Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe/Précis historique/V/V

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Julien Remy Pesche
(Tome 1p. CDXI-CDXIV).

§ V. Gouvernement Royal, 1.re restauration.

1814 — 1815. L’arrivée dans le midi d’un fils de France de la famille des Bourbons, et le signal d’insurrection contre le gouvernement impérial, donné par les autorités de la ville de Bordeaux, au mois de mars 1814, et lorsque les armées étrangères marchaient sur Paris, allaient être un nouveau ferment d’agitation pour les départemens de l’Ouest, qui aurait promptement produit son effet dans la Sarthe. En effet, « une confédération dirigée contre le gouvernement impérial, jetait déjà de profondes racines dans la Bretagne et dans le Maine. Les royalistes de cette dernière province étaient commandés par le comte de Vibraye, et ce chef avait sous ses ordres le fameux capitaine Tranquille, qui, dans sa vive impatience, devançait les événemens[1], » si l’entrée des alliés à Paris, le 31 mars, l’acte de déchéance rendu par le sénat contre Napoléon, le 3 avril, et l’abdication de l’empereur, du 11 du même mois, n’étaient venus tranquilliser les esprits inquiets et agités. Ces événemens, et le rétablissement de la dynastie des Bourbons sur le trône de France, durent causer et causèrent en effet autant de surprise que d’inquiétude, à tous les hommes qui avaient donné des gages d’affection et de dévouement à la révolution et au chef de l’empire, son héritier ; mais ces sentimens d’angoisse ne durèrent qu’un moment : ils cessèrent aussitôt que les garanties offertes par la déclaration de S.-Ouen, eurent tranquillisé sur les suites d’une restauration qui ne se présenta plus aux citoyens de toutes les opinions, que comme un port de salut, une sorte d’arche d’alliance, laquelle, en arrêtant la marche vengeresse et dévastatrice des alliés, et faisant tomber les armes de leurs mains, mettait un terme aux malheurs de la patrie et à l’effroi général. Dès-lors, tous les esprits, toutes les opinions, se rallièrent au monarque éclairé qui venait d’être rétabli sur le trône de ses pères, et dont les principes libéraux, exprimés avec tant de franchise, lors de la réunion des notables en 1787 et 1788, étaient un sur garant de ses intentions bienfaisantes, que vint bientôt confirmer cette Charte constitutionnelle, donnée à la nation française le 4 juin 1814, et dont les considérants ne permettent de supposer ni arrière-pensée, ni tergiversations, sur sa stricte et loyale exécution. Aussi, lorsque S. A. R. le duc d’Angoulême, traversa le département de la Sarthe au mois d’août suivant, le concours de la population entière de ce département, qui se pressa sur ses pas et se plut à l’entourer de marques de respect et d’amour, dût-il le convaincre des véritables sentimens des Sarthois, et de la réunion de tous les esprits et de tous les cœurs. Les noms des souscripteurs à la statue de son aïeul Henri IV, révélèrent assez d’ailleurs que les opinions s’étaient ralliées d’avance à ce sentiment d’Union et Oubli, que le même prince crut nécessaire de proclamer dans l’Ouest trois ans plus tard.

Quelques noms Sarthois se faisant remarquer dans le récit des événemens qui eurent lieu à Paris, lors de l’entrée des armées alliées dans la capitale, nous allons extraire encore de l’ouvrage de M. Alphonse de Beauchamp déjà cité, les fragmens qui se rapportent à ces événemens et dans lesquels se rencontrent ces noms. Nous ne faisons que citer, afin de ne donner, sur ce sujet, rien d’inexact ou de hasardé.

« Instruits, dans la soirée du 30 mars, qu’une capitulation ouvrirait le lendemain l’accès de Paris aux alliés, cent jeunes royalistes prennent entre eux l’engagement, sous les auspices de l’amitié, de la religion et de la morale, de se réunir sur la place Louis XV, et de s’y déclarer pour les Bourbons. Nul d’entre eux ne connaissait encore les vues des hautes puissances ; et telle était l’incertitude à cet égard, que, dans la nuit même, M. de Semallé, commissaire de S. A. R. Monsieur comte d’Artois, fit partir M. de Douhet, gentilhomme, avec la mission expresse de percer les avant-postes de la ligne des alliés, pour chercher le comte de Langeron, et recevoir de ce général quelques lumières sur les intentions des souverains. M. de Douhet traversa la ligne et rapporta bientôt, qu’un mouvement royaliste était indispensable, pour fixer la détermination des puissances encore irrésolues.

« Plusieurs groupes s’étant formés sur les boulevards, on y vit figurer MM. de Gaucourt, Achille de Saint-Frère, Hyppolite de Malartic, Amédée et Jules de Maistre, Henri de Louvigny, de Courtemanche, Dusaillant, de Tolozan, de Fontenay, de Cormier, et un grand nombre d’autres royalistes, qui partout faisaient retentir les cris de Vivent les Bourbons ! A bas le tyran !

« Dans l’intervalle, le premier groupe, conduit par le comte Thibaut de Montmorency, était revenu sur ses pas vers la place Louis XV, sans avoir été grossi dans sa marche. Mais là, venaient se réunir plusieurs dames, telles que la vicomtesse de Chateaubriand, M.me de Vauvineux, M.me de Semallé, la comtesse de Choiseul, la princesse de Léon, d’autres encore qui excitaient les jeunes gens à se parer des couleurs royalistes, distribuant elles-mêmes des cocardes et des rubans, avec autant d’empressement que de grâces… Avec quelle sollicitude et quelle ardeur, elles propagèrent la cocarde royale ! Venait-elle à leur manquer, on leur voyait mettre en pièces aussitôt tout ce qui, dans leur parure, pouvait servir à multiplier les signes de la restauration.

« Une scène plus touchante encore, marqua l’arrivée de l’empereur de Russie vers les Champs-Elysées. Une dame qui s’était signalée par sa participation active au mouvement royaliste, M.me de Semallé, se jette aux genoux du Czar, et les yeux mouillés de larmes, elle lui demande son roi. « Vous le voulez, la nation française le désire ; eh bien, vous l'aurez », répond Alexandre en la relevant. »

Si l’on en croit les assertions, disons mieux, les imputations du marquis de Maubreuil, le zèle mis par la famille de Semallé à la restauration des Bourbons, ne se borna pas aux démarches, aux instances, dont parle M. Alphonse de Beauchamp ; mais les faits avancés par M. de Maubreuil sont encore trop peu éclaircis, pour que nous osions rien ajouter sur ce sujet à notre récit.

  1. Histoire de la campagne de 1814 et de la restauration, par Alphonse de Beauchamp, tome II, p. 169.