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Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carlovingienne à la Renaissance/Char

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CHAR, s. m. (char branlant, charrette, chariot, curre). Les chars, carrosses, voitures, étaient en usage pendant le moyen âge. Il y a lieu de croire même que, dès l’époque mérovingienne, il existait une sorte de service public de voitures. Childebert, voulant s’emparer des trésors de Rauching, expédie des ordres et envoie des gens munis de lettres qui mettaient à leur disposition les voitures publiques du royaume[1]. Les voitures ne furent longtemps que de véritables charrettes non suspendues à quatre roues, auxquelles on attelait des chevaux montés par des postillons. Ces moyens de locomotion furent tellement communs, qu’au XIIIe siècle des lois somptuaires les interdirent aux classes moyennes[2]. Les femmes nobles, les abbés, voyageaient dans des chariots ; et les miniatures des manuscrits du XIIIe siècle nous en ont transmis un grand nombre qui tous affectent la forme d’une charrette à quatre roues égales de diamètre (fig. 1)[3] avec brancards ou timons, traînée par des attelages accouplés ou en flèche et des postillons. Si ces voitures étaient fort simples comme forme et combinaison, elles étaient enrichies de peintures, de dorures, recouvertes d’étoffes posées sur des cercles, comme nos voitures de blanchisseurs ; à l’intérieur, des coussins étaient jetés sur les banquettes disposées en travers. On entrait dans ces chars par derrière comme on peut encore entrer dans nos charrettes, et souvent cette issue était fermée par des chaînes ou des barres d’appui. Du reste, le coffre, jusqu’à la fin du XVe siècle, reposait sur deux essieux, sans courroies ni ressorts ; et les essieux étant fixes, parallèles, il fallait s’y prendre de loin pour tourner. Grâce à une grande quantité de coussins, à des étoffes épaisses, on pouvait encore voyager longtemps dans ces charrettes, menées d’ailleurs assez doucement. Quelle que fut la naïveté de leur structure, il est certain que les voitures des XIIIe et XIVe siècles étaient fort richement décorées.

« Biaus fu li chars à quatre roës,
« D’or et de pelles estelés.
« En leu de chevaux atelés
« Ot es limons huit colombiaus

« Pris en son colombier moult biaus ;
« 
 »[4]

Au XIVe siècle, Eustache Deschamps, dans son Mirouer de mariage, énumérant toutes les charges qui incombent au mari pour le mesnage soustenir avec les pompes et grans bobans des femmes, fait dire à l’une d’elles :

« Et si me fault bien, s’il vous plest,
« Quant je chevaucheray par rue,
« Que j’aie ou cloque[5] ou sambue[6]
« Haquenée belle et amblant,
« Et selle de riche semblant,
« A las et à pendans de soye ;
« Et se chevauchier ne povoye,
« Quant li temps est frès comme burre,
« Il me fauldroit avoir un curre (char)
« A cheannes, bien ordonné,
« Dedenz et dehors painturé,
« Couvert de drap de camocas (camelot).
« Je voy bien femmes d’avocas,
« De poures bourgois de villaige
« Qui l’ont bien ; pour quoy ne l’arai-ge,
« A quatre roncins atelé ? »[7]

Il fallait donc à une femme de qualité, au XIVe siècle, pour voyager, une haquenée, et un char attelé lorsque le temps était mauvais : les petites bourgeoises en usaient bien de la sorte !

Ces chars étaient généralement d’une assez grande dimension pour contenir une dizaine de personnes. La couverture était fixée sur une armature de bois et percée de trous latéraux fermés par des rideaux (fig. 2)[8], ou elle était posée sur des cercles et quatre montants, se rabattait sur les côtés ou se relevait à volonté (fig. 3)[9]. Ce dernier exemple est copié sur le beau manuscrit le Romuleon, histoire des Romains, de la Bibliothèque nationale. Cette compagnie de dames nous représente Tullie avec ses femmes, faisant passer son char sur le corps de son père.

Les chars de voyage ou les chars d’honneur avaient souvent la même forme, c’est-à-dire qu’ils n’étaient que des tombereaux recouverts de riches étoffes. Nous trouvons encore dans le Romuleon une miniature représentant le triomphe de Camille (fig. 4). Le dictateur est traîné par deux chevaux attelés en flèche, dans un char dont la couverture, soutenue par des cercles et des traverses, est relevée sur les côtés. Deux croix de Saint-André empêchent les cercles de se déformer. Camille est assis dans un fauteuil pliant (faudesteuil) simplement posé au milieu du chariot. Le limonier est attelé comme le sont nos chevaux de charrettes encore aujourd’hui. Toutefois, ces chars d’apparat avaient généralement, au moyen âge, plus d’importance. L’exemple que nous donnons plus loin (fig. 5), tiré d’un manuscrit du commencement du XVIe siècle, de la Bibliothèque nationale, le prouve. C’est encore une entrée triomphale ; le char est attelé de plusieurs chevaux en flèche, menés par un postillon. Le triomphateur est assis en avant sous un dais ; il tient ses prisonniers attachés au bout d’une corde ; un homme placé dans l’intérieur du char les fait marcher avec un bâton. Le corps du char, qui paraît assez vaste, est couvert d’une tente ornée d’une crête, d’épis avec bannières et pennons armoyés, de franges d’or et d’inscriptions. Il faut dire que ces chars de cérémonie n’étaient en usage, lors des entrées de rois et reines, que pour les dames de suite ; les rois entraient à cheval et les reines le plus souvent en litière (voy. ce mot).

« La lictière de la Reyne de France estoit adextrée du duc de Touraine et du duc de Bourbon, au premier chef ; secondement et au milieu, tenoient et adextroient la lictière le duc de Berry et le duc de Bourgongne ; et à la dernière suite Messire Pierre de Navarre et le comte d’Ostrevant ; et vous dy que la lictière de la Reyne estoit très-riche et bien ornée, et toute découverte… Des autres dames et damoiselles qui venoient derrière sur chariots couverts et sur pallefrois n’est nulle mention, et des chevaliers qui les suivoient…[10] »

Lors des enterrements des princes, il était d’usage de transporter le corps du défunt dans des chars richement décorés. « … Et fut la préparation du duc moult bien ordonnée et faicte : les chevaux du chariot couverts de velours ; et pennons, bannières et cottes-d’armes estoyent bien ordonnés. Le corps gisoit en son chariot, et pardessus avait un poisle élevé ; et après venoit le corps de Madame de Bourgongne en son chariot et chevaux couverts de velours… Les églises (le clergé) aloyent devant, par ordre. Les chevaliers de l’ordre estoyent tous à pié, adextrans le chariot, et tenant le poisle couchant (le drap recouvrant le corps). Le poisle élevé fut soustenu par quatre des plus grands du pays de Bourgongne…[11]. »

Vers le commencement du XVIe siècle, de certaines modifications furent apportées dans la construction des chariots de voyage ; on fit alors des entrées littérales entre les deux roues. Voici (fig. 6) un chariot de cette époque, exécuté en sapin, qui existe encore dans le bâtiment de la douane de Constance. La figure 7 donne les extrémités de ce véhicule, qui ne paraît pas avoir été posé autrement que sur deux essieux. Les deux banquettes se regardant, le plancher et les accoudoirs étaient garnis de tapis mobiles. Quelquefois (si l’on s’en rapporte aux gravures du XVIe siècle) les deux entrées étaient munies de marchepieds fixes sur lesquels tombaient les tapis, et une sorte de capote à soufflet pouvant s’abattre et se relever était posée sur les dossiers et les accoudoirs, au-dessus de l’une des deux banquettes ou sur les deux. Ces voitures prenaient le nom de coches[12]. Il ne paraît pas qu’elles fussent suspendues avant le milieu du XVIe siècle. Ce premier système de suspension consiste en deux courroies passant longitudinalement sous le coffre (fig. 6 A). Cette suspension fit donner à ses chars le nom de chars branlants.

Quant aux charrettes à deux roues, que nous trouvons dans les manuscrits des XVe et XVIe siècles, elles diffèrent si peu de celles qui sont encore en usage aujourd’hui, qu’il nous semble inutile d’en donner un exemple.

Nous voyons aussi qu’au moyen âge on se servait de charrettes à bras. Les tapisseries de Saint-Médard, dont il existe des copies fort belles à la bibliothèque Bodléienne d’Oxford, nous en donnent un exemple. Ces tapisseries dataient de la fin du XIIIe siècle. (Voy. Tapisserie.)

  1. « Qui cum adfuisset (Rauching), priusquam eum rex suo jussisset adstare conspectui, datis litteris, et pueris destinatis cum erectione publica qui res ejus per loca singula deberent capere… » (Grég. de Tours. Hist. Franc., lib. IX.)
  2. Gloss. et Répert., par M. le comte de Laborde, 1853.
  3. Manuscr. Bibl. nat., anc. fonds Saint-Germain, no 37 XIIIe siècle.
  4. Le Roman de la Rose, descrip. du char de Vénus. Édit. de M. Méon (Paris, 1814), t. III, p. 83.
  5. Manteau.
  6. Capote pour monter à cheval.
  7. Poésies morales et hist. d’Eust. Deschamps, édit. Crapelet, un vol. Paris, 1832 p. 207.
  8. Manuscr. du XIVe siècle, Domest. Archit. of the middle ages. Oxford, J. H. Parker.
  9. Manuscr, du XVe siècle, no 6984, Bibl. nat.
  10. D. Godefroy, le Cérémonial français ; 1649, t. I, p. 639 : Entrée de la reine Isabeau de Bavière à Paris (Froissart, liv. IV).
  11. Enterrement du duc Philippe de Bourgogne, 1467 (Mem d’Oliv. de la Marche).
  12. La Coche, poëme de Marguerite, reine de Navarre, man. du XVIe siècle, orné de onze miniatures. Biblioth. de M. J. Pichon, prés, de la Soc. des bibl. franç.