Drames de la vie réelle/Chapitre XXV

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J. A. Chenevert (p. 78-83).

XXV

À son retour au presbytère, le Grand-Vicaire fut enchanté d’apprendre que l’état de santé de Julie était rassurant. Les bons soins des dames, qui, en ces occurrences, sont les meilleurs médecins (mille pardons aux disciples d’Esculape), avaient opéré merveille.

La convalescence fut d’autant plus rapide que le temps était beau, la chaleur bienfaisante, du soleil, l’air pur du St-Laurent saturé des bonnes senteurs du jardin, et celui respiré par Julie, lors de ses promenades sous les gros pins avoisinant le presbytère (que, entre parenthèse, la Corporation de Sorel a laissé détruire par le même vandalisme mercantile dont nous nous plaignons ailleurs, cette pinière étant une richesse naturelle, un rare embellissement que la jeune cité a sacrifié pour toujours) ; tout cela, disons-nous, en procurant à Julie une fatigue désirable, amenait un sommeil d’enfant tout à fait réparateur, la jeunesse d’ailleurs, possédant des ressources inépuisables et de merveilleux ressorts.

Mais ça n’empêche que le jeune docteur était revenu plusieurs fois, en l’absence du curé, revoir sa patiente, et nous ajouterions, s’il nous était permis de sonder le cœur humain, qu’il était, sinon devenu amoureux de la jeune veuve, du moins son admirateur, et des plus sympathiques……

Quinze jours se passèrent ainsi, Julie progressant de mieux en mieux, lorsque survint la tante dont nous avons parlé, qui fut reçue, on n’en doute pas, à bras et cœur ouverts. On avait préparé les voies, en communiquant, sagement à Julie la lettre du curé de *** parlant de la maladie grave de son mari pour expliquer son absence, et Julie elle-même était quasi heureuse de cet empêchement, en raison de son état précaire de santé, si bien qu’elle avait manifesté le désir de ne pas communiquer avec son mari, de crainte, se disait la pauvre enfant, d’empirer par des angoisses son état déjà inquiétant de santé, et dont à dessein on lui avait insinué la gravité, afin de préparer les voies à la triste réalité.

Les choses en étaient là, lors de l’arrivée de la tante, mise au courant de la situation ; cela fut naturellement réciproque ; mais on convint de ne révéler à Julie qu’à bon escient, et en temps opportun, tout ce qui s’était passé là-bas et qui est si bien connu de nos lecteurs.

Nous l’avons dit, les communications étaient alors lentes et difficiles de toutes manières.

En effet, le premier bateau à vapeur avait été construit par Robert Fulton, et avait été baptise le Clément.

Le père du Grand-Vicaire se rendant à Albany était, avec sa famille, en 1807, sur le Clément, lors de son voyage d’essai sur l’Hudson.

Notons ici que notre vénérable curé appartenait à l’une des familles les plus anciennes et les plus considérées de l’État de New-York. Elle fut une des premières invitées au bal qui fut donné à Albany, à Lafayette, lors de son dernier voyage en Europe, et le Grand-Vicaire avait conservé précieusement jusqu’aux bijoux que les invités de la famille portaient à cette occasion.

Quelques jours après l’arrivée de la tante, on résolut, dès que Julie serait tout à fait convalescente, de noliser une goélette, et de partir tous ensemble, le Grand-Vicaire accompagnant, pour le bas du fleuve, dès que les beaux jours le permettraient.

Les deux familles étaient très riches, en sorte que la question de santé dominait celle de la dépense, et en ce bas monde l’argent qui procure le comfort adoucit bien des aspérités au moral comme au physique. Les déshérités de ce monde, ou ceux sur qui les malheurs domestiques fondent en même temps que le présent et l’avenir font banqueroute, apprécieront la situation de notre héroïne, nous en sommes sûrs, de même que les âmes d’élite compatiraient davantage s’il en était autrement.

Mais grâce à Dieu, tel n’était pas le cas pour notre héroïne et ses parents et amis. Les ressources de la richesse n’étaient pas à discuter. Aussi la goélette fut-elle nolisée sans épargne, et par un temps radieux, après une messe dite à bonne intention à laquelle assistaient nombre de gens sympathiques au courant de la situation, dont Julie ignorait encore toute la lamentable étendue, on prit passage à bord de la goélette accompagné des milliers de souhaits de bon voyage et d’heureux retour au bon curé, dont les paroissiens se séparaient toujours avec le plus grand chagrin.

Le temps était radieux, le soleil si brillant qu’il rendait l’atmosphère transparente au point qu’on distinguait, de chaque côté du fleuve, en partant de Sorel, tout ce qu’il y avait de pittoresque et de verdoyant. Et rendu au Chenal du Moine, à l’entrée des îles que Julie avait traversées lors de son arrivée à Sorel, sur la glace vive, sous un ciel où brillaient des myriades d’étoiles, en se penchant sur le bord de la goélette descendant lentement, les passagers s’amusaient à regarder l’eau claire comme du cristal, et au fond on voyait apparaître de nombreux poissons nageant autour des cailloux qu’on aurait pu compter, malgré la profondeur de l’eau.

On avait tout le confort désirable à bord de la jolie goélette ; le temps était toujours splendide, mais comme le vent faisait souvent défaut la descente était lente, le courant seul aidant la plupart du temps, si bien qu’il s’écoula plusieurs jours avant qu’on atteignît Québec, sans toutefois éprouver de fatigue ni d’ennui. Julie reprenait des forces à vue d’œil tant le bon air du grand fleuve était fortifiant, et tant, disons-le, la jeunesse a des ressources inépuisables lorsque la constitution, comme celle de Julie, est saine.

Notre Grand-Vicaire, qui était un lettré et un patriote, occupait ses loisirs à bord de la goélette en révisant des notes sur l’histoire du Canada. Et pour donner une idée de son travail, l’oisiveté, disait-il, ôtant la mère de tous les vices, il en faisait part à ses compagnes En voici un court résumé :


précis des événements publics qui se rattachent à l’Histoire du Canada, depuis 1818.


1818 — L’Angleterre accepte l’offre de la Chambre de se charger de la dépense civile de la colonie.

1819 — Administration et mort du duc de Richmond,

1820 — Arrivée du Tyran Dalhousie.

1822 — Nouveau projet infâme pour unir les deux provinces, mais le parlement anglais n’ose encore se décider à passer cette mesure arbitraire.

1823 — Le pays exprime son mécontentement contre l’Union, et députe en Angleterre l’honorable L. J. Papineau et John Nelson, Écuyer.

1824 — Passation d’un bill favorable à l’éducation des canadiens ; les difficultés continuent entre le gouverneur et la chambre ; Dalhousie passe en Angleterre.

1825 — Administration pacifique de sir Francis Burton ; retour de Dalhousie, continuation des difficultés ; recensement général de la population du Bas-Canada, qui se monte alors à 423,630 âmes.

1827 — Conduite violente du gouverneur Dalhousie ; dissolution du Parlement ; mise en force des vieilles ordonnances de milice ; destitution d’officiers de milice et de magistrats ; espionnage inquisitorial ; poursuite pour des prétendus libelles contre MM. Jocelyn Waller, Ludger Duvernay famés Lane, etc. élections nouvelles hostiles à l’administration ; Dalhousie refuse M. Papineau comme orateur ; assemblées pour présenter des pétitions à l’Angleterre.

1828 — Mission de MM. Viger, Nelson et Cuvillier en Angleterre, chargés des plaintes du pays ; débats, dans la Chambre des Communes qui enfin s’occupe, des affaires du Canada ; Dalhousie est rappelé ; sir James Kempt le remplace ; retour des Agents ; le parlement provincial s’assemble ; M. Papineau orateur, en dépit des difficultés suscitées par Dalhousie ; mort du patriote, M. Waller.

1829 — Sir James Kempt promet tout ; les Canadiens confiants croient que le jour de la justice est arrivé ; session laborieuse de la législature ; nouveau bill d’éducation ; premières élections dans les Townships de l’Est.

1830 — Kempt qui avait promis plus qu’il ne pouvait tenir, sollicite son rappel ; Lord Aylmer prend les rênes du gouvernement ; nouveau recensement.

1831 — Le procureur-général, James Stuart, est accusé de hauts crimes et délits par la Chambre, qui demande sa suspension au gouverneur ; celui-ci est forcé de l’accorder ; deuxième mission de M. J. B. Viger en Angleterre.

1832 — L’administration continue ses persécutions contre le parti populaire. MM. Tracey et Duvernay sont, le 15 janvier, arrêtés à Montréal, et traînée devant le Conseil Législatif à Québec, forcés de s’incriminer eux-mêmes ; ils sont condamnés à quarante jours de prison pour prétendus libelles, en publiant que le conseil était une nuisance publique ! Élection de M. Tracey à Montréal, où les troupes soutenues par les magistrats font feu, le 21 mai, sur les électeurs réformistes qui reconduisaient paisiblement leur candidat favori ; trois Canadiens, Languedoc, Billet et Chauvin, étrangers à l’affaire de l’élection, tombent morts atteints d’un plomb meurtrier ; un grand nombre d’autres sont blessés. Grandes assemblées par tout le pays pour demander justice de cet attentat, ainsi qu’au sujet des terres incultes de la province, qu’une compagnie de spéculateurs formée à Londres voudrait envahir ; on demande aussi un changement dans le conseil législatif. Le choléra fait de terribles ravages ; le docteur Tracey meurt. Les magistrats et les militaires, auteurs des meurtres du 21 mai sont approuvés par l’administration. Le chambre se réunit et procède à une enquête sur cet événement. Le procureur-général Stuart est destitué.

1833 — L’enquête sur les meurtres du 21 mai continuée. Un témoin tory est emprisonné pour faux témoignage ; Ralph Taylor, membre pour Missisquoi est envoyé 24 heures en prison pour insulte à la chambre, dans la personne de son orateur ; refus arbitraire du gouverneur de communiquer à la chambre plusieurs documents officiels ; bill des subsides passé par la chambre et rejeté par le conseil législatif. William L. Mc-Kenzie revient d’Angleterre, où il est allé représenter au ministère les griefs du peuple du Haut-Canada. La St-Jean-Baptiste est célébrée pour la première fois le 24 juin. Le docteur O’Callaghan se charge de la rédaction du Vindicator.

1834 — Session mémorable de la chambre d’assemblée, qui adopte à une majorité de 56 contre 24, les 92 Résolutions, contenant les plaintes du pays et sa ferme détermination d’obtenir justice. M. Morin est député en Angleterre au soutien de ces résolutions, ainsi que des pétitions de tout le pays, revêtues de plus de cent mille signatures. M. Morin revient en septembre et M. Viger en octobre. Élections générales qui confirment les principes énoncés dans les 92 Résolutions. Lu peuple choisit 80 membres réformistes contre 8 tories. Élection de Sorel, où Louis Marcoux est assassiné : ses meurtriers furent ensuite acquittés.

(Nous complétons ces notes jusqu’à la révolution de 1837.)

1835 — Première session du 15me Parlement Impérial ; Lord Aylmer, refuse les contingens de la chambre qui passe d’énergiques résolutions à ce sujet, et s’ajourne elle-même après avoir passé 36 bills ; le conseil législatif ayant bien soin de rejeter ceux qui seraient pour l’avantage du pays. Débats dans les Communes d’Angleterre sur les affaires du Canada : trois commissaires inquisiteurs sont envoyés en Canada : Lord Gosford, Sir Chas E Grey et Sir George Gipps arrivent, à Québec vers la fin d’août ; départ de lord Aylmer qui distribue des places à ses mignons, maintient en place le juge Gale, etc. Le Parlement s’assemble le 27 octobre ; lord Gosford prononce un discours de conciliation, dont l’hypocrisie fait la base ; réponse patriotique de l’assemblée ; les contingents sont accordés ; les tories font du tapage à ce sujet, surtout à Montréal, menaçant de prendre les armes. Mort de Louis Bourdages, Ecr., M. P. P. La législature continue de siéger ; formation à Montréal d’un corps de carabiniers tory, pour épouvanter le gouvernement ; lord Gosford lance une proclamation tardive contre cette organisation ; la proclamation est méprisée on la déchire. Sir Francis B. Head arrive dans le Haut-Canada ; peu après il fait connaître partie des instructions que Gosford avait frauduleusement tenues secrètes : sensation et indignation causées par la conduite du perfide Lord Gosford ; intrigues des Hauts-Commissaires. Le conseil législatif rejette le bill d’éducation, ce qui ferme seize cents écoles élémentaires et ôte les moyens d’instruction à plus de quarante mille enfants Canadiens ; ce même corps rejette aussi plusieurs bills d’une importance majeure. La chambre offre de voter les subsides pour six mois, ce que le conseil refuse aussi. Le gouverneur plonge ses mains dans les coffres publics, et paie les officiers publics sans l’assentiment de la branche représentative de la législature.

1886 — Conduite ferme et énergique de la majorité de la Chambre d’Assemblée, malgré la désertion d’un certain parti connu sous le nom de statu quo ; cette conduite inerte de quelques-uns a le malheureux effet de donner des espérances au gouvernement et d’enhardir ses satellites qui se portent à toutes sortes d’excès ; les promesses de lord Gosford de remédier à plusieurs griefs restent sans exécution. Près de 800 électeurs de Québec, pour censurer la conduite de la minorité, présentent une adresse à l’honorable orateur Papineau, en signe d’approbation de sa conduite, et pour approuver le vote de la majorité, qui n’accordait les subsides que pour six mois. M. Caron résigne son siège ; nouvelle élection d’un membre de la haute ville de Québec. Dans le Haut-Canada, la chambre populaire ayant refusé les subsides, le gouverneur la dissout, et au moyen de la corruption, de l’intrigue et des lettres patentes fabriquées, Head se fait une majorité de tories. Le shérif Guay est accusé devant un grand jury de meurtre ; ce corps qu’il avait choisi rejette l’accusation. La Minerve signale le fait, son propriétaire, M. Duvernay, est aussitôt empoigné, traîné devant une cour dont il ne reconnaît pas la compétence dans cette matière ; il est condamné sans forme de procès à 80 jours de prison et à £80 d’amende. La législature s’assemble le 22 septembre. M. Morin présente une requête de M. Duvernay, alors dans les fers, se plaignant de la conduite arbitraire des juges Reid et Pike, et du procureur-général Ogden. L’assemblée s’ajourne d’elle-même après 18 jours de session, elle ne veut pas siéger tant que le conseil législatif ne sera pas réformé. Lord Gosford met la main sur les deniers publics et les disperse sans le consentement des députés du peuple. Les tories cherchent par tous les moyens possible à provoquer les Canadiens, qui attendent avec patience !!!

Notre laborieux Grand-Vicaire ajouta à ses notes ci-dessus, la nomenclature de la députation de Richelieu que voici :

De 1792 à 1796 — P. Guérout, B. Chénier.

De 1797 à 1800 — Charles Millette, C. B. Livernois.

De 1801 à 1805 — E. E. Hubert, L. Brodeur.

De 1805 à 1808 — Louis Bourdages, H. M. Delorme.

En 1809 — Louis Bourdages, B. Chenier.

En 1810 — Louis Bourdages, H. M. Delorme.

De 1810 à 1814 — L. Bourdages, H. M. Delorme.

De 1815 à 1816 — S. Chenier, F. Malhiot.
De 1817 à 1819 — S. Chenier, J. Dessaulles,
En 1820 — F. St-Onge, J. Dessaulles.
De 1820 à 1824 — F. St-Otige, J. Dessaulles.
De 1825 à 1827 — R. de St-Ours, J. Dessaulles.
De 1827 à 1829 — R. de St-Ours, J. Dessaulles.
De 1830 à 1834 — R. de St-Ours, Dr Jacques Dorion.
De 1834 à 1838 — Dr Jacques Dorion, C. S. DeBleury.
De 1841 à 1844 — D. B. Viger
De 1844 à 1848 — Wolfred Nelson.
De 1848 à 1852 — Le même.

Par la Constitution de 1791, Sorel formait un bourg du nom de William Henry. À cette époque la ville de Sorel était privilégiée : elle avait un député. Espérons que le temps n’est pas éloigné où l’augmentation de la population ou du commerce feront donner un député à Sorel devenue cité. En attendant, voici d’après les notes de notre héros, une liste des noms des députés qui ont représenté Sorel (William Henry) sous la constitution de 1791 :

De 1792 à 1796 — J. Barnes.
De 1797 à 1800 — J. Senell.
De 1801 à 1805 — Le même.
De 1805 à 1808 — Le même.
En 1809 — Le même.
En 1810 — Ed. Boner.
De 1811 à 1814 — Le même.
De 1815 à 1816 — R. Jones.
De 1817 à 1819 — Le même.
En 1820 — Le même.
De 1820 à 1824 — Le même.
De 1825 à 1827 — N. F. Uniacke.
De 1827 à 1829 — Wolfred Nelson.
De 1830 à 1834 — John Wurtele.
De 1834 à 1838 — J. Pickel.