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Stances et Poèmes/Encore

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Œuvres de Sully PrudhommeAlphonse LemerrePoésies 1865-1866 (p. 292-295).
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Vous n’avez pas sondé tout l’Océan de l’âme,
O vous qui prétendez en dénombrer les flots !
Qui de vous de tout cœur a pu sentir la flamme
Et de toute poitrine écouter les sanglots ?
Qui de vous a tâté tous les coins de l’abîme
Pour dire : « C’en est fait, l’homme nous est connu ;
Nous savons sa douleur et sa pensée intime,
Et pour nous, les blasés, tout son être est à nu ! »
Ah ! ne vous flattez pas, il pourrait vous surprendre ;
Le voile usé d’un cœur qui vous semble si vieux
Dans un déchirement pourrait vous faire entendre
Un accent inouï qui mouillerait vos yeux !
Et pourquoi voulez-vous que le dernier poète

Enfouisse avec lui la coupe avec le miel ?
Si haut que dans l’azur il ait porté sa tête,
Il n’a pas visité tous les pays du ciel !
Le pinceau n’est trempé qu’aux sept couleurs du prisme,
Sept notes seulement composent le clavier,
Il suffit, pour surgir, d’un glaive à l’héroïsme,
Pour déplacer le monde il suffit d’un levier !
Faut-il plus au poète ? et ses chants pour matière
N’ont-ils pas la science aux sévères beautés,
Toute l’histoire humaine et la nature entière ?
Ah ! ce thème éternel est riche en nouveautés.

L’art ressemble à la terre où les graines ardentes
Trouveront tous les ans du suc et des amours,
Où les moissons jamais ne sont plus abondantes
Qu’après qu’elle a subi les plus profonds labours.
Les lâches seuls ont peur d’une autre renommée,
Ils murmurent : « Assez » parce qu’ils n’osent pas.
Mais ceux pour qui la muse est une bien-aimée
Cherchent encor sa bouche et n’en sont jamais las.
Un dieu que tout poète en ses préludes nomme
Descendit parmi nous ; salué par les bois
Il chantait ; mais le dieu n’intimidait pas l’homme,
Et des pâtres mortels ont défié sa voix.

La crainte de faillir est une indigne excuse :
Si les maîtres sont forts on les peut approcher.
Et leur gloire après tout n’est pas une Méduse
Qui change la poitrine et la tête en rocher !
Au début de ses chants, de son luth qu’il accorde
Et qu’il n’attaque pas avec des doigts certains,
Le poète novice a fait jurer la corde ;
Mais il marie un jour son génie et ses mains,
Et dès lors il se fie au démon qui le pousse :
On lui dit que les cœurs sont fermés maintenant ;
Mais, comme il a senti la divine secousse,
Il enchaîne l’oreille à son verbe entraînant.
Les beaux vers sont si beaux ! La strophe cadencée
Par son rythme sonore et ses rigides lois
Donne un fier mouvement à l’auguste pensée ;
Elle est impérieuse et touchante à la fois.
D’un vers passionné dont l’harmonie est grande
Nul ne saurait braver l’irrésistible appel.
Une âme habite en lui, le soulève et le scande,
Et l’on sent qu’il respire et qu’il est immortel !
Oh ! si mes doigts jamais ne te rendent sensible,
Poème intérieur dont je suis consumé,
Tu chanteras en moi sur la lyre invisible
Que l’art suspend au cœur de ceux qui l’ont aimé.

Vaincu je me tairai, mais je pourrai sans blâme
Ecouter doucement cette rumeur de flots,
Ce murmure infini que font les vers dans l’âme
Quand nous fermons l’oreille au timbre usé des mots.