Discours prononcé à Douai le 7 décembre 1854 à l’occasion de l’installation solennelle de la faculté des lettres de Douai et de la faculté des sciences de Lille

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Discours prononcé à Douai le 7 décembre 1854 à l’occasion de l’installation solennelle de la faculté des lettres de Douai et de la faculté des sciences de Lille
Texte établi par Louis Pasteur Vallery-RadotMasson et Cie (p. 135-138).


DISCOURS

[Prononcé à Douai, le 7 décembre 1854,
à l’occasion de l’installation solennelle de la Faculté des lettres de Douai
et de la Faculté des sciences de Lille
][1].


Messieurs,

Une ère de prospérité nouvelle va s’ouvrir pour les Facultés des sciences. Le décret impérial du 22 août 1854 leur donne une fécondité qui doit porter de toutes parts les plus heureux fruits, mais plus spécialement, j’ose l’affirmer par avance, dans un pays où l’industrie la plus florissante vient, chaque jour, demander à la science une découverte à appliquer. Vous savez, messieurs, que jusqu’à présent les travaux des Facultés des sciences s’étaient bornés à des leçons, accompagnées de démonstrations expérimentales, mises par le professeur sous les yeux des élèves. Mais ceux-ci ne pouvaient point répéter eux-mêmes, avec la direction du maître, ces expériences si bien faites pour graver dans l’esprit de tous les études théoriques. Combien mieux ce résultat ne sera-t-il pas atteint lorsque l’élève se servira des appareils, et qu’entre ses mains s’effectueront ces métamorphoses curieuses de la matière qui l’avaient si vivement impressionné dans les leçons orales, lorsqu’il essaiera lui-même de découvrir à son tour les lois physiques de la nature vivante ou inanimée.

Telle est, en effet, messieurs, l’innovation la plus heureuse introduite dans les Facultés des sciences : moyennant, une rétribution annuelle, fort modique, les élèves seront libres de venir dans les laboratoires de la Faculté répéter les principales expériences des leçons auxquelles ils auront assisté. Je voudrais, messieurs, je voudrais vous dire tout ce que peuvent les études des sciences faites ainsi avec le secours du travail pratique. Je ne connais aucun moyen plus propre à intéresser un jeune homme, et l’élève le plus misérable peut devenir laborieux.

La culture des lettres et des arts réclame des intelligences d’élite. J’aimerais voir toujours réuni autour des chaires de mes savants collègues de la Faculté des lettres un public aussi choisi que celui qui m’écoute. Pour bien comprendre en effet toutes ces beautés répandues par les langues d’Homère, de Cicéron ou de Pascal, il faut du savoir, une éducation déjà soignée, plus encore, et ce que Dieu ne délivre qu’à un petit nombre, il faut une âme élevée. Mais, je vous le demande, où trouverez-vous dans vos familles un jeune homme dont la curiosité et l’intérêt ne seront pas aussitôt éveillés, lorsque vous mettrez entre ses mains une pomme de terre, qu’avec elle il fera du sucre, avec ce sucre de l’alcool, avec cet alcool de l’éther et du vinaigre ? Quel est celui qui ne sera pas heureux d’apprendre le soir à sa famille qu’il vient de faire marcher un télégraphe électrique ?

Et, messieurs, soyez-en convaincus, de pareilles études s’oublient peu ou ne s’oublient jamais. C’est à peu près comme si, pour apprendre la géographie d’un pays, on y faisait voyager l’élève. Cette géographie, la mémoire la conserve, parce qu’on a vu et touché les lieux. De même, vos fils n’oublieront pas ce qu’il y a dans l’air que nous respirons, quand ils l’auront analysé, et qu’entre leurs mains et sous leurs yeux se seront réalisées les propriétés admirables des éléments qui le composent.

À côté de cette heureuse et capitale innovation dans les Facultés des sciences, il en est une autre dont le succès ne peut être contestable dans le département du Nord. Le même décret impérial que je rappelais tout à l’heure a institué un nouveau grade universitaire, sous le titre de « Certificat de capacité pour les sciences appliquées ». Après deux années d’études théoriques et pratiques dans les Facultés des sciences, les jeunes gens qui se destinent à l’industrie pourront obtenir ce diplôme spécial, qui certainement comble une lacune fort préjudiciable à l’industrie. Aujourd’hui, en effet, le chef d’usines n’a aucun moyen direct de s’assurer des connaissances scientifiques de celui qu’il veut appeler à diriger sa fabrique ou qu’il désire employer comme contremaître ou comme chef d’atelier. J’espère que le certificat délivré par les Facultés des sciences sera une recommandation pressante et utile. Je voudrais qu’au sortir des écoles de commerce, ou des écoles professionnelles, les jeunes gens destinés à la carrière industrielle fussent mis en mesure par leurs parents de venir profiter des immenses ressources de la Faculté des sciences, que la munificence du Conseil municipal de Lille a installée dans les conditions les plus propres à assurer sa prospérité. Sous ce rapport, les Facultés des sciences peuvent étendre beaucoup les services rendus par l’École centrale des Arts et Manufactures de Paris. Le certificat que nous délivrerons correspondra, quoique avec moins d’autorité sans doute, au diplôme des élèves de l’École centrale. Aussi ferai-je tous mes efforts pour populariser dans ce pays le nouveau grade universitaire.

Vous voyez, messieurs, par le résumé que je viens de vous tracer du régime nouveau des Facultés des sciences, combien le gouvernement s’attache à répandre les connaissances appliquées. Mais je me hâte d’ajouter que vous vous tromperiez beaucoup en pensant que l’enseignement des Facultés en éprouvera une transformation, et que la théorie, même dans ce qu’elle a de plus élevé, disparaîtra de cet enseignement. À Dieu ne plaise qu’il en soit jamais ainsi. Nous n’oublierons point que la théorie est mère de la pratique ; que sans elle la pratique n’est que la routine donnée par l’habitude ; et que la théorie seule fait surgir et développe l’esprit d’invention. C’est à nous surtout qu’il appartiendra de ne point partager l’opinion de ces esprits étroits qui dédaignent tout ce qui, dans les sciences, n’a pas une application immédiate.

Vous connaissez ce mot charmant de Franklin : il assistait à la première démonstration d’une découverte purement scientifique et l’on demandait autour de lui : Mais à quoi cela sert-t-il ? Franklin répond : À quoi, sert l’enfant qui vient de naître ?

Oui, messieurs, à quoi sert l’enfant qui vient de naître ? Et pourtant, à cet âge de la plus tendre enfance, il y avait en vous déjà les germes inconnus des talents qui vous distinguent.

Dans vos fils à la mamelle, dans ces petits êtres qu’un souffle ferait tomber, il y a des magistrats, des savants, des héros aussi vaillants que ceux qui, à cette heure, se couvrent de gloire sous les murs de Sébastopol. De même, messieurs, la découverte théorique n’a pour elle que le mérite de l’existence. Elle éveille l’espoir, et c’est tout. Mais laissez-la cultiver, laissez-la grandir, et vous verrez ce qu’elle deviendra !

Savez-vous à quelle époque il vit le jour pour la première fois, ce télégraphe électrique, l’une des plus merveilleuses applications des sciences modernes ? C’était dans cette mémorable année 1822 : Œrsted, physicien suédois, tenait en mains un fil de cuivre, réuni par ses extrémités aux deux pôles d’une pile de Volta. Sur sa table se trouvait une aiguille aimantée placée sur son pivot, et il vit tout à coup (par hasard, direz-vous peut-être, mais souvenez-vous que dans les champs de l’observation le hasard ne favorise que les esprits préparés), il vit tout à coup l’aiguille se mouvoir et prendre une position très différente de celle que lui assigne le magnétisme terrestre. Un fil traversé par un courant électrique fait dévier de sa position une aiguille aimantée : voilà, messieurs, la naissance du télégraphe actuel. Combien plus, à cette époque, en voyant une aiguille se mouvoir, l’interlocuteur de Franklin n’eût-il pas dit : Mais à quoi cela sert-il ? Et cependant la découverte n’avait que vingt ans d’existence quand elle donna cette application, presque surnaturelle dans ses effets, du télégraphe électrique.

Il est inutile, messieurs, d’insister davantage sur la nécessité de commencer les sciences par de sérieuses études théoriques. Tous les esprits éclairés la reconnaissent et la proclament.

Je désire, messieurs, que les développements dans lesquels je viens d’entrer vous fassent pressentir les éléments de succès de la nouvelle Faculté des sciences de vos départements du Nord. Elle a été dotée d’ailleurs, j’aime à le dire encore, par la générosité du Conseil municipal de Lille, des moyens les plus larges d’assurer la prospérité de son enseignement. C’est donc avec confiance, messieurs, que nous ouvrirons prochainement nos cours. Soyez d’ailleurs convaincus que, si des professeurs plus dignes pouvaient être choisis par la haute sollicitude de son Exc. M. le Ministre de l’Instruction publique, il n’y en avait pas qui l’auraient emporté sur nous pour le zèle, le dévouement, l’ardeur à bien faire.


COMPTE RENDU
DES TRAVAUX DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE LILLE
PENDANT L’ANNÉE SCOLAIRE 1854-4855


[Présenté À Lille, le 20 novembre 1855][2]


Messieurs,

Je vous dois le compte rendu des travaux de la Faculté pendant l’année scolaire qui vient de finir. Lorsque l’État enrichit cette grande cité d’un nouvel établissement d’enseignement supérieur, on pouvait prévoir l’accueil que vous lui feriez. À côté d’un Lycée florissant, d’une École de médecine qui grandit chaque année, il était difficile

  1. In : Installation solennelle de la Faculté des lettres de Douai et de la Faculté des sciences de Lille. Douai, 1854, Impr. A. d’Aubers., broch, de 31 p. in-8.
  2. In : Académie de Douai. Rentrée des Facultés et de l’École préparatoire de médecine et de pharmacie de Lille, 1855-1856. Douai. Imprimerie A. d’Aubers, broch. de 68 p. in-8o.