Divagations (1897)/Le Nénuphar blanc
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J’avais beaucoup ramé, d’un grand geste net assoupi, les yeux au dedans fixés sur l’entier oubli d’aller, comme le rire de l’heure coulait alentour. Tant d’immobilité paraissait que frôlé d’un bruit inerte où fila jusqu’à moitié la yole, je ne vérifiai l’arrêt qu’à l’étincellement stable d’initiales sur les avirons mis à nu, ce qui me rappela à mon identité mondaine.
Qu’arrivait-il, où étais-je ?
Il fallut, pour voir clair en l’aventure, me remémorer mon départ tôt, ce juillet de flamme, sur l’intervalle vif entre ses végétations dormantes d’un toujours étroit et distrait ruisseau, en quête des floraisons d’eau et avec un dessein de reconnaître l’emplacement occupé par la propriété de l’amie d’une amie, à qui je devais improviser un bonjour. Sans que le ruban d’aucune herbe me
retînt devant un paysage plus que l’autre chassé
avec son reflet en l’onde par le même impartial
coup de rame, je venais échouer dans quelque
touffe de roseaux, terme mystérieux de ma course,
au milieu de la rivière : où tout de suite élargie
en fluvial bosquet, elle étale un nonchaloir d’étang
plissé des hésitations à partir qu’a une source.
L’inspection détaillée m’apprit que cet obstacle
de verdure en pointe sur le courant, masquait
l’arche unique d’un pont prolongé, à terre, d’ici
et de là, par une haie clôturant des pelouses. Je
me rendis compte. Simplement le parc de Madame..,
l’inconnue à saluer.
Un joli voisinage, pendant la saison, la nature
d’une personne qui s’est choisi retraite aussi humidement
impénétrable ne pouvant être que conforme
à mon goût. Sûr, elle avait fait de ce cristal
son miroir intérieur à l’abri de l’indiscrétion éclatante
des après-midi ; elle y venait et la buée
d’argent glaçant des saules ne fut bientôt que la
limpidité de son regard habitué à chaque feuille.
Toute je l’évoquais lustrale.
Courbé dans la sportive attitude où me maintenait
de la curiosité, comme sous le silence spacieux de ce que s’annonçait l’étrangère, je souris au
commencement d’esclavage dégagé par une possibilité
féminine : que ne signifiaient pas mal les
courroies attachant le soulier du rameur au bois
de l’embarcation, comme on ne fait qu’un avec
l’instrument de ses sortilèges.
« — Aussi bien une quelconque.. » allais-je
terminer.
Quand un imperceptible bruit me fit douter si
l’habitante du bord hantait mon loisir, ou inespérément
le bassin.
Le pas cessa, pourquoi ?
Subtil secret des pieds qui vont, viennent, conduisent
l’esprit où le veut la chère ombre enfouie
en de la batiste et les dentelles d’une jupe affluant
sur le sol comme pour circonvenir du talon à l’orteil,
dans une flottaison, cette initiative par quoi la
marche s’ouvre, tout au bas et les plis rejetés en
traîne, une échappée, de sa double flèche savante.
Connaît-elle un motif à sa station, elle-même
la promeneuse : et n’est-ce, moi, tendre trop haut la tête, pour ces joncs à ne dépasser et toute la
mentale somnolence où se voile ma lucidité, que
d’interroger jusque-là le mystère.
« — À quel type s’ajustent vos traits, je sens
leur précision, Madame, interrompre chose installée
ici par le bruissement d’une venue, oui ! ce
charme instinctif d’en dessous que ne défend pas
contre l’explorateur la plus authentiquement
nouée, avec une boucle en diamant, des ceintures.
Si vague concept se suffit : et ne transgressera
le délice empreint de généralité qui permet
et ordonne d’exclure tous visages ; au point que
la révélation d’un (n’allez point le pencher, avéré,
sur le furtif seuil où je règne) chasserait mon
trouble, avec lequel il n’a que faire. »
Ma présentation, en cette tenue de maraudeur
aquatique, je la peux tenter, avec l’excuse du
hasard.
Séparés, on est ensemble : je m’immisce à de
sa confuse intimité, dans ce suspens sur l’eau où
mon songe attarde l’indécise, mieux que visite,
suivie d’autres, l’autorisera. Que de discours
oiseux en comparaison de celui que je tins pour
n’être pas entendu, faudra-t-il, avant de retrouver aussi intuitif accord que maintenant, l’ouïe au ras
de l’acajou vers le sable entier qui s’est tu !
La pause se mesure au temps de ma détermination.
Conseille, ô mon rêve, que faire ?
Résumer d’un regard la vierge absence éparse
en cette solitude et, comme on cueille, en mémoire
d’un site, l’un de ces magiques nénuphars
clos qui y surgissent tout à coup, enveloppant de
leur creuse blancheur un rien, fait de songes
intacts, du bonheur qui n’aura pas lieu et de mon
souffle ici retenu dans la peur d’une apparition,
partir avec : tacitement, en déramant peu à peu
sans du heurt briser l’illusion ni que le clapotis
de la bulle visible d’écume enroulée à ma fuite ne
jette aux pieds survenus de personne la ressemblance
transparente du rapt de mon idéale fleur.
Si, attirée par un sentiment d’insolite, elle a paru, la Méditative ou la Hautaine, la Farouche, la Gaie, tant pis pour cette indicible mine que j’ignore à jamais ! car j’accomplis selon les règles la manœuvre : me dégageai, virai et je contournais déjà une ondulation du ruisseau, emportant comme un noble œuf de cygne, tel que n’en jaillira le vol, mon imaginaire trophée, qui ne se gonfle d’autre chose sinon de la vacance exquise de soi qu’aime, l’été, à poursuivre, dans les allées de son parc, toute dame, arrêtée parfois et longtemps, comme au bord d’une source à franchir ou de quelque pièce d’eau.