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Discours de métaphysique

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Discours de métaphysique
Texte établi par Henri Lestienne, Félix Alcan (Collection historique des grands philosophes) (p. 25-94).

1. ‑ De la perfection divine et que Dieu fait tout de la manière la plus souhaitable.

La notion de Dieu la plus reçue et la plus significative que nous ayons, est assez bien exprimée en ces termes que Dieu est un être absolument parfait, mais on n’en considère pas assez les suites ; et pour y entrer plus avant, il est à propos de remarquer qu’il y a dans la nature plusieurs perfections toutes différentes, que Dieu les possède toutes ensemble, et que chacune lui appartient au plus souverain degré. Il faut connaître aussi ce que c’est que perfection, dont voici une marque assez sûre, savoir que les formes ou natures qui ne sont pas susceptibles du dernier degré, ne sont pas des perfections, comme par exemple la nature du nombre ou de la figure. Car le nombre le plus grand de tous, [ou bien le nombre de tous les nombres] aussi bien que la plus grande de toutes les figures, impliquent contradiction, mais la plus grande science et la toute-puissance n’enferment point d’impossibilité[1]. Par consequent[2], la puissance et la science sont 5 des perfections, et, en tant qu’elles appartiennent à Dieu, elles n’ont point de bornes.

D’où il s’en suit que Dieu possedant la sagesse supreme et infinie agit de la maniere la plus parfaite, non seulement au sens metaphysique, mais encor moralement parlant, et 10 qu’on peut exprimer ainsi à nostre égard, que plus on sera éclairé et informé des ouvrages de Dieu, plus on sera disposé à les trouver excellens et entierement satisfaisans à tout ce qu’on auroit pû souhaitter.

II. Contre ceux qui soutiennent[3] qu’il n’y a pas de bonté dans les ouvrages de Dieu, ou bien que les regles de la bonté et de la beauté sont arbitraires. Ainsi, je suis fort éloigné du sentiment de 15 ceux qui soutiennent qu’il n’y a point de regles de bonté et de perfection dans la nature des choses, ou dans les idées que Dieu en a et que les ouvrages de Dieu ne sont bons que par cette raison formelle que Dieu les a faits. Car si cela estoit[4], 20 Dieu sçachant qu’il en est l’auteur[5] n’avoit que faire de les regarder par apres[6] et de les trouver bons, comme le temoigne la sainte écriture, qui ne paroist s’estre servi[7] de cette anthropologie, que pour nous faire connoistre[8] que leur excellence se connoist à les regarder en eux mêmes, lors même qu’on ne fait point de reflexion sur cette denomination exterieure[9] toute nue, qui les rapporte à leur cause. Ce qui est d’autant plus vray, que c’est par la consideration des ouvrages qu’on peut decouvrir l’ouvrier. Il faut donc que ces ouvrages portent en eux 5 son caractère. J’avoue que[10] le sentiment contraire me paroist extremement dangereux et fort approchant de celuy des derniers novateurs[11], dont l’opinion est, que la beauté de l’univers et la bonté que nous attribuons aux ouvrages de Dieu, ne sont que des chimeres des hommes qui conçoivent 10 Dieu à leur maniere. Aussi, disant que les choses ne sont bonnes par aucune regle de bonté, mais par la seule volonté de Dieu, on détruit[12], ce me semble, sans y penser, tout l’amour de Dieu et toute sa gloire. Car pourquoy le louer de ce qu’il a fait, s’il serait également louable en faisant tout 15 le contraire ? Où sera donc sa justice et sa sagesse, s’il ne reste qu’un certain pouvoir despotique, si la volonté tient lieu de raison[13], et si, selon la définition des tyrans, ce qui plaist au plus puissant est juste par là même ? Outre qu’il semble que toute volonté suppose quelque raison de vouloir[14] et que cette 20 raison est naturellement anterieure[15] à la volonté. C’est pourquoi je trouve encore cette expression de quelques autres philosophes[16] tout à fait estrange, qui disent[17] que les verités eternelles de la metaphysique et de la geometrie, et par consequent aussi les regles de la bonté, de la justice et de la perfection ne sont que des effects de la volonté de Dieu, au lieu qu’il me semble, que ce ne sont que des suites de son entendement, qui, assurement[18] ne depend point de sa volonté, 5 non plus que son essence.

*2 III. Contre ceux qui croyent que Dieu auroit pu mieux faire. *Je ne sçaurois non plus approuver l’opinion de quelques modernes[19] qui soutiennent hardiment, que ce que Dieu fait n’est pas dans la derniere perfection. et qu’il auroit pû agir bien mieux[20]. 10 Car il me semble que les suites de ce sentiment sont tout à fait contraires à la gloire de Dieu. Uti minus malum habet rationem boni, ita minus bonum habet rationem mali. Et c’est agir imparfaitement que d’agir avec moins de perfection qu’on n’auroit pù. C’est trouver à redire à un ouvrage d’un 15 architecte que de monstrer[21] qu’il le pouvoist faire meilleur. Cela va encore contre la sainte écriture, lors qu’elle nous asseure de la bonté des ouvrages de Dieu. Car comme[22] les imperfections descendent à l’infini de quelque façon que Dieu auroit fait son ouvrage, il auroit tousjours été bon en comparaison des moins 20 parfaits, si cela estoit assez ; mais une chose n’est gueres louable, quand elle ne l’est que de cette maniere. Je croy aussi qu’on trouvera une infinité de passages de la divine écriture et des SS. Peres, qui favoriseront mon sentiment, mais qu’on n’en trouvera gueres pour celuy de ces modernes[23], qui est à 25 mon avis inconnu à toute l’antiquité, et ne se fonde que sur le trop peu de connoissance que nous avons de l’harmonie generale de l’univers et des raisons cachées de la conduite de Dieu, ce qui nous fait juger témérairement que bien des choses auraient pu être rendues meilleures. Outre que ces modernes insistent sur quelques subtilités peu solides, car ils s’imaginent que rien n’est si parfait qu’il n’y ait quelque chose de plus parfait, ce qui est une erreur. Ils croient aussi de pourvoir par là à la liberté de Dieu, comme si ce n’était pas la plus haute liberté d’agir en perfection suivant la souveraine raison. Car de croire que Dieu agit en quelque chose sans avoir aucune raison de sa volonté, outre qu’il semble que cela ne se peut point, c’est un sentiment peu conforme à sa gloire ; par exemple supposons que Dieu choisisse entre A et B, et qu’il prenne A sans avoir aucune raison de le préférer à B, je dis que cette action de Dieu, pour le moins ne serait point louable ; car toute louange doit être fondée en quelque raison qui ne se trouve point ici ex hypothesi. Au lieu que je tiens que Dieu ne fait rien dont il ne mérite d’être glorifié.

4. ‑ Que l’amour de Dieu demande une entière satisfaction et acquiescence touchant ce qu’il fait sans qu’il faille être quiétiste pour cela.

La connaissance générale de cette grande vérité, que Dieu agit toujours de la manière la plus parfaite et la plus souhaitable qu’il soit possible, est, à mon avis, le fondement de l’amour que nous devons à Dieu sur toutes choses, puisque celui qui aime cherche sa satisfaction dans[24] la felicité ou perfection de l’objet aimé[25] et de ses actions. Idem velle et idem nolle vera amicitia est. Et je croy qu’il est difficile de bien aimer Dieu, quand on n’est pas dans la disposition de vouloir ce qu’il veut, quand on auroit le pouvoir de le changer. En effect[26] ceux qui ne sont pas 5 satisfaits de ce qu’il fait, me paroissent semblables à des sujets mécontens[27] dont l’intention n’est pas fort differente de celle des rebelles.

Je tiens donc que suivant ces principes[28] pour agir conformement à l’amour de Dieu[29], il ne suffit pas d’avoir patience 10 par force, mais il faut[30] estre veritablement satisfait de tout ce qui nous est arrivé suivant sa volonté. J’entends cet acquiescement quant au passé. Car quant à l’avenir, il ne faut pas estre quietiste ny attendre ridiculement à bras croisés, ce que Dieu fera, selon ce sophisme que les Anciens appeloient 15 λόγον ἄεργον, la raison paresseuse, mais il faut agir[31] selon la volonté presomptive de Dieu, autant, que nous en pouvons juger tachant[32] de tout nostre pouvoir de contribuer au bien general et particulierement à l’ornement et à la perfection de ce qui nous touche, ou de ce qui nous est prochain, et pour ainsi dire a portée. 20 Car quand l’evenement aura peut estre fait voir que Dieu n’a pas voulu presentement que nostre bonne volonté aye son effect, il ne s’ensuit pas de là qu’il n’aye pas voulu que nous fissions ce que nous avons fait. Au contraire, comme il est le. meilleur de tous les maistres, il ne demande jamais que la droicte intention, et c’est à luy de connoistre l’heure et le lieu propre à faire reussir les bons desseins.

V. En quoy consistent les regles de perfection de la divine conduite et que la simplicité des voyes est en balance avec la richesse des effects. Il suffit donc d’avoir cette confiance en 5 Dieu. qu’il fait tout pour le mieux. et que rien ne sçauroit nuire à ceux qui l’aiment ; mais de connoistre en particulier les raisons qui l’ont pu mouvoir à choisir cet ordre de l’univers, à souffrir les pechés, à dispenser ses graces salutaires 10 d’une certaine maniere, cela passe les forces d’un esprit fini, sur tout quand il n’est pas encor parvenu à la jouissance de la veue de Dieu. Cependant on peut faire quelques remarques generales touchant la conduite de la providence dans le gouvernement 15 des choses. On peut donc dire que (a) celuy qui agit parfai- tement est semblable à un excellent geometre, qui sçait trouver les meilleures constructions d’un probleme ; à un bon architecte (b) qui ménage sa place et le fonds destiné pour le basti- ment de la maniere la plus avantageuse, ne laissant rien de 20 choquant, ou qui soit destitué de la beauté dont il est susceptible ; à un bon pere de famille, qui employe son bien en sorte qu’il n’y ait rien d’inculte ni de sterile ; à un habile machiniste qui fait son effect par la voye la moins embarrassée qu’on puisse choisir ; à un sçavant auteur qui enferme le plus de realités dans le moins de volume qu’il peut. Or, les plus parfaits de tous les estres, et qui occupent le moins de volume, c’est à dire qui s’empechent le moins, ce sont les esprits, (c) dont les perfections sont les vertus. C’est pourquoy il ne faut point 25 la [ce qui renferme plus de réalité en moins de volume est plus parfait]. b) [qui menage son terrain et ne laisse rien de rude et de sterile et de depourvu d’agrement et de beauté. c) [et leurs perfections, ce sont les vertus]. douter que la félicité des esprits ne soit le principal but de Dieu, et qu’il ne la mette en exécution autant que l’harmonie générale le permet. De quoi nous dirons davantage tantôt. Pour ce qui est de la simplicité des voies de Dieu, elle a lieu proprement à l’égard des moyens, comme au contraire la variété, richesse ou abondance y a lieu à l’égard des fins ou effets. Et l’un doit être en balance avec l’autre, comme les frais destinés pour un bâtiment avec la grandeur et la beauté qu’on y demande. Il est vrai que rien ne coûte à Dieu, bien moins qu’à un philosophe qui fait des hypothèses pour la fabrique de son monde imaginaire, puisque Dieu n’a que des décrets à faire pour faire naître un monde réel ; mais, en matière de sagesse, les décrets ou hypothèses tiennent lieu de dépense à mesure qu’elles sont plus indépendantes les unes des autres : car la raison veut qu’on évite la multiplicité dans les hypothèses ou principes, à peu près comme le système le plus simple est toujours préféré en astronomie.

6. ‑ Dieu ne fait rien hors de l’ordre et il n’est pas même possible de feindre des événements qui ne soient point réguliers.

Les volontés ou actions de Dieu sont communément divisées en ordinaires ou extraordinaires. Mais il est bon de considérer que Dieu ne fait rien hors d’ordre. Ainsi ce qui passe pour extraordinaire ne l’est qu’à l’égard de quelque ordre particulier établi parmi les créatures. Car, quant à l’ordre universel, tout y est conforme. Ce qui est si vrai que, non seulement rien n’arrive dans le monde qui soit absolument irrégulier, mais on ne saurait même memes rien feindre de tel. Car, supposons, par exemple que quelqu’un fasse quantité de points sur le papier à tout hasard, comme font ceux qui exercent l’art ridicule de la geomance. Je dis qu’il est possible de trouver une ligne geometrique dont la notion soit constante et uniforme suivant 5 une certaine regle, en sorte que cette ligne passe par tous ces points, et dans le même ordre que la main les avait marqués.

Et si quelqu’un traçoit tout d’une suite une ligne qui seroit tantost droite, tantost cercle, tantost d’une autre nature, il 10 est possible de trouver une notion ou regle, ou equation commune à tous les points de cette ligne, en vertu de laquelle ces mêmes changements doivent arriver. Et il n’y a, par exemple, point de visage dont le contour ne fasse partie d’une ligne geometrique et ne puisse estre tracé tout d’un trait par un certain 15 mouvement reglé. Mais quand une regle est fort composée, ce qui luy est conforme, passe pour irregulier.

Ainsi on peut dire que, de quelque maniere que Dieu auroit[33] créé le monde, il auroit toujours esté regulier et dans un certain ordre general. Mais Dieu a choisi celuy qui est le 20 plus parfait, c’est à dire celuy qui est en même temps le plus simple en hypotheses, et le plus riche en phenomenes, comme pourroit estre une ligne de geometrie dont la construction seroit aisée et les proprietes[34] et effects seroient fort admirables et d’une grande étendue. Je me sers de ces comparaisons[35] pour crayonner quelque ressemblance imparfaite de la sagesse divine, et pour dire[36] ce qui puisse, au moins, elever nostre esprit à concevoir en quelque façon ce qu’on ne sçauroit exprimer assez. Mais je ne pretends point d’expliquer par là ce grand mystere dont depend tout l’univers.

Or, puisque rien ne se peut faire qui ne soit dans l’ordre, on peut dire que les miracles sont aussi bien dans l’ordre que les opérations naturelles qu’on appelle ainsi parce qu’elles sont conformes à certaines maximes subalternes que nous appelons la nature des choses. Car on peut dire que cette nature n’est qu’une coutume de Dieu, dont il se peut dispenser à cause d’une raison plus forte que celle qui l’a mû à se servir de ces maximes. Quant aux volontés générales ou particulières, selon qu’on prend la chose, on peut dire que Dieu fait tout suivant sa volonté la plus générale, qui est conforme au plus parfait ordre qu’il a choisi ; mais on peut dire aussi qu’il a des volontés particulières qui sont des exceptions de ces maximes subalternes susdites, car la plus générale des lois de Dieu qui règle toute la suite de l’univers est sans exception. On peut dire aussi que Dieu veut tout ce qui est un objet de sa volonté particulière ; mais quant aux objets de sa volonté générale, tels que sont les actions des autres créatures, particulièrement de celles qui sont raisonnables, auxquelles Dieu veut concourir, il faut distinguer : car si l’action est bonne en elle-même, on peut dire que Dieu la veut et la commande quelquefois, lors même qu’elle n’arrive point, mais, si elle est mauvaise en elle-même et ne devient bonne que par accident, parce que la suite des choses, et particulièrement le châtiment et la satisfaction, corrige sa malignité et en récompense le mal avec usure, en sorte qu’enfin il se trouve plus de perfection dans toute la suite que si tout le mal n’était pas arrivé, il faut dire que Dieu le permet, et non pas qu’il le veut, quoiqu’il y concoure à cause des lois de nature qu’il a établies, et parce qu’il en sait tirer un plus grand bien.

8. ‑ Pour distinguer les actions de Dieu et des créatures, on explique en quoi consiste la notion d’une substance individuelle.

Il est assez difficile de distinguer les actions de Dieu de celles des créatures ; car il y en a qui croient que Dieu fait tout, d’autres s’imaginent qu’il ne fait que conserver la force qu’il a donnée aux créatures : la suite fera voir combien l’un ou l’autre se peut dire. Or puisque les actions et passions appartiennent proprement aux substances individuelles (actiones sunt suppositorum), il serait nécessaire d’expliquer ce que c’est qu’une telle substance. Il est bien vrai que, lorsque plusieurs prédicats s’attribuent à un même sujet, et que ce sujet ne s’attribue à aucun autre, on l’appelle substance individuelle ; mais cela n’est pas assez et une telle explication n’est que nominale. Il faut donc considérer ce que c’est que d’être attribué véritablement à un certain sujet. Or il est constant que toute prédication véritable a quelque fondement dans la nature des choses, et lorsqu’une proposition n’est pas identique, c’est-à-dire lorsque le prédicat n’est pas compris expressément dans le sujet, il faut qu’il y soit compris virtuellement, et c’est ce que les philosophes appellent in-esse, en disant que le prédicat est dans le sujet. Ainsi il faut que le terme du sujet enferme toujours celui du prédicat, en sorte que celui qui entendrait parfaitement tement la notion du sujet, jugeroit aussi que le predicat luy appartient[37].

Cela estant, nous pouvons dire que la nature d’une substance individuelle ou d’un estre complet est d’avoir une notion si accomplie qu’elle soit suffisante[38] à comprendre et à 5 en faire deduire tous les predicats du sujet à qui cette notion est attribuée[39]. Au lieu que l’accident est un estre dont la notion n’enferme point tout ce qu’on peut attribuer au sujet à qui on attribue cette notion[40]. Ainsi[41] la qualité de Roy qui appartient à Alexandre le Grand, faisant abstraction du sujet, n’est pas 10 assez determinée à un individu, et n’enferme point les autres qualités du même sujet, ny tout ce que la notion de ce Prince comprend, au lieu que Dieu voyant la notion individuelle ou hecceïté d’Alexandre, y voit en même temps le fondement et la raison de tous les predicats qui se peuvent dire de luy 15 veritablement, comme par exemple qu’il vaincroit Darius et Porus, jusqu’à y connoistre a priori (et non par experience) s’il est mort d’une mort naturelle ou par poison, ce que nous ne pouvons sçavoir que par l’histoire. β Aussi, quand on considere bien la connexion des choses, on peut dire qu’il y a de tout temps 20 dans[42] l’âme d’Alexandre des restes de tout ce qui luy est arrivé, et les marques de tout ce qui luy arrivera, et même des traces de tout ce qui se passe dans l’univers, quoy qu’il n’appartienne qu’à Dieu de les reconnoistre toutes[43].

IX. Que chaque substance singuliere exprime tout l’univers à sa maniere, et que dans sa notion tous ses evenements sont compris avec toutes leurs circonstances et toute la suite des choses exterieures.[44] b Il s’ensuivent de cela[45] plusieurs paradoxes considerables, comme entre autres qu’il n’est pas vray[46] que deux substances se ressemblent entierement, et soyent differentes[47] solo numero, α et que ce que S. Thomas 5 asseure sur ce point des[48] anges ou intelligences quod ibi omne individuum sit species infima) est vray de toutes les substances, pourvu qu’on prenne la difference specifique, comme la prennent les geometres a l’egard de leurs figures : item qu’une substance ne sçauroit 10 commencer que par creation, ny perir que par annihilation : qu’on ne divise pas[49] une substance en deux, ny qu’on ne fait pas de deux une, et qu’ainsi le nombre des substances naturellement n’augmente et ne diminue pas quoy qu’elles soyent souvent transformées. 15

De plus, toute substance β est comme un monde entier et comme un miroir de Dieu ou bien de tout l’univers, qu’elle exprime chacune à sa façon, à peu pres comme une même ville est diversement representée selon les differentes situations de celuy qui la regarde. Ainsi l’univers est en quelque façon multiplié 20 autant de fois qu’il y a de substances, et la gloire de Dieu est redoublée de même par autant de representations toutes differentes de son ouvrage. On peut même dire que toute substance porte en quelque façon le caractere de la sagesse infinie et de la toute puissance de Dieu, et l’imite[50] autant qu’elle en est 25 susceptible. Car elle exprime quoyque confusement tout ce qui arrive[51] dans l’univers, passé, present, ou avenir, ce qui a quelque ressemblance à une perception ou connoissance infinie ; et comme toutes les autres substances expriment cellecy[52] à leur tour et s’y accomodent, on peut dire qu’elle 5 etend sa puissance sur toutes les autres à l’imitation de la toute puissance du Createur.

*6 X. Que l’opinion des formes substantielles a quelque chose de solide, mais que ces formes[53] ne changent rien dans les phenomenes et ne doivent point estre employées pour expliquer les effects particuliers. *Il semble les anciens[54] aussi bien que tant d’habiles gens accoustumés aux meditations profondes, qui ont enseigné la 10 theologie et la philosophie il y a quelques siecles, et dont quelques uns sont recommendables pour leur sainteté, ont eu quelque connoissance de ce que nous venons de dire, et c’est ce qui les a fait introduire[55] et maintenir les formes 15 substantielles qui sont aujourd’huy si[56] decriées. Mais ils ne sont pas si eloignés de la verité, ny si ridicules que le vulgaire de nos nouveaux philosophes se l’imagine.

Je demeure d’accord que la consideration[57] de ces formes ne sert de rien dans le detail de[58] la physique, et ne doit point 20 estre employée à l’explication des phenomenes en particulier. Et c’est en quoy nos scholastiques ont manqué, et les Medecins du temps passé à leur exemple, croyant de rendre raison des proprietés[59] des corps, en faisant mention des formes et des qualités, sans se mettre en peine d’examiner la maniere de l’operation, comme si on se voulait contenter de dire qu’une horloge a la qualite horodictique provenante[60] de sa forme, sans considerer en quoy tout cela consiste. Ce qui peut suffire en effect à celuy[61] qui l’achete, b pourvu qu’il en abandonne 5 le soin à un autre.

Mais ce manquement et mauvais usage des formes[62] ne doit pas nous faire rejetter une chose[63] dont la connoissance est si necessaire en Metaphysique que sans cela je tiens qu’on ne sçauroit bien connoistre les premiers principes[64] n’y élever 10 assez l’esprit à la connoissance des natures incorporelles et des merveilles de Dieu.

Cependant, comme un Geometre n’a pas besoin de s’embarrasser l’esprit du fameux labyrinthe de la composition du continu, et qu’aucun philosophe[65] moral, et encor moins un jurisconsulte ou politique n’a point besoin de se mettre en peine des grandes difficultés qui se trouvent dans la conciliation du libre arbitre et de la Providence de Dieu, puisque le Geometre peut achever toutes ses demonstrations, et le politique peut terminer toutes ses delibérations sans entrer dans ces discussions, qui ne laissent pas d’estre necessaires et importantes dans la philosophie et dans la theologie : de même un Physicien peut rendre raison des experiences[66] se servant tantost des experiences plus simples déjà faites, tantost des demonstrations geometriques et mechaniques, sans avoir besoin[67] des considerations generales qui sont d’une autre sphere ; et s’il y employe le concours[68] de Dieu ou bien quelque ame. Archée ou autre chose de cette nature, il extravague aussi bien que celuy qui dans une deliberation importante de practique voudroit entrer dans les grands raisonnemens sur la nature du destin et de 5 nostre liberté ; comme en effect les hommes font assez souvent α cette faute sans y penser, lors qu’ils s’embarassent l’esprit par la consideration de la fatalité, et mèmes parfois[69] sont detournés par là de quelque bonne resolution, ou de quelque soin necessaire. 10

XI. Que les meditations des Theologiens et des philosophes qu’on appelle scholastiques ne sont pas à mepriser entierement. Je scay que j’avance un grand paradoxe en pretendant de rehabiliter en quelque façon l’ancienne philosophie[70] et de rappeler postliminio les formes substantielles presque bannies[71] ; mais peut estre qu’on ne me condamnera 15 pas legerement, quand on sçaura que j’ay assez medité sur la philosophie moderne, que j’ay donné bien du temps aux experiences de physique et aux demonstrations de Geometrie, et que j’ay esté long temps persuadé de la vanité de ces Estres, que j’ay esté enfin obligé[72] de reprendre malgré 20 moy et comme par force, après avoir fait moy même des recherches qui m’ont fait reconnoistre que nos modernes ne *7 rendent *pas assez de justice à S. Thomas et à d’autres grands hommes de ce temps là, et qu’il y a dans les sentimens des philosophes et theologiens scholastiques bien plus de solidité 25 qu’on ne s’imagine, pourveu qu’on s’en serve à propos et en leur lieu. Je suis mème persuadé, que si quelque esprit exact[73] et meditatif prenoit la peine d’éclaircir et de digerer leurs pensées[74] à la façon des Geometres analytiques, il y trouveroit un tresor de quantité de verités tres importantes[75] et tout a fait demonstratives. 5

XII. Que les notions[76] qui consistent dans l’étendue enferment quelque chose d’imaginaire et ne sçauroient constituer la substance des corps. Mais pour reprendre le fil de nos considerations[77], je croy que celuy qui meditera sur la nature de la substance, que j’ay expliquée cy-dessus, trouvera[78] que toute la nature du corps ne consiste pas seulement dans l’étendue, [79] 10 c’est-à-dire dans la grandeur figure et mouvement, mais qu’il faut necessairement y reconnoistre quelque chose qui aye du rapport aux ames, et qu’on appelle communement forme substantielle, bien qu’elle ne change rien dans les phenomenes, non plus que l’ame des bestes, si elles en ont. On peut même 15 demonstrer[80] que la notion de la grandeur, de la figure et du mouvement n’est pas si distincte qu’on s’imagine, et qu’elle enferme quelque chose d’imaginaire et de relatif à nos perceptions, comme le sont encor (quoyque bien davantage) la couleur, la chaleur et autres qualités semblables dont on peut 20 douter si elles se trouvent veritablement dans la nature des choses hors de nous. C’est pourquoy ces sortes de qualités ne sçauroient constituer aucune substance[81]. Et s’il n’y a point d’autre principe d’identité dans le corps que ce que nous venons de dire, jamais un corps ne subsistera plus d’un moment.

α Cependant les ames et les formes substantielles des autres corps sont bien differentes des ames intelligentes, qui seules connoissent leurs actions, et qui non seulement ne perissent point 5 naturellement, mais mêmes gardent toujours b le fondement de la connoissance de ce qu’elles sont ; ce qui les rend seules susceptibles de chastiment et de recompense, et les fait citoyens de la republique de l’univers, dont Dieu est le monarque : aussi, s’ensuit-il que tout le reste des creatures leur doit servir, de quoy 10 nous parlerons tantost plus amplement.

XIII. Comme la notion individuelle de chaque personne renferme une fois pour toutes ce qui luy arrivera[82] jamais, on y voit les preuves a priori de la verité de chaque évenement, [83] ou pourquoy l’un est arrivé plus tost que l’autre ; mais ces verites quoique asseurées ne laissent pas d’estre contingentes estant fondées sur le libre arbitre de Dieu ou des creatures[84] dont le choix a tousjours ses raisons qui inclinent sans necessiter. Mais avant que de passer plus loin, il faut tacher de satisfaire à une grande difficulté qui peut naistre des fondemens que nous avons jettés cy dessus. Nous avons dit que la notion 15 d’une substance individuelle enferme une fois pour toutes[85] tout ce qui luy peut jamais arriver, et qu’en considerant cette notion, on y peut voir tout ce qui se pourra veritablement enoncer d’elle, comme nous pouvons 20 voir dans la nature du cercle toutes les proprietés qu’on en peut déduire. Mais il semble que[86] là la difference des verités par contingentes et necessaires sera detruite, que la liberté humaine n’aura plus aucun lieu, et 25 qu’une fatalité absolue regnera sur toutes nos actions aussi bien que sur tout le reste des evenemens du monde. A quoy je réponds, qu’il faut faire distinction entre ce qui est certain, et ce qui est necessaire : tout le monde demeure d’accord que les futurs contingens sont asseurés, puisque Dieu les prevoit, 5 mais on n’avoue pas pour cela, qu’ils soyent necessaires. Mais (dira-t-on) si quelque conclusion se peut deduire infailliblement d’une definition ou notion, elle sera necessaire. Or est il, que nous soutenons que tout ce qui doit arriver à quelque personne est déjà compris virtuellement dans sa 10 nature ou notion, comme les proprietés le sont dans la definition du cercle[87], ainsi la difficulté subsiste encor. Pour y satisfaire solidement, je dis que la connexion ou consecution est de deux sortes, l’une est absolument necessaire, dont le contraire implique contradiction, et cette deduction a lieu dans 15 les verités éternelles, comme sont celles de geometrie ; l’autre *8 n’est necessaire qu’ex hypothesi, et, pour ainsi dire, *par accident, mais elle est contingente en elle même, lors que le contraire n’implique point. Et cette connexion est fondée, non pas sur les idées toutes pures et sur le simple entendement de 20 Dieu, mais encore sur ses decrets libres, et sur la suite de l’univers.

Venons à un exemple : [88] puisque Jules Cesar deviendra dictateur perpetuel et maistre de la republique, et renversera la liberté, b des Romains, cette action est comprise dans sa notion, car nous supposons que c’est la nature d’une telle notion parfaite d’un sujet, de tout comprendre, à fin que le predicat y soit enfermé, ut possit inesse subjecto. On pourroit 5 dire que ce n’est pas en vertu de cette notion ou idée qu’il doit β commetre cette action, puisqu’elle ne luy convient que parce que Dieu sçait tout. Mais on insistera que sa nature ou forme repond à cette notion, et puisque Dieu luy a imposé ce personnage il luy est desormais necessaire d’y satisfaire. β J’y 10 pourrois repondre par l’instance des futurs contingens, car ils n’ont rien encor de reel que dans l’entendement[89] et volonté de Dieu, et puisque Dieu leur y a donné cette forme par avance, il faudra tout de même qu’ils y répondent.

Mais j’aime mieux de satisfaire aux difficultés que de les 15 excuser par l’exemple de quelques autres difficultés semblables, et ce que je vay dire servira à eclaircir aussi bien l’une que l’autre. C’est donc maintenant qu’il faut appliquer la distinction des connexions, et je dis que ce qui arrive conformement à ces avances est asseuré, mais qu’il n’est pas 20 necessaire, et si quelcun[90] faisoit le contraire, il ne feroit rien d’impossible en soy même, quoy qu’il soi impossible (ex hypothesi) que cela arrive. Car si quelque homme estoit capable d’achever toute la demonstration, en vertu de laquelle il pourroit prouver[91] cette connexion α du sujet qui est Cesar et du predicat qui est son entreprise heureuse ; il feroit voir en effect que la dictature futur de Cesar a son fondement dans sa notion ou nature, α qu’on y voit une raison, pourquoy il a plus tost resolu de passer le Rubicon que de s’y arrester, et 5 pourquoy il a plus tost gagné que[92] perdu la journée de Pharsale, et qu’il estoit raisonnable et par consequent asseuré que cela arrivast, mais non pas qu’il est necessaire en soy même, ni que le contraire implique contradiction. β A peu pres α comme il est raisonnable et asseuré que Dieu fera tousjours le meilleur, 10 quoy que ce qui est moins parfaict n’implique point[93].

Car on trouveroit que cette demonstration[94] de ce predicat de Cesar n’est pas aussi absolue que celles des nombres ou de la geometrie, mais qu’elle suppose la suite des choses que Dieu a choisie librement, et qui est fondée sur le premier decret 15 libre de Dieu, qui porte de faire tousjours ce qui est le plus parfait, et sur le decret que Dieu a fait (en suite du premier) à l’egard de la nature humaine, qui est[95] que l’homme fera tousjours (quoyque librement) ce qui paroistra le meilleur. Or toute verité qui est fondée sur ces sortes de decrets est 20 contingente, quoyqu’elle soit certaine ; car ces decrets ne changent point la possibilité des choses, et comme j’ay déja dit, quoyque Dieu choisisse tousjours le meilleur asseurement, cela n’empeche pas que ce qui est moins parfait ne soit et demeure possible en luy même, bien qu’il n’arrivera point, 25 car ce n’est pas son impossibilité, mais son imperfection, qui le fait rejetter. Or rien est necessaire dont l’opposé est possible.

β On sera donc en estat de satisfaire à ces sortes de difficultés, quelques grandes qu’elles paroissent (et en effect elles ne sont pas moins pressantes à l’egard de tous les autres qui ont jamais traité cette matiere), pourveu qu’on considere bien que[96] toutes les propositions contingentes5 ont des raisons pour estre plus tost ainsi qu’autrement, ou bien (ce qui est la même chose) qu’elles ont des preuves à priori de leur verité qui les rendent certaines, et qui monstrent que la connexion du sujet et du predicat de ces propositions a son fondement dans la nature de l’un et de l’autre ;10 mais qu’elles n’ont pas des demonstrations de necessité, puisque ces raisons ne sont fondées que sur le principe de la contingence ou de l’existence des choses, c’est à dire sur ce qui est ou qui paroist le meilleur parmy plusieurs choses également possibles ; au lieu que les verités necessaires sont fondées sur le principe de contradiction 15 et sur la possibilité ou impossibilité[97] des essences mêmes sans avoir égard en cela à la Volonté libre de Dieu ou des creatures.

*9 XIV. Dieu produit diverses substan­ces, selon les differentes veues qu’il a de l’univers, et[98] par l’interven­tion de Dieu, la nature propre de chaque substance porte que ce qui arrive à l’une répond à ce qui arrive à toutes les autres, sans qu’el­les agissent imme­diatement l’une sur l’autre.
* Apres avoir connu en quelque façon, en quoy consiste la nature des substances[99], il faut tacher d’expliquer la dependance que les unes ont des autres, et leurs actions et passions. Or il est premierement tres manifeste[100] que les substances créées dependent de Dieu qui les conserve et même qui les produit continuellement par une maniere d’emanation comme nous produisons nos pensées.
Car Dieu[101] tournant pour ainsi dire de tous costés et de toutes les façons le systeme general des phenomenes qu’il trouve

bon de produire pour manifester sa gloire, et regardant toutes les faces du monde de toutes les manieres possibles, puisqu’il n’y a point de rapport qui échappe à son omniscience ; le 5 resultat de chaque veue de l’univers, comme regardé d’un certain endroit, est une substance qui exprime l’univers conformement à cette veue, si Dieu trouve bon de rendre sa pensée effective et de produire cette substance. Et comme la veue de Dieu est tousjours veritable, nos perceptions le sont 10 aussi, mais ce sont nos jugemens qui sont de nous et qui nous trompent.

Or nous avons dit cy dessus et il s’ensuit de ce que nous venons de dire, que chaque substance est comme un monde à part, independant de toute autre chose, hors de Dieu ; ainsi 15 tous nos phenomenes, c’est à dire tout ce qui nous peut jamais arriver, ne sont que des suites[102] de nostre estre ; et comme ces phenomenes gardent un certain ordre α conforme à nostre nature, ou pour ainsi dire au monde qui est en nous, qui fait que nous pouvons β faire des observations utiles pour 20 regler nostre conduite[103] qui sont justifiées par le succès des phenomenes futurs, et qu’ainsi nous pouvons souvent juger de l’avenir par le passé sans nous tromper, cela suffiroit pour dire que ces phenomenes sont veritables sans nous mettre en peine, s’ils sont hors de nous, et si d’autres s’en apperçoivent aussi : cependant il est[104] très vray que les perceptions ou expressions de toutes les substances s’entrerépondent, en sorte que chacun suivant avec soin certaines raisons ou loix qu’il a observées, se rencontre avec l’autre[105] qui en fait autant, 5 comme lorsque plusieurs s’estant accordés de se trouver ensemble en quelque endroit à un certain jour prefix, le peuvent faire effectivement s’ils veuillent. Or quoy que[106] tous expriment les mêmes phenomenes, ce n’est pas pour cela que leurs expressions soyent parfaitement semblables, mais il suffit qu’elles soyent 10 proportionnelles ; comme plusieurs spectateurs croyent voir la même chose, et s’entrentendent en effect, quoyque chacun voye et parle selon la mesure de sa veue.

Or il n’y a que Dieu (de qui tous les individus[107] emanent continuellement, β et qui voit l’univers, non seulement comme ils 15 le voyent, mais encore tout autrement qu’eux tous), qui soit cause de cette correspondance de leurs phenomenes, et qui fasse que ce qui est particulier à l’un, soit public à tous ; autrement il n’y auroit point de liaison. On pourroit donc dire α en quelque façon, et dans un bon sens, quoyque eloigné de l’usage, 20 qu’une substance particuliere n’agit jamais sur une autre substance particuliere et n’en patit non plus, si on considere que ce qui arrive à chacune n’est qu’une suite de son idée ou notion complète toute seule, puisque cette idée enferme déjà tous les prédicats ou événements, et exprime tout l’univers. En effet, rien ne nous peut arriver que des pensées et des perceptions, et toutes nos pensées et nos perceptions futures ne sont que des suites, quoique contingentes, de nos pensées et perceptions précédentes, tellement que si j’étais capable de considérer distinctement tout ce qui m’arrive ou paraît à cette heure, j’y pourrais voir tout ce qui m’arrivera ou me paraîtra à tout jamais ; ce qui ne manquerait pas, et m’arriverait tout de même, quand tout ce qui est hors de moi serait détruit, pourvu qu’il ne restât que Dieu et moi. Mais comme nous attribuons à d’autres choses comme à des causes agissant sur nous ce que nous apercevons d’une certaine manière, il faut considérer le fondement de ce jugement, et ce qu’il y a de véritable.

15. ‑ L’action d’une substance finie sur l’autre ne consiste que dans l’accroissement du degré de son expression joint à la diminution de celle de l’autre, autant que Dieu les oblige de s’accommoder ensemble.

Mais sans entrer dans une longue discussion, il suffit à présent, pour concilier le langage métaphysique avec la pratique, de remarquer que nous nous attribuons davantage et avec raison les phénomènes que nous exprimons plus parfaitement, et que nous attribuons aux autres substances ce que chacune exprime le mieux. Ainsi une substance qui est d’une étendue infinie, en tant qu’elle exprime tout, devient limitée par la manière de son expression plus ou moins parfaite. C’est donc ainsi qu’on peut concevoir que les substances s’entr’empêchent ou se limitent, et par conséquent on peut dire dans ce sens qu’elles agissent l’une sur l’autre, et sont obligées pour ainsi dire de s’accommoder entre elles. Car il peut arriver qu’un changement qui augmente l’expression de l’une, diminue celle de l’autre. Or la vertu d’une substance particulière est de bien exprimer la gloire de Dieu, et c’est par là qu’elle est moins limitée. Et chaque chose quand elle exerce sa vertu ou puissance, c’est-à-dire quand elle agit, change en mieux et s’étend, en tant qu’elle agit : lors donc qu’il arrive un changement dont plusieurs substances sont affectées (comme en effet tout changement les touche toutes), je crois qu’on peut dire que celle qui immédiatement par là passe à un plus grand degré de perfection ou à une expression plus parfaite, exerce sa puissance, et agit, et celle qui passe à un moindre degré fait connaître sa faiblesse, et pâtit. Aussi tiens-je que toute action d’une substance qui a de la (comme en effect tout changement les touche toutes), je croy qu’on peut dire que celle qui immediatement par là passe à un plus grand degré de perfection β ou à une expression plus parfaite exerce, sa puissance et, agit et celle qui passe à un moindre degré β fait connoistre sa faiblesse, et patit. Aussi tiens-je 5 que toute action d’une substance qui a de la perception importe[108] quelque volupté, et toute passion quelque douleur, et vice versa cependant il peut bien arriver qu’un avantage present soit détruit par un plus grand mal dans la suite. D’où vient qu’on peut pecher en agissant ou exerçant sa puissance 10 et en trouvant du plaisir.

*11 XVI. Le concours extraordinaire de Dieu est compris[109] dans ce que nostre essence exprime, car cette expression s’etend à tout, mais il surpasse les forces de nostre nature ou nostre expression distincte laquelle est finie, et suit certaines maximes subalternes. *Il ne reste à present que d’expliquer, comment[110] il est possible que Dieu aye quelque fois de l’influence sur les hommes ou sur les autres substances par un concours 15 extraordinaire et miraculeux, puisqu’il semble que rien ne leur peut arriver d’extraordinaire ny de surnaturel, veu que tous leurs evenemens ne sont que des suites de leur nature. Mais il faut se souvenir de ce que nous avons dit cy 20 dessus à l’egard des miracles dans l’univers, qui sont tousjours conformes à la loy universelle de l’ordre general, quoyqu’ils soyent au dessus des maximes subalternes. Et d’autant que[111] toute personne ou substance est comme un petit monde qui exprime le grand, on peut dire de même[112] que cette action 25 laisse pas d’être miraculeuse, quoiqu’elle soit comprise dans l’ordre général de l’univers en tant qu’il est exprimé par l’essence ou notion individuelle de cette substance. C’est pourquoi, si nous comprenons dans notre nature tout ce qu’elle exprime, rien ne lui est surnaturel, car elle s’étend à tout, un effet exprimant toujours sa cause et Dieu étant la véritable cause des substances. Mais comme ce que notre nature exprime plus parfaitement lui appartient d’une manière particulière, puisque c’est en cela que sa puissance consiste, et qu’elle est limitée, comme je viens de l’expliquer, il y a bien des choses qui surpassent les forces de notre nature, et même celles de toutes les natures limitées. Par conséquent, afin de parler plus clairement, je dis que les miracles et les concours extraordinaires de Dieu ont cela de propre qu’ils ne sauraient être prévus par le raisonnement d’aucun esprit créé, quelque éclairé qu’il soit, parce que la compréhension distincte de l’ordre général les surpasse tous ; au lieu que tout ce qu’on appelle naturel dépend des maximes moins générales que les créatures peuvent comprendre. Afin donc que les paroles soient aussi irrépréhensibles que le sens, il serait bon de lier certaines manières de parler avec certaines pensées, et on pourrait appeler notre essence ou idée, ce qui comprend tout ce que nous exprimons, et comme elle exprime notre union avec Dieu même, elle n’a point de limites et rien ne la passe. Mais ce qui est limité en nous pourra être appelé notre nature ou notre puissance, et à cet égard ce qui passe les natures de toutes les substances créées, est surnaturel.

17. ‑ Exemple d’une maxime subalterne ou loi de la nature, où il est montré que Dieu conserve toujours la même force, mais non pas la même quantité de mouvement, contre les cartésiens et plusieurs autres.

J’ai déjà souvent fait mention des maximes subalternes ou des lois de la nature, et il semble qu’il serait bon d’en donner un exemple : communément nos nouveaux philosophes se servent de cette règle fameuse que Dieu conserve toujours la même quantité de mouvement dans le monde. En effet, elle est fort plausible, et du temps passé, je la tenais pour indubitable. Mais depuis j’ai reconnu en quoi consiste la faute. C’est que M. Descartes et bien d’autres habiles mathématiciens ont cru que la quantité de mouvement, c’est-à-dire la vitesse multipliée par la grandeur du mobile, convient entièrement à la force mouvante, ou pour parler géométriquement, que les forces sont en raison composée des vitesses et des corps. Or il est bien raisonnable que la même force se conserve toujours dans l’univers. Aussi quand on prend garde aux phenomenes, on voit bien que le mouvement perpetuel mecanique n’a point de lieu, parce qu’ainsi la force d’une machine, ε qui est tousjours un peu diminuée par la friction, et doit finir[113] bientost, se repareroit, et par consequent s’augmenteroit d’elle même sans quelque impulsion nouvelle 5 du dehors ; et on remarque aussi que la force[114] d’un corps n’est pas diminuée qu’à mesure qu’il en donne à quelques corps ε contigus ou à ses propres parties entant qu’elles ont un mouvement à part.

Ainsi ils ont cru que ce qui peut se dire de la force, se 10 *12 pourroit aussi dire de la quantité de mouvement. *Mais, pour en montrer la difference, je suppose qu’un corps tombant d’une certaine hauteur acquiert la force d’y remonter, si sa direction le porte ainsi, à moins qu’ils ne se trouvent quelques empechemens : par exemple un pendule remonteroit 15 parfaitement à la hauteur dont il est descendu, si la resistance de l’air et quelques autres petits obstacles ne diminuoient un peu sa force acquise.

Je suppose aussi qu’il faut autant de force pour elever un corps A d’une livre à la hauteur C D de quatre toises[115], 20 que d’elever un corps B de quatre livres à la hauteur E F d’une toise. Tout cela est accordé par nos nouveaux philosophes.

Il est donc manifeste, que le corps A estant tombé de la hauteur C D[116] a acquis autant de force precisement que le 25 corps B tombé de la hauteur E F ; β car le corps (B) estant parvenu en F et y ayant la force de remonter jusqu’à E (par la premiere supposition), a par consequent la force de porter un corps de quatre livres, c’est à 5 dire son propre corps à la hauteur E F d’une toise, et de même le corps (A) estant parvenu en D et y ayant la force de remonter jusqu’à C, a la force de porter 10 un corps d’une livre, c’est à dire son propre corps, à la hauteur C D de quatre toises. Donc, (par la seconde supposition) la force de ces deux corps est egale.

Voyons maintenant si la quantité de mouvement est aussi 15 la même de part et d’autre : mais c’est là, où on sera surpris de trouver une difference grandissime. Car il a esté demonstré par Galilei, que la vistesse acquise par la cheute C D est double de la vistesse acquise par la cheute E F, quoyque la hauteur soit quadruple. Multiplions donc le corps A qui est comme 1 20 par sa vistesse qui est comme 2, le produit α ou la quantité de mouvement sera comme 2, et de l’autre part, multiplions le corps B qui est comme 4 par sa vistesse qui est comme 1, le produit ou la quantité de mouvement sera comme 4 ; donc, la quantité de mouvement du corps (A) au point D est la 25 moitié de la quantité de mouvement du corps (B) au point E, et cependant leurs forces[117] sont egales ; α donc, il y a bien de la difference entre la quantité de mouvement et la force, ce qu’il falloit monstrer.

On voit par là, comment la force doit estre estimée par la[118] 30 quantité de l’effect qu’elle peut produire, par exemple par la hauteur, à laquelle un corps pesant d’une certaine grandeur et espece peut estre elevé, ce qui est bien different de la vistesse qu’on luy peut donner. Et pour luy donner le double de la vistesse il faut plus que le double de la force.

Rien n’est plus simple que cette preuve ; et Mons. des 5 Cartes[119] n’est tombé icy dans l’erreur que par ce qu’il[120] se fioit trop à ses pensées, lors même qu’elles n’estoient pas encore assez meures. Mais[121] je m’étonne que depuis ses sectateurs ne se sont pas apperçus de cette faute : et j’ay peur qu’ils ne commencent peu à peu d’imiter quelques peripateticiens, 10 dont ils se mocquent, et qu’ils ne s’accoustument comme eux de consulter plus tost les livres de leur maistre que la raison et la nature.

XVIII. La distinction de la force et de la quantité de mouvement est importante entre autres pour juger qu’il faut recourir à des considerations metaphysiques separées de l’etendue afin d’expliquer[122] les phenomenes des corps. Cette consideration de la force distinguée de la quantité de mouvement est assez 15 importante non seulement α en physique et en mechanique pour trouver les veritables loix de la nature et regles du mouvement, et pour corriger meme plusieurs erreurs de practique que se sont glissées dans les écrits de quelques 20 habiles mathematiciens, mais encor dans la metaphysique pour mieux entendre les principes[123], car le mouvement, si on n’y considere que ce qu’il comprend precisement et formellement, c’est à dire un changement de place, n’est pas une chose entierement reelle, et quand plusieurs corps changent[124] de situation entre eux, il n’est pas possible de determiner par la seule consideration de ces changemens, à qui entre eux le mouvement ou le repos doit estre attribué, α comme je pourrois faire voir geometriquement si je m’y voulois arrester maintenant. 5

Mais la force ou cause prochaine de ces changemens est quelque chose de plus reel, et il y a assez de[125] fondement pour l’attribuer à un corps plus qu’à l’autre ; aussi n’est ce que par là qu’on peut connoistre à qui le mouvement appartient davantage. Or cette force est quelque chose de different de la 10 grandeur[126] de la figure et du mouvement, et on peut juger par là que tout ce qui est conçu dans le corps ne consiste pas[127] uniquement dans l’étendue et dans ses modifications, comme nos modernes se persuadent. Ainsi nous sommes encor obligés de rétablir quelques estres ou formes qu’ils ont bannies. Et 15 il paroist de plus en plus, quoyque tous les phenomenes particuliers de la nature[128] se puissent expliquer mathematiquement ou mechaniquement par ceux qui les entendent, que neantmoins les principes generaux de la nature corporelle et de la mechanique même sont plustost metaphysiques que 20 geometriques, et appartiennent plustost à quelques formes ou natures indivisibles[129] comme causes des apparences qu’à la masse corporelle ou étendue. Reflexion qui est capable de reconcilier[130] la philosophie mechanique des modernes avec la circonspection de quelques personnes intelligentes et bien 25 intentionnées qui craignent avec quelque raison qu’on ne s’eloigne trop des estres immateriels au prejudice de la pieté.

*13 XIX. Utilité des causes finales dans la physique. *Comme je n’aime pas de jugerErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. des gens en mauvaise part, je n’accuse pas nos nouveaux philosophes, qui pretendent de bannir les causes finales de la 5 physique, mais je suis neantmoins obligé d’avouerErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. que les suites de ce sentiment me paroissent dangereuses, sur tout quand je le joins à celuy que j’ay refuté au commencement de ce discours, qui semble aller à les oster tout à fait, comme si Dieu ne se proposoit aucune fin ny bien, en agissant, ou comme si le bien n’estoit pas l’object de sa volonté. Et pour moyErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. je tiens au contraire que c’est là où il faut chercher le principe de toutes les existences et des loixErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. de la nature, parce que Dieu se propose tousjours le meilleur et le plus parfait.

Je veux bien avouer, que nous sommes sujets à nous abuser, 15 quand nous voulons determiner les fins ou conseils de Dieu, mais ce n’est que lorsque nous les voulons borner à quelque dessein particulier, croyans qu’il n’a EU EN VEUE (e) qu’une seule chose, au lieu qu’il a en même temps égard à tout ; comme lorsque nous croyons que Dieu n’a fait le monde que pour 20 nous, C’EST UN GRAND ABUS, quoyqu’il soit tres veritable qu’il l’a fait TOUT ENTIER pour nous, et qu’il n’y a rien dans l’univers qui ne nous touche et qui ne s’accommode AUSSI aux égards qu’il a pour nous, suivant les principes posés cydessus. Ainsi lorsque nous voyons quelque bon effect ou quelque perfection qui 25

(a) [de l’intention des gens, ou n’en juge qu’en bonne part si je puis ; ] je n’accuse [pas d’impieté] nos nouveaux philosophes qui [veulent] PRETENDENT DE bannir. (b) [que je n’y reconnois pas leur esprit et leur prudence ordinaire, je veux bien avouer que ce n’est pas pour l’homme seul que tout est fait]. (c) [Et pour moy], (ces mots ne sont pas reproduits dans la copie ni dans les précédentes éditions). (d) et [même] les loix de la nature [et que non seulement dans]. (e) qu’il n’a [vu] qu’une seule chosc. arrive ou qui s’ensuit des ouvrages de Dieu, nous pouvons dire seurement que Dieu se l’est proposée. Car α il ne fait rien par hazard, et n’est pas semblable à nous, à qui il echappe quelque fois de bien faire. C’est pourquoy bien loin[131] qu’on puisse faillir en cela, comme font les politiques ε outrés [132] 5 qui s’imaginent trop de rafinement dans les desseins des Princes, ou comme font des commentateurs qui cherchent trop d’erudition dans leur auteur ; on ne sçauroit attribuer trop de reflexions[133] a cette sagesse infinie, et il n’y a aucune matiere où il y aye moins d’erreur à craindre tandis qu’on ne fait qu’affirmer, et pourveu 10 qu’on se garde icy des propositions negatives qui limitent les desseins de Dieu.

Tous ceux qui voient l’admirable structure des animaux se trouvent portés à reconnoistre la sagesse de l’auteur des choses, et je conseille à ceux[134] qui ont quelque sentiment de piété et 15 même de veritable Philosophie, de s’eloigner des phrases de quelques esprits forts pretendus, qui disent qu’on voit parce qu’il se trouve[135] qu’on a des yeux, sans que les yeux ayent esté faits pour voir. Quand on est serieusement dans ces sentiments qui donnent tout à la necessité de la matiere ou à un 20 certain hazard[136] (quoyque l’un et l’autre doive paroistre ridicules à ceux qui entendent ce que nous avons expliqué cy-dessus), il est difficile qu’on puisse reconnoistre un auteur intelligent de la nature. ε Car l’effect[137] doit répondre à sa cause, et même il se connoist le mieux par la connoissance de la cause, et il est déraisonnable d’introduire une intelligence souveraine ordonnatrice des choses, et puis, au lieu d’employer sa sagesse, ne se servir que des propriétés de la matiere pour expliquer les phenomenes. Comme si pour rendre raison d’une 5 conqueste qu’un grand Princea) a fait, en prenant quelque place d’importance, UN HISTORIENb vouloit dire, que c’est parce que les petits corps de la poudre à canon estant delivrés à l’attouchement d’une étincelle, se sont echappés avec une vistesse (c) & capable de pousser un corps dur et pesant contre les 10 murailles de la place, pendant que les branches des petits corpsid : qui composent le cuivre DU CANON estoient assez bien entre- lacées, pour ne se pas déjoindre PAR CETTE VISTESSEErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.

; au lieu

de faire voir comment la prevoyance du conquerant luy a fait choisir le temps et les moyens convenables, et comment sa 15 puissance a surmonté tous les obstacles. (e) XX. Passage re- marquable de So- crate chez Platon contre les philosophes trop materiels. 61 Cela me fait soUVENIR’s D’un beau passage de Socrate dans le Phedon de Platon, qui est merveilleusement conforme à mes sentimens sur ce point, et semble estre fait exprés h) contre nos Philo- sophes trop materiels. Aussi ce rapport i m’a donné envie de le traduire, quoyqu’il soit un peu long, peutestre que CET ÉCHANTILLON pourra donner occasion à quelcun de nous FAIRE … (a) [monarq.]. (b) [je] vouloi [s] dire que c’est… (c) une [grande] vitesse. (d)… les branches [de celles du cuivre] [dont le canon est fait des petits corps, etc. te) par [là]. (f) Au lieu de [dire que sa prevoyance] luy a fait choisir [un temps propice]. (g) [songer à]. (h) et semble estre fait [directement] exprés contre. (i) [Ce qui m’a fait resoudre à] le traduire… peut estre que [cela] cet échan- tillon pourra donner occasion à quelques uns, de nous [donner] faire part de quantité d’autres…… les écrits [de ce grand homme]. 20 quantité d’autres pensées belles et solides qui se trouvent dans les écrits de ce fameux auteur. « J’entendis un jour, dit-il, quelqu’un lire dans un livre d’Anaxagore, où il y avait ces paroles qu’un être intelligent était cause de toutes choses, et qu’il les avait disposées et ornées. Cela me plut extrêmement, car je croyais que si le monde était l’effet d’une intelligence, tout serait fait de la manière la plus parfaite qu’il eût été possible. C’est pourquoi je croyais que celui qui voudrait rendre raison pourquoi les choses s’engendrent ou périssent ou subsistent devrait chercher ce qui serait convenable à la perfection de chaque chose. Ainsi l’homme n’aurait à considérer en soi ou en quelque autre chose que ce qui serait le meilleur et le plus parfait. Car celui qui connaîtrait le plus parfait jugerait aisément par là de ce qui serait imparfait, parce qu’il n’y a qu’une même science de l’un et de l’autre. Considérant tout ceci, je me réjouissais d’avoir trouvé un maître qui pourrait enseigner les raisons des choses : par exemple, si la terre était plutôt ronde que plate, et pourquoi il ait été mieux qu’elle fût ainsi qu’autrement. De plus, je m’attendais qu’en disant que la terre est au milieu de l’univers, ou non, il m’expliquerait pourquoi cela ait été le plus convenable. Et qu’il m’en dirait autant du soleil, de la lune, des étoiles et de leurs mouvements. Et qu’enfin, après avoir montré monstré ce qui seroit convenable à chaque chose en particulier, il me monstreroit ce qui seroit le meilleur en general.

Plein de cette espzrance, je pris et je parcourus les livres d’Anaxagore avec grand empressement ; mais je me trouvay bien éloigné de mon compte, car je fus surpris de voir qu’il ne se servoit point de cette intelligence gouvernatrice qu’il avoit mise en avant[138], qu’il ne parlooit plus de l’ornement ny de la perfection des choses, et qu’il introduisoit certaines matieres etheriennes peu vraisemblables.

En quoi il faisoit comme celuy qui ayant dit que Socrate 10 fait les choses avec intelligence, et venant par apres à expliquer en particulier les causes de ses actions, diroit qu’il est assis icy, parce qu’il a un corps composé d’os, de chair et de nerfs, que les os sont solides, mais qu’ils ont des intervalles ou junctures, que les nerfs peuvent estre tendus et relachés, que c’est 15 par là que le corps est flexible et enfin que je suis assis. Ou si voulant rendre raison de ce present discours, il auroit recours à l’air, aux organes de voix et d’ouie, et semblables choses, oubliant cependant les veritables causes, sçavoir que les Atheniens ont cru qu’il seroit mieux fait de me condamner que de 20 m’absoudre, et que j’ay cru moy mieux faire de demeurer assis icy que de m’enfuir. Car ma foy, sans cela, il y a long temps que ces nerfs et ces os seroient aupres des Boeotiens et Megariens, si je n’avois pas trouvé qu’il est plus juste et plus honneste à moy de souffrir la peine que la patrie me veut imposer que 25 de vivre ailleurs vagabond et exilé. C’est pourquoy il est déraisonnable d’appeler ces os et ces nerfs et leurs mouvements des causes.

Il est vray que celui qui diroit que je ne sçaurois faire tout cecy sans os et sans nerfs auroit raison, mais autre chose est 30 ce qui est la veritable cause… et ce qui n’est qu’une condition sans laquelle la cause ne sçauroit estre cause… Les gens qui disent seulement, par exemple, que le mouvement des corps à l’entour soutient la terre là où elle est, oublient que la puissance divine dispose tout de la plus belle manière, et ne comprennent pas que c’est le bien et le beau qui joint, qui forme et qui maintient le monde. » Jusqu’ici Socrate, car ce qui s’ensuit chez Platon des idées ou formes n’est pas moins excellent, mais il est un peu plus difficile.

21. ‑ Si les règles mécaniques dépendaient de la seule géométrie sans la métaphysique, les phénomènes seraient tout autres.

Or, puisqu’on a toujours reconnu la sagesse de Dieu dans le détail de la structure mécanique de quelques corps particuliers, il faut bien qu’elle se soit montrée aussi dans l’économie générale du monde et dans la constitution des lois de la nature. Ce qui est si vrai qu’on remarque les conseils de cette sagesse dans les lois du mouvement en général. Car s’il n’y avait dans les corps qu’une masse étendue, et s’il n’y avait dans le mouvement que le changement de place, et si tout se devait et pouvait déduire de ces définitions toutes seules par une nécessité géométrique, il s’ensuivrait, comme j’ai montré ailleurs, que le moindre corps donnerait au plus grand qui serait en repos et qu’il rencontrerait, la même vitesse qu’il a, sans perdre quoi que ce soit de la sienne : et il faudrait admettre quantité d’autres telles règles tout à fait contraires à la formation d’un système. Mais le décret de la sagesse divine de conserver toujours la même force et la même direction en somme, y a pourvu. Je trouve même que plusieurs effets de la nature se peuvent démontrer doublement, savoir par la considération de la cause efficiente, et encore à part par la considération de la cause finale, en se servant par exemple du décret de Dieu de produire toujours son effet par les voies les plus aisées et les plus déterminées, comme j’ai fait voir ailleurs en rendant raison des règles de la catoptrique et de la dioptrique, et en dirai davantage tantôt.

22. ‑ Conciliation des deux voies par les finales et par les efficientes pour satisfaire tant à ceux qui expliquent la nature mécaniquement qu’à ceux qui ont recours à des natures incorporelles.

Il est bon de faire cette remarque pour concilier ceux qui espèrent d’expliquer mécaniquement la formation de la première tissure d’un animal et de toute la machine des parties, avec ceux qui rendent raison de cette même structure par les causes finales. L’un et l’autre est bon, l’un et l’autre peut être utile, non seulement pour admirer l’artifice du grand ouvrier, mais encore pour découvrir quelque chose d’utile dans la physique et dans la médecine. Et les auteurs qui suivent ces routes différentes ne devraient point se maltraiter. Car je vois que ceux qui s’attachent à expliquer la beauté de la divine anatomie, se moquent des autres qui s’imaginent qu’un mouvement de certaines liqueurs qui paraît fortuit a pu faire une si belle variété de membres, et traitent ces gens là de téméraires et de profanes. Et ceux-ci au contraire traitent les premiers de simples et de superstitieux, semblables à ces anciens qui prenaient les physiciens pour impies, quand ils soutenaient que ce n’est pas Jupiter qui tonne, mais quelque matière qui se trouve dans les nues. Le meilleur serait de joindre l’une et l’autre considération, car s’il est permis de se servir d’une basse comparaison, je reconnais et j’exalte l’adresse d’un ouvrier non seulement en monstrant quels desseins il a eus en faisant les pieces de sa machine, mais encor en expliquant les instruments dont il s’est servi pour faire chaque piece, sur tout quand ces instruments sont simples et ingenieusement controuvés. Et Dieu est assez habile artisan 5 pour produire une machine encore plus ingenieuse mille fois[139] que celle de nostre corps, en ne se servant que de quelques liqueurs assez simples expressement formées en sorte qu’il ne faille que les lois ordinaires de la nature pour les deméler comme il faut à fin de produire un effect si 10 admirable ; mais il est vray aussi, que cela n’arriveroit point[140], si Dieu n’estoit pas auteur de la nature.

Cependant je trouve que la voye des causes efficientes, qui est plus profonde en effect et en quelque façon plus immediate et a priori, est en recompense assez difficile, quand on vient 15 au detail, et je croy que nos Philosophes le plus souvent en sont encore bien éloignés. Mais la voye[141] des finales est plus aisée, et ne laisse pas de servir souvent à deviner des verités importantes ε et utiles qu’on seroit bien longtemps à chercher par cette autre route αplus physique, dont l’Anatomie peut fournir 20 des exemples[142] considerables. Aussi tiens-je que Snellius qui est le premier inventeur des regles de la refraction[143] aurait attendu long temps à les trouver, s’il avoit voulu chercher premierement comment la lumiere se forme. Mais il a suivi apparemment la methode dont les anciens se sont servis 25 pour la catoptrique, qui est en effet par les finales. Car cherchant la voye[144] la plus aisée pour conduire un rayon d’un point donné à un autre point donné par la réflexion d’un plan donné (supposant que c’est le dessein de la nature), ils ont trouvé l’égalité des angles d’incidence et de réflexion, comme l’on peut voir dans un petit traité d’Héliodore de Larisse, et ailleurs. Ce que M. Snellius, comme je crois, et après lui (quoique sans rien savoir de lui), M. Fermat ont appliqué plus ingénieusement à la réfraction. Car lorsque les rayons observent dans les mêmes milieux la même proportion des sinus qui est aussi celle des résistances des milieux, il se trouve que c’est la voie la plus aisée ou du moins la plus déterminée pour passer d’un point donné dans un milieu à un point donné dans un autre. Et il s’en faut beaucoup que la démonstration de ce même théorème que M Descartes a voulu donner par la voie des efficientes, soit aussi bonne. Au moins y a-t-il lieu de soupçonner qu’il ne l’aurait jamais trouvée par là, s’il n’avait rien appris en Hollande de la découverte de Snellius.

23. ‑ Pour revenir aux substances immatérielles, on explique comment Dieu agit sur l’entendement des esprits et si on a toujours l’idée de ce qu’on pense.

J’ai trouvé à propos d’insister un peu sur ces considérations des finales, des natures incorporelles et d’une cause intelligente avec rapport aux corps, pour en faire connaître l’usage jusque dans la physique et dans les mathématiques, afin de purger, d’une part, la philosophie mécanique de la profanité qu’on lui impute, et de l’autre part, d’élever l’esprit de nos philosophes des considérations matérielles toutes seules à des méditations plus nobles. Maintenant, il sera à propos de retourner des corps aux natures immateriellesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. et particulierement aux esprits et de dire quelque chose de la maniere dont Dieu se sert pour les éclairer et pour agir sur eux, ou il ne faut point douter, qu’il n’y aitErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. aussi certaines loix de nature, de quoy je pourrois parler plus amplement ailleurs. Maintenant il suffira de 5 toucher quelque chose des idées, et si nous voyons toutes choses en Dieu, et comment Dieu est nostre lumiere.

Or il sera à propos de remarquer que le mauvais usage des idées donne occasion à plusieurs erreurs. Car quand on raisonne de quelque chose, on s’imagine d’avoir une idéeErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. de cette 10 chose, et c’est le fondement sur le quel quelques PhilosophesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. ε anciens et nouveaux ont basti une certaine demonstration de Dieu ε qui est fort imparfaiteErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Car, disent-ils, il faut bien que j’aye une idée de Dieu ou d’un estre parfait, puisque je pense à luyErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., et on ne sçauroit penser sans idée ; β or l’idée de 15 cet estre enferme toutes les perfections, et l’existence en est une, {{nlg|*16 par consequent il existe. Mais comme nous pensons souvent *à des chimeres impossibles, par exemple, au dernier degré de la vistesse, au plus grand nombre, à la rencontre de la conchoide avec saErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. base ou regle, α ce raisonnement ne suffit pas. C’est done en ce sens qu’on peut dire, qu’il y a des idées vrayes et fausses, selon que la chose dont il s’agit est possible ou non. Et c’est alors qu’on peut se vanter d’avoir une idée[145] de la chose, lors qu’on est asseuré de sa possibilité. Ainsi l’argument susdit prouve au moins, que Dieu existe necessairement, s’il

(a) aux [esprits] natures [incorpor] immatérielles…. (b) qu’il [ne se serve] aussi [de] certaines… c) [d’en] avoir une idée… (d) [nouveaux auteurs]. (e) qui est FORT imparfaite [à parler rigoureusement]. (f) [à luy] de luy (ms.) ; [de luy] à luy (copie B.). (g) avec sa base. (Texte du ms. de L. les éditions précèdentes écrivent la » d’après la copie B, manifestement fautive).

[O 20 in

= S E 2 3 S 2 est possible. Ce qui est en effet un excellent privilège de la nature divine, de n’avoir besoin que de sa possibilité ou essence pour exister actuellement, et c’est justement ce qu’on appelle Ens a se.

24. ‑ Ce que c’est qu’une connaissance claire ou obscure ; distincte ou confuse, adéquate et intuitive ou suppositive ; définition nominale, réelle, causale, essentielle.

Pour mieux entendre la nature des idées, il faut toucher quelque chose de la variété des connaissances. Quand je puis reconnaître une chose parmi les autres, sans pouvoir dire en quoi consistent ses différences ou propriétés, la connaissance est confuse. C’est ainsi que nous connaissons quelquefois clairement, sans être en doute en aucune façon, si un poème ou bien un tableau est bien ou mal fait, parce qu’il y a un je ne sais quoi qui nous satisfait ou qui nous choque. Mais lorsque je puis expliquer les marques que j’ai, la connaissance s’appelle distincte. Et telle est la connaissance d’un essayeur, qui discerne le vrai or du faux par le moyen de certaines épreuves ou marques qui font la définition de l’or. Mais la connaissance distincte a des degrés, car ordinairement les notions qui entrent dans la définition auraient besoin elles-mêmes de définition et ne sont connues que confusément. Mais lorsque tout ce qui entre dans une définition ou connaissance distincte est connu distinctement, jusqu’aux notions primitives, j’appelle cette connaissance adéquate. Et quand mon esprit comprend à la fois et distinctement tous les ingrédients primitifs les ingrediens primitifs d’une notionErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., il en a une connoissance intuitive qui est bien rare, la pluspart des connoissances humaines n’estant que α confuses ou bien suppositives.

Il est bon aussi de discerner les definitions nominales et b les reelles : j’appelle definition nominale, lorsqu’on peut 5 encore douter si la notion definie est possible, comme par exemple, si je dis qu’une vis sans finErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. est une ligne solide dont les parties sont congruentes α ou peuvent inceder l’une sur l’autre ; celuy qui ne connoist pasErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. d’ailleurs ce que c’est qu’une vis sans fin, pourra douter si une telle ligne est possible, 10 quoyque en effect ce soit une proprieté reciproque ε de la vis[146] sans fin, car les autres lignes dont les parties sont congruentes (qui ne sont queErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. la circonference du cercle et la ligne droite) sont planes, c’est à dire se peuvent decrire in plano[147]. CELA FAIT VOIR QUE toute proprieté reciproque peut servir à une 153 definition nominale, mais lors QUE LA PROPRIETÉ donne à connoistre la possibilité de la chose, elle fait la definition reelle ; et tandis qu’on n’a qu’une definition nominale, on ne scauroit s’assurer des consequences qu’on en tire, car si elle cachoit quelque contradiction ou impossibilité, on en pourroit tirer zo des conclusions opposées. C’est pourquoy les verités ne dependent point des noms, et ne sont point arbitraires comme quelques nou- veaux philosophes ont cru.

Au reste il y a encore bien de la difference entre les (a) [toute cette analyse] d’une notion. N. B. Notio media inter intuitivam et claram est cum omnium notionum impedientium falli claram cognitionem habeo]. [Note de L. en marge du ms. autographe].. (b) Que [le cercle est une figure plane dont] [le cercle est] [l’hélice est] qu’une vis sans fin est une ligne solide [c’est à dire qui passe par plusieurs plans parallelles entre eux] [c’est à dire qu’on ne sçauroit decrire sur un plan]… etc. (c) qui ne connoist pas [l’helice]… ( (e) if souligné seulement dans B… in plano [car c’est ainsi que j’entends ici ce terme]. Ainsi] Cela fait voir que… [mais lorsqu’elle…] réelles, car quand la possibilité ne se prouve que par expérience, comme dans la définition du vif-argent dont on connaît la possibilité parce qu’on sait qu’un tel corps se trouve effectivement qui est un fluide extrêmement pesant et néanmoins assez volatile, la définition est seulement réelle et rien davantage ; mais lorsque la preuve de la possibilité se fait a priori, la définition est encore réelle et causale, comme lorsqu’elle contient la génération possible de la chose ; et quand elle pousse l’analyse à bout jusqu’aux notions primitives, sans rien supposer qui ait besoin de preuve a priori de sa possibilité, la définition est parfaite ou essentielle.

25. ‑ En quel cas notre connaissance est jointe à la contemplation de l’idée.

Or, il est manifeste que nous n’avons aucune idée d’une notion quand elle est impossible. Et lorsque la connaissance n’est que suppositive, quand nous aurions l’idée, nous ne la contemplons point, car une telle notion ne se connaît que de la même manière que les notions occultement impossibles, et si elle est possible, ce n’est pas par cette manière de connaître qu’on l’apprend. Par exemple, lorsque je pense à mille ou à un chiliogone, je le fais souvent sans en contempler l’idée (comme lorsque je dis que mille est dix fois cent), sans me mettre en peine de penser ce que c’est que 10 et 100, parce que je suppose de le savoir et ne crois pas d’avoir besoin à présent de m’arrêter à le concevoir. Ainsi, il pourra bien arriver, comme il arrive en effet assez souvent, que je me trompe à l’égard d’une notion que je suppose ou crois d’entendre, quoique dans la vérité elle soit impossible, ou au moins incompatible avec les autres auxquelles je la joins, et soit que je me trompe ou que je ne me trompe point, cette manière suppositive de concevoir demeure la même. Ce n’est donc que lorsque notre connaissance est claire dans les notions confuses, ou lorsqu’elle est intuitive dans les distinctes, que nous en voyons l’idée entière.

26. ‑ Que nous avons en nous toutes les idées ; et de la réminiscence de Platon.

Pour bien concevoir ce que c’est qu’idée, il faut prévenir une équivocation, car plusieurs prennent l’idée pour la forme ou différence de nos pensées, et de cette manière nous n’avons l’idée dans l’esprit qu’en tant que nous y pensons, et toutes les fois que nous y pensons de nouveau, nous avons d’autres idées de la même chose, quoique semblables aux précédentes. Mais il semble que d’autres prennent l’idée pour un objet immédiat de la pensée ou pour quelque forme permanente qui demeure lorsque nous ne la contemplons point. Et, en effet, notre âme a toujours en elle la qualité de se représenter quelque nature ou forme que ce soit, quand l’occasion se présente d’y penser. Et je crois que cette qualité de notre âme en tant qu’elle exprime quelque nature, forme ou essence, est proprement l’idée de la chose, qui est en nous, et qui est toujours en nous, soit que nous y pensions ou non. Car notre âme exprime Dieu et l’univers, et toutes les essences aussi bien que toutes les existences. Cela s’accorde avec mes principes, car naturellement rien ne nous entre dans l’esprit par le dehors, et c’est une mauvaise habitude que nous avons de penser comme si notre âme recevait quelques espèces messagères et comme si elle avait des portes et des fenêtres. Nous avons dans l’esprit toutes ces formes, et même de tout temps, parce que l’esprit exprime toujours toutes ses pensées futures, et pense déjà confusément à tout ce qu’il pensera jamais distinctement. Et rien ne nous saurait être appris, dont nous n’ayons déjà dans l’esprit l’idée qui est comme la matière dont cette pensée se forme. C’est ce que Platon a excellemment bien considéré, quand il a mis en avant sa réminiscence qui a beaucoup de solidité, pourvu qu’on la prenne bien, qu’on la purge de l’erreur de la préexistence, et qu’on ne s’imagine point que l’âme doit déjà avoir su et pensé distinctement autrefois ce qu’elle apprend et pense maintenant. Aussi a-t-il confirmé son sentiment par une belle expérience, introduisant un petit garçon qu’il mène insensiblement à des vérités très difficiles de la géométrie touchant les incommensurables, sans lui rien apprendre, en faisant seulement des demandes par ordre et à propos. Ce qui fait voir que notre âme sait tout cela virtuellement, et n’a besoin que d’animadversion pour connaître les vérités, et, par conséquent, qu’elle a au moins ses idées dont ces vérités dépendent. On peut même dire qu’elle possède déjà ces vérités, quand on les prend pour les rapports des idées.

27. ‑ Comment notre âme peut être comparée à des tablettes vides et comment nos notions viennent des sens.

Aristote a mieux aimé de comparer notre âme à des tablettes encore vides où il y a place pour écrire, et il a soutenu que rien n’est dans notre entendement qui ne vienne des sens. Cela s’accorde davantage avec les notions populaires, comme c’est la manière d’Aristote, au lieu que Platon va plus au fond. Cependant, ces sortes de doxologies ou practicologies peuvent passer dans l’usage ordinaire à peu près comme nous voyons que ceux qui suivent Copernic ne laissent pas de dire que le soleil se lève et se couche. Je trouve même souvent qu’on leur peut donner un bon sens, suivant lequel elles n’ont rien de faux, comme j’ai remarqué déjà de quelle façon on peut dire véritablement que les substances particulières agissent l’une sur l’autre, et dans ce même sens, on peut dire aussi que nous recevons de dehors des connaissances par le ministère des sens, parce que quelques choses extérieures contiennent ou expriment plus particulièrement les raisons qui déterminent notre âme à certaines pensées. Mais quand il s’agit de l’exactitude des vérités métaphysiques, il est important de reconnaître l’étendue et l’indépendance de notre âme qui va infiniment plus loin que le vulgaire ne pense, quoique dans l’usage ordinaire de la vie on ne lui attribue que ce dont on s’aperçoit plus manifestement, et ce qui nous appartient d’une manière particulière, car il n’y sert de rien d’aller plus avant. Il serait bon cependant de choisir des termes propres à l’un et à l’autre sens pour éviter l’équivocation. Ainsi ces expressions qui sont dans notre âme, soit qu’on les conçoive ou non, peuvent être appelées idées, mais celles qu’on conçoit ou forme, se peuvent dire notions, conceptus. Mais de quelque manière qu’on le prenne, il est toujours faux de dire que toutes nos notions viennent des sens qu’on appelle extérieurs, car celles que j’ai de moi et de mes pensées, et par conséquent de l’être, de la substance, de l’action, de l’identité, et de bien d’autres, viennent d’une expérience interne.

28. ‑ Dieu seul est l’objet immédiat de nos perceptions qui existe hors de nous, et lui seul est notre lumière.

Or, dans la rigueur de la vérité métaphysique, il n’y a point de cause externe qui agisse sur nous, excepté Dieu seul, et lui seul se communique à nous immédiatement en vertu de notre dépendance continuelle. D’où il s’ensuit qu’il n’y a point d’autre objet externe qui touche notre âme et qui excite immédiatement notre perception. Aussi n’avons-nous dans notre âme les idées de toutes choses, qu’en vertu de l’action continuelle de Dieu sur nous, c’est-à-dire parce que tout effet exprime sa cause, et qu’ainsi l’essence de notre âme est une certaine expression, imitation ou image de l’essence, pensée et volonté divine et de toutes les idées qui y sont comprises. On peut donc dire que Dieu seul est notre objet immédiat hors de nous, et que nous voyons toutes choses par lui ; par exemple, lorsque nous voyons le soleil et les astres, c’est Dieu qui nous en a donné et qui nous en conserve les idées, et qui nous détermine à y penser effectivement, par son concours ordinaire, dans le temps que nos sens sont disposés d’une certaine manière, suivant les lois qu’il a établies. Dieu est le soleil et la lumière des âmes, lumen illuminans omnem hominem venientem in hunc mundum ; et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on est dans ce sentiment. Après la sainte Ecriture et les Pères, qui ont toujours été plutôt pour Platon que pour Aristote, je me souviens d’avoir remarqué autrefois que du temps des scolastiques, plusieurs ont cru que Dieu est la lumière de l’âme, et, selon leur manière de parler, intellectus agens animae rationalis. Les averroïstes l’ont tourné dans un mauvais sens, mais d’autres, parmi lesquels je crois que Guillaume de Saint-Amour s’est trouvé, et plusieurs théologiens mystiques, l’ont pris d’une manière digne de Dieu et capable d’élever l’âme à la connaissance de son bien.

29. ‑ Cependant nous pensons immédiatement par nos propres idées et non par celles de Dieu.

Cependant je ne suis pas dans le sentiment de quelques habiles philosophes, qui semblent soutenir que nos idées mêmes sont en Dieu, et nullement en nous. Cela vient à mon avis de ce qu’ils n’ont pas assez considéré encore ce que nous venons d’expliquer ici touchant les substances, ni toute l’étendue et indépendance de notre âme, qui fait qu’elle enferme tout ce qui lui arrive, et qu’elle exprime Dieu et avec lui tous les êtres possibles et actuels, comme un effet exprime sa cause. Aussi est-ce une chose inconcevable que je pense par les idées d’autrui. Il faut bien aussi que l’âme soit affectée effectivement d’une certaine manière, lorsqu’elle pense à quelque chose, et il faut qu’il y ait en elle par avance non seulement la puissance passive de pouvoir être affectée ainsi, laquelle est déjà toute déterminée, mais encore une puissance active, en vertu de laquelle il y a toujours eu dans sa nature des marques de la production future de cette pensée et des dispositions à la produire en son temps. Et tout ceci enveloppe déjà l’idée comprise dans cette pensée.

30. ‑ Comme Dieu incline notre âme sans la nécessiter ; qu’on n’a point le droit de se plaindre, et qu’il ne faut point demander pourquoi Judas pèche, mais seulement pourquoi Judas le pécheur est admis à l’existence préférablement à quelques autres personnes possibles. De l’imperfection originale avant le péché, et des degrés de la grâce.

Pour ce qui est de l’action de Dieu sur la volonté humaine, il y a quantité de considérations assez difficiles, qu’il serait long de poursuivre ici. Néanmoins, voici ce qu’on peut dire en gros. Dieu en concourant à nos actions ordinairement ne fait que suivre les lois qu’il a établies, c’est-à-dire il conserve et produit continuellement notre être, en sorte que les pensées nous arrivent spontanément ou librement dans l’ordre que la notion de notre substance individuelle porte, dans laquelle on pouvait les prévoir de toute éternité. De plus, en vertu du décret qu’il a fait que la volonté tendrait toujours au bien apparent, en exprimant ou imitant la volonté de Dieu sous des certains aspects particuliers, à l’égard desquels ce bien apparent a toujours quelque chose de véritable, il détermine la nôtre au choix de ce qui paraît le meilleur, sans la nécessiter néanmoins. Car, absolument parlant, elle est dans l’indifférence en tant qu’on l’oppose à la nécessité, et elle a le pouvoir de faire autrement ou de suspendre encore tout à fait son action, l’un et l’autre parti étant et demeurant possible. Il dépend donc de l’âme de se précautionner contre les surprises des apparences par une ferme volonté de faire des réflexions, et de ne point agir ni juger en certaines rencontres qu’après avoir bien mûrement délibéré. Il est vrai cependant et même il est assuré de toute éternité que quelque âme ne se servira pas de ce pouvoir dans une telle rencontre. Mais qui en peut mais ? et se peut-elle plaindre que d’elle-même ? Car toutes ces plaintes après le fait sont injustes, quand elles auraient été injustes avant le fait. Or, cette âme, un peu avant que de pécher, aurait-elle bonne grâce de se plaindre de Dieu comme s’il la déterminait au péché ? Les déterminations de Dieu en ces matières étant des choses qu’on ne saurait prévoir, d’où sait-elle qu’elle est déterminée à pécher, sinon lorsqu’elle pèche déjà effectivement ? Il ne s’agit que de ne pas vouloir et Dieu ne saurait proposer une condition plus aisée et plus juste ; aussi tous les juges, sans chercher les raisons qui ont disposé un homme à avoir une mauvaise volonté, ne s’arrêtent qu’à considérer combien cette volonté est mauvaise. Mais peut-être qu’il est assuré de toute éternité que je pécherai ? Répondez-vous vous-même : peut-être que non ; et sans songer à ce que vous ne sauriez connaître, et qui ne vous peut donner aucune lumière, agissez suivant votre devoir que vous connaissez. Mais dira quelque autre, d’où vient que cet homme fera assurément ce péché ? La réponse est aisée, c’est qu’autrement ce ne serait pas cet homme. Car Dieu voit de tout temps qu’il y aura un certain Judas dont la notion ou idée que Dieu en a contient cette action future libre. Il ne reste donc que cette question, pourquoi un tel Judas, le traître, qui n’est que possible dans l’idée de Dieu, existe actuellement. Mais à cette question il n’y a point de réponse à attendre ici-bas, si ce n’est qu’en général on doit dire que, puisque Dieu a trouvé bon qu’il existât, nonobstant le péché qu’il prévoyait, il faut que ce mal se récompense avec usure dans l’univers, que Dieu en tirera un plus grand bien, et qu’il se trouvera en somme que cette suite des choses dans laquelle l’existence de ce pécheur est comprise, est la plus parfaite parmi toutes les autres façons possibles. Mais d’expliquer toujours l’admirable économie de ce choix, cela ne se peut pendant que nous sommes voyageurs dans ce monde ; c’est assez de le savoir sans le comprendre. Et c’est ici qu’il est temps de reconnaître altitudinem divitiarum, la profondeur et l’abîme de la divine sagesse, sans chercher un détail qui enveloppe des considérations infinies. On voit bien cependant que Dieu n’est pas la cause du mal. Car, non seulement après la perte de l’innocence des hommes le péché originel s’est emparé de l’âme, mais encore auparavant il y avait une limitation ou imperfection originale connaturelle à toutes les créatures, qui les rend peccables ou capables de manquer. Ainsi, il n’y a pas plus de difficulté à l’égard des supralapsaires qu’à l’égard des autres. Et c’est à quoi se doit réduire à mon avis le sentiment de saint Augustin et d’autres auteurs que la racine du mal est dans le néant, c’est-à-dire dans la privation ou limitation des créatures, à laquelle Dieu remédie gracieusement par le degré de perfection qu’il lui plaît de donner. Cette grâce de Dieu, soit ordinaire ou extraordinaire, a ses degrés et ses mesures, elle est toujours efficace en elle-même pour produire un certain effet proportionné, et de plus elle est toujours suffisante non seulement pour nous garantir du péché, mais même pour produire le salut, en supposant que l’homme s’y joigne par ce qui est de lui ; mais elle n’est pas toujours suffisante à surmonter les inclinations de l’homme, car autrement il ne tiendrait plus à rien, et cela est réservé à la seule grâce absolument efficace qui est toujours victorieuse, soit qu’elle le soit par elle-même, ou par la congruité des circonstances.

31. ‑ Des motifs de l’élection, de la foi prévue, de la science moyenne, du décret absolu, et que tout se réduit à la raison pourquoi Dieu a choisi pour l’existence une telle personne possible, dont la notion enferme une telle suite de grâces et d’actions libres ; ce qui fait cesser tout d’un coup les difficultés.

Enfin les grâces de Dieu sont des grâces toutes pures, sur lesquelles les créatures n’ont rien à prétendre : pourtant, comme il ne suffit pas, pour rendre raison du choix de Dieu qu’il fait dans la dispensation de ces grâces, de recourir à la prévision absolue ou conditionnelle des actions futures des hommes, il ne faut pas aussi s’imaginer des décrets absolus, qui n’aient aucun motif raisonnable. Pour ce qui est de la foi ou des bonnes oeuvres prévues, il est très vrai que Dieu n’a élu que ceux dont il prévoyait la foi et la charité, quos se fide donaturum praescivit, mais la même question revient, pourquoi Dieu donnera aux uns plutôt qu’aux autres la grâce de la foi ou des bonnes oeuvres. Et quant à cette science de Dieu, qui est la prévision non pas de la foi et des bons actes, mais de leur matière et prédisposition ou de ce que l’homme y contribuerait de son côté (puisqu’il est vrai qu’il y a de la diversité du côté des hommes là où il y en a du côté de la grâce, et qu’en effet il faut bien que l’homme, quoiqu’il ait besoin d’être excité au bien et converti, y agisse aussi par après), il semble à plusieurs qu’on pourrait dire que Dieu voyant ce que l’homme ferait sans la grâce ou assistance extraordinaire, ou au moins ce qu’il y aura de son côté faisant abstraction de la grâce, pourrait se résoudre à donner la grâce à ceux dont les dispositions naturelles seraient les meilleures ou au moins les moins imparfaites ou moins mauvaises. Mais quand cela serait, on peut dire que ces dispositions naturelles, autant qu’elles sont bonnes, sont encore l’effet d’une grâce bien qu’ordinaire, Dieu ayant avantagé les uns plus que les autres : et puisqu’il sait bien que ces avantages naturels qu’il donne serviront de motif à la grâce ou assistance extraordinaire, suivant cette doctrine, n’est-il pas vrai qu’enfin le tout se réduit entièrement à sa miséricorde ? Je crois donc (puisque nous ne savons pas combien ou comment Dieu a égard aux dispositions naturelles dans la dispensation de la grâce) que le plus exact et le plus sûr est de dire, suivant nos principes et comme j’ai déjà remarqué, qu’il faut qu’il y ait parmi les êtres possibles la personne de Pierre ou de Jean, dont la notion ou idée contient toute cette suite de grâces ordinaires et extraordinaires et tout le reste de ces événements avec leurs circonstances, et qu’il a plu à Dieu de la choisir parmi une infinité d’autres personnes également possibles, pour exister actuellement : après quoi il semble qu’il n’y a plus rien à demander et que toutes les difficultés s’évanouissent. Car, quant à cette seule et grande demande, pourquoi il a plu à Dieu de la choisir parmi tant d’autres personnes possibles, il faut être bien déraisonnable pour ne se pas contenter des raisons générales que nous avons données, dont le détail nous passe. Ainsi, au lieu de recourir à un décret absolu qui étant sans raison est déraisonnable, ou à des raisons qui n’achèvent point de résoudre la difficulté et ont besoin d’autres raisons, le meilleur sera de dire conformément à saint Paul, qu’il y a à cela certaines grandes raisons de sagesse ou de congruité inconnues aux mortels et fondées sur l’ordre général, dont le but est la plus grande perfection de l’univers, que Dieu a observées. C’est à quoi reviennent les motifs de la gloire de Dieu et de la manifestation de sa justice aussi bien que de sa miséricorde et généralement de ses perfections, et enfin cette profondeur immense des richesses dont le même saint Paul avait l’âme ravie.

32. ‑ Utilité de ces principes en matière de piété et de religion.

Au reste, il semble que les pensées que nous venons d’expliquer et particulièrement le grand principe de la perfection des opérations de Dieu et celui de la notion de la substance qui enferme tous ses événements avec toutes leurs circonstances, bien loin de nuire, servent à confirmer la religion, à dissiper des difficultés très grandes, à enflammer les âmes d’un amour divin et à élever les esprits à la connaissance des substances incorporelles bien plus que les hypothèses qu’on a vues jusqu’ici. Car on voit fort clairement que toutes les autres substances dépendent de Dieu comme les pensées émanent de notre substance, que Dieu est tout en tous, et qu’il est uni intimement à toutes les créatures, à mesure néanmoins de leur perfection, que c’est lui qui seul les détermine au dehors par son influence, et si agir est déterminer immédiatement, on peut dire en ce sens dans le langage de métaphysique, que Dieu seul opère sur moi, et seul me peut faire du bien ou du mal, les autres substances ne contribuant qu’à la raison de ces déterminations, à cause que Dieu ayant égard à toutes, partage ses bontés et les oblige à s’accommoder entre elles. Aussi Dieu seul fait la liaison et la communication des substances, et c’est par lui que les phénomènes des uns se rencontrent et s’accordent avec ceux des autres, et par conséquent qu’il y a de la réalité dans nos perceptions. Mais dans la pratique on attribue l’action aux raisons particulières dans le sens que j’ai expliqué ci-dessus, parce qu’il n’est pas nécessaire de faire toujours mention de la cause universelle dans les cas particuliers. On voit aussi que toute substance a une parfaite spontanéité (qui devient liberté dans les substances intelligentes), que tout ce qui lui arrive est une suite de son idée ou de son être et que rien ne la détermine excepté Dieu seul. Et c’est pour cela qu’une personne dont l’esprit était fort relevé et dont la sainteté est fort révérée, avait coutume de dire, que l’âme doit souvent penser comme s’il n’y avait que Dieu et elle au monde. Or, rien ne fait comprendre plus fortement l’immortalité que cette indépendance et cette étendue de l’âme qui la met absolument à couvert de toutes les choses extérieures, puisqu’elle seule fait tout son monde et se suffit avec Dieu : et il est aussi impossible qu’elle périsse sans annihilation, qu’il est impossible que le monde (dont elle est une expression vivante, perpétuelle) se détruise lui-même ; aussi n’est-il pas possible que les changements de cette masse étendue qui est appelée notre corps, fassent rien sur l’âme, ni que la dissipation de ce corps détruise ce qui est indivisible.

33. ‑ Explication de l’union de l’âme et du corps qui a passé pour inexplicable ou pour miraculeuse, et de l’origine des perceptions confuses.

On voit aussi l’éclaircissement inopiné de ce grand mystère de l’union de l’âme et du corps, c’est-à-dire comment il arrive que les passions et les actions de l’un sont accompagnées des actions et passions ou bien des phénomènes convenables de l’autre. Car il n’y a pas moyen de concevoir que l’un ait de l’influence sur l’autre, et il n’est pas raisonnable de recourir simplement à l’opération extraordinaire de la cause universelle dans une chose ordinaire et particulière. Mais en voici la véritable raison : nous avons dit que tout ce qui arrive à l’âme et à chaque substance est une suite de sa notion, donc l’idée même ou essence de l’âme porte que toutes ses apparences ou perceptions lui doivent naître (sponte) de sa propre nature, et justement en sorte qu’elles répondent d’elles-mêmes à ce qui arrive dans tout l’univers, mais plus particulièrement et plus parfaitement à ce qui arrive dans le corps qui lui est affecté, parce que c’est en quelque façon et pour un temps, suivant le rapport des autres corps au sien, que l’âme exprime l’état de l’univers. Ce qui fait connaître encore comment notre corps nous appartient sans être néanmoins attaché à notre essence. Et je crois que les personnes qui savent méditer jugeront avantageusement de nos principes, pour cela même qu’ils pourront voir aisément en quoi consiste la connexion qu’il y a entre l’âme et le corps qui paraît inexplicable par toute autre voie. On voit aussi que les perceptions de nos sens, lors même qu’elles sont claires, doivent nécessairement contenir quelque sentiment confus, car, comme tous les corps de l’univers sympathisent, le nôtre reçoit l’impression de tous les autres, et quoique nos sens se rapportent à tout, il n’est pas possible que notre âme puisse attendre à tout en particulier ; c’est pourquoi nos sentiments confus sont le résultat d’une variété de perceptions qui est tout à fait infinie. Et c’est à peu près comme le murmure confus qu’entendent ceux qui approchent du rivage de la mer vient de l’assemblage des répercussions des vagues innumérables. Or, si de plusieurs perceptions (qui ne s’accordent point à en faire une) il n’y a aucune qui excelle par-dessus les autres, et si elles font à peu près des impressions également fortes ou également capables de déterminer l’attention de l’âme, elle ne s’en peut apercevoir que confusément.

34. ‑ De la différence des esprits et des autres substances, âmes ou formes substantielles, et que l’immortalité qu’on demande importe le souvenir.

Supposant que les corps qui font unum per se, comme l’homme, sont des substances, et qu’ils ont des formes substantielles, et que les bêtes ont des âmes, on est obligé d’avouer que ces âmes et ces formes substantielles ne sauraient entièrement périr, non plus que les atomes ou les dernières parties de la matière dans le sentiment des autres philosophes ; car aucune substance ne périt, quoiqu’elle puisse devenir tout autre. Elles expriment aussi tout l’univers quoique plus imparfaitement que les esprits. Mais la principale différence est qu’elles ne connaissent pas ce qu’elles sont, ni ce qu’elles font, et par conséquent, ne pouvant faire des réflexions, elles ne sauraient découvrir des vérités nécessaires et universelles. C’est aussi faute de réflexion sur elles-mêmes qu’elles n’ont point de qualité morale, d’où vient que, passant par mille transformations à peu près comme nous voyons qu’une chenille se change en papillon, c’est autant pour la morale ou pratique comme si on disait qu’elles périssent, et on le peut même dire physiquement, comme nous disons que les corps périssent par leur corruption. Mais l’âme intelligente connaissant ce qu’elle est, et pouvant dire ce moi, qui dit beaucoup, ne demeure pas seulement et subsiste métaphysiquement, bien plus que les autres, mais elle demeure encore la même moralement et fait le même personnage. Car c’est le souvenir, ou la connaissance de ce moi, qui la rend capable de châtiment ou de récompense. Aussi l’immortalité qu’on demande dans la morale et dans la religion ne consiste pas dans cette subsistance perpétuelle toute seule qui convient à toutes les substances, car, sans le souvenir de ce qu’on a été, elle n’aurait rien de souhaitable. Supposons que quelque particulier doive devenir tout d’un coup roi de la Chine, mais à condition d’oublier ce qu’il a été, comme s’il venait de naître tout de nouveau ; n’est-ce pas autant dans la pratique, ou quant aux effets dont on se peut apercevoir, que s’il devait être anéanti, et qu’un roi de la Chine devait être créé dans le même instant à sa place ? Ce que ce particulier n’a aucune raison de souhaiter.

35. ‑ Excellence des esprits, et que Dieu les considère préférablement aux autres créatures. Que les esprits expriment plutôt Dieu que le monde, mais que les autres substances simples expriment plutôt le monde que Dieu.

Mais pour faire juger par des raisons naturelles, que Dieu conservera toujours non seulement notre substance, mais encore notre personne, c’est-à-dire le souvenir et la connaissance de ce que nous sommes (quoique la connaissance distincte en soit quelquefois suspendue dans le sommeil et dans les défaillances), il faut joindre la morale à la métaphysique, c’est-à-dire qu’il ne faut pas seulement considérer Dieu comme le principe et la cause de toutes les substances et de tous les êtres, mais encore comme chef de toutes les personnes ou substances intelligentes, et comme le monarque absolu de la plus parfaite cité ou république, telle qu’est celle de l’univers composée de tous les esprits ensemble, Dieu lui-même étant aussi bien le plus accompli de tous les esprits qu’il est le plus grand de tous les êtres. Car assurément, les esprits sont les plus parfaits et qui expriment le mieux la divinité. Et toute la nature, fin, vertu et fonction des substances n’étant que d’exprimer Dieu et l’univers, comme il a été assez expliqué, il n’y a pas lieu de douter que les substances qui l’expriment avec connaissance de ce qu’elles font, et qui sont capables de connaître des grandes vérités à l’égard de Dieu et de l’univers, ne l’expriment mieux sans comparaison que ces natures qui sont ou brutes et incapables de connaître des vérités, ou tout à fait destituées de sentiment et de connaissance ; et la différence entre les substances intelligentes et celles qui ne le sont point sance ; et la difference B entre les substances intelligentes et celles qui ne le sont point est aussi grande que celle qu’il y a entre le miroir et celuy qui voit.

Et comme Dieu luy même est le plus grand et le plus sage des Esprits, il est aisé de juger, que les EstresErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. avec lesquels 5 il peut, pour ainsi dire entrer en conversation et même en sociétéErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., en leur communiquant ses sentimens et ses volontés d’une maniere particuliere, et en telle sorte qu’ils puissent connoistreErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. et aimer leur bienfaiteur, le doivent toucher infiniment plus que le reste des choses, qui ne peuvent passer 10 que pour les instrumens des Esprits : comme nous voyons que toutes les personnes sagesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. font infiniment plus d’estat d’un hommeErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu. que de quelque autre chose, quelque precieuse qu’elle soit, et il semble que la plus grande satisfaction qu’une ame qui d’ailleurs est contente, peut avoir, est de se voir aimée 15 des autres : ε quoyque à l’egard de Dieu il y ait cette difference que sa gloire et nostre culte ne sçauroit rien adjouter à sa satisfaction, la connoissance des creatures n’estant qu’une suite de sa souveraine et parfaite felicité, bien loin B d’y contribuer ou d’en *23 estre en partie la cause.* Cependant ce qui est bon et 20 raisonnable dans les esprits finis, se trouve eminemment en luy, et comme nous louerions un Roy qui aimeroit mieux de conserver la vie d’un homme que du plus precieux et du plus rare de ses animaux, nous ne devons point douter que le plus éclairé, et le plus juste de tous les Monarques ne soit dans le même 25 sentimentErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. (a) que les [substances]. (b) en conversation [et en société] et même en société… (c) [qu’ils peuvent même] connoistre [leur bienf.] et aimer leur bienfai- teur, etc…. (d) [raisonnables] (e) d’une autre personne] d’un homme…. (f) [Ces grandes et importantes verités ont éte fort peu connues des anciens philosophes, il n’y a que Jesus Christ qui les aít divinement bien. expo.].

XXXVI. Dieu est le monarque de la plus parfaite republique composée de tous les Esprits, et la felicité de cette cité de Dieu est son principal dessein. En effect les Esprits sont les substances les plus perfectionnables, et leur perfections ont cela de particulier qu’elles s’entrempechent le moins, α ou plus tost qu’elles s’entraident, car les plus vertueux pourront seuls estre les plus 5 parfaits amis : d’où il s’ensuit manifestement que Dieu qui va tousjours à la plus grande perfection en general, aura le plus de soin des esprits, et leur donnera, non seulement en general, mais mêmes à chacun en particulier le plus de perfection que l’harmonie universelle sçauroit permettre. 10

δ On peut même dire, que Dieu, en tant qu’il est un esprit, est l’origine des existences ; autrement s’il manquoit de volonté pour choisir le meilleur, il n’y auroit aucune raison pour qu’un possible existât preferablement aux autres. Ainsi la qualité[148] de Dieu, b qu’il a[149] δ d’estre Esprit luy même, va 15 devant toutes les autres considerations qu’il peut avoir a l’egard des creatures : les seuls esprits sont faits a son image, δ et quasi de sa race ou comme enfans de la maison, puisqu’eux seuls le peuvent servir librement et agir avec connoissance a l’imitation de la nature divine : un seul[150] esprit vaut tout un 20 monde, puisqu’il ne l’exprime pas seulement, mais le connoist aussi, et s’y gouverne à la façon de Dieu. δ Tellement qu’il semble quoyque toute substance exprime tout l’univers, que neantmoins les autres substances expriment plustost 25 Dieu que le monde. Et cette nature si noble des Esprits, qui les approche de la divinité autant qu’il est possible aux simples creatures, fait que Dieu tire d’eux infiniment plus de gloire que du reste des Estres, ou plustost les autres estres ne donnent que la matiere aux esprits pour le glorifier.

δ C’est pourquoy cette qualité morale de Dieu, qui le rend le Seigneur ou Monarque des Esprits, le concerne pour ainsi dire personnellement d’une maniere toute singuliere. C’est en cela 5 qu’il s’humanise, qu’il veut bien souffrir des anthropologies, et qu’il entre en societé avec nous, comme un Prince avec ses sujets ; et cette consideration luy est si chere, que l’heureux et florissant estat de son Empire[151], qui consiste dans la plus grande felicité possible des habitans[152], devient la supreme de ses loix. Car 10 la felicité est aux personnes[153] ce que la perfection est aux estres. α Et si le premier principe de l’existence du monde physique est le decret de luy donner le plus de perfection qu’il se peut, le premier dessein[154] du monde moral, ou de la Cité de Dieu, qui est la plus nombre de l’univers, doit estre d’y 15 répandre le plus de felicité qu’il sera possible.

Il ne faut donc point douter que Dieu n’ait ordonné tout en sorte que les Esprits, non seulement puissent vivre tousjours, ce qui est immanquable, mais encor qu’ils conservent toujours leur qualité morale, afin que sa cité ne perde aucune personne, 20 comme le monde ne perd aucune substance. Et par consequent, ils sçauront tousjours ce qu’ils sont, autrement ils ne seroient susceptibles de recompense ny de chastiment, ce qui est pourtant de l’essence d’une Republique, mais surtout de la plus parfaite, où rien ne sçauroit estre negligé. 25

Enfin, Dieu estant en meme temps le plus juste et le plus debonnaire des Monarques, et ne demandant que la bonne volonté, pourveu qu’elle soit sincere et serieuse, ses sujets ne une meilleure condition, et pour les rendre parfaitement heureux, il veut seulement qu’on l’aime.

37. – Jésus-Christ a découvert aux hommes le mystère et les lois admirables du royaume des cieux et la grandeur de la suprême félicité que Dieu prépare à ceux qui l’aiment.

Les anciens philosophes ont fort peu connu ces importantes vérités ; Jésus-Christ seul les a divinement bien exprimées, et d’une manière si claire et si familière que les esprits les plus grossiers les ont conçues : aussi son Evangile a changé entièrement la face des choses humaines ; il nous a donné à connaître le royaume des cieux ou cette parfaite république des esprits qui mérite le titre de cité de Dieu, dont il nous a découvert les admirables lois : lui seul a fait voir combien Dieu nous aime, et avec quelle exactitude il a pourvu à tout ce qui nous touche ; qu’ayant soin des passereaux il ne négligera pas les créatures raisonnables qui lui sont infiniment plus chères ; que tous les cheveux de notre tête sont comptés ; que le ciel et la terre périront plutôt que la parole de Dieu et ce qui appartient à l’économie de notre salut soit changé ; que Dieu a plus d’égard à la moindre des âmes intelligentes, qu’à toute la machine du monde ; que nous ne devons point craindre ceux qui peuvent détruire les corps, mais ne sauraient nuire nuire aux ames, puisque Dieu seul les peut [155] rendre heureuses ou malheureuses ; et que celles des justes sont dans sa main à couvert de toutes les revolutions de l’univers [156] δrien ne pouvant *24 agir sur elles que Dieu seul ;* qu’aucune de nos actions est oubliée ; que tout est mis en ligne de compte, jusqu’aux paroles oisives, et jusqu’à une cuillerée d’eau bien employée : enfin que tout doit reussir pour le plus grand bien des bons [157] ; que les justes seront comme des soleils, et que ny nos sens ny nostre esprit n’a jamais rien gousté d’approchant de la felicité que Dieu prepare à ceux qui l’aiment.

    satisfaire. C’est donc maintenant qu’il faut distinguer des connexions ; et je dis [donc] qu’il est asseuré mais qu’il n’est pas necessaire et s’il faisoit le contraire, il ne feroit rien d’impossible. Car si quelque homme était capable d’achever toute la demonstration en vertu de laquelle il prouverait cette connexion du sujet qui est St Pierre et du predicat qui est son reniement, il ferait voir que [l’obligation] de ce fait [St Pierre] a son fondement dans sa notion ou nature, et qu’il estoit raisonnable et par consequent asseuré que cela arrivât ; mais non pas qu’il est necessaire en soy même, ou que le contraire implique contradiction.

  1. [n’en impliquent point…].
  2. [Ce] sont des perfections et appartiennent à Dieu [de la maniere la plus illimitée…].
  3. [Contre ceux qui soutiennent que la beauté ou la bonté des choses ne dépendent que de l’opinion des hommes].
  4. [Ce qui estant].
  5. Sçachant [de les avoir faites]
  6. après [les avoir faites].
  7. [En se servant de, elle].
  8. [qu’il y avait de la bonté en eux].
  9. Le brouillon et la copie portent ce mot omis par les éditeurs à la suite de Grotefend.
  10. [Et je crois que ceux qui].
  11. [des Spinozistes qui conçoivent que la bonté et l’harmonie].
  12. [ôte[ [toute la bonté et tout].
  13. [fiat pro ratione voluntas]
  14. [aliquam rationem volendi [et] ou]. [quelque raison] effacé puis rétabli à plusieurs reprises].
  15. [prieure].
  16. [de Monsieur Descartes].
  17. [« qui disent », abst du brouillon, a été ajouté en marge par L. sur la copie] … que [même] les vérités.
  18. Ce mot est omis par les précédents éditeurs.
  19. [scholastiques] modernes qui [s’imaginent].
  20. [qu’il n’a fait].
  21. [en monstrant] [qu’avec les mêmes frais].
  22. [Car] [Comme] [s’ils peuvent être rendus].
  23. [nouveaux scholastiques] [qui ne l’appuient que sur quelques subtilités] [peu solides] [comme de dire qu’il n’y a].
  24. [est porté à].
  25. [et par consequent, cette souveraine bonté, cette justice immuable, cette sagesse profonde, cette puissance sans bornes].
  26. [Ceux qui croient que le monde n’est pas].
  27. [d’un roi ou d’une republique].
  28. [il faut non seulement par une patience par force, mais encore par une [il ne suffit].
  29. [pour] Dieu.
  30. il faut [une veritable acquiescence].
  31. [selon] [secundum] [voluntatem Dei praesumtam].
  32. [d’orner notre…]
  33. [réglé].
  34. [phenomenes].
  35. [Quelque eloignées qu’elles soyent].
  36. [Quelque chose].
  37. (Changement d’encre et d’écriture)].
  38. … suffisante [en elle même] à.
  39. [appartient].
  40. [à qui cette notion] [se peut attribuer] peut estre attribuée].
  41. [Ainsi la figure circulaire de l’anneau de [Gyges] [Polycrate] n’enferme point tout ce que la notion de cet anneau individuel comprend au lieu que Dieu [connoissant] voyant la notion individuelle de cet anneau [comme qu’il serait englouti par un poisson et rendu neantmoins à son maître.]
  42. dans [cet anneau].
  43. [je parle icy comme s’il estoit assuré que cet anneau [ayt une conscience] est une substance].
  44. [d’où suivent plusieurs conclusions paradoxes].
  45. Il s’en suit de là (ms. et copie A).
  46. [possible].
  47. … et [different] soyent differentes solo numero [item que si les corps sont des substances, il n’est pas possible que leur nature consiste seulement dans la grandeur, figure et mouvement mais qu’il faut quelque autre chose].
  48. [à l’egard] des anges… [à l’egard] de toutes les substances.
  49. [qu’il n’est pas possible qu’une substance soit divisée en deux ny que deux substances en deviennent une ; ainsi…]
  50. [même].
  51. [passe] [est].
  52. [l’] expriment.
  53. mais [elles]
  54. [en distinguant ens per se ab Ente per accidens et introduisant les formes substantielles] aussi bien que, etc.
  55. [maint.] introduire et maintenir…
  56. [fort].
  57. [la connaissance des formes].
  58. [en] physique.
  59. [phenomenes].
  60. La copie B porte « prevenante » comme l’ont lu les éditeurs, le brouillon, très nettement « provenante ».
  61. [peut estre à un seigneur] qui l’achete.
  62. [de la chose].
  63. [la] chose [même].
  64. [les principes des choses].
  65. [ni un politique] et qu’[un] aucun philosophe moral, etc.
  66. [de tout].
  67. [des formes et d’autres] [des considerations des formes substantielles] [et s’il employe le concours de].
  68. [extraordinaire].

    … archée [?]

  69. et [souvent] mêmes [quelque] parfois.
  70. [et surtout les formes substantielles] [a qui on n’a pas rendu assez de justice].
  71. [Ce que je ne fais pourtant qu’ex hypothesi en tant qu’on peut dire que les corps sont des substances] (En marge dans l’original, reproduit dans la copie A, effacé dans la copie B.) Varia : « [et aussi ne le fais-je qu’ex hypothesi [autant] en tant qu’on dise] que les corps…
  72. [apres] [par ces recherches].
  73. [solide].
  74. [meditations].
  75. [qui pourraient être exactement].
  76. [Les qualités des corps] [S’il n’y a rien dans les corps que ce qui consiste dans l’étendue].

    Que les qualités] notions qui consistent, etc.

  77. [ces meditations].
  78. ou que les corps ne sont pas des substances [comme] dans la rigueur metaphysique (ce qui estoit en effet le sentiment des Platoniciens) ou que [la nature] toute la nature, etc. Ce passage n’a été effacé que sur la copie B. Les éditeurs ne l’ont pas reproduit.
  79. dans [la quantité] l’étendue.
  80. [que l’étendue n’est pas une notion clairement et distinctement connue] la figure et le mouvement ne sont pas des mot.].
  81. [Aussi est-il manifeste que…].
  82. [pour] jamais, on y voit les [raisons]…
  83. [et ce pourquoy il est raysonnable]… d’estre [libres] contingentes.
  84. [quoyque on voye des fondemens] [quoyque on y voye des fondemens] pour juger ce qui est le plus raisonnable, et par consequent asseuré] dont le choix…
  85. [tout ce qui lui pourrait].

    … Comme nous [voyons] pouvons voir.

  86. [D’où il s’en suit que]. Mais il semble que par là [tous les evenements deviendront necessaires par une fatalité] la difference des verités contingentes et necessaires sera detruite que toute la fatalité des Stoïciens prendra la place de la liberté,] [et qu’une fatalité absolute] que la liberté humaine [cessera] n’aura plus, etc.
  87. [Je réponds que cette connexio].
  88. [Ainsi] venons à un exemple [Puisque St-Pierre reniera nostre Seigneur] [non pas par une fa] cette action est comprise dans sa notion, [puisque cette notion] car nous supposons que c’est la nature d’une telle notion parfaite d’un sujet de tout comprendre, afin que le predicat y soit [enfermé] compris, ut possit inesse subjecto.

    [Mais ce n’est pas] On pourrait dire que ce n’est pas en vertu de cette notion ou idée ou nature [qu’il pechera] qu’il doit pecher [mais cette notion] puisqu’elle ne lui [est imposée] convient que parce que Dieu sçait tout ce qui arrivera] [et la connexion en vertu de laquelle]. Mais on insistera [peut estre] que sa nature ou forme repond a cette notion. [Je reponds que cela est bien vray ; [mais si quelque homme estoit capable d’achever cette demonstration qui [prouverait] ferait, voir comment la nature de St Pierre] et puisque Dieu lui a imposé ce personnage, il lui est désormais necessaire d’y

  89. [l’idée] de Dieu.
  90. [et s’il] faisoit, etc.
  91. Autogr. : il prouverait ; copie : il pourroit prouver.
  92. reussi que non.
  93. [en soy même].
  94. [Cette demonstration suppose cet axiome que] la suite des choses, etc.
  95. [de faire] [qu’elle fera ce qui [luy] paroistra le meilleur
  96. Que toutes les [vérités] propositions contingentes ont des raisons [par lesquelles] [par lesquelles] de leur verité.
  97. ou impossibilité [Pourveu, dis-je, qu’on considere ces distinctions des choses en elles-mêmes] ; plus loin : … sans avoir [aucun] égard.
  98. et [connaît] par [la médiation] l’inter­vention de Dieu, [ce qui se passe] [et] la nature propre de…
  99. [créées], il faut tacher [d’expliquer leurs actions] et [leurs] passions.
  100. … manifeste [qu’elles] que les [creat] substances créées dépendent, etc.
  101. [Texte primitif :] Car Dieu regardant les phenomenes qu’il trouve bon de produire de tous costés et de toutes les manieres possibles, etc.

    [Puis :] Dieu regardant de toutes les façons le systeme general des phenomenes, etc.

    [Enfin :] Dieu [maniant] tournant pour ainsi dire de tous costés et de toutes les façons…

    … et [en] regardant toutes les faces du monde.

  102. [Puisque] tous nos phenomenes… suites de notre [nature] estre [et de nostre volonté] et, [puisque nous sommes des substances libres] de nostre volonté] [une substance] et [c’est assez que] comme ces phenomenes, etc.
  103. … Conduite [que le succès justifie,] plus loin : [cela suffit] pour dire…
  104. [Mais il y a des] [Dieu] [Comme, en effet] les perceptions ou les [qualités] expressions de toutes les substances.
  105. Cette addition marginale contourne les suivantes ; d’une écriture différente, elle provient donc d’une révision postérieure.
  106. Le copiste [B] et les trois éditeurs ont écrit : « Or quoy tous » le brouillon porte quoy que tous… plus loin : [Non] pas pour cela… mais [en sorte] il suffit qu’elles soyent.

    … Comme [nous] plusieurs spectateurs [croyons] croyent.

  107. [toutes les substances].

    comme [elles] ils le voyent.

  108. [enferme]
  109. est compris dans [l’expression de notre essence]…
  110. [Texte primitif : [Comment Dieu [pl] [a] de l’influence sur l’[es] homme [s] par [sa grâce] [puisqu’il paroist que tout ce qui doit arriver luy doit estre naturel d’autant que c’est une suite de sa substance]. [Mais] [il faut] [ce qui a lieu à l’egard]…
  111. [Comme].
  112. … dire de même, que [ce concours] extraordinaire est compris.
  113. et [par consequent,] doit finir.

    Cette addition se retrouve en marge du brouillon et de la copie B et dans le texte de la copie A. Elle a dû être révisée en même temps dans le manuscrit et en B puisque les mots « par conséquent », y sont de part et d’autre écrits puis effacés. Ils ne sont pas transcrits en A.

  114. [Qu’un corps conserve]… il en donne à quelques corps [ambians].
  115. de [20 pieds] [deux toises] quatre toises que pour elever un corps B de [deux] quatre livres à la hauteur E F de [dix pieds] d’une toise.
  116. [… de C à D a autant de force precisement].
  117. leur force [est la mème].
  118. [grandeur] et quantité de l’effect.
  119. [et c’est sans doute par precipitation [et par sa confiance accoustumée sur la] que M. des Cartes est [tombé dans] ici tombé dans l’erreur puisqu’[en se fiant trop a ses premieres pensées :] [confondant deux choses si differentes].
  120. que par sa confiance accoustumée fondée sur le succès heureux de [quelques unes] de ses [meditations] pensées [et sur les experiences qu’il avoit de la penetration de son esprit, ce qui l’a rendu, à la fin un peu trop hardi].
  121. [Mais ses sectateurs ne pouvaient manquer] [de s’appercevoir de [sa] cette faute, s’ils n’avoient coustume, eux aussi bien que les peripateticiens].
  122. afin d’expliquer [la nature des corps] les phenomenes des corps.
  123. [des choses].
  124. Changent [de place] entre eux, y (?) il n’est pas possible de déterminer par [cette] la seule consideration…
  125. [quelque]…
  126. [de l’étendue]…
  127. ne consiste pas [dans la seule étendue] [ces trois notions].
  128. [corporelle]… et [viennent] appartiennent plus tost [de] à.
  129. [C… ? causes de la matiere ou étendue].
  130. reconcilier quelques personnes [pieuses avec ceux qui expliquent]… au prejudice de la [religion] pieté.
  131. [Ainsi] c’est pourquoy, bien loin qu’on [se puisse tromper là dessus, il n’y a aucune matière où [on se puisse moins] il y aye]…
  132. [trop rafinés].
  133. … [trop d’égards à Dieu].
  134. à [tous] ceux.
  135. … parce qu’[on a des yeux].
  136. ou à un [ha] certain hasard [ridic] quoyque l’un et l’autre doive paroistre ridicule [à ce que nous venons d’expliquer].

    … [il faut bien qu’on ne reconnaisse point] un auteur…

  137. Texte primitif : Car il est ridicule d’introduire une intelligence souveraine ordonnatrice des choses et de ne pas employer sa sagesse à rendre raison des [choses] phenomenes.
  138. Remarque ajoutée par L
  139. [s’il est possible].
  140. [ou peu souvent] [mots ajoutés, puis effacés].
  141. Mais [celle] des finales…
  142. dont [on pourrait] peut donner des exemples tirés de] l’anatomie.
  143. [qu’il avoit enseignées publiquement en Hollande, (quoyque la mort l’ait empêché de faire imprimer son ouvrage qu’on sçait avoir esté tout fait,] (ajouté en marge, puis effacé).
  144. cherchons la [plus courte] voye…
  145. [l’id.] une idée.
  146. [du cycloïde].
  147. qui ne sont que [le cercle].
  148. [texte primitif]. Ainsi la qualité [que Dieu a d’estre le Seigneur ou le Monarque des esprits [le concerne, pour ainsi dire, personnellement d’une maniere toute singuliere et va devant toutes les autres considerations qu’il peut avoir à l’egard des creatures]. Cf. infra : C’est pourquoy cette qualité morale de Dieu.
  149. ms. : que Dieu a… Copie B : de Dieu qu’il a….
  150. [C’est pourquoy] un seul esprit
  151. [est la supreme des lois subalternes de sa conduite] qui consiste…
  152. [de ses sujets est]…
  153. aux [esprits].
  154. [principe de l’existence] du monde.
  155. [nous] peut....
  156. [du Monde], [enfin que rien ne demeurera]....
  157. [de ceux qui ayment Dieu]....