À se tordre/Excentric’s

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À se tordrePaul Ollendorff (p. 241-247).

EXCENTRIC’S


We are told that the sultan Mahmoud by his perpetual wars…
Sir Cordon Sonnet.


Par un phénomène bizarre d’association d’idées (assez commun aux jeunes hommes de mon époque), l’Exposition de 1889 me rappelle celle de 1878.

À cette époque, dix printemps de moins fleurissaient mon front. C’est effrayant ce qu’on vieillit entre deux Expositions universelles, surtout lorsqu’elles sont séparées par un laps considérable.

Ma bonne amie d’alors, une petite brunette à qui l’ecclésiastique le plus roublard aurait donné le bon Dieu sans confession (or une nuit d’orgie, pour elle, n’était qu’un jeu), me dit un jour à déjeuner :

— Qu’est-ce que tu vas faire, pour l’Exposition ?

— Que ferais-je bien pour l’Exposition ?

— Expose.

— Expose ?… Quoi ?

— N’importe quoi.

— Mais, je n’ai rien inventé !

(À ce moment, je n’avais pas encore inventé mon aquarium en verre dépoli, pour poissons timides. S. G. D. G.)

— Alors, reprit-elle, achète une baraque et montre un phénomène.

— Quel phénomène ?… Toi ?

Terrible, elle fronça son sourcil pour me répondre :

— Un phénomène, moi !

Et peut-être qu’elle allait me fiche des calottes, quand je m’écriai, sur un ton d’amoureuse conciliation :

— Oui, tu es un phénomène, chère âme ! un phénomène de grâce, de charme et de fraîcheur !

Ce en quoi je ne mentais pas, car elle était bigrement gentille, ce petit chameau-là.

Un coquet nez, une bouche un peu grande (mais si bien meublée), des cheveux de soie innombrables et une de ces peaux tendrement blanc-rosées, comme seules en portent les dames qui se servent de crème.

Certes, je ne me serais pas jeté pour elle dans le bassin de la place Pigalle, mais je l’aimais bien tout de même.

Pour avoir la paix, je conclus :

— C’est bon ! puisque ça te fait plaisir, je montrerai un phénomène.

— Et moi, je serai à la caisse ?

— Tu seras à la caisse.

— Si je me trompe en rendant la monnaie, tu ne me ficheras pas des coups ?

— Est-ce que je t’ai jamais fichu des coups ?

— Je n’ai jamais rendu de monnaie, alors je ne sais pas…

Si je rapporte ce dialogue tout au long, c’est pour donner à ma clientèle une idée des conversations que j’avais avec Eugénie (c’est peut-être Berthe qu’elle s’appelait).

Huit jours après, je recevais de Londres un nain, un joli petit nain.

Quand les nains anglais, chacun sait ça, se mêlent d’être petits, ils le sont à défier les plus puissants microscopes ; mais quand ils se mêlent d’être méchants, détail moins connu, ils le sont jusqu’à la témérité.

C’était le cas du mien. Oh ! la petite teigne !

Il me prit en grippe tout de suite, et sa seule préoccupation fut de me causer sans relâche de vifs déboires et des afflictions de toutes sortes.

Au moment de l’exhibition, il se haussait sur la pointe des pieds avec tant d’adresse, qu’il paraissait aussi grand que vous et moi.

Alors, quand mes amis me blaguaient, disant : « Il n’est pas si épatant que ça, ton nain » et que je lui transmettais ces propos désobligeants, lui, cynique, me répondait en anglais :

— Qu’est-ce que vous voulez… il y a des jours où on n’est pas en train…


Un soir, je rentrai chez moi deux heures plus tôt que ne semblait l’indiquer mon occupation de ce jour-là.

Devinez qui je trouvais, partageant la couche de Clara (je me rappelle maintenant, elle s’appelait Clara) !

Inutile de chercher, vous ne devineriez jamais.

Mon nain ! Oui, mesdames et messieurs, Clara me trompait avec ce british minuscule !

J’entrai dans une de ces colères !…

Heureusement pour le traître, je levai les bras au ciel avant de songer à le calotter. Il profita du temps que mes mains mirent à descendre jusqu’à sa hauteur pour filer.

Je ne le revis plus.

Quant à Clara, elle se tordait littéralement sous les couvertures.

— Il n’y a pas de quoi rire, fis-je sévèrement.

— Comment, pas de quoi rire ? Eh ben, qu’est-ce qu’il te faut à toi ?… Grosse bête, tu ne vas pas être jaloux d’un nain anglais ? C’était pour voir, voilà tout. Tu n’as pas idée…

Et elle se reprit à rire de plus belle, après quoi elle me donna quelques détails, réellement comiques, qui achevèrent de me désarmer.

C’est égal, dorénavant, je me méfiai des nains et, pour utiliser le local que j’avais loué, je me procurai un géant japonais.

Vous rappelez-vous le géant japonais de 1878 ? Eh bien ! c’est moi qui le montrais. Mon géant japonais ne ressemblait en rien à mon nain anglais.

D’une taille plus élevée, il était bon, serviable et chaste.

Ou, du moins, il semblait doué de ces qualités. J’ai raison de dire il semblait, car, à la suite de peu de jours, je fis une découverte qui me terrassa.

Un soir, rentrant inopinément dans la chambre de Camille (oui, c’est bien Camille, je me souviens), je trouvai, jonchant le sol, l’orientale défroque de mon géant, et dans le lit Camille… devinez avec qui !

Inutile de chercher, vous ne trouveriez jamais.

Camille, avec mon ancien nain !

C’était mon espèce de petit cochon de nain anglais, qui n’avait trouvé rien de mieux, pour rester près de Camille, que de se déguiser en géant japonais.

Cette aventure me dégoûta à tout jamais du métier de barnum.

C’est vers cette époque, qu’entièrement ruiné par les prodigalités de ma maîtresse, j’entrai en qualité de valet de chambre, 59, rue de Douai, chez un nommé Sarcey.