Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Reclusoir

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RECLUSOIR, s. m. Il était d’usage de pratiquer, auprès de certaines églises du moyen âge, de petites cellules dans lesquelles s’enfermaient des femmes renonçant pour jamais au monde. Ces reclusoirs avaient le plus souvent une petite ouverture grillée s’ouvrant sur l’intérieur de l’église. Le P. du Breuil[1] raconte qu’une certaine Alix la Bourgotte s’était fait enfermer ainsi dans un petit logis proche du grand portail de l’église des Innocents : « Et pour remarque, ajoute-t-il, se voit encore un treillis en une petite fenêtre qui a veuë dans l’église, par où elle entendoit la messe. » Un tombeau de bronze avait été élevé à cette recluse en la chapelle Notre-Dame, en 1466. Toutes les recluses n’étaient pas volontaires. « Renée de Vendomois ayant fait tuer son mari », dit l’abbé Lebeuf en parlant du reclusoir des saints Innocents « le roi, en considération du duc d’Orléans, lui fit grâce en 1485 ; et le parlement, entre autres punitions, la condamna à demeurer perpétuellement recluse et murée au cimetière des Innocents, en une petite maison qui lui devoit être faite… J’avois pensé, ajoute Lebeuf, que la turricule octogone et isolée que l’on voit dans ce cimetière auroit pu être la prison qu’on lui donna. » Mais l’édicule dont parle Lebeuf était bien plutôt une lanterne des morts, comme il était d’usage d’en élever dans presque tous les cimetières du moyen âge.

Le même auteur rapporte qu’en l’église Saint-Médard « avoit été fait, comme en plusieurs autres de Paris, au XIVe et XVe siècle un reclusoir, c’est-à-dire une cellule où vivoit une femme recluse pour le reste de ses jours. »

Il n’y avait jamais, dans chaque église, qu’une seule recluse à la fois, celles qui prétendaient lui succéder attendaient qu’elle fût morte. Cet usage était fort ancien, puisque dans l’ancienne abbaye de Saint-Victor, et avant sa reconstruction par Louis le Gros, une certaine Basilla, recluse, avait été ensevelie dans le reclusoir où elle avait passé sa vie[2].

On voit encore dans l’église du Mas-d’Azil (Ariège), proche du chœur et dans l’épaisseur du mur, une petite cellule dans laquelle il était d’usage d’enfermer un fou. Cette cellule très-exiguë ne prenait de jour et d’air que de l’intérieur de l’église. Il y avait bien là tout ce qu’il fallait pour rendre fou un homme sensé ; nous n’avons pu savoir si c’était dans l’espoir de guérir ces malheureux qu’on les chartrait ainsi. Charles V fit élever un bel oratoire de boiseries à Saint-Merry, sa paroisse, pour une certaine Guillemette, qui passait pour sainte et se tenait constamment dans ce lieu, où on la pouvait voir en extase. Toute la cour avait grande foi en sa sainteté et se recommandait à ses prières.

  1. Théâtre des antiq. de Paris, édit. de 1612, p. 837.--Hist. du dioc. de Paris, l’abbé Lebeuf, t. I, p. 80.
  2. Hist. du dioc. de Paris, l’abbé Lebeuf, t II, p. 542.