Etudes forestières - Les Forêts de la Corse

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Etudes forestières - Les Forêts de la Corse
Revue des Deux Mondestome 51 (p. 353-380).
ÉTUDES FORESTIERES

LES FORÊTS DE LA CORSE.

De tous les départemens français, la Corse est celui qui a provoqué le plus de rapports officiels et d’études diverses, et il est peut-être le moins connu. Deux causes expliquent notre ignorance au sujet de la Corse : d’abord bien peu de ces documens ont été livrés à la publicité, et le nombre des voyageurs qui visitent l’ile est très restreint. Ce n’est pas d’ailleurs à de simples touristes qu’on peut demander des notions complètes sur un tel pays. Le parcours de l’intérieur est trop difficile et trop fatigant, le comfortable, une fois qu’on est sorti des villes, y fait trop absolument défaut pour qu’on puisse rien espérer de ceux qui ne voyagent que pour leur plaisir. C’est déjà beaucoup, à leurs yeux, de ne pas reculer devant une traversée de vingt-quatre heures pour voir une île qui, en somme, n’a rien de fort attrayant. Quant à y séjourner, ils n’y pensent même pas. Le plus souvent ils se contentent de débarquer à Ajaccio et de faire en diligence le trajet de cette ville à Bastia, où ils se rembarquent pour Livourne. Ils ont ainsi traversé la Corse en écharpe, d’un rivage à l’autre, surpris quelques traits de mœurs dans les villages situés sur la route, recueilli quelques renseignemens dans les auberges; c’en est assez pour avoir une idée du relief topographique, conserver dans un coin de leur mémoire un paysage qui les aura frappés, et emporter de cette course rapide une certaine impression vague où la peine tient autant de place que le plaisir.

Il en est cependant quelques-uns qui prennent les choses plus au sérieux, et qui, habitués à scruter les causes et les effets, tiennent à se rendre compte, autrement qu’en simples spectateurs, des scènes variées que les voyages déroulent devant eux. C’est ainsi que M. Blanqui, après avoir visité la Corse en 1838, a présenté à l’Académie des Sciences morales et politiques et ensuite publié, sur l’état économique et moral de cette île, un rapport qui, pour avoir vingt-cinq ans de date, n’en a pas moins conservé tout son à-propos. Aucun autre ouvrage ne met plus en lumière le contraste de la pauvreté des habitans avec les richesses naturelles qui les entourent, ne fait mieux saisir les causes d’une pareille situation, n’en signale les remèdes avec plus d’autorité. De temps à autre aussi, quelques Corses, désireux de voir enfin leur pays sortir de l’état d’infériorité où il se trouve, font appel par la publicité à l’opinion publique et à la sollicitude du gouvernement[1] ; mais c’est surtout aux documens officiels qu’il faut avoir recours, si l’on veut être exactement renseigné. Ces documens émanent d’ordinaire, les uns des fonctionnaires locaux qui, sentant l’impuissance de leurs efforts pour sauvegarder les premiers intérêts de la société, recherchent les moyens d’écarter les obstacles qu’ils rencontrent, les autres d’agens spéciaux, forestiers, ingénieurs de marine, etc., qui, envoyés en Corse pour étudier le pays au point de vue de leur service particulier, en énumèrent les ressources et indiquent le parti qu’on pourrait en tirer. Si la bonne volonté ne manque pas aux auteurs de ces rapports, on ne saurait toujours en approuver les tendances économiques. Ils ne se contentent point, pour la plupart, de demander que l’état veille à la sécurité, ouvre des routes, assainisse les marais; ils voudraient, ceux-ci, qu’il subventionnât certaines industries, ceux-là qu’il créât des fermes-écoles, quelques-uns même qu’il doublât la garnison, pour encourager la production agricole en accroissant le nombre des consommateurs. Au milieu de tous ces projets, l’exploitation des forêts a toujours tenu le premier rang, et c’est sur les richesses présumées qu’elles renferment qu’on a le plus souvent fait reposer le plan de la régénération de la Corse. Il semble, à entendre certains optimistes, que du jour où l’état voudra bien consentir à introduire la cognée dans ces massifs séculaires, le pays tout entier va se transformer, que l’aisance va se répandre par le travail au milieu des populations reconnaissantes, que des chantiers de construction vont s’établir dans tous les ports, et que du même coup le trésor public trouvera une source inépuisable de profits dans la vente des bois de l’île, qui jusqu’ici périssaient sur pied faute d’être exploités. Je voudrais, grâce à d’anciens souvenirs et à divers renseignemens que j’ai pu me procurer, donner ici une idée des forêts de la Corse, en faire connaître la difficile exploitation, montrer les résultats qu’on a déjà obtenus, et ceux qu’on peut en attendre encore; mais il faut avant tout dire un mot de la situation économique de cet étrange pays et des circonstances qui en ont jusqu’ici entravé le développement.


I.

Dans son ensemble, la Corse peut, ainsi que la Sardaigne, dont elle n’est séparée que par quelques kilomètres, être considérée comme la crête d’une chaîne de montagnes sous-marines dont les vallées sont recouvertes par les eaux, et dont les sommets les plus élevés surgissent seuls au-dessus des flots. Qu’on se figure le massif des Alpes transporté au milieu de la Méditerranée. L’île a la forme d’une ellipse dont le grand axe, dirigé du nord au sud, a, non compris l’appendice du Cap-Corse, environ 150 kilomètres de longueur. Sa superficie est de 8,747 kilomètres carrés. Dans un mémoire adressé en 1833 à la Société géologique, M. Jean Reynaud, qui était alors ingénieur des mines, signale dans la constitution de la Corse un double système de montagnes. La partie occidentale se compose d’une série de chaînes granitiques parallèles entre elles, se dirigeant du nord-est au sud-ouest, séparées par des vallées régulières peu étendues, et se terminant par des golfes profonds et d’un mouillage facile : tels sont les golfes de Porto, de Sagone, d’Ajaccio, de Valinco, etc. Les cours d’eau qui occupent le fond de ces vallées sont rapides et se rendent directement à la mer, presque sans recevoir aucun affluent. La partie orientale au contraire est une suite de chaînes irrégulières qui, allant du nord au sud, coupent transversalement le premier système, et forment par leur rencontre avec celui-ci une arête centrale comprenant les points les plus élevés de l’île. Le Monte-Doro (2,652 met.), le Monte-Rotondo (2,763 m.) et quelques autres se trouvent précisément sur cette ligne de séparation des deux systèmes. Dans la partie orientale, les vallées sont contournées et ramifiées, et les rivières qui recueillent les eaux des vallons latéraux ont un cours sinueux et un volume parfois considérable. Les montagnes, formées de schistes micacés et talqueux alternant avec des couches de grès, de calcaire et de serpentine, sont moins abruptes que les montagnes granitiques de l’ouest : elles s’abaissent peu à peu en s’approchant du rivage, et laissent entre elles et la mer une plaine de 10 kilomètres de large sur 80 kilomètres de long. Cette plaine, due à des alluvions anciennes, se prolonge sous les eaux avec une déclivité si faible, qu’à 50 mètres du rivage on trouve à peine 3 mètres de profondeur. Elle est marécageuse par places, mais extrêmement fertile, et quand elle aura été assainie, elle sera une véritable terre promise pour l’agriculture. Quant à la partie montagneuse, elle est naturellement plus aride, et les vallées seules semblent pouvoir être cultivées avec avantage.

Les flancs de ces montagnes renferment de grandes richesses minérales. Outre des mines de cuivre, qui paraissent devoir être très productives, on y rencontre le porphyre, le granité orbiculaire, tous deux très recherchés dans les arts; l’euphotide, appelé aussi vert de Corse (verde di Corsica), roche très dure, particulière à ce pays et susceptible d’un très beau poli; des marbres richement nuancés, dont l’exploitation commence à peine. Enfin on trouve de tous côtés des sources minérales très variées, dont la réputation ne s’est guère étendue jusqu’ici au-delà des limites de l’île.

Sous le rapport du climat, la Corse n’a rien à envier à l’Italie. Pendant les deux tiers de l’année, le soleil y brille de tout son éclat, sans qu’aucun nuage vienne jamais interrompre l’impitoyable monotonie d’un ciel toujours bleu. La température est tropicale pendant l’été sur les rivages que baignent les flots indolens de la Méditerranée; mais elle est supportable dans l’intérieur, où l’élévation corrige l’effet de la latitude. En hiver, il est rare qu’elle descende au-dessous de zéro, et on ne connaît guère la neige que dans les montagnes. Grâce à cette variété de climats, la Corse est propre à toute espèce de cultures. Si les oliviers, les chênes-lièges, les orangers, les citronniers, les cactus se montrent sur les côtes, les céréales, le maïs, la vigne, le châtaignier se rencontrent dans les régions tempérées de l’intérieur. Des maquis ou des forêts de plus maritimes et laricios tapissent les flancs des montagnes, dont les froides sommités sont occupées par des hêtres, des sapins et des bouleaux.

Voilà le contingent de la nature, ce qu’on pourrait appeler la mise de fonds de la Providence à l’égard de la Corse. Quel parti les habitans ont-ils su en tirer? A peu près aucun. Sans agriculture, sans industrie, sans commerce, ils sont affectés d’une pauvreté chronique dont ils se croient incapables de s’affranchir par eux-mêmes. Les rades naturelles, si merveilleusement distribuées, sont vides de bâtimens et de marins; les cours d’eau, au lieu de faire marcher des usines et d’irriguer des prairies, coulent inutiles et dangereux ; la terre se repose d’un travail qu’elle n’a pas fourni, et les hommes, drapés dans leur misère, usent en puériles querelles plus d’énergie qu’il ne leur en faudrait pour sortir de leur indigence. Aussi la population de la Corse n’est-elle que de 240,000 habitans, c’est-à-dire environ 27 par kilomètre carré, tandis que la moyenne générale de la France est de 70. Il n’est pas difficile de démêler les causes de cette situation. D’un côté, la configuration du pays se prêtant peu au travail agricole, les habitans ont demandé de préférence leurs moyens d’existence à l’industrie pastorale; de l’autre, exposés pendant des siècles aux invasions et aux pillages des peuples riverains de la Méditerranée, ils ont dû, pour se mettre à l’abri des coups de main, abandonner les plaines et les vallées et grouper leurs habitations sur le sommet des montagnes, comme des aires d’aigles sur le haut des rochers. Là, isolés du monde entier, sans communication avec leurs voisins, ils vivaient de leurs troupeaux, dont ils confiaient la garde à des hommes armés. Il était impossible que, dans ces petites agglomérations, des jalousies ne surgissent pas entre les familles, et que les haines, une fois allumées, ne se perpétuassent pas de génération en génération, alimentées par l’isolement, entretenues par des préjugés que rien ne venait combattre. De là l’origine de la vendetta et du banditisme, qui en fut la suite. Quand les Génois se rendirent maîtres de l’île, bien loin de cherchera calmer ces inimitiés, ils firent tout pour les entretenir et les multiplier. C’était pour eux un moyen de gouvernement; comme ils ne quittaient pas les côtes, ils maîtrisaient le pays en favorisant tantôt une faction, tantôt une autre.

A la dissolvante domination des Génois succéda de 1728 à 1769, époque de la réunion à la France, une période insurrectionnelle pendant laquelle la Corse a été livrée aux luttes intestines des partis, qui ne firent qu’empirer le mal, et il a de si profondes racines que, bien que près d’un siècle se soit écoulé depuis la réunion, les mœurs des habitans sont encore à peu de chose près ce qu’elles étaient alors. Insulaires, éloignés du courant général de la civilisation, ne recevant les idées du continent que par de rares intermédiaires, imbus de préjugés superstitieux qu’entretient un clergé ignorant et avide de domination, les Corses, surtout dans la cam pagne, ont conservé une partie des défauts de leurs ancêtres. Comme eux, ils détestent le travail qui les enrichirait; comme eux, ils briguent le pouvoir et l’influence que donnent les fonctions publiques; comme eux, ils sont prompts à la vengeance et impitoyables pour leurs ennemis. Le banditisme sans doute est à peu près détruit; mais, pour être plus dissimulées, les haines n’en sont pas moins tenaces, et si elles ne se traduisent plus qu’exceptionnellement par des assassinats, elles cherchent à se satisfaire par des moyens qui ne sont guère plus avouables[2]. Les Corses sont peu expansifs. Repliés sur eux-mêmes, peu confians dans l’empire de la justice, ils vivent les uns vis-à-vis des autres dans un état continuel de contrainte qui empêche toute manifestation spontanée. C’est sans doute à ce caractère soupçonneux et inquiet qu’il faut attribuer leur peu de goût pour les arts. Tandis que l’Italie a produit, ainsi que le fait justement remarquer M. Blanqui, les chefs-d’œuvre de la poésie et de l’éloquence, les merveilles de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, de la musique, la Corse n’a pas donné le jour à un seul poète connu, à un seul peintre, à un seul musicien. Et cependant la langue qu’on y parle est celle de Dante, le soleil qui l’éclairé est celui de Raphaël et de Michel-Ange. Ses grands hommes à elle, les seuls qui vivent dans la mémoire du peuple, sont les Sampiero, les Gaffori, les Paoli, qui, pour une cause ou pour une autre, l’ont arrosée de sang et ravagée du nord au midi. Je ne parle pas de Napoléon, qui a quitté son pays dès l’enfance, et dont l’histoire en est absolument indépendante.

Maintenant que l’on connaît dans ses traits principaux la situation morale de la Corse, il sera facile d’en saisir la situation matérielle. Presque tous les villages sont perchés sur les hauteurs. Les maisons en pierres sèches, à peine cimentées entre elles, n’ont le plus souvent qu’un simple rez-de-chaussée et parfois même qu’une seule pièce, dans laquelle, sur la terre nue, grouillent pêle-mêle hommes, femmes, enfans et pourceaux. Quand on pénètre dans ces intérieurs, une fumée épaisse, qui n’a d’autre issue que la porte et des trous sans vitres servant de fenêtres, vous prend à la gorge, et, jointe aux odeurs nauséabondes d’une cuisine équivoque, achève de vous soulever le cœur. Éparpillées sans ordre autour d’une église délabrée, ces tristes masures sont entourées d’immondices que personne ne se donne la peine d’enlever, et qui font de quelques villages corses de véritables cloaques. C’est là que, réunis par groupes, couchés au soleil, parfois sans parler pendant des heures entières, les hommes passent la vie à fumer leur pipe ou à méditer quelque nouvelle intrigue contre leurs ennemis. Avec leur longue barbe, leur veste brune en drap non tondu, leur bonnet de coton rouge, ils ont un aspect étrange et peu rassurant. Il leur en coûterait bien peu de nettoyer leurs maisons et leurs rues; mais l’habitude leur a fait perdre la conscience de leur malpropreté, et a presque détruit chez eux l’esprit d’initiative. Jamais l’idée ne leur viendrait d’associer leurs efforts pour déblayer une route ou pour exécuter le moindre travail d’utilité générale. Dans beaucoup de villages il n’y a pas d’autre cimetière qu’une fosse commune où l’on jette pêle-mêle, sans même les mettre dans un cercueil, les cadavres qui empoisonnent l’atmosphère de leurs émanations putrides. A Ajaccio même, l’eau est insuffisante pour les soins de la propreté la plus vulgaire; je ne crois pas qu’il y existe un seul établissement de bains.

Les châtaigniers sont pour ces populations désœuvrées une véritable providence, non seulement par les fruits qu’ils produisent et qui sont la base de leur nourriture, mais encore parce que, plantés autour des villages, ils les abritent de leur épais feuillage et leur donnent de l’ombre et de la fraîcheur. Ils sont si bien considérés comme un capital, qu’on évalue la richesse des familles au nombre de châtaigniers qu’elles possèdent, et qu’il n’est pas rare de voir figurer un ou plusieurs de ces arbres dans les contrats de mariage à titre d’apport. Les oliviers sont également pour la Corse une ressource importante; mais comme on ne prend la peine ni de les greffer ni de les tailler, comme on attend, pour récolter les fruits, que la maturité les ait fait naturellement tomber, l’huile qu’on en tire est d’assez mauvaise qualité. Dans la Balagne cependant, c’est-à-dire dans la partie septentrionale de l’île, comprise entre Bastia et Calvi, la culture de l’olivier est mieux entendue, et donne lieu à un commerce d’exportation assez considérable. La production totale est évaluée à 150,000 hectolitres. Si l’on excepte Talane dans l’arrondissement de Sartène, c’est aussi la Balagne qui produit les meilleurs vins, dont quelques-uns pourraient lutter sans désavantage avec ceux d’Espagne. Malheureusement les caves manquent, et les procédés de fabrication laissent tellement à désirer, que des négocians génois trouvent leur profit à venir en Corse acheter les raisins et à fabriquer le vin chez eux plutôt que de le prendre dans le pays. On estime à 300,000 hectolitres la production annuelle. Une autre culture plus lucrative encore, mais reléguée jusqu’ici aux alentours du Cap-Corse, est celle du cédratier, qui donne un revenu de 5 à 6,000 francs par hectare. Dans les environs des villes, la culture maraîchère commence à se développer depuis quelques années, grâce à la présence d’un certain nombre de fonctionnaires continentaux qui tiennent à avoir des fruits et des légumes. C’est même un spectacle assez curieux les jours de marché que de voir les paysans du voisinage apporter leurs provisions. Ils sont ordinairement par groupes de dix ou douze à cheval, ayant tous une veste en drap corse, un bonnet phrygien sur la tête, une courge évidée et servant de gourde sur le dos, puis un sac de cuir, renfermant leurs provisions, en bandoulière. Récemment encore, la cartouchière et le fusil complétaient cet équipement. Chacun d’eux est accompagné de deux ou trois mulets portant les denrées qu’il vient offrir : ce sont des oignons, des pastèques ou quelques autres légumes, des fromages de chèvre ou de mouton (bruccio), du vin dans des outres, de l’huile dans des sacs de peau, ou même quelques bûches de bois de chauffage péniblement retenues par une corde, et qui suivent dans leurs balancemens réguliers les mouvemens paisibles de l’animal. Les femmes, souvent chargées elles-mêmes, accompagnent à pied leurs seigneurs et maîtres qui se prélassent sur leur monture; ce n’est que le soir, au retour, qu’il leur est permis de monter sur une des bêtes déchargées de leur fardeau.

Dès qu’on s’éloigne des villes, on s’aperçoit que l’agriculture de la Corse est tout à fait dans l’enfance. Le défaut de routes empêchant le transport des produits, chaque habitant ne cultive que ce qui est nécessaire à sa propre consommation, et il restreint celle-ci tant qu’il peut, puisque, ne voulant pas travailler lui-même, il est obligé de recourir à des ouvriers lucquois qu’il lui faut payer. Aussi le système de culture est-il des plus simples. Il consiste à mettre le feu au maquis, à remuer le sol avec l’ancien araire des Romains, et à semer dans les cendres de l’orge et de l’avoine. Comme les jungles de l’Inde, le maquis constitue la végétation spontanée du pays; il se compose d’arbrisseaux ligneux, tels que bruyères, lauriers, myrtes, lentisques, alaternes, cistes, etc., qui forment des fourrés impénétrables de 8 ou 10 mètres de hauteur; il fournit par la combustion une certaine quantité d’élémens fertilisans qui permettent de demander au même sol deux ou trois récoltes, sans lui donner aucun engrais. Lorsqu’il est épuisé, on abandonne une place que le maquis ne tarde pas à envahir de nouveau, et l’on recommence un peu plus loin la même opération.

L’éducation du bétail est fort négligée et repose sur la vaine pâture. La race bovine, qui, faute d’étables et de fourrages, vit en plein air et ne se nourrit que de plantes sauvages, est petite et ne produit pas de lait. Elle est d’ailleurs si peu nombreuse qu’on trouve de l’avantage à faire venir de Sardaigne les bœufs nécessaires à la consommation locale. Le mouton et la chèvre donnent plus de profits parce qu’ils se contentent de la nourriture peu substantielle qu’ils rencontrent dans les maquis et les forêts. Leur lait fournit un fromage assez estimé dans le pays, mais qui n’est pas du goût de tout le monde. Les chevaux, également très petits, robustes et sobres, ont quelque analogie avec les chevaux arabes; comme eux, ils sont pleins de feu; comme eux, ils ont le pied assez sûr pour escalader sans broncher les passages les plus périlleux. C’est la race de montagne par excellence. L’élève de ces animaux, qui pourrait être très profitable, est malheureusement peu répandue et concentrée sur quelques points seulement.

Des tentatives sérieuses ont été faites pour introduire en Corse des procédés de culture moins rudimentaires : c’est la magnifique plaine qui s’étend au sud de Bastia, le long du rivage oriental, qui en a surtout été l’objet. Une compagnie financière puissante s’était constituée pour livrer à l’exploitation le vaste domaine du Migliacciaro, qui ne comprenait pas moins de 16,000 hectares de terres d’alluvion : elle dépensa en bâtimens, en bestiaux, en instrumens perfectionnés, des sommes considérables; mais dès les premières années elle dut renoncer à ses vastes projets. Je ne sais ce qu’elle est devenue depuis; mais lorsque je visitai cette ferme en 1851, elle était telle encore que M. Blanqui l’avait trouvée en 1838 : les bâtimens tombaient en ruine, les charrues traînaient inutiles dans les cours, les écuries ne renfermaient plus un cheval, les étables plus une vache. Sans parler des divers incidens judiciaires qui ont pu entraver cette entreprise, il est évident qu’elle ne pouvait réussir dans les conditions où elle était placée. La culture perfectionnée, ayant pour objet de demander à la terre la plus grande somme de produits possible, réclame une quantité considérable de travail et de capital; elle trouve donc son application dans les pays riches où le prix de la terre est relativement élevé, mais où la main-d’œuvre est abondante et le capital à bon marché. Or en Corse c’est précisément le contraire. De ces trois élémens de production, c’est la terre qui coûte le moins cher, et qui par conséquent a le moins besoin d’être ménagée. Il en résulte qu’une culture extensive doit, toutes choses égales d’ailleurs, donner plus de bénéfices que toute autre; mais jusqu’à l’époque où les connaissances économiques seront plus répandues, il faut s’attendre encore à bien des déceptions du même genre.

Deux autres obstacles s’opposaient en outre au succès de ces entreprises agricoles, c’était l’insalubrité de cette région et la vaine pâture. La déclivité de la plaine étant presque insensible, les eaux ne s’écoulent que difficilement. Les embouchures des rivières, obstruées par les terres enlevées de la montagne, forment le long du littoral des marais qui dégagent durant l’été des miasmes délétères, et qui promènent la fièvre et la mort sur toute la contrée. Il faut fuir devant le fléau et gagner au plus vite la montagne, car les constitutions même les plus robustes ne lui résistent pas. Le dessèchement des marais, dont on s’occupe avec sollicitude, ne suffira point à lui seul pour assainir la plaine. Comme dans toutes les terres vierges livrées à la culture, les débris végétaux longtemps accumulés laissent échapper, par chaque nouveau sillon, des émanations méphitiques qui rendront quelques années encore ce séjour insalubre.

Toutefois l’obstacle le plus sérieux peut-être qui ait entravé en Corse les progrès du travail agricole, c’est la vaine pâture. Chaque paysan possède quelques têtes de bétail, vaches, chèvres ou moutons. N’ayant ni étables ni fourrage, il en confie la garde à des bergers nomades qui se chargent de les nourrir moyennant l’abandon des petits. Pendant l’été, ces troupeaux errent dans la montagne, paissent dans les maquis communaux, et trop souvent s’aventurent jusque dans les forêts qu’ils ravagent. Chassés par la neige pendant l’hiver, ils descendent dans les plaines et les vallées, où ils vivent de tout ce qu’ils trouvent, sans respecter ni les terres cultivées, ni les murs en pierres sèches qui leur servent de clôture. Il faut voir ces bergers, au moment de leurs migrations bisannuelles, campés sur leurs petits chevaux, entourés de chiens au poil hérissé, conduisant leurs troupeaux de moutons noirs ou de vaches à demi sauvages qui courent à travers les rues en poussant d’interminables mugissemens. Comme ils ont l’air de mépriser tous ceux qui vivent sous des toits! Ignorans, maîtres d’une partie de la fortune des habitans, redoutés de tous, sans respect pour la propriété, incendiant les forêts pour avoir de l’herbe, prompts à tuer qui les gêne et prendre le maquis[3], ce qui ne change rien à leur genre de vie, ils se considèrent comme les seigneurs du pays et forcent tout le monde à compter avec eux. Les conseils municipaux ne résistent point à leurs exigences, et jusqu’à ces derniers temps les tribunaux mêmes se montraient pour eux pleins d’indulgence. Que devenait l’agriculture quand la sécurité la plus vulgaire faisait défaut, quand on ne pouvait ni semer, ni bâtir, ni même habiter la campagne sans être de temps à autre rançonné par les bandits, ni voir ses champs dévastés par les bergers ?

L’industrie n’est malheureusement guère plus prospère. Deux établissemens métallurgiques, l’un aux environs de Bastia, l’autre à Toga, quelques pressoirs d’huile dans la Balagne, une scierie de marbre aux environs de Corte[4], quelques métiers à tisser la laine des moutons et produisant une étoffe grossière, à longs poils, connue sous le nom de drap corse, voilà pour le moment la seule manifestation du mouvement industriel. On ne rencontre ni usines, ni fabriques, ni magnaneries. Dans les villes même, il n’y a que fort peu d’artisans, et la plupart des objets usuels viennent du continent; ils sont achetés à la foire de Beaucaire par des marchands qui, ignorant le principe de la division du travail, tiennent magasin des articles les plus divers, depuis le tabac et les allumettes jusqu’aux outils et aux serrures, depuis les fers à cheval jusqu’aux modes et aux chapeaux.

La première cause de cette absence d’industrie est d’abord l’aversion des Corses pour le travail. Comment pourrait-on leur demander de se livrer à un travail de manufacture, quand ils refusent de s’adonner même à celui de la terre? C’est, on l’a vu, à des ouvriers lucquois qu’ils ont recours pour semer et moissonner leurs champs. Chaque année, en automne, ceux-ci arrivent en Corse au nombre de huit ou dix mille. Ce sont eux qui défrichent les maquis, exploitent les forêts, entretiennent les routes, bâtissent les maisons, et, grâce à leur excessive sobriété, ils s’en retournent chez eux au printemps suivant, emportant chacun 200 ou 300 francs, et enlevant ainsi au pays une somme annuelle de 2 ou 3 millions, qui est perdue pour lui sans compensation aucune.

Le second obstacle au développement industriel de la Corse est l’absence de voies de communication. Les villages, situés sur les hauteurs, ne sont reliés entre eux que par des sentiers abrupts, le plus souvent taillés dans le roc et pouvant à peine livrer passage à une bête de somme complètement chargée. Ils sont rarement pourvus de ponts, et quand on rencontre un torrent, c’est à gué qu’il faut le traverser, si la hauteur des eaux le permet. Ce sont, on le voit, des conditions peu favorables à l’échange des produits. Pendant longtemps, il n’a pour ainsi dire existé en Corse qu’une seule route qui fût digne de ce nom, celle d’Ajaccio à Bastia; plus récemment on a construit la route de ceinture, qui, faisant le tour de l’île en longeant le rivage, met les vallées en communication avec les ports d’embarquement; malheureusement, lorsque les cours d’eau qu’elle rencontre sont grossis par les pluies, ils emportent les ponts et interrompent toute circulation.

La première au contraire traverse l’île en écharpe, d’un rivage à l’autre, escaladant la chaîne centrale en un des points les plus élevés. Elle est longue de 152 kilomètres, et le parcours en est très pittoresque. A partir d’Ajaccio, elle monte lentement, en suivant les sinuosités d’une vallée au fond de laquelle coule le Gravone, et dont les flancs dénudés ne présentent aucune trace de culture ni d’habitation. Quelques maquis se montrent çà et là, parsemant de taches vertes la roche grisâtre. Une forêt de plus laricios couronne le sommet, et s’étend sur les deux versans de la chaîne. Le col qui livre passage à la route, situé à 1,300 mètres au-dessus du niveau de la mer, est, pendant l’hiver, parfois si encombré par la neige, que le service de la voiture publique est interrompu, et qu’il faut ouvrir une tranchée de plusieurs mètres de hauteur pour permettre à un homme à cheval de transporter les dépêches. Un petit fort, habité par un sergent et une vingtaine d’hommes, sert de refuge aux voyageurs en attendant que le passage soit libre. Comme dans les Alpes, des poteaux de 4 à 5 mètres de haut leur indiquent la direction de la route et les empêchent de s’égarer dans les neiges. Le versant oriental présente un aspect moins triste que l’autre; l’horizon en est moins borné, les vallées plus ouvertes, les montagnes moins abruptes et moins désolées ; les hommes eux-mêmes ont une physionomie moins farouche. Avant d’arriver à Bastia, la route traverse une plaine cultivée, et les jardins qui entourent cette ville rappellent les pays civilisés[5].

Si les obstacles matériels ont arrêté l’essor de l’industrie, la législation douanière n’était pas de nature à lui donner la moindre impulsion. La Corse en effet est soumise à un tarif spécial, et la plus grande partie de ses produits fabriqués sont, à leur entrée en France, assimilés à des produits étrangers et traités comme tels. Les produits naturels ou agricoles y sont, il est vrai, presque tous admis en franchise; mais n’est-il pas au moins étrange de voir nos fabricans de drap de Sedan et d’Elbeuf se protéger par la prohibition contre la concurrence des paysans du Niolo? Quels progrès un pays peut-il faire quand on commence par lui enlever tout débouché? On répondra sans doute que la Corse trouve une compensation dans la modération des droits qui pèsent sur les produits étrangers importés dans l’île, et qui sont bien inférieurs à ceux qu’on perçoit sur le continent; mais cet avantage est presque illusoire, puisque le commerce qu’elle fait avec les pays limitrophes est loin d’avoir l’importance de celui qu’elle pourrait faire avec la mère-patrie, si ses produits y entraient librement. Si on ne veut pas assimiler la Corse à un département français, il faudrait au moins, pour être logique, l’affranchir de tous droits, et lui donner en matière commerciale une liberté absolue; mais le système de demi-mesures aujourd’hui en vigueur ne peut présenter que des inconvéniens. Nous retrouvons ici un de ces cercles vicieux dont notre législation coloniale nous offrait tant d’exemples. D’un côté, on voyait la mère-patrie faire des sacrifices considérables pour défend et administrer ses colonies, et de l’autre leur appliquer un régime douanier dont l’effet le plus clair était d’y anéantir toute industrie, d’y ruiner toute entreprise. D’après le tableau publié par l’administration des douanes, le commerce de la Corse avec l’étranger s’est élevé en 1862 à 4,380,000 fr. pour les exportations et à 5,610,000 fr. pour les importations. Quant à son commerce avec la France, il n’est pas indiqué dans la publication officielle, mais il est hors de doute que les importations dépassent de beaucoup les exportations. L’explication de cette anomalie est fort simple. La Corse rapporte annuellement au trésor public, par les impôts, les douanes, les exploitations de forêts, etc., environ 2,500,000 fr. Par contre, elle lui coûte de 7 à 8 millions pour travaux de routes, frais d’administration, solde de troupes, etc. Il faut donc que la France lui envoie, pour payer ces dépenses, environ 5 millions de numéraire par an[6]. Une partie de cette somme passe en Italie dans la poche des Lucquois, et le surplus retourne en France pour payer l’excédant des importations sur les exportations, car ce sont les militaires, les fonctionnaires, les ouvriers vivant en Corse de leur traitement et de leur salaire, qui consomment les produits expédiés du continent. Quant à l’île proprement dite, elle ne profite que fort peu des sommes qui s’y dépensent et ne s’enrichit pas des sacrifices qu’elle nous impose[7]. On a dit et répété souvent que les forêts rembourseraient quelque jour toutes ces avances, et que, tout en assurant le bien-être des habitans, elles deviendraient une source importante de revenue pour le trésor. Voyons donc ce qu’on peut en espérer.


II.

Les principales essences qui peuplent les forêts de la Corse sont le pin laricio, le pin maritime, le sapin, le chêne vert, le chêne blanc, le hêtre, l’érable, le bouleau, etc. Elles sont distribuées d’une manière à peu près uniforme, chacune d’elles restant confinée dans les régions qui lui conviennent le mieux. Quand du fond de la vallée, où roule au milieu des roches un torrent en délire, on s’élève vers le sommet, on rencontre d’abord les plus maritimes et les plus laricios, les premiers sur le versant méridional, les seconds sur la pente exposée au nord; ils forment des massifs tantôt purs, tantôt mélangés de chênes verts et de chênes-lièges. Au-dessus des pins se montrent les hêtres, puis viennent les sapins et les bouleaux, seuls arbres qui puissent supporter la froide température des grandes hauteurs et résister aux neiges qui les couvrent pendant l’hiver. Au-delà, on n’aperçoit plus que quelques arbrisseaux, tels que l’aulne rampant et le genévrier des Alpes, qui eux-mêmes cèdent bientôt la place aux simples graminées. La crête est le plus souvent couronnée par la roche nue, dont la teinte d’un brun grisâtre reste terne même sous les feux d’un soleil presque perpendiculaire. Quand d’un point élevé vous promenez votre regard sur le paysage qui vous entoure, vous n’apercevez ni les vallées au fond desquelles gronde le torrent, ni les forêts qui en tapissent les flancs; aucune échappée ne réjouit votre œil arrêté par un horizon de rochers tachetés çà et là de noirs maquis. Et quand avec cela le ciel sans nuages déploie sur votre tête son implacable azur, vous vous sentez envahi par une tristesse invincible. Dans la partie orientale cependant, le paysage est moins désolé; la roche s’y colore parfois de teintes rosées, l’horizon s’élargit et laisse apercevoir dans le lointain la mer qui baigne les rivages de l’Ausonie, Ausonia tellus.

Les forêts ne sont peuplées que d’un très petit nombre d’animaux sauvages. Le loup y fait absolument défaut, car l’île est trop petite pour ses jarrets infatigables. Faisant soixante ou quatre-vingts lieues d’une seule traite, il n’est à l’aise que quand il a devant lui des espaces sans limites, et ne saurait se contenter d’un domaine dont il pourrait faire le tour en une seule nuit. En revanche, on rencontre quelques renards. Les herbivores ne sont guère représentés que par le lièvre et le moufflon. Le premier ne diffère en rien de celui de nos pays. Quant au second, il est particulier à la Corse, et serait, au dire de nos naturalistes, la souche-mère du mouton domestique. Cette hypothèse toutefois me paraît très discutable; on ne peut guère admettre en effet que le mouton, qui était connu en Asie dès les temps les plus reculés, puisse descendre d’un animal qui n’existe plus aujourd’hui qu’en Corse et dans quelques îles voisines. Le moufflon d’ailleurs est extrêmement sauvage, et il est peu probable que nos ancêtres aient réussi à l’apprivoiser, alors que toutes les tentatives faites de nos jours ont absolument échoué. Il est à peu près de la taille de nos chevreuils; il a le pelage fauve mêlé de poils noirs et deux cornes grosses, ridées et courbées en arrière, qui garantissent la tête lorsqu’il se précipite du haut des rochers. Les mouillons vivent sur les sommets les plus élevés et se laissent très difficilement approcher. C’est pendant l’hiver seulement que, chassés par la neige, ils se décident à descendre dans les vallées et à chercher leur nourriture dans des lieux moins inaccessibles que ceux où ils se tiennent d’habitude, et c’est le moment qu’on choisit pour les tuer en se plaçant à l’affût sur leur passage. Les sangliers sont assez abondans; grâce aux maquis où ils s’abritent, ils s’approchent souvent des villages et s’accouplent fréquemment avec les animaux de leur espèce qui vaguent aux environs.

Le gibier à plumes est représenté par la caille, la perdrix et le merle. Ce dernier, qu’on considère généralement comme inférieur à la grive, se nourrit en Corse de baies de myrte, et acquiert par là une chair succulente qui donne un démenti au dicton populaire. Outre le sanglier et le renard, l’île ne renferme d’autres animaux nuisibles que le scorpion et une araignée connue sous le nom de malmignate. La piqûre du premier est peu dangereuse, mais celle de la malmignate entraîne la mort quand on ne parvient pas à rétablir promptement la circulation du sang, interrompue par l’action du venin.

Des diverses essences qui composent les forêts de la Corse, la plus précieuse est sans contredit le pin laricio. Particulier à cette île, il a été considéré parfois comme une variété du pin sylvestre, dont il rappelle l’aspect général, et sur lequel il est susceptible d’être greffé; mais tous les botanistes s’accordent aujourd’hui à voir en lui une espèce bien caractérisée. Il a une croissance rapide et un tempérament robuste. Il se plaît de préférence aux expositions du nord et de l’est et à l’altitude de 1,000 ou 1,200 mètres. Ses belles dimensions, la régularité de sa tige, la finesse et l’homogénéité de son grain, ont de tout temps attiré sur lui l’attention de la marine, qui à diverses époques, notamment de 1812 à 1822, l’a employé dans ses constructions. Tous les ingénieurs qui ont été envoyés en Corse pour étudier les ressources que les forêts peuvent y présenter reconnaissent les qualités du pin laricio et le jugent très propre à la mâture, bien que quelques-uns donnent la préférence au pin de Riga, comme étant plus léger, moins chargé de résine et surtout moins pourvu d’aubier. Toujours est-il que les difficultés qu’on a rencontrées jusqu’ici dans l’exploitation des forêts de la Corse ont empêché la marine de s’y approvisionner d’une manière régulière. Le pin laricio, débité en planches et en madriers, peut également être utilisé comme bois de charpente et employé aux mêmes usages que le pin sylvestre ordinaire ; mais il ne me paraît pas qu’on doive chercher à le substituer à ce dernier, comme on a essayé de le faire sur quelques points de la France, car la proportion de l’écorce et de l’aubier y est si considérable dans ses jeunes années, que, pour avoir des pièces de certaines dimensions, il faut le laisser sur pied jusqu’à un âge très avancé, ce qui en rend la culture peu avantageuse.

Le pin maritime est loin d’avoir la même valeur que son congénère. Quoique ayant un port régulier et atteignant d’assez grandes dimensions, il n’est pas employé dans la marine, ni même recherché pour les constructions civiles. D’une croissance rapide, il produit un bois mou et sans ténacité qui ne donne que des planches de seconde qualité et de la charpente de rebut. Depuis quelques années, on l’emploie avantageusement, après l’avoir injecté de sulfate de cuivre, pour la confection des poteaux télégraphiques ; mais le meilleur parti qu’on puisse en tirer est la fabrication de la résine, dont on a pu lire dans la Revue une intéressante description[8]. Cette industrie, récemment introduite en Corse, y prendra sans doute un certain développement, et contribuera à donner quelque valeur à une essence qui couvre une étendue considérable du pays.

Le chêne vert se rencontre tantôt mélangé avec les deux essences dont je viens de parler, tantôt à l’état pur, et formant parfois des massifs importans. Avec sa feuille petite, ovale, persistante, d’un vert sombre, il ressemble plus à l’olivier qu’au chêne de nos contrées, et n’étaient les glands qu’il produit, on ne s’expliquerait pas la place qu’il occupe dans la classification des botanistes. Le chêne vert croît très lentement et n’arrive jamais à une grande hauteur ; il donne un bois très dense, propre au charronnage et remarquable par la finesse et l’homogénéité de son grain. Ce bois se conserve très bien dans l’eau et fournit d’excellens pilotis ; quoiqu’il prenne bien le poli, il ne semble pas propre à être employé dans l’ébénisterie à cause d’une disposition fâcheuse à se fendre. En revanche, il est très recherché pour le chauffage; il brûle lentement, en donnant une flamme claire et en dégageant beaucoup de chaleur. Les chênes blancs, les hêtres, les sapins, et les autres essences que renferment encore les forêts de la Corse, ne diffèrent en rien de leurs congénères du continent. Le hêtre occupe de vastes surfaces; mais, bien qu’il se plie aux usages les plus divers, il ne sert jusqu’ici à alimenter aucune industrie.

Les forêts couvraient jadis la plus grande partie de l’île; elles descendaient des montagnes, tapissaient les vallées et déroulaient jusqu’aux rivages leur océan de verdure. Tous les anciens auteurs, tous les mémoires officiels depuis le XVIe siècle, parlent de la beauté de ces forêts et des inépuisables ressources qu’elles présentent; mais ils constatent en même temps, à mesure qu’on se rapproche de notre époque, les ravages dont elles deviennent l’objet. Ce sont d’abord les Génois, qui, pendant leur domination, abattent les arbres qu’ils trouvent à leur portée et détruisent les forêts de la plaine; ce sont ensuite les paysans, qui les défrichent autour de leurs villages; ce sont enfin les bergers, qui livrent à la dent de leurs troupeaux et aux incendies des massifs entiers, et qui maintenant encore continuent leur œuvre de dévastation. D’après tous les documens historiques, retrouvés dans les archives de Gênes par M. Béhic, aujourd’hui ministre de l’agriculture et du commerce, chargé en 1843 d’une enquête sur la situation forestière de la Corse, les grandes masses boisées de l’île ont toujours appartenu au domaine public; mais si l’état était propriétaire du fond, les habitans avaient la jouissance de la superficie. De tout temps ils avaient envoyé paître leurs troupeaux dans les forêts et y avaient puisé à volonté les bois nécessaires à la construction de leurs maisons; ils ne s’étaient jamais laissé imposer aucune restriction à cette jouissance sans frein, qui cependant n’était appuyée sur aucun titre authentique. Ils la confondaient si bien avec le droit de propriété, que bien souvent, surtout pendant la période insurrectionnelle, ils s’emparèrent des forêts, les défrichèrent, y plantèrent des châtaigniers, sans supposer que cela pût jamais donner lieu à la moindre contestation. Malgré de nombreux jugemens et arrêts, tous conformes aux prétentions de l’état, ils n’en continuèrent pas moins à revendiquer sans cesse le droit de parcours illimité et à crier à la spoliation chaque fois qu’on en voulait régler l’exercice. Cet usage, si pernicieux pour les forêts, l’est plus encore en Corse que partout ailleurs à raison des circonstances qui l’accompagnent. Le dommage ne s’y borne pas à celui que fait la dent du bétail, qui broute les jeunes arbres et détruit l’avenir; il est en outre bien aggravé par les abus que commettent les bergers eux-mêmes. Quand ils s’installent sur un point, ils commencent par abattre les arbres dont ils ont besoin pour construire leurs cabanes; puis ils allument du feu au pied d’un pin pour en creuser la tige en forme de cheminée, et y accrochent leur marmite à faire bouillir le lait; parfois ils mettent le feu à la forêt, afin d’avoir l’année suivante un peu plus d’herbe. Ces incendies, qui s’étendent souvent sur des espaces considérables et durent plusieurs semaines, sont très fréquens, et il n’est personne qui, ayant séjourné en Corse pendant l’été, n’ait vu plusieurs fois le soir l’horizon éclairé d’une lueur sinistre[9]. La flamme cependant ne dévore pas tout sur son passage : en général, elle ne brûle que les arbres les plus jeunes et les moins vigoureux, ainsi que les bruyères et autres arbustes; mais elle lèche sans les entamer, grâce à l’épaisseur de l’écorce, les plus d’une certaine dimension. C’est par le sol et les plantes qui le couvrent, et non par les branches, que l’incendie se propage, en sorte que, pour l’éteindre, il faut le circonscrire en retournant la terre à la pioche. On y arrive facilement quand le temps est calme; mais pour peu que le vent soit intense, les efforts des gardes forestiers et des troupes qu’on requiert sont impuissans; il faut attendre alors que le fléau s’éteigne faute d’alimens, ou que, poussé par le vent contre une barrière de rochers, il expire au pied sans pouvoir la franchir. Quant aux habitans, on ne doit pas compter sur leur aide ; ils regardent brûler les forêts avec une stupide indifférence, ne se doutant guère que chaque hectare détruit rend leur pays de moins en moins habitable[10]. C’est cependant un résultat qu’on peut dès aujourd’hui constater sur plusieurs points, et surtout dans le Niolo. La vallée qu’on désigne sous ce nom, située vers le centre de l’île et comprise entre deux rameaux élevés de la chaîne principale, est devenue une véritable Arabie-Pétrée. Les montagnes, jadis boisées, sont maintenant dépouillées de toute végétation ; le sol, calciné par le soleil, est enlevé par les pluies et entraîné vers la mer. Les cours d’eau, à sec pendant l’été, sont des torrens furieux pendant l’hiver, et les habitans, ne trouvant plus à cultiver la terre ni à nourrir leurs troupeaux, vont chercher leur subsistance ailleurs. On ne sait comment expliquer cette rage de destruction, qui paraît commune à tous les peuples du midi. Nulle part cependant la présence des forêts n’est plus nécessaire : non-seulement elles donnent une ombre salutaire qui tempère les ardeurs du soleil, mais elles entretiennent les sources, si précieuses pour l’agriculture. Si déboisée que soit la Corse, elle l’est peut-être moins encore que les autres pays riverains de la Méditerranée. La Sicile, Malte, la Grèce, les îles de l’Archipel, chantées par les poètes, autrefois séjours des dieux, ne sont plus que des rochers stériles, que les hommes même ne veulent plus habiter.

Attaquées par le fer, par le feu, par la dent du bétail, les forêts de la Corse ont à peu près disparu de la plaine, et n’occupent plus aujourd’hui que les vallées les plus reculées et les sommets les plus élevés, ce qui en rend la surveillance fort difficile et l’exploitation parfois impossible. De toutes celles que j’ai visitées, celle d’Asco est certainement la moins accessible. Située au fond d’une gorge étroite de 8 kilomètres de longueur et débouchant dans la vallée du Niolo, elle occupe un entonnoir formé par deux des plus hautes montagnes de l’île, le Monte-Cinto et le Monte-Padro. Le seul chemin pour y arriver est un sentier à mulets, bordé d’un côté par un torrent qui gronde au fond de l’abîme, de l’autre par une muraille de rochers dans laquelle il est parfois taillé en escalier. Au milieu de cette gorge, presque sans communication avec le reste du monde, se trouve le village d’Asco, dont les habitans ont conservé la sauvagerie et la défiance de leurs ancêtres, qui, à l’époque de la conquête romaine, avaient trouvé dans ces rochers une retraite inviolable. Ils s’étaient toujours considérés comme les maîtres absolus de la forêt, et n’avaient jamais souffert qu’on apportât à leur jouissance la moindre entrave. Leur fallait-il une planche, une pelle, un manche d’outil, ils abattaient un pin, y découpaient le bois nécessaire et laissaient le reste pourrir sur le sol. Quant aux troupeaux, ils les y avaient installés en permanence et auraient repoussé à coups de fusil quiconque aurait essayé de les en chasser. La forêt cependant appartenait à l’état, qui avait préposé deux gardes à sa surveillance; mais c’était peine inutile. Les habitans avaient bien permis à ces gardes de s’installer dans leur village et d’y manger leur traitement, mais ils leur avaient signifié de n’avoir jamais à mettre le pied en forêt, et ceux-ci se conformaient scrupuleusement à ces injonctions. Lorsqu’il leur fallut m’y accompagner, ils ne trouvèrent rien de mieux, pour ne pas nous exposer à quelque mauvais parti, que de nous mettre sous la protection d’un bandit du voisinage qui tenait lui-même tout le village en respect. Je dois ajouter que personnellement je n’eus qu’à me louer de ce singulier compagnon de voyage. Je passai sous sa protection la nuit en pleine forêt, couché près d’un feu qu’il avait allumé, la selle de mon cheval me servant d’oreiller. Toujours aux aguets, comme un homme dont la vie est sans cesse menacée, il ne quittait pas son fusil, et quand quelque bruit lointain arrivait jusqu’à nous, je le voyais se lever précipitamment, et, le doigt sur la gâchette, se tenir prêt à faire feu sur quiconque serait venu nous déranger. Il ne fut heureusement pas obligé d’en venir à cette extrémité, et, grâce à lui, je pus accomplir ma mission sans être inquiété.

Cependant le gouvernement ne pouvait assister en spectateur indifférent à la ruine des forêts de la Corse, que tout lui faisait un devoir de mettre en valeur. Une délimitation générale, opérée de 1833 à 1839, avait porté la contenance totale du domaine forestier de l’état à 130,000 hectares environ, qui, déduction faite des rochers, crêtes et maquis, ne représentaient guère que 50,000 hectares boisés. A peine cette opération fut-elle terminée, que des contestations surgirent de toutes parts. Des communes ou des particuliers revendiquèrent, comme leur appartenant, les trois cinquièmes environ de l’étendue totale, et intentèrent à l’état des procès sans nombre qui empêchèrent toute exploitation. Bien que les droits de l’état fussent parfaitement établis, le gouvernement préféra en finir par une transaction. En 1843, il chargea M. Béhic, alors inspecteur des finances, d’une mission de ce genre, que firent échouer les exigences exagérées des communes. Dix années plus tard, M. Blondel, aujourd’hui conseiller d’état, réussit à mener à bien une nouvelle tentative de conciliation. Après avoir, pendant deux années, parcouru la Corse dans tous les sens, étudié sur les lieux toutes les réclamations, visité toutes les forêts en litige, il parvint, par l’abandon d’une partie d’entre elles, à satisfaire momentanément les habitans, et à les faire renoncer à toute revendication ultérieure sur celles qu’il réservait à l’état. Il s’attacha surtout à conserver à celui-ci les massifs les plus importans, ceux dont l’exploitation pourrait quelque jour lui être profitable, et à n’abandonner aux communes que ceux qui, plus à proximité des villages, étaient par cela même plus dévastés et moins riches en bois. Malheureusement, dans ces derniers, le pâturage fut autorisé, et depuis lors exercé presque sans mesure, si bien qu’aujourd’hui la plus grande partie de ces massifs a déjà disparu; mais il fallait bien faire la part du feu et sacrifier une partie pour sauver l’autre. Grâce à ce sacrifice, il reste actuellement à l’état 45,000 hectares de forêts presque toutes affranchies de la plaie du pâturage comme de toute autre servitude, et dont il s’attache maintenant à tirer parti[11]. De cette époque date pour la Corse une ère nouvelle. Les lois sur la prohibition du port d’armes et sur la vaine pâture y introduisirent une sécurité relative et mirent la propriété particulière à peu près à l’abri des déprédations des bergers. Le gouvernement toutefois ne s’en tint pas là, et montra par une série de mesures le prix qu’il attachait à la régénération de ce pays. Dans le rapport qu’il adressa à l’empereur pour faire sanctionner son projet de transaction, M. Blondel avait signalé l’ouverture de routes dans toutes les directions comme la mesure la plus efficace qu’on pût adopter. Ce n’était pas seulement pour mettre les forêts en valeur qu’il les croyait utiles, c’était surtout pour faire sortir les villages de leur isolement, pour y faciliter l’action administrative, pour amener la fusion des intérêts, développer le goût du commerce, diminuer les frais de transport et accroître la sécurité générale. Il rappelait que c’est par des routes qu’en 1746 l’Angleterre a fondé la prospérité de l’Ecosse, que la Vendée n’a été pacifiée et que nos campagnes elles-mêmes ne se sont civilisées qu’en devenant plus accessibles. Son appel a été entendu : dès 1853, une somme de 5 millions fut votée pour l’établissement d’un réseau de routes qui ne comprenait pas moins de 561 kilomètres, et dont la plus grande partie est aujourd’hui livrée à la circulation. Bien que l’objet principal de cette création fût l’exploitation des forêts et que les frais en dussent être couverts par le produit des ventes de bois, il n’en est pas moins vrai que ce réseau, tout en desservant les principaux massifs et les reliant aux ports d’embarquement, sert en même temps de voie de communication entre les diverses localités et de trait d’union entre des villages qui n’avaient eu jusqu’ici aucun rapport.

Jusqu’alors toutes les tentatives pour exploiter les richesses forestières de la Corse avaient échoué, quoiqu’en 1840 on eût essayé d’adjuger en bloc les coupes à faire pendant un laps de temps de dix années dans un même bassin. On avait espéré que l’importance d’un pareil marché et la perspective de bénéfices considérables à réaliser attireraient quelque compagnie puissante qui pût à ses frais ouvrir des routes, construire des scieries, établir des barrages sur les cours d’eau, en un mot exécuter tous les travaux qu’exige une exploitation bien conduite; mais ces espérances furent déçues, et on ne vit aucun amateur sérieux se présenter à l’adjudication. On ne fit plus depuis dans les forêts que des coupes destinées à satisfaire les besoins locaux. De temps à autre, on vendait deux ou trois cents arbres, que l’acheteur faisait abattre et débiter en planches par des ouvriers lucquois, et qu’il faisait transporter à la ville dans cet état, soit sur le dos des mulets, soit même sur la tête des femmes, par des chemins impraticables à tout autre moyen de transport. Ces coupes rapportaient environ 5,000 francs par an au trésor, et comme l’administration forestière lui en coûtait 58,000, il se trouvait de ce chef en déficit de 53,000 francs.

En même temps qu’on commençait en 1854 la construction des routes, on procédait activement à l’aménagement des principales forêts, c’est-à-dire à cette opération qui consiste à en déterminer exactement le rendement annuel, et qui permet d’en tirer tous les produits possibles sans anticiper sur l’avenir. Dès 1860, on avait aménagé quinze forêts domaniales, dont la production était évaluée ainsi : 14,500 mètres cubes de bois de service, 16,000 stères de bois propres à la carbonisation, et 15,000 stères de bois sans valeur. Les adjudications s’élevèrent cette année-là à 75,660 francs pour les forêts de l’état, et à 28,300 francs pour celles des communes. Depuis le progrès a été continu, et en 1863 les coupes ont été vendues 254,219 francs dans les premières, et 90,100 francs dans les secondes. A mesure que le réseau de routes se développera et mettra un plus grand nombre de bassins forestiers en communication avec la mer, les exploitations s’étendront de leur côté et donneront des bénéfices de plus en plus considérables; il n’est pas douteux qu’avant quelques années elles ne puissent fournir un revenu annuel d’un million. Dans ces exploitations, on n’utilise encore que les plus laricios et les plus maritimes, qu’on débite sur place en planches et en pièces de charpente; les autres essences, on les convertit en charbon quand elles sont propres à cet usage, et on laisse pourrir sur le sol les branchages et autres bois dont la valeur ne couvrirait pas les frais de transport. Ceux-ci en effet sont très considérables, même pour les forêts situées dans les meilleures conditions, et ne laissent après tout qu’un bénéfice assez médiocre aux adjudicataires. Ainsi, bien que la forêt de Vizzavone ne soit qu’à 40 kilomètres d’Ajaccio et qu’elle soit traversée par une route impériale, le transport à cette ville d’un mètre cube équarri de pin laricio ne coûte pas moins de 22 francs ; les frais d’exploitation et le prix d’adjudication étant de 20 francs, c’est une somme de 42 francs qu’il en coûte au marchand pour chaque mètre cube amené sur le marché. Le prix courant de celui-ci étant de 45 francs, il ne lui reste que 3 francs de bénéfice, y compris les intérêts des capitaux engagés. Il est évident que le simple bois de feu ne pourrait supporter de pareils frais; aussi le laisse-t-on sur place quand on ne peut le carboniser.

Pour encourager les adjudicataires et leur permettre de faire face aux dépenses de premier établissement, qui absorbent toujours une bonne partie des bénéfices, l’administration consent quelquefois à vendre les coupes d’une même forêt pour une période de quatre années: mais les acquéreurs ne doivent alors les exploiter que successivement et en fournissant au commencement de chaque année des traites au trésor pour le montant de la coupe correspondante. Dans la forêt de Valdoniello, l’une des plus importantes, puisqu’elle n’a pas moins de 4,600 hectares, on a adjugé en 1861 à un entrepreneur de Bordeaux, moyennant une somme de 100,000 francs, 20,000 pieds de plus laricios à exploiter dans un laps de temps de dix années, avec faculté de gemmer à mort ces 20,000 arbres, et d’en gemmer à vie 40,000 autres qui seront exploités plus tard.

Le gemmage a, comme on sait, pour objet l’extraction de la résine des plus au moyen d’incisions plus ou moins profondes, suivant que l’arbre doit être prochainement abattu ou qu’il doit continuer à végéter encore. La résine brute ainsi récoltée donne par la distillation de l’essence de térébenthine, et laisse comme résidu le brai ou goudron, qui a lui-même une certaine valeur. Introduit en Corse depuis peu d’années seulement, le gemmage n’y est pas encore pratiqué sur une bien grande échelle, car on n’en évalue pas la production totale à plus de 300,000 kilogrammes de résine. Si cette industrie n’a pas pris jusqu’ici plus de développement, il faut l’attribuer au manque d’ouvriers et au prix élevé du bois de feu employé pour la distillation. Quoique ce bois n’ait aucune valeur en forêt, la difficulté du transport est telle qu’il revient à 3 francs le stère, rendu par exemple à la distillerie de Vivario, qui n’est elle-même qu’à 2 kilomètres de la forêt de Vizzavone. Indépendamment de la concession de Valdoniello, dont je viens de parler, il y a eu trois autres adjudications de gemmage portant sur 55,000 arbres environ et ayant rapporté au trésor une somme de 57,845 francs; mais jusqu’ici les opérations sont à peine commencées.

On ne peut donc que se féliciter des résultats obtenus au point de vue forestier et financier par l’ouverture des routes récemment construites, et tout fait espérer qu’on ne s’en tiendra pas là; mais jusqu’à présent la situation matérielle des habitans en a été encore peu affectée. Bien que les exploitations de forêts aient nécessité l’emploi d’une main-d’œuvre considérable, ils s’en sont tenus à l’écart, et ont abandonné aux Lucquois le salaire élevé[12] qu’ils y auraient trouvé. Ils n’ont conservé pour eux que les charrois, qui leur procurent déjà d’assez beaux bénéfices. La plupart des entrepreneurs sont également Corses. Quelques-uns ont réussi, d’autres se sont ruinés pour avoir voulu aller trop vite, et faute de s’être rendu compte des conditions économiques au milieu desquelles ils se trouvaient. Les deux points à examiner tout d’abord, quand on veut se lancer dans une industrie nouvelle, sont les débouchés et les frais de production. Si les premiers sont restreints, et les seconds très élevés, la prudence exige qu’on ne procède qu’avec une extrême lenteur. C’est pour avoir méconnu ces principes, pour avoir fait de la culture perfectionnée dans un pays qui n’en comportait pas, que les compagnies agricoles dont j’ai parlé ont échoué; c’est pour un motif analogue que d’autres entreprises qui avaient pour objet l’exploitation des forêts n’ont pas donné de meilleurs résultats. Ainsi, en 1840 une compagnie normande s’était constituée pour exploiter sur une grande échelle une partie des forêts particulières de la Corse; elle vint s’y installer avec un matériel immense de chevaux, de chariots, de scieries, etc., dont elle ne put tirer aucun parti faute de routes. Rançonnée par les propriétaires, qui, profitant de ses embarras, lui faisaient payer leurs bois plus qu’ils ne valaient, elle dut liquider dès la première année. C’est dans les pays neufs surtout qu’il faut se défier des apparences. Quand on parcourt les sombres forêts de la Corse, où se pressent les plus de 40 ou 50 mètres de haut, quand on songe que, rendus à Toulon ou à Gênes, ces arbres vaudraient peut-être un millier de francs chacun, il semble que rien ne soit plus facile que de les tirer de là et qu’on n’ait qu’à le vouloir pour faire fortune; mais quand on se met à l’œuvre, on s’aperçoit bientôt des difficultés de l’opération, et pour peu qu’on n’ait pas tout prévu, les déceptions ne se font pas attendre. Il y a quelques années, un adjudicataire corse, trouvant que ses compatriotes lui faisaient payer trop cher le transport de ses bois, acheta en Italie, moyennant 20,000 fr., une douzaine d’attelages de mulets. Au bout de six mois, ses voitures s’étaient cassées sur les routes nouvellement empierrées, et ses mulets étaient morts de fatigue. Il fit alors venir une scierie mécanique qu’il installa sur un cours d’eau, pour débiter ses planches. Après quelques semaines, il reconnut que le transport des pièces jusqu’à la scierie lui coûtait plus cher que le sciage à bras sur le parterre même de la coupe. Hors d’état, après ces dépenses, de faire face à ses engagemens envers le trésor, il fut dépossédé de son adjudication et se trouva complètement ruiné. On ne saurait donc trop le répéter, ce n’est qu’en procédant avec la plus grande prudence qu’on pourra triompher en Corse des obstacles que rencontre au début toute industrie nouvelle. C’est en utilisant les ressources du pays, si minimes qu’elles puissent être, plutôt qu’en introduisant à grands frais des procédés perfectionnés, qu’on y parviendra le plus sûrement, car ce n’est pas en un jour qu’on peut changer les habitudes d’une population, ni transformer sa situation économique. Aussi de petites entreprises locales paraissent-elles offrir plus de chances de réussite que les grandes compagnies financières qui sont toujours tentées de s’exagérer la puissance de leurs moyens d’action et de donner aux travaux une activité factice.

Voilà donc à quoi se réduisent les magnifiques espérances que les Corses fondaient sur l’exploitation de leurs forêts! A les entendre, elles devaient suffire à approvisionner de bois de marine tous les ports du continent et répandre en même temps dans l’île une richesse inconnue. Or il se trouve que les sapins de Norvège et les plus de Riga ne reviennent pas plus cher, rendus à Toulon, que les laricios de la Corse, et que les habitans, au lieu de demander au travail dans les forêts le bien-être qu’il pourrait leur donner, laissent une partie du profit aux Lucquois. Et quand même ces forêts rapporteraient un million au trésor et jetteraient dans la consommation 200,000 mètres cubes de bois équarris, qu’est-ce que cela sur un marché comme la France, qui fait chaque année venir pour 120 millions de bois de l’étranger? Et quel bénéfice la Corse elle-même en retirerait-elle? Les Corses, il est vrai, demandent instamment qu’on établisse un chantier de constructions navales et un arsenal militaire à Ajaccio ou à Saint-Florent, et le conseil-général prête à ce vœu l’appui de son autorité. Jusqu’ici, grâce à Dieu, le ministre a répondu que le port de Toulon suffisait aux exigences du service, et nous espérons qu’il en sera toujours de même; mais si par malheur la nécessité d’un nouveau port militaire se faisait jamais sentir, la Corse serait un des derniers points à choisir, car elle n’offre rien de ce qu’il faut pour la construction des bâtimens cuirassés, les seuls aujourd’hui qui méritent le nom de navires de guerre. Elle ne produit que peu de fer, et ses forêts ne fournissent ni membrures ni bordages, puisque le chêne y fait presque défaut. Les ressources maritimes qu’elle peut offrir se réduisent à fort peu de chose. Il résulte d’un rapport de M. Dorien, qui fut, comme ingénieur de la marine à Toulon, chargé en 1846 d’une reconnaissance générale des forêts de la Corse, qu’on pourrait y trouver 3,650 mâts de 50 centimètres d’équarrissage et au-dessus, 10,560 mâtereaux, 3,660 plançons, 940 baux et 28,630 espars. Et c’est pour cela qu’on voudrait créer un arsenal militaire! Ce qu’il y a de difficile d’ailleurs, c’est de transporter les bois du fond des forêts jusqu’aux ports d’embarquement. La création d’un chantier à Ajaccio ne serait donc, même à ce point de vue, que d’une utilité douteuse, puisque les bois n’y coûteraient pas beaucoup moins cher qu’ils ne coûtent en France; mais lors même qu’on se déciderait à créer cet arsenal militaire, qu’est-ce que la Corse en définitive pourrait y gagner? Si les Corses ne veulent que du travail, ils peuvent, dans les conditions actuelles, trouver facilement à employer leurs bras, la besogne ne manque pas; s’ils doivent au contraire laisser envahir les chantiers par des ouvriers étrangers, quel avantage en pourront-ils retirer?

Mais si Ajaccio ne paraît pas pouvoir devenir jamais un port militaire, rien n’empêche qu’il ne devienne quelque jour un port de commerce important et un arsenal maritime industriel. Ce n’est pas là toutefois un genre d’établissement dont la création dépende d’un vœu du conseil-général, ni même de la bonne volonté du gouvernement. Un chantier de construction ne saurait s’improviser; il s’établit naturellement dans les villes où le commerce maritime est assez actif pour exiger de nombreux navires. Vouloir en créer un dans les ports qui n’ont pas de marchandises à transporter, c’est commettre une bévue semblable à celle de ce spéculateur anglais qui imagina un beau jour d’expédier une cargaison de patins au Mexique, où la glace est inconnue. Si la Corse veut un établissement de ce genre, ce n’est pas au gouvernement qu’elle doit le demander, mais au développement de son commerce et de son industrie. Malheureusement les habitans n’ont pas l’esprit des affaires, et la mer semble leur faire horreur. Bien peu d’entre eux y cherchent leurs moyens d’existence, et je ne crois pas que les cadres de l’inscription maritime comptent le dixième de ceux qui s’engagent volontairement dans l’armée de terre. La pêche du corail et le cabotage sont presque exclusivement entre les mains des Sardes; les Corses ne s’y adonnent qu’exceptionnellement et négligent ainsi une importante source de profits. Qu’ils surmontent leur répugnance, qu’ils prennent goût aux expéditions lointaines, qu’ils se familiarisent avec les opérations commerciales, et, sans que l’état ait besoin de s’en mêler, on verra bientôt des chantiers de construction s’élever à Ajaccio, car nulle ville n’est mieux située pour devenir un des centres importans du commerce méditerranéen. Son golfe magnifique, entouré d’un triple rang de montagnes qui l’abritent presque de tous côtés, assez vaste pour contenir toutes les marines de l’Europe, n’est aujourd’hui fréquenté que par quelques bateaux caboteurs qui viennent apporter de France et d’Italie du blé, du fourrage, des objets manufacturés, et qui emportent comme fret de retour des peaux, des huiles et des châtaignes. Le mouvement du port n’est que de 20,000 tonneaux : c’est le chargement du Great-Eastern. On n’y voit quelque animation que le jour où le paquebot hebdomadaire de Marseille débarque son contingent de voyageurs appelés par leurs affaires sur le continent, ou lorsque la flotte d’évolution de la Méditerranée vient faire son apparition annuelle. Quand celle-ci prolonge son séjour pendant un mois ou deux, c’est une bonne fortune pour les habitans. Ils comptent si bien aujourd’hui sur cette visite périodique, qu’ils se croiraient lésés, si on les en privait, et qu’ils pétitionneraient pour s’en plaindre comme d’une injustice. S’ils entendaient mieux leurs intérêts, ils comprendraient qu’il y a beaucoup plus à gagner avec la marine marchande qu’avec la marine militaire, qui peut manquer d’un moment à l’autre, et ils travailleraient de concert à faire de leur ville l’entrepôt général des marchandises de la France, de l’Espagne, de l’Italie et de l’Afrique. Et ce ne serait pas chose bien difficile, car il suffirait, si je ne me trompe, de la faire déclarer port franc.

Tant que la douane subsistera (et malgré la guerre qu’on lui fait, il est à craindre qu’elle n’en ait encore pour longtemps), les ports francs, débarrassés de toutes les formalités onéreuses et vexatoires qui partout ailleurs paralysent les affaires, seront toujours plus fréquentés que les autres. Comme les anciennes foires, ils servent de lieu de rendez-vous aux négocians de tous les pays, qui trouvent du même coup à se défaire de leurs propres marchandises et à se procurer celles dont ils ont besoin. Rien ne favorise plus que cette facilité des transactions le développement commercial, et c’est ce qui explique la prospérité des anciens ports francs du moyen âge et du petit nombre de ceux qui ont subsisté jusqu’à nos jours. En Corse, les revenus de la douane sont insignifians; si on l’y supprimait complètement, on en verrait bientôt les effets. En tout cas, c’est une expérience peu coûteuse et qui vaut la peine d’être tentée.

Il n’y a pas de département pour lequel l’état ait plus fait que pour la Corse, et il n’y en a pas qui se plaigne davantage qu’on ne fasse rien pour lui. Sans parler des sommes dépensées pour les travaux publics, on a créé il y a trente ans, à 2 kilomètres d’Ajaccio, au bout d’une magnifique promenade d’orangers et de micocouliers, une pépinière de mûriers, de cotonniers et d’autres végétaux, dont la culture serait très productive. Bien qu’on distribue gratuitement des plants à qui en demande, fort peu de propriétaires ont eu recours à cette pépinière, et les résultats obtenus jusqu’ici sont insignifians. Pourquoi donc l’état ferait-il de nouveaux sacrifices, si, faute d’initiative, les habitans ne savent pas profiter de ceux qu’il a déjà faits? Il ne faut pas perdre de vue d’ailleurs que toute dépense publique est prélevée sur l’impôt, et qu’il est peu équitable de pressurer le paysan alsacien ou normand pour que les Corses aient le droit de vivre sans rien faire.

J’ai souvent entendu des Corses éclairés exprimer ouvertement le regret que leur pays ne soit pas resté sous la domination de l’Angleterre; ils pensaient que celle-ci leur eût donné la prospérité après laquelle ils soupirent si vivement. Peut-être n’ont-ils pas tort. L’Angleterre sans doute n’y eût pas, comme la France, dépensé improductivement des sommes considérables ; mais elle y eût envoyé d’intrépides colons qui, s’ils n’avaient pu plier les indigènes au travail, les auraient peu à peu refoulés, auraient acquis toutes les terres propres à la culture, et régneraient en maîtres sur leur conquête. Au lieu des tristes maquis, des torrens impétueux, des rochers stériles, des troupeaux de moutons affamés que présente la Corse d’aujourd’hui, on y verrait sans doute de plantureuses prairies, bien irriguées, couvertes de vaches et de chevaux paissant en liberté, des fermes bien tenues, éparpillées dans la campagne et réunies entre elles par des chemins carrossables, des ruisseaux canalisés flottant les bois et mettant en mouvement des usines et des moulins, des plantations de mûriers alimentant des magnaneries importantes, des jardins de citronniers et d’orangers pourvoyant de leurs fruits d’or le continent tout entier. Voilà sans doute ce qu’eût produit en Corse la domination anglaise ; mais les habitans, s’ils n’avaient pas voulu vaincre leur paresse, n’en eussent pas plus profité que les peaux-rouges n’ont profité de la richesse matérielle des États-Unis. Il n’y a en effet que deux moyens de civiliser un pays : en chasser brutalement les indigènes ou les aider à se développer et à se perfectionner eux-mêmes. Les Corses ne veulent sans doute pas du premier ; il faut donc qu’ils consentent à se plier au second. S’ils ont assez d’énergie pour secouer leurs vieilles habitudes, ils n’ont besoin, pour s’enrichir et transformer leur île, que de routes et de sécurité intérieure. Ouvrir des routes pour faciliter la circulation des produits, assurer l’exécution rigoureuse de la loi qui garantit la propriété contre toute atteinte, c’est tout ce que l’état doit faire ici et tout ce qu’on peut raisonnablement lui demander.


J. CLAVE.

  1. Pour donner une idée de ces publications, on peut citer l’Opportunité et les avantages de créer à Ajaccio un arsenal maritime industriel, par M. L. Roux; brochure in-4o 1856; — la Corse et son avenir, par M. Jean de La Rocca; 1 vol. in-8o, Plon, 1857.
  2. L’extinction du banditisme est due à la loi de 1853, qui prohibe d’une manière absolue le port d’aucune arme. Jusqu’alors, personne ne sortait de chez soi sans avoir son fusil sur le dos. On s’en servait à la moindre altercation. Les gens du peuple l’appelaient leur juge de paix, parce qu’il mettait fin à leurs différends. Les effets de cette loi ne tardèrent pas à se faire sentir : en 1851, le nombre des accusés pour meurtre et assassinat était de 200; en 1855, il était déjà tombé à 78. Encore aujourd’hui il faut à la Corse 1,200 gendarmes. On voit cependant qu’il y a progrès, puisque Voltaire, dans son Précis du règne de Louis XV, prétend qu’on avait compté 1,700 assassinats en deux années.
  3. Prendre le maquis est le synonyme de se faire bandit. Quand un individu en a tué un autre et qu’il est sous le coup de la loi, il se sauve dans la montagne, où, grâce au maquis, il parvient souvent à se soustraire aux recherches de la gendarmerie.
  4. Cette scierie a été construite par un Italien, M. Iliani, pour débiter en plaques le marbre qu’on extrait des carrières voisines, et qui est réellement très beau. Le sciage se fait au moyen de lames de fer non dentées, adaptées à un châssis horizontal, auquel une roue hydraulique imprime un mouvement de va-et-vient. A l’époque de mon séjour en Corse, le mètre cube de marbre rendu au chantier coûtait 45 francs et fournissait 36 plaques d’un mètre carré de surface et de 2 à 3 centimètres d’épaisseur. A Marseille, la plaque valait 12 fr. Le prix du transport étant de 3 fr., les 36 plaques valaient en magasin 324 fr., qui, déduction faite du mètre cube, des déchets, des frais divers, des salaires des ouvriers, laissaient encore un bénéfice net de plus de 150 fr. par mètre cube, et malgré cela l’usine ne prospérait pas.
  5. Bien que la route n’ait pas de parapet et qu’elle surplombe presque toujours le précipice, les voitures, attelées de mules ou de petits chevaux, vont presque toujours au galop, et je n’ai jamais entendu parler d’accidens. Voici un trait qui me paraît caractéristique. Un des cochers employés sur cette route, réfugié italien, avait donné au plus mauvais cheval de son relais le nom de Metternich. Obligé de le frapper sans cesse pour le faire avancer, il adressait en imagination ses coups de fouet au ministre autrichien, à qui sans doute il devait son exil.
  6. En réduisant ce chiffre à une moyenne de 3 millions, on voit que, depuis sa réunion à la France, la Corse ne lui aurait pas coûté beaucoup moins de 300 millions.
  7. Dans son ouvrage la Corse et son avenir, M. de La Rocca donne l’évaluation suivante, faite en 1858 par M. Conti, receveur-général :
    ¬¬¬
    Recettes : Montant des exportations 3,147,000 fr.
    Contributions et recouvremens 2,000,000
    Subsides fournis par l’état 4,418,000 9,505,000 fr.
    Dépenses : Importations 8,505,000 fr.
    Salaire des Lucquois 1,000,000 9,565,000 fr.


    Il ne reste donc rien dans l’île.

  8. Voyez, dans la Revue du 1er  août 1863, les Landes du Médoc et les Dunes de la côte, par M. Elisée Reclus.
  9. Sur 737 procès-verbaux dressés par les gardes forestiers en 1860, 515 étaient relatifs à des délits de pâturage, 21 à des incendies, et le surplus à des enlèvemens de bois.
  10. Ce qui prouve bien que ces incendies sont dus à la malveillance, c’est que, depuis l’arrêté préfectoral qui prohibe pendant cinq années le parcours dans les forêts incendiées, on n’en a plus constaté un seul de quoique importance.
  11. D’après les statistiques officielles, on compte en Corse :
    ¬¬¬
    47 forêts domaniales 45,824 hectares.
    88 — communales 56,928 —
    102,752 hectares,


    dont un tiers en vides et rochers.

  12. La journée du Lucquois vaut actuellement 2 fr. 50 c, plus la nourriture, qui ne consiste d’ailleurs qu’en châtaignes séchées.