Discussion:Marie (Nichault)
- Pièce imaginée à partir de l’élégie La Pauvre Fille de M. Soumet
- Pièce sur un sujet controversé et en pleine remise en question du Théâtre français (qui jouissait d'un monopole... à préciser)
- Classé dans la catégorie enfants naturels, car il n’y a pas de catégorie enfants trouvés. Et en même temps le mariage de la pièce étant comme considéré non valide, on peut considérer qu'il traite de l'enfant naturel.
Extraits[modifier]
- humour
- « — Moi, dormir, à sept heures du matin ? et le travail donc ? crois-tu que l’instruction vient en dormant ?
- « — Moi, dormir, à sept heures du matin ? et le travail donc ? crois-tu que l’instruction vient en dormant ?
— Pourquoi pas ? le sommeil vient bien en lisant. Depuis que vous m’avez appris à lire je dors deux fois plus. »
- …il se moque de moi, et prétend que le talent de bien courir me rapportera toujours plus que celui de bien écrire.
Critiques, résumés, réception…[modifier]
- 1824 : Revue encyclopédique, ou Analyse raisonnée des productions les ..., Volume 24 [1]
Théâtres. — Théâtre-Français. — Première représentation de Marie, ou la Pauvre Fille, drame en trois actes et en prose, par Mme Sophie Gay ( mardi 9 novembre ). — Tous ceux qui connaissent la touchante élégie de M. Soumet, savent qu’elle n’a pu fournir que l’idée confuse et le titre du drame que nous annonçons ; l’auteur a dû inventer des personnages, une fable, un dénoûment. Voici ce qu’il a imaginé. La jeune Marie, qui est à peine âgée de dix-sept ans, a été trouvée, quelques instans après sa naissance, sur une pierre voisine de l’église du hameau, par une bonne villageoise, qui l’a élevée comme sa fille ; le magister du lieu est son parrain et lui a servi de père ; il lui a donné une éducation dont il est tout fier, et dont la jeune fille a profilé au delà de ses espérances. On l’a placée depuis quelque tems au château de Norville : elle est si intéressante que les jeunes demoiselles du château la traitent presque comme leur sœur, et la pauvre Marie partage leurs parures et leurs jeux. Un riche et noble jeune homme qu’elle ne connaît que sous le nom de Charles, l’a vue au bal et n’a pu se défendre de l’aimer ; mais Marie, pour se soustraire à ses poursuites, a quitté le château de Norville, et revient chez la bonne vieille qui passe pour sa mère. Son parrain trouve encore l’occasion de la placer chez une autre grande dame, et Marie quitte pour la seconde fois la chaumière où elle a été recueillie. — Au second acte, nous sommes chez la marquise à laquelle le magister doit bientôt présenter Marie. Cette marquise, veuve encore jeune, est plongée depuis dix-sept ans dans une mélancolie profonde ; elle est consumée d’un chagrin dont tout le monde ignore la cause, et dont elle confie enfin le mystère à son frère le baron. Avant son mariage, elle avait eu d’une union secrète et que le consentement de son père n’avait pas consacrée, un enfant qu’elle avait dû cacher à tous les yeux, et que Mlle Dupré, sa femme de chambre, avait été chargée de confier à quelque honnête villageoise avec une somme d’argent. Il paraît que cette méchante femme a gardé l’argent et exposé la petite fille, dont on n’a jamais pu avoir aucune nouvelle. On espère que l’intéressante Marie pourra peut-être adoucir les chagrins de la marquise, et on la lui présente malgré Mlle Dupré, qui voit avec dépit entrer dans la maison quelqu’un qui partagera son crédit. C’est en qualité de lectrice que Marie doit être auprès de la marquise; on veut essayer son talent, elle ouvre un livre, et tout à coup s’arrête interdite : Charles est entré, ou plutôt c’est Saint-Elme, le neveu du baron. On se figure l’étonnement du jeune homme, en retrouvant Marie qu’il croyait perdue ; la pauvre fille se remet un peu de son trouble, et lit d’une voix tremblante l’élégie de M. Soumet. C’est sa propre histoire, et l’impression qu’elle éprouve est vivement partagée par la marquise et par tous les autres personnages. Vient ensuite une scène entre Saint-Elme et Marie ; la vieille Dupré, qui les écoute, surprend leur secret, et Marie retourne sur ta pierre où sa mère l’a laissée. C’est là que se passe le troisième acte. Bientôt on voit arriver Saint-Elme que son père a déshérité : il offre sa main à Marie ; mais il apprend d’elle qu’elle est un enfant trouvé ; ce mot amène le dénoûment : Marie est reconnue par sa mère, et épouse Saint-Elme. — Des détails heureux, des traits spirituels, décèlent dans cet ouvrage une plume ingénieuse et facile ; la grande situation du troisième acte a produit un effet très-dramatique, et, vivement applaudie, elle a déterminé le succès de l’ouvrage, qui a reçu jusqu’à la fin un accueil favorable. Nous parlons de la seconde représentation ; une malveillance évidente, dirigée en partie, dit-on, contre l’actrice charmante qui joue le rôle de Marie, avait troublé la première. Quelques longueurs dans l’action et dans le dialogue, un intérêt moins vif que celui auquel on s’attendait, et surtout un dénoûment trop tôt deviné, avaient servi de prétextes à ceux qui voulaient paraître mécontens : le spirituel auteur de cet ouvrage ne leur en a laissé aucun le second jour.
- Biographie universelle et portative des Contemporains: ou Dictionnaire [2]
- 1824 : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire, 11 novembre [3]
THEATRE FRANÇAIS.
l’intérieur de la comédie. — Marie ou la Pauvre fille, drame en trois actes et en prose, de Mme Sophie Gay.
Avant de parler de la nouvelle pièce, occupons nous un peu de l’intérieur de la Comédie-Française ; c’est là qu’il faut pénétrer pour trouver les causes réelles du discrédit général dans lequel est tombé l’ancien premier théâtre de la nation. L’anarchie, l’intrigue, la médiocrité, voilà quels sont aujourd’hui les trois grands mobiles qui exploitent et dirigent le Théâtre-Français. On sait que ce spectacle est administré par un comité de six sociétaires nommés et surveillés par M. le premier gentilhomme de la chambre, représenté dans les assemblées régulières de ce comité par un commissaire royal.
Les sociétaires, membres du comité, sont donc, à très-peu de chose près les arbitres souverains de la Comédie. Veut-on savoir l’usage qu’ils font depuis long-temps de leur autorité ? le voici : d’abord, à l’exemple d’autres comédiens montés sur un plus grand théâtre, ils s’efforcent, en dépit du public et de l’opinion, de maintenir et de perpétuer le pouvoir dans leurs mains : sur ce point ils sont presque toujours d’accord, parce qu’il y a entr’eux communauté d’amour-propre et d’intérêt. Après le soin de leur conservation commune, les membres du comité s’occupent de leurs intérêts individuels, qui consistent d’une part à éloigner tous les rivaux et tous les concurrens dangereux qui se présentent, d’un autre côté à s’adjuger la plus grande part à laquelle les sociétaires puissent prétendre dans la répartition des bénéfices de la société, et en troisième lieu à se faire classer dans l’emploi auquel chacun est destiné. On saura tout-à-l’heure ce qu’il faut entendre par ce mot classer.
Procédons par des exemples, afin de nous faire mieux comprendre : supposons qu’un nouveau Molé se présente pour être admis au Théâtre-Français, c’est-à-dire pour jouer les premiers rôles de la comédie, qui appartiennent à Damas ; Damas lui trouvera des dispositions communes, et votera contre son admission : eh bien ! tous les autres, amis ou ennemis, voteront contre lui ; Michelot sera de son avis, afin de faire repousser un Fleury qui pourrait arriver ; Cartigny aura la même opinion, dans la crainte de voir arriver un valet qui ait du talent ; Monrose s’empressera de mettre une boule noire, pour la réclamer à son tour contre un comique qui aurait la prétention de faire rire ; et Desmousseaux fera comme les autres, parce qu’il surveille, de son côté, tous les rois et tous les pères nobles qui valent mieux que lui. Tous sont dans le même cas : comme on se fait difficilement illusion à soi-même, ils sentent leur faiblesse et leur insuffisance ; aussi leur surveillance est-elle extrême ; ce sont autant de sentinelles placées à la porte du Théâtre-Français, pour la fermer, soit aux artistes d’un âge mur qui ont du talent, soit aux jeunes gens qui promettent d’en avoir.
Et si, par hasard, malgré cette surveillance de tous les instans, quelque débutant qui annoncerait des dispositions parvenait à s’introduire, on trouverait aisément le moyen d’étouffer les germes de son talent, en l’empêchant de les développer ; on lui interdirait de se montrer dans les rôles et dans les représentations où il pourrait se faire remarquer du public ; on le laisserait languir un, deux, trois ans s’il le faut, à jouer pour les banquettes dans le Légataire, ou bien, s’il est menaçant pour ceux qui jouent dans la comédie, on l’obligera à venir répéter trois fois par semaine dans la tragédie,
- Qu’entre vos mains, seigneur, on m’a dit de remettre.
Le pauvre diable, abreuvé de dégoûts, ayant ainsi perdu son temps, ses dispositions et le fruit de ses études et de son travail, ne pouvant plus embrasser d’autre profession, sera contraint d’aller végéter en province, ou bien encore de se réfugier au boulevard pour déclamer la prose romantique des mélodrames, tandis qu’avec des encouragemens et des soins ; il aurait pu devenir un jour le digne interprête de Corneille ou de Molière.
Que les comédiens prétendus Français osent dire après cela qu’il n’y a plus de sujets, et que les taléns deviennent de plus en plus rares. Comment en serait-il autrement ? ils ont des privilèges exclusifs, et ils n’en usent que pour interdire aux autres comédiens le but unique vers lequel se dirigent naturellement leurs travaux et leurs efforts. Si l’on ne joue plus ou si l’on joue si rarement en province la tragédie et la haute comédie, c’est parce qu’on manque d’acteurs ; et si l’on manque d’acteurs c’est parce que le Théâtre-Français n’en veut pas. Ce n’est plus qu’au Théâtre-Français que les artistes dramatiques peuvent acquérir une réputation et une existence honorables ; ils savent qu’ils n’y arriveront pas ; dès lors ils ne jouent que pour vivre ; ils deviennent comme étrangers à l’art qu’ils ne cultivent plus que machinalement, et c’est de la sorte que la scène s’apauvrit tous les jours, et que le Théâtre-Français, ; par une direction contraire à son institution, est devenu la cause première de la ruine de l’art théâtral, en menaçant de ruiner aussi, par une conséquence inévitable, cet art dramatique auquel la France est redevable de sa plus belle gloire littéraire.
On sent bien que ce qui se passe au comité, lorsqu’il s’agit de nouveaux sujets qui veulent s’essayer ou se produire, que cet accord pour empêcher l’approche de rivaux dangereux, que cette unasimité pour répudier le talent, que tout ce qui peut enfin porter ombrage aux comédiens du Théâtre-Francais, est accueilli de la même manière. On les a constitués juges et partie dans leur propre cause ; ils prononcent toujours, en leur faveur.
S’agit-il d’augmenter la part d’un sociétaire qui n’a pas encore obtenu une part entière ? s’il est du comité, il l’obtiendra. Ceux qui n’ont plus rien à désirer sous ce rapport votent nécessairement pour lui, parce que, pour autre chose, ils auront besoin de sa voix au prochain comité. Desmousseaux, Cartigny, Monrose ont obtenu leur part complète en passant par le comité ; autrefois les deux derniers, n’auraient pu y prétendre, parce qu’il fallait, pour y arriver, avoir joué à la fois dans la la tragédie et dans la comédie.
Quand ils ont part entière ; les membres du comité, qui ne sont pas chefs d’emploi, veulent le devenir, ils procèdent toujours par les mêmes moyens, et ils se font classer dans tel ou tel emploi ; cela veut dire que, leur vie durant, ils deviennent les héritiers uniques des Monvel, des Préville, des Dugazon, et que nul, sans leur consentement, n’a le droit ni le pouvoir d’aborder aucun de leurs rôles ; ces rôles sont pour eux une propriété exclusive.
Ce n’est pas tout encore : lorsqu’un comédien est à la fois sociétaire, membre du comité d’administration et chef d’emploi, alors même qu’il est parvenu aux vingt années de service exigées par son contrat, il donne sa démission ; mais ses collègues le prient, le supplient de continuer son service ; et pour le déterminer à faire ce qu’il désire, il lui est alloué, sur les fonds de subvention fournis par le gouvernement, c’est-à-dire sur le budget de l’état, une pension supplémentaire de quelques mille francs. C’est ainsi que Baptiste aîné et plusieurs autres, qui ont achevé le temps de leur service, se sont fait violence pour le continuer. L’usage est maintenant établi ; et, si l’on persiste à laisser les choses comme elles sont, il faut nous résigner à payer de nos deniers, jusqu’au moment de leur caducité, tous les amoureux, tous les pères nobles et tous les valets qui constituent cette réunion compacte de médiocrités qui compose aujourd’hui le Théâtre-Français…
Est-il si difficile maintenant d’expliquer la décroissance chaque jour plus évidente de l’art théâtral ? Tout se lie, tout s’enchaîne, et d’encore en encore, les comédiens du Théâtre-Français (car, quels que soient les membres du comité, les mêmes abus se perpétueront) sont devenus à la fois les seuls arbitres des plus nobles plaisirs du public, des auteurs et de l’art dramatique. Un pareil état de choses est trop absurde, trop honteux, pour qu’il puisse durer.
Mais, disent les comédiens, c’est sous un régime semblable que nous avons eu tous les grands talens qui ont illustré la scène française. Le fait n’est pas exact ; les réglemens du Théâtre-Français ont subi mille et mille modifications ; il y a tant de lois, tant d’arrêtés, tant de décisions contradictoires sur cette matière, qu’on est tombé dans le chaos. Là, comme ailleurs, le pouvoir exécutif n’est pas embarrassé de trouver des articles réglementaires qui viennent à l’appui de tous les caprices et de toutes les opinions.
Autrefois d’ailleurs, le nom des comédiens qui devaient jouer le soir n’était point imprimé sur l’affiche du jour, et c’était de moins un puissant motif d’amour propre, principal mobile des acteurs, qui ne leur donnait pas la faculté de refuser à l’avance de jouer dans une telle ou telle pièce, parce que tel ou tel autre comédien devait ou ne devait pas y jouer. Ce n’est pas que cet usage n’eût aussi ses inconvéniens, et que les chefs d’emploi n’abusassent alors, comme à présent, de ce qu’ils appellent leurs droits. Il est souvent arrivé que devant paraître, par exemple, dans le Glorieux, Préville descendait en Pasquin, et après avoir remarqué le vide de la salle, disait à Dugazon : « Il n’y a personne ce soir, je ne jouerai pas ; va t’habiller pour me doubler » ; à son tour Dugazon disait à Dazaincourt : « Je ne jouerai pas non plus, tu me doubleras ce soir, va prendre ton habit. »
Entre le régime ancien et le régime nouveau, il y avait encore une différence essentielle. Le premier gentilhomme de la chambre exerçait sur les comédiens un pouvoir absolu ; il avait le droit de les faire conduire au fort l’Évêque pour un temps indéterminé. On comprend sans peine que ce droit, que nous sommes assurément fort loin d’invoquer, rendait beaucoup plus facile et beaucoup plus commode la surveillance de l’autorité sur la société du Théâtre-Français. Maintenant, il n’en est plus ainsi ; l’autorité de M. le premier gentilhomme se confond avec celle de M. le ministre de la maison du Roi ; M. le premier gentilhomme peut réformer une décision du comité s’il y a une seule voix dissidente ; mais il a besoin de cette voix ; et qui sait si, pour l’obtenir en faveur de quelques-uns de ses protégés, il ne donne pas lui-même son approbation à des mesures qu’il n’aurait pas d’ailleurs le pouvoir d’empêcher si la décision du comité est unanime.
Ainsi, le désordre et la confusion règnent seuls au sein de la Comédie-Française. Les talens en sont exclus, l’intrigue y domine, et quels que soient les prétendus droits des comédiens, comme ils exploitent un privilège exclusif, comme ils disposent seuls des propriétés littéraires de la nation, comme en résultat c’est le public qui les paie, le public peut et doit intervenir. Que faut-il donc faire, dira-t-on ? Il faut faire le contraire de ce qu’on fait ; il faut mettre un terme à cette société qui a usurpé les droits de tous : créée sous un régime absolu, elle est incompatible avec le régime actuel ; c’est le seul débris qui reste d’un monument gothique et rongé par le temps ; il faut le détruire pour en élever un autre à sa place. Des difficultés sans nombre se présentent pour arriver à cette régénération dont tout le monde reconnaît la nécessité ? On n’a qu’à vouloir, et cela sera. On est bien sûr d’une chose, c’est que quoi qu’on entreprenne, quoi qu’on fasse, on arrivera à un résultat qui ne fera pas regretter le passé. Qu’on dise un mot, et l’on trouvera cent personnes pour une qui se chargeront, à leurs risques et périls, et en fournissant des garanties, de la réorganisation d’un théâtre qui est la honte, de la littérature dramatique, au lieu de concourir à sa prospérité et à sa gloire.
Il est bien temps de s’occuper un peu de cette Pauvre Fille qui a reçu hier un si triste accueil. J’ai différé tant que j’ai pu, beaucoup trop peut-être, le moment de m’en occuper, parce qu’on retarde tant qu’on peut l’accomplissement d’une fâcheuse mission. Marie fut abandonnée dès l’enfance à la commisération publique ; le sort semble vouloir l’accabler de ses plus rudes coups ; elle a un amant passionné qu’elle aime et qu’elle est obligée de fuir ; elle sacrifie tout à la vertu et à ses devoirs, et elle est en butte aux plus indignes supçons ; enfin, après dix-sept années des plus cruelles infortunes, elle retrouve une mère et elle épouse son amant.
Telle est en deux mots le sujet du nouveau drame dans lequel le public n’a trouvé qu’une situation dramatique, celle où Marie, appelée à faire une lecture à une dame au service de laquelle elle doit entrer, lui lit une touchante élégie de M. Soumet, qui porte le même titre que la pièce, et dans laquelle se trouve précisément racontée, en vers charmans, l’histoire de la pauvre fille et celle de la dame qui l’écoute, Tout-cela, il faut bien le dire, est arrangé pour la scène de manière à n’inspirer qu’un très-faible intérêt. Le talent de Mlle Mars, le jeu pathétique de Mlle Levert, n’ont pu conjurer l’orage ni faire taire les mécontens ; puisque Mme Sophie Gay, malgré les opposans assez nombreux, était résignée à faire proclamer son.nom au milieu du tumulte, elle aurait beaucoup mieux fait de le déclarer d’avance ; le parterre se serait montré galant ; on sait que Mme Sophie Gay est une femme de beaucoup d’esprit, et peut-être l ’aurait-on cru sur parole. Evariste D…
- 1836 : Cours de littérature dramatique : suite aux Mémoires dramatiques de Bachaumont
MARIE, OU LA PAUVRE FILLE, DRAME EN TROIS ACTES
ET EN PROSE, DE MADAME SOPHIE GAY.
La Pauvre Fille ! cette élégie de M. Soumet, si pleine de sentimens touchans, exprimés en vers si doux et si harmonieux, fait le sujet de la pièce nouvelle.
C’est aussi cette élégie, lue tout entière sur le théâtre, qui, au second acte, a empêché la pièce de subir la chute complète dont elle était en ce moment menacée.
Ce drame n’est en quelque sorte que l’explication de l’élégie de M. Soumet, et est, par cela même, une faute capitale contre le goût et les convenances. On plaint la pauvre fille tant qu’on ne voit pas la mère qui l’a abandonnée, et c’est ce qui fait le charme, sans mélange, qu’on éprouve à la lecture de la pièce de vers. Tout ce qu’on peut supposer de honteux dans les motifs de l’abandon de Marie reste dans le vague, et rien ne vient troubler le sentiment de pitié que sa misère inspire. Mais ce sentiment s’arrête et cesse quand on lui voit des amis, et il se change ensuite en répugnance et en éloignement pour la mère, coupable d’un pareil abandon, quand cette mère est sous les yeux. Vainement madame Sophie Gay a supposé que la marquise de Verneuil, mariée secrètement à un colonel Albert, avait été forcée, dans la crainte du courroux de son père, d’exposer à la pitié publique l’enfant qu’elle avait eu de cet hymen secret. Le spectateur, en voyant cette femme, ne pense plus aux motifs qui l’ont déterminée ; il ne voit plus que son action toute nue ; et, sans indulgence alors, il refuse sa pitié, même aux remords et au repentir, et n’écoute plus que son mépris. C’est une aventure digne de l’hospice de la Maternité, et de semblables tableaux, sous les yeux des filles et des femmes, entraînent avec eux des pensées honteuses et anti-sociales.
Comme je l’ai déjà dit, c’est la lecture au second acte de l’élégie de M. Soumet qui a arrêté la chute immédiate de l’ouvrage. Marie, que l’on veut placer comme lectrice auprès de la marquise de Verneuil, est obligée de donner un échantillon de son talent pour la lecture. Le livre qu’elle prend au hasard renferme l’élégie de la Pauvre Fille, et à mesure qu’elle lit ce petit poëme, qui retrace tant à elle-même qu’à la marquise, le malheur de sa naissance, elle s’attendrit et finit par s’évanouir ; la marquise, de son côté, a une attaque de nerfs. Les beaux vers de M. Soumet, la voix touchante de mademoiselle Mars et la situation qui, en effet, est assez dramatique, ont conjuré un instant la mauvaise humeur du parterre. Elle a repris toute sa vivacité au troisième acte, et le dénoûment, qui s’opère comme il est indiqué dans l’élégie, a été à peine entendu. Ce n’est pas sans effort qu’Armand est parvenu à faire entendre que madame Sophie Gay était l’auteur de ce drame. La pièce peut avoir encore quelques représentations ; mais en petit nombre.
… … … …
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
L’ENFANT TROUVÉ, COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN PROSE DE MM. PICARD ET MAZÈRES.
14 décembre.
…… si l’on
veut, plus équitable envers la personne d’un enfant abandonné,
c’est moins par un sentiment de justice réfléchie
que par suite du relâchement général des mœurs.
Mais, malgré ce relâchement, la société est en garde contre tout ce qui touche à de pareilles et si délicates matières. On l’a vu dernièrement à l’occasion de Marie ou la Pauvre Fille. Le titre de la pièce nouvelle était tranchant.
Ce qui éveille la susceptibilité publique dans un pareil sujet, c’est la supposition presque toujours fondée que l’Enfant trouvé est en même temps un enfant naturel : et comme la sécurité de la société repose sur la légitimité des alliances et des naissances, la société peut à bon droit s’inquiéter de voir traduire publiquement sur la scène des questions d’état qui touchent de si près à son repos. Peut-être, en effet, serait-il préférable de tenir loin des yeux du public des choses si délicates ? Mais d’un autre côté le cercle des compositions théâtrales se rétrécit chaque jour. Les sujets s’épuisent ; la censure s’oppose à toute peinture des mœurs modernes nées des circonstances politiques. Cependant il faut de continuels alimens aux nombreux théâtres de la capitale ; les auteurs alors sont obligés de se jeter dans le romanesque, dans le faux, c’est-à-dire dans tout ce qui est dangereux, car on peut affirmer qu’au théâtre la vérité, décemment présentée, ne peut être réellement dangereuse.
…
Il faut ici rendre justice aux auteurs ; ils auraient pu risquer quelques déclamations contre les préjugés de M. Dufour, ou traiter avec légèreté la situation de Saint-Jules ; ils n’en ont rien fait. Cette situation n’est que la donnée de la pièce, et s’ils n’ont point approuvé et appuyé, comme ils auraient pu le faire, les opinions de M. Dufour (ce qui n’entrait pas dans leur plan), du moins ils n’ont point essayé de les combattre par des paradoxes ; ils ont senti qu’il ne fallait imiter ni Diderot, dans le Fils naturel, ni Sedaine, dans le drame de Félix ou l’Enfant trouvé, ni madame Gay, dans la Pauvre Fille. Il ne s’agit point chez eux d’expliquer ou de justifier le malheur ou l’illégitimité d’une naissance équivoque, ils ont voulu faire une comédie et non un drame, ce qui vaut toujours mieux, et c’est dans la famille qu’il faut trouver à Saint-Jules, pour satisfaire les justes prétentions de M. Dufour, puisqu’ils ont cherché tout le comique de leur ouvrage.
- Annales de la littérature et des arts Société des bonnes-lettres [4]