Esther/Barbin, 1689/introduction
La célebre Maiſon de Saint Cyr ayant eſté principalement eſtablie pour élever dans la pieté un fort grand nombre de jeunes Demoiſelles raſſemblées de tous les endroits du Royaume, on n’y a rien oublié de tout ce qui pouvait contribuer à les rendre capables de ſervir Dieu dans les differens eſtats où il lui plaira de les appeller. Mais en leur monſtrant les choſes eſſentielles & neceſſaires, on ne neglige pas de leur apprendre celles qui peuvent ſervir à leur polir l’eſprit, & à leur former le jugement. On a imaginé pour cela pluſieurs moyens, qui ſans les détourner de leur travail & de leurs exercices ordinaires, les inſtruiſent en les divertiſſant. On leur met, pour ainſi dire, à profit leurs heures de récréation. On leur fait faire entre elles ſur leurs principaux devoirs des Converations ingenieuſes, qu’on leur a composées exprés, ou qu’elles meſmes compoſent sur le champ. On les fait parler ſur les hiſtoires qu’on leur a luës, ou ſur les importantes veritez qu’on leur a enſeignées. On leur fait réciter par cœur & déclamer les plus beaux endroits des meilleurs Poëtes. Et cela leur ſert ſur tout à les défaire de quantité de mauvaiſes prononciations, qu’elles pourroient avoir apportées de leurs Provinces. On a ſoin auſſi de faire apprendre à chanter à celles qui ont de la voix, & on ne leur laiſſe pas perdre un talent qui les peut amuser innocemment, & qu’elles peuvent employer un jour à chanter les loüanges de Dieu.
Mais la pluſpart des plus excellens vers de noſtre langue ayant eſté compoſez sur des matières fort profanes, & nos plus beaux vers étant sur des paroles extrémement molles & efféminées, capables de faire des impreſſions dangereuſes ſur de jeunes eſprits ; les Perſonnes illuſtres, qui ont bien voulu prendre la principale direction de cette Maiſon, ont ſouhaitté qu’il y euſt quelque Ouvrage, qui ſans avoir tous ces défauts, puſt produire une partie de ces bons effets. Elles me firent l’honneur de me communiquer leur dessein, & mesme de me demander si je ne pourrais pas faire sur quelque sujet de pieté & de morale une espece de Poëme, où le chant fût meslé avec le récit ; le tout lié par une action qui rendist la chose plus vive & moins capable d’ennuyer.
Je leur proposay le sujet d’Esther, qui les frappa d’abord, cette histoire leur paraissant pleine de grandes leçons d’amour de Dieu, & de détachement du monde au milieu du monde mesme. Et je crus de mon costé que je trouverais assez de facilité à traitter ce sujet ; d’autant plus qu’il me sembla, que sans altérer aucune des circonstances tant soit peu considerables de l’Escriture sainte, ce qui serait à mon avis une espece de sacrilege, je pourrais remplir toute mon Action avec les seules Scènes, que Dieu lui-mesme, pour ainsi dire, a préparées.
J’entrepris donc la chose, & je m’apperceûs qu’en travaillant sur le plan qu’on m’avait donné, j’executais en quelque sorte un dessein qui m’avait souvent passé dans l’esprit, qui estait de lier, comme dans les anciennes Tragédies Grecques, le Chœur & le Chant avec l’Action, & d’employer à chanter les loüanges du vray Dieu cette partie du Chœur que les Payens employaient à chanter les loüanges de leurs fausses Divinitez.
A dire vray, je ne pensais guère que la chose dust estre aussi publique qu’elle l’a esté. Mais les grandes veritez de l’Escriture, & la manière sublime dont elles y sont énoncées, pour peu qu’on les présente, mesme imparfaitement, aux yeux des hommes, sont si propres à les frapper ; & d’ailleurs ces jeunes Demoiselles ont déclamé & chanté cet Ouvrage avec tant de grâce, tant de modestie, & tant de pieté, qu’il n’a pas esté possible qu’il demeurast renfermé dans le secret de leur Maison. De sorte qu’un divertissement d’Enfans est devenu le sujet de l’empressement de toute la Cour ; le Roi lui-mesme, qui en avoit esté touché, n’ayant pu refuser à tout ce qu’il y a de plus grands Seigneurs de les y mener, & ayant eu la satisfaction de voir par le plaisir qu’ils y ont pris, qu’on se peut aussi bien divertir aux choses de pieté qu’à tous les spectacles profanes.
Au reste, quoy que j’aye évité soigneusement de mesler le profane avec le sacré, j’ay cru neanmoins que je pouvois emprunter deux ou trois traits d’Herodote, pour mieux peindre Assüerus . Car j’ai suivi le sentiment de plusieurs sçavans Interprètes de l’Escriture, qui tiennent que ce Roi est le mesme que le fameux Darius fils d’Hystaspe, dont parle cet Historien. En effet ils en rapportent quantité de preuves, dont quelques unes me paraissent des demonstrations. Mais je n’ay pas jugé à propos de croire ce mesme Hérodote sur sa parole, lors qu’il dit que les Perses n’élevaient ni temples, ni autels, ni statuës à leurs Dieux, & qu’ils ne se fervaient point de libations dans leurs sacrifices. Son tesmoignage est expressément destruit par l’Escriture, aussi bien que par Xenophon beaucoup mieux instruit que lui des mœurs et des affaires de la Perse, & enfin par Quinte Curse.
On peut dire que l’unité de Lieu est observée dans cette Piece, en ce que toute l’action se passe dans le Palais d’Assüerus. Cependant comme on voulait rendre ce divertissement plus agréable à des Enfans, en jettant quelque variété dans les décorations, cela a esté cause que je n’ay pas gardé cette unité, avec la mesme rigueur que j’ay fait autrefois dans mes Tragédies.
Je croy qu’il est bon d’avertir icy, que bien qu’il y ait dans Esther des personnages d’hommes, ces personnages n’ont pas laissé d’estre représentez par des Filles avec toute la bienséance de leur sexe. La chose leur a esté d’autant plus aisée, qu’anciennement les habits des Persans & des Juifs estaient de longues robbes qui tombaient jusqu’à terre.
Je ne puis me résoudre à finir cette Préface, sans rendre à celui qui a fait la Musique la justice qui lui est due, & sans confesser franchement que ses chants ont fait un des plus grands agrémens de la Piece. Tous les connaisseurs demeurent d’accord que depuis long-temps on n’a point entendu d’airs plus touchans, ni plus convenables aux paroles. Quelques personnes ont trouvé la Musique du dernier Chœur un peu longue, quoyque tresbelle. Mais qu’aurait-on dit de ces jeunes Israëlites qui avaient tant fait de vœux à Dieu pour estre délivrées de l’horrible péril où elles estaient, si ce péril estant passé, elles lui en avaient rendu de médiocres actions de graces ? Elles auraient directement péché contre la loüable coûtume de leur Nation, où l’on ne recevait de Dieu aucun bienfait signalé, qu’on ne l’en remerciaist sur le champ par de fort longs cantiques : tesmoins ceux de Marie soeur de Moyse , de Débora , & de Judith, & tant d’autres dont l’Escriture est pleine. On dit même que les Juifs encore aujourd’hui célèbrent par de grandes actions de grâces le jour où leurs Ancestres furent délivrez par Esther de la cruauté d’Aman.
ASSUERUS, Roi de Perse.
ESTHER, Reine de Perse.
MARDOCHE’E,Oncle d’Esther.
AMAN, Favori d’Assüerus.
ZARES, Femme d’Aman.
YDASPE, Officier du Palais intérieur d’Assüerus.
ASAPH, Autre Officier d’Assüerus.
ELISE, Confidente d’Esther.
THAMAR, Israëlite de la suite d’Esther.
GARDES DU ROI ASSUERUS.
CHOEUR de jeunes Filles Israëlites.