Du rôle colonial de l’armée (éd. Armand Colin)/Introduction

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Armand Colin (p. 1-5).

Le titre de cette étude : Du Rôle colonial de l’armée, éveillera peut-être la pensée qu’il s’agit ici d’un plaidoyer exclusif en faveur du régime militaire aux colonies.

C’est au-devant de cette pensée, la plus éloignée qu’il se puisse de notre esprit, que nous voudrions aller tout d’abord.

La suite de ces quelques pages montrera que l’emploi de la force armée dans les entreprises coloniales, tel que nous le concevons, tel que la pratique l’a déjà sanctionné, peut être appliqué, quelle que soit la formule du régime, — à moins que l’on ne suppose des colonies sans force armée, ce qui est, tout le monde l’admettra, au moins prématuré.

Du reste, si cinq années d’expériences coloniales nous ont appris quelque chose, c’est à coup sûr le plus complet éclectisme quant à l’étiquette du régime.

Le besoin des formules théoriques et l’amour des systèmes étant un des apanages de nos compatriotes, il suffit que la conversation s’ouvre entre « coloniaux » d’habits différents, pour aboutir presque toujours à une discussion passionnée sur les mérites respectifs du régime militaire ou du régime civil.

Or il ne nous semble pas que la question se pose ainsi sous la forme d’un dilemme.

Il est du reste à remarquer que la discussion en arrive très vite à des questions de personnes, chacun tirant argument à l’appui de sa thèse du gouverneur X… ou du gouverneur Y…, et ainsi, sans le vouloir, adversaires et partisans de chacun des deux systèmes apportent leur témoignage à la formule de notre choix. Et, en effet, c’est qu’aux colonies, c’est bien, moins la question de l’étiquette du régime qui importe que celle des « hommes ». C’est que, si, dans la métropole, les administrations, traditionnellement organisées, fonctionnent automatiquement et peuvent à la rigueur se passer d’hommes, — quelque temps, — aux colonies, au contraire, où l’imprévu est la règle et où la décision est la nécessité quotidienne, une formule domine toutes les autres, c’est the right man in the right place.

Or l’habit ne fait pas le… right man. Et, que l’habit du chef soit civil ou militaire, la chose est indifférente une fois l’homme bien choisi, — pour cette raison qu’il n’y a pas deux manières (j’entends bonnes) d’exercer le commandement colonial ; il y en a une ; et celle-là exige des qualités qui sont à la fois militaires et civiles, — ou, plus exactement, administratives.

Quelles sont donc les qualités caractéristiques du chef militaire ?

Est-ce seulement de savoir commander l’exercice et de connaître la lettre des règlements ? Ou bien est-ce le don naturel du commandement, la décision, L’activité communicative, la promptitude du coup d’œil, le sang-froid dans le péril ? Et, si elles sont telles, ne sont-elles pas nécessaires au chef colonial civil aussi.bien qu’au militaire ?

Et quelles sont les qualités qui doivent distinguer entre toutes l’administrateur colonial ?

Est-ce seulement la connaissance méticuleuse des décrets et circulaires, le souci scrupuleux de leur stricte application, est-ce le fétichisme du tchin, qui existe ailleurs qu’en Russie, l’état d’âme « fonctionnaire », en un mot ? Ou bien est-ce l’initiative, la soif des responsabilités, l’appel constant au bon sens, la passion du mieux, l’interprétation la plus large, la plus libérale des règlements et la volonté d’en subordonner la lettre à l’esprit ! Et dira-t-on que de telles qualités sont moins nécessaires au chef militaire qu’au chef civil ?

Est-ce que tout colonial, administrateur ou colon, ne fait pas œuvre de militaire ? Se prémunir contre les revirements toujours possibles chez des populations contenues par une poignée d’Européens, commander ses milices, ses engagés indigènes, n’est-ce pas faire acte de soldat ?

Et le soldat qui organise le pays à mesure qu’il le conquiert, n’est-il pas un administrateur ?

Sont-ce des civils ou des militaires, ces colons, ces agriculteurs qui, dans l’Afrique du Sud, en ce moment même, gagnent des batailles rangées ?

Vainement on cherche la démarcation. La vérité, c’est que la vie du dehors, la mise aux prises constante avec la misère, les obstacles, l’es périls, la lutte quotidienne contre les hommes et les éléments plongent dans la même trempe tous les tempéraments. De ceux qui ont été soumis à cette rude école, les uns, restent au premier tournant, mais des autres résulte un être spécial qui n’est plus ni le militaire, ni le civil, mais qui est tout simplement le colonial.

Et c’est à ce titre qu’il nous sera permis, sans être suspect d’y apporter le moindre « esprit de bouton », d’exposer à grands traits la façon dont le général Galliéni a entendu et appliqué, après d’illustres prédécesseurs dont il a développé les principes et les méthodes, l’utilisation coloniale de l’armée.