmenta, pour ce faire, la profondeur du caveau ; on y descendit la châsse, et on la mit dans le premier sépulcre de pierre où le saint avait reposé ; lorsqu’on eut bien maçonné le couvercle de ce tombeau, de manière à faire disparaître toute trace de sépulcre, on plaça par-dessus un autre sépulcre de pierre dans lequel on déposa les morceaux du cercueil de cyprès qui avait servi à la translation du corps de Ravenne à Auxerre. A la fin du XIe siècle, la chasse due à Lothaire est exposée aux yeux du peuple.
Quel que soit le plus ou moins d’exactitude de ces récits, toujours est-il que le corps de saint Germain, déposé d’abord dans un cercueil de pierre, en est extrait pour être mis dans un coffre, une châsse transportable. Cet usage fut cause que la plupart des corps-saints trouvés entiers dans leurs cercueils, entourés, comme celui de saint Germain, des suaires et vêtements primitifs, une fois déposés dans des châsses que l’on pouvait facilement transporter et ouvrir, furent en grande partie dispersés, divisés en une quantité innombrable de reliques. Ce fut la première et la plus grave atteinte portée au respect que l’on avait pour les restes de ces défenseurs de la foi chrétienne.
Jusqu’au XIIIe siècle cependant, on conserva aux châsses l’aspect de coffres, de cercueils qu’elles avaient eu dans l’origine. À cette époque, beaucoup de ces anciennes châsses de bois, revêtues de cuivre ou d’argent doré, faites pour soustraire les corps-saints au pillage des Normands, existaient encore ; on semblait hésiter à détruire ces enveloppes que les fidèles étaient habitués à vénérer, surtout lorsqu’elles protégeaient les restes de personnages aussi populaires que saint Germain, saint Martin, saint Denis, saint Firmin, saint Marcel, sainte Geneviève, etc.
Autant qu’on peut en juger par les représentations peintes ou sculptées, ces châsses primitives étaient d’assez grande dimension pour contenir un corps ayant conservé sa forme ; lorsque ces coffres de bois tombèrent de vétusté, ou semblèrent trop pauvres au milieu du luxe déployé dans la décoration intérieure des églises, on les remplaça par des châsses de cuivre repoussé ou émaillé, d’argent blanc ou de vermeil. Alors les restes des saints ne devaient plus présenter qu’un amas d’ossements séparés ; il n’était plus nécessaire de donner aux châsses les dimensions d’un cercueil : l’emploi du métal, par sa valeur aussi bien que par son poids, devait nécessairement contribuer à faire adopter, pour des châsses transportables, des dimensions qui pussent permettre de les porter, et qui ne rendissent pas leur fabrication trop dispendieuse.
C’est à la fin du XIIe et pendant les XIIIe et XIVe siècles que presque toutes ces anciennes châsses de bois peint ou revêtu de lames minces de métal furent refaites. En diminuant leur grandeur, en les fabriquant avec des matières plus précieuses, on changea leur forme et leur position. Elles perdirent l’aspect de coffre, de cercueil, qu’elles avaient généralement conservé, pour prendre la forme de petits monuments assez semblables à des chapelles ou même à des églises ; au lieu d’être placées sous l’autel, comme le sépulcre primitif du saint, on les éleva et on les suspendit sous des dais, sortes d’expositions de bois peint et doré, de pierre ou de métal, disposées derrière les autels. On les descendait de ces expositions, à certains jours de l’année, pour les placer sur l’autel même ou sur le retable, ou pour les porter processionellement dans l’église, dans la ville ou dans tout un diocèse. Quelquefois même on faisait voyager les châsses jusque dans des pays éloignés ; elles étaient accompagnées de religieux qui les offraient à la vénération des fidèles, et recevaient des dons en argent destinés à l’achèvement d’une cathédrale, d’une abbaye, d’une église.
Les translations de reliques, leur passage à travers les villes, étaient l’occasion de cérémonies imposantes. Les châsses étaient ordinairement transportées par des clercs, sur des pavois et des brancards. Sous ces pavois, on attachait des cassolettes dans lesquelles brûlaient des parfums (fig. 1)[7].
Quand les corporations laïques eurent acquis, au XIIIe siècle, une grande importance, elles obtinrent souvent le privilége de porter des chasses les jours de grandes fêtes[8].
Lorsque Philippe le Hardi revint à Paris avec les ossements du roi son père, il voulut transporter lui-même sur ses épaules, de Notre-Dame à l’abbaye de Saint-Denis, la châsse qui les contenait. Sur la route, en mémoire de cet acte, on éleva, à chaque station qu’il fit, des croix de pierre richement sculptées que l’on voyait encore debout au commencement du dernier siècle[9].
Quelques corps-saints restèrent cependant déposés dans leurs cercueils primitifs, ou dans des coffres de pierre ou de bois revêtus de métal, fixés derrière les autels. C’est ainsi que la châsse de saint Firmin était placée derrière l’un des autels de l’église abbatiale de Saint-Denis[10]. A la cathédrale d’Amiens, dans les bas-reliefs qui décorent le tympan de la porte dite de la Vierge dorée, on remarque, derrière un autel, une grande châsse en forme de coffre, sur laquelle est posée la statue d’un évêque ; un aveugle approche de ses yeux la nappe qui couvre ce coffre : c’est la châsse de saint Honoré opérant des guérisons miraculeuses par l’attouchement des linges dont elle est couverte. Ce renseignement a sa valeur ; il explique comment, au XIIIe siècle, étaient placées les grandes châsses à la portée des fidèles, comment elles étaient recouvertes de nappes ainsi qu’un autel, et comment l’image des saints dont elle enveloppaient la dépouille était représentée. La figure 2 nous dispensera de plus longues explications.
Derrière le grand autel de Notre-Dame de Paris, on voyait, dit Dubreuil, « sur une large table de cuivre, soutenue de quatre gros et fort haults piliers de mesme estoffe, la châsse de saint Marcel, neufième évesque de Paris… A droite, sur l’autel de la Trinité, dict des Ardents, est la châsse de Notre-Dame, d’argent doré ; en laquelle il y a du laict de la sainte Vierge, et de ses vêtemens ; plus des pierres desquelles fust lapidé saint Etienne… A côté senestre dudict autel est une châsse de bois, ayant seulement le devant couvert d’argent doré, en laquelle est le corps de sainct Lucain, martyr… Ceste châsse, couverte de quelque drap de soye précieux, se porte en procession par deux hommes d’église… » Voici qui rappelle parfaitement la disposition de la châsse de saint Honoré, représentée figure 2.
Nous remarquons encore, sur l’un des bas reliefs du tympan de la porte méridionale de la cathédrale d’Amiens, la châsse du même saint transportée par deux clercs ; elle est à peu près de la dimension d’un cercueil, et paraît exécutée en bois recouvert de lames de métal (fig. 3). Des infirmes se placent sous la châsse et la touchent en invoquant le saint, afin d’être guéris de leurs maux. C’était en effet ainsi qu’on venait implorer l’intercession d’un saint, en se plaçant directement sous la châsse qui contenait son corps. Cet usage, établi probablement par les fidèles, fit que l’on plaça presque toujours les chasses, à partir du XIIe siècle, soit sur des édicules élevés, comme la châsse de saint Marcel, soit sur des crédences, sous lesquelles on pouvait passer à genoux et même en rampant.
Il n’existe aujourd’hui qu’un bien petit nombre de ces châsses de bois d’une époque ancienne destinées à contenir des corps-saints. Nous en connaissons une à Cunault (Maine-et-Loire), sur laquelle on voit encore des traces de peintures et sculptures représentant les douze apôtres, le Christ accompagné d’anges thuriféraires ; sa forme est d’ailleurs d’une extrême simplicité ; une arcature ogivale sépare les apôtres. Cette châsse date du XIIIe siècle. On en voit une, également de bois, dans l’église de Saint-Thibaut (Côte-d’Or), qui date du commencement du XVe siècle, cette châsse n’est ornée que par les fortes ferrures qui servent à maintenir les panneaux de bois et aux deux bouts par six montants se terminant en fleurons sculptés. Elle est exactement reproduite, avec tous les détails de sa construction, dans les Annales archéologiques[11]. Déjà cependant, dès les premiers siècles, ces grandes châsses de bois étaient revêtues de lames de métal, d’émaux ou de morceaux de verre[12]. Les feuilles de métal clouées sur le bois étaient fort minces, rehaussées de gravures et quelquefois accompagnées de figures faites au repoussé ou d’ivoire. Ce mode de fabrication persista longtemps, car nous voyons encore des châsses des XIIe et XIIIe siècles, de dimensions médiocres, dont le fond est de bois recouvert de plaques de métal émaillé, gravé, doré, avec statuettes faites à l’étampe, au repoussé, ou embouties, avec des feuilles de cuivre ou d’argent d’une faible épaisseur. Outre l’économie, ce procédé de fabrication avait l’avantage de laisser à ces châsses, que l’on transportait fréquemment, la légèreté d’un coffre de bois. C’est ainsi qu’est exécutée la châsse de saint Calmine (fig. 4), duc d’Aquitaine, fondateur des monastères de Saint-Théophrède en Velay et de Masac en Auvergne, patron de l’église de Saguenne, près Tulle. Cette châsse est de cuivre émaillé, doré, avec des figures bas-reliefs faites au repoussé. Sur l’une des faces latérales (qui est la face principale), on voit le Christ couronné, nimbé, bénissant, et tenant un livre ; à sa gauche est un personnage drapé tenant un livre, et à sa droite un saint abbé probablement. Deux anges thuriféraires sont posés sur les rampants du petit omble. Sur le côté droit de la chasse est gravé un saint Paul (fig. 5). Sur le côté gauche, qui sert d’entrée, un saint Pierre. Outre les émaux, qui sont fort beaux et des fabriques de Limoges, cette châsse est décorée de pierres et le faîtage de boules de cristal de roche. Tout l’ouvrage appartient à la première moitié du XIIIe siècle[13]. Vers la fin de ce siècle, la fonte vint, dans les châsses d’orfèvrerie, se marier au métal repoussé, embouti ou estampé, aux émaux ou filigranes. Nous renvoyons nos lecteurs, pour l’explication de ces procédés, à la partie du Dictionnaire qui traite de l’orfévrerie, ne nous occupant ici que de la composition générale des châsses. Mais ces meubles conservent jusqu’au XVIe siècle un caractère particulier ; ils n’affectent pas encore la forme de modèles de chapelles ou d’églises ; il suffit de voir les châsses des grandes reliques de Notre-Dame d’Aix-la-Chapelle, des Trois-Rois, à Cologne, de Saint-Taurin, à Évreux[14], et surtout la belle châsse de Tournay, pour reconnaître que ces meubles, de la fin du XIIe siècle et du XIIIe, ont des formes, des proportions et une ornementation qui leur appartiennent. Plus tard, et particulièrement pendant le XVe siècle, les orfèvres cherchent, dans la composition des châsses, à reproduire en petit de grands édifices : c’est ainsi que fut refaite, en 1408, la grande châsse de saint Germain, qui dépendait du trésor de Saint-Germain des Prés. Nous la donnons ici (fig. 6)[15]. Quel que fût le mérite d’exécution de ces objets, ils avaient alors perdu leur caractère propre, si remarquable deux siècles auparavant. La châsse de saint Germain présentait cependant un grand intérêt au point de vue iconographique ; c’est ce qui nous engage à la donner ici. Les deux basses nefs étaient divisées en six arcades de chaque côté, dans lesquelles étaient placées les statuettes de cuivre doré des douze apôtres. A l’une des extrémités, on voyait, sous un arc, la Trinité, représentée par le Père éternel assis, vêtu en pape, tenant devant lui Jésus-Christ en croix. Le Saint-Esprit, sous forme d’une colombe, sort de la bouche du Père et descend vers le crucifix. L’abbé Guillaume, qui fit exécuter cette châsse, était à la droite du Père, en habit de religieux, la crosse en main et la mitre en tête ; le roi Eudes était à sa gauche, revêtu des insignes de la dignité royale. A l’autre extrémité se voyait également, sous une archivolte, saint Germain en habits pontificaux, ayant à ses côtés saint Vincent et saint Étienne, patrons de l’abbaye, en habits de diacres. Cette châsse, surmontée d’une flèche à jour, n’avait qu’un mètre environ de longueur ; elle était supportée par six figures d’hommes, de cuivre doré, tenant des phylactères sur lesquels étaient gravés des vers à la louange de ceux qui avaient contribué à faire exécuter ou à décorer tant l’ancienne que la nouvelle châsse. Des pierres précieuses qui avaient été posées sur l’ancienne châsse donnée par Eudes, comte de Paris, entrèrent dans la décoration de celle-ci ; ces pierres précieuses étaient au nombre de deux cent soixante, les perles au nombre de quatre-vingt-dix-sept[16]. Un grand nombre de châsses furent ainsi refaites pendant les XIIIe et XIVe siècles et au commencement du XVe. Beaucoup furent vendues ou détruites pendant les guerres désastreuses de l’invasion anglaise. Louis XI répara ces pertes, si toutefois elles étaient réparables. On fit refondre encore beaucoup de châsses neuves au commencement du XVIe siècle, les formes des anciennes châsses n’étant plus dans le goût de ce temps ; les guerres religieuses de la fin de ce siècle en détruisirent une quantité innombrable. Pendant la Révolution, la plupart des châsses qui avaient une valeur intrinsèque furent envoyées à la monnaie et depuis, le clergé, les fabriques, les ont vendues, souvent à vil prix à des amateurs ou brocanteurs, ou les ont échangées contre des ornements de mauvais goût. Aussi, en France, les châsses anciennes de quelque importance, et surtout exécutées en matières précieuses, sont-elles fort rares.
Les châsses ne contenaient pas seulement des corps-saints ; elles étaient destinées aussi à renfermer certaines reliques pieuses. On désignait l’armoire de vermeil contenant les précieuses reliques de la Sainte-Chapelle à Paris sous le nom de la grande-châsse. Dans l’église cathédrale de Chartres, la chemise de la sainte Vierge était conservée dans une magnifique châsse donnée en 896 par le roi Charles le Chauve. Cette chasse, qui avait 0m,677 de longueur, sur 0m,271 de largeur et 0m,569 de hauteur, était posée sur un brancard de vermeil semé de fleurs de lis en relief ; elle était de bois de cèdre, couverte de plaques d’or et enrichie d’une infinité de perles, diamants, rubis, émeraudes, saphirs, agates, turquoises, camées ou intailles, et accompagnée de nombreux bijoux donnés par divers princes et des évêques[17]. (Voyez, pour la position des châsses suspendues derrière et au-dessus des autels, le Dictionnaire d’architecture, au mot Autel.)
- ↑ Lib. IV.
- ↑ « Cui tanta fuit cupiditas, ut arcas juberet fieri ferreas, in quas numismatis aurei talenta congereret. »
- ↑ « Reseravit arcam… »
- ↑ Grég. de Tours, Hist. Franç., lib. IX.
- ↑ « … Et inveni in hoc capsulam argenteam, in qua… » (Ibid., lib. X.)
- ↑ Mém. concernant l’hist. civ. et ecclés. d’Auxerre et de son ancien diocèse, par l’abbé Lebeuf, édit. 1848, t. I, p. 72 et suiv.
- ↑ Sculpture de l’un des chapiteaux de la crypte de l’église de Saint-Denis en France. Ces chapiteaux appartiennent à la construction conservée par Suger, et paraissent être du commencement du Xe siècle.
- ↑ Dubreuil, liv. III, châsses de Saint-Merry.
- ↑ Félibien, Hist. de l’abbaye roy. de Saint-Denis, 1706.
- ↑ Voyez le Dict. d’architect. du XIe au XVIe siècle, art. Autel, fig. 15 et 16.
- ↑ Annales archéol. par Didron, t. V, p. 189.
- ↑ « La première châsse de sainte Aure, abbesse, n’était que de bois et de verre… » (Dubreuil, Ant. de Paris, liv. I)
- ↑ Cette châsse faisait partie de la collection de M. le prince Soltykoff.
- ↑ Mélang. archéol. des RU. PP. Martin et Cahier.
- ↑ Ce dessin est exécuté à l’aide de la gravure de cette châsse, donnée par D. Bouillard dans son Hist. de l’abbaye roy. de Saint-Germain des Prés.
- ↑ Le marché passé par l’abbé Guillaume avec Jean de Clichy, Gauthier Dufour et Guillaume Boey, orfèvres à Paris, est donné tout au long dans les pièces justificatives de l’Hist. de l’abbaye roy. de Saint-Germain des Prés de dom Bouillard. Cette pièce est fort curieuse.
- ↑ Voyez l’inventaire de cette châsse et de ces bijoux dans le Bullet. des Comités histor. ; janvier 1851. Les camées et intailles qui garnissaient cette châsse ont été, en 1793, envoyés à la Bibliothèque nationale ; ils y sont encore déposés.