Exploration du Mékong/08

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Exploration du Mékong
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 86 (p. 651-684).
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EXPLORATION
DU MÉKONG

VIII.
L’INSURRECTION MUSULMANE EN CHINE ET LE ROYAUME DE TALI[1].

Si l’Europe n’a désormais rien à craindre de l’islamisme, relégué chez elle dans un empire décrépit, l’Afrique et l’Asie sont moins heureuses : sur le premier de ces deux continens, il a si bien su nous démontrer son énergie, que nous avons toujours répondu par des concessions aux révoltes qu’il suscitait contre nous. Ce n’est pas seulement l’Afrique septentrionale que l’étendard du prophète couvre de son ombre mortelle. Celle-ci enveloppe déjà une multitude de peuplades de l’Afrique centrale, épaississant ainsi le voile qui malgré d’héroïques efforts dérobe encore à l’œil de la science cette mystérieuse contrée. Les causes qui ont assuré ailleurs la victoire du croissant ont amené des effets identiques dans certaines parties très reculées de l’Asie. Porté après la mort de Mahomet par les guerriers et par les commerçans arabes jusqu’aux extrémités de l’ancien monde, l’islamisme séduisit ou soumit un grand nombre des peuples belliqueux du littoral ou de l’intérieur. On s’explique le succès qu’il a obtenu chez les Malais, ces féroces écumeurs des mers dont la vapeur déconcerte aujourd’hui la cupidité; mais, non content de courber sous le joug les nomades et les sauvages, les pasteurs et les pirates, voici qu’il s’attaque aux plus vieux empires, menaçant de renverser de son souffle puissant des édifices qui ont défié les âges. Dès les premières années du XIIIe siècle, des mosquées s’élevèrent dans le Bengale à côté des temples de Brahma, le mahométisme ayant pris racine sur les bords des fleuves sacrés de l’Inde. Il vient d’éclater en Chine, où le vieux colosse se débat sous l’étreinte d’une rébellion qui doit au sentiment religieux une partie de sa force. C’est là un spectacle qui n’est pas sans enseignemens.

Accoutumé à professer à l’égard de toutes les religions une indifférence dédaigneuse, le gouvernement de Pékin n’a point hésité, comme nous l’avons vu, à confier le commandement supérieur des troupes envoyées contre les rebelles à un homme qui, ne pouvant manquer de sympathiser avec ses coreligionnaires, semble se trouver conduit par sa foi à favoriser les progrès de ceux que son devoir politique l’obligerait à combattre : étrange aveuglement qui provoque dans le Yunan même, chez les rares généraux dévoués à l’empereur, un blâme discret, toujours étouffé par le bruit des protestations retentissantes que Ma-Tagen transmet à la cour abusée. Les Chinois font tout bas le récit de certaines batailles où les régimens impériaux ne comptaient jamais un blessé dans leurs rangs, et tiraient eux-mêmes en l’air pour reconnaître les bons procédés de l’ennemi. Ils ajoutent en souriant qu’un lieutenant de Ma-Tagen, observateur défiant, demanda un jour à son chef de changer d’enseignes avec lui. Le général n’osa refuser, et battit en retraite après avoir vu quelques-uns de ses gardes tomber autour de lui. Comme si ce n’était point assez, pour attester la méprise ou l’incurie du gouvernement impérial, d’une armée inactive sous un général complice de l’ennemi[2], le seul homme du Yunan qui ait été prier sur le tombeau du prophète continue, bien qu’il ait été compromis dans une première révolte, de toucher un gros traitement et de loger à Yunan-sen dans un palais ! Nous avons pu constater qu’il n’ignorait pas sa puissance, et qu’il ne songeait à cacher ni ses relations avec les rebelles de l’ouest, ni son influence sur les musulmans demeurés jusqu’à présent fidèles à l’empereur. A voir la façon dont ces derniers traitent les Chinois, il est d’ailleurs impossible de ne pas reconnaître en eux des hommes pleins de confiance dans leurs forces. Ils ne forment pas le dixième de la population totale dans la partie du Yunan qu’ils ont soumise; mais ils sont plus braves que leurs ennemis, ils ont l’orgueil, l’enthousiasme et la foi. Les généraux qu’on leur oppose, gens sans honneur ou sans courage, commandent à une plèbe dont aucun sentiment patriotique ne secoue l’inertie. Lorsqu’on songe d’ailleurs que le souverain de 300 millions d’hommes n’a pu, sur le champ de bataille de Sagawane, opposer plus de 15,000 soldats aux armées européennes qui menaçaient sa capitale, on ne s’étonne plus du succès d’une poignée de rebelles dans la province la plus reculée de l’empire. Si ces derniers acceptaient pour limites du royaume indépendant qu’ils aspirent à fonder les limites mêmes du Yunan, le gouvernement de Pékin agirait sagement en renonçant, malgré les richesses qu’il contient, à un territoire demeuré si longtemps en dehors de l’unité chinoise; mais on peut craindre qu’il n’en soit pas ainsi. Cette révolte, et c’est là ce qui la rend redoutable, est condamnée par sa double nature à suivre son cours; il ne dépend pas de ceux qui la dirigent de l’arrêter, tant qu’elle aura des infidèles à combattre, car si la politique peut assigner d’avance des bornes à ses conquêtes, il n’en est point ainsi pour la propagande religieuse. On affirme en effet que le nouveau sultan de Tali aurait dédaigneusement repoussé les offres de l’empereur de Chine, et répondu aux ouvertures conciliantes de celui-ci en expulsant les ambassadeurs chargés de les lui adresser. S’engager à respecter les frontières des provinces voisines du Yunan alors que chacune d’elles renferme un germe de dissolution, ce serait trahir le prophète et attirer sur soi les châtimens de Dieu. Le Kouei-tcheou, par exemple, n’est guère moins troublé que le Yunan par l’insurrection des Miao-tse, ces rudes montagnards, ces fils des champs incultes, souvent battus, jamais domptés, et toujours prêts à secouer un joug que les mains débiles du Fils du Ciel ne sont plus en mesure de maintenir. Le Setchuen lui-même n’est pas épargné par la guerre civile, sans cesse rallumée dans cette belle contrée par les Mauseu, chassés il y a moins de deux siècles de Souitcheou-Fou, leur capitale, et refoulés dans le Léanchan, région montagneuse à travers laquelle coule le Fleuve-Bleu.

Au temps de la prospérité de l’empire, ces barbares vivaient insoumis, abrités par les contre-forts de l’Himalaya, descendant parfois dans la plaine et regagnant bientôt après leurs repaires, où ils se partageaient le butin. Leur audace s’accroît aujourd’hui dans la mesure où la répression s’affaiblit, et leurs efforts secondent trop bien les desseins des musulmans pour n’être pas favorisés par ceux-ci. Déjà les musulmans du Yunan, exploitant les rancunes des tribus autochthones, se sont servis des Miukias comme des Lolos, sauf à réduire et à désarmer ces bons sauvages, qui prétendaient être traités après la victoire en auxiliaires, non en esclaves. Ce n’est pas seulement de ce côté qu’est survenu aux musulmans un secours inespéré. Sans parler de la guerre sociale des taipings, qui a paralysé dans le sud les forces de l’empire et menacé l’existence même de la monarchie, sans rappeler la prise de Pékin, qui a détruit le prestige nécessaire aux souverains absolus, il est certain que les révoltés du Yunan ont rencontré un appui matériel chez leurs co-religionnaires fixés dans les parties septentrionales de la Chine, comme le Chensi et le Kansiou; en outre ils ont trouvé au moins un concours moral chez leurs frères du Turkestan oriental, qui ont pris les armes en même temps qu’eux. La coïncidence de ces divers mouvemens a-t-elle été fortuite, ou bien résulte-t-elle d’un accord secret? C’est une question sur laquelle la lumière n’est pas faite encore, et qu’il serait téméraire de trancher. Cependant la dernière hypothèse paraît vraisemblable quand on sait, ce que des renseignemens particuliers me permettent de confirmer, que l’islamisme recrute des adhérens jusque dans le Thibet, attaquant le bouddhisme au cœur dans la ville sainte des lamas. Ce sont ces ennemis implacables du nom chrétien qui soulèvent en ce moment les passions populaires contre nos missionnaires, récemment repoussés de Bounga[3] par les bonzes, tandis que les mahométans s’emparent peu à peu à Lhassa même du pouvoir effectif, en usant adroitement, suivant l’occasion, de la violence ou de la ruse. Ils ont des communications fréquentes avec les rebelles du Yunan, et le sultan de Tali fait répandre dans leurs montagnes des proclamations, écrites en arabe, où il s’efforce d’expliquer dans un langage mystique le véritable caractère de la révolution qui s’accomplit. « Le vrai Dieu, dit-il, va triompher des idoles, et le royaume des croyans s’établira sur les ruines d’un empire souillé par les abominations séculaires des infidèles. »

A quelle époque l’islamisme a-t-il été introduit dans l’empire du Milieu, et quelle est l’origine des mahométans chinois? Questions connexes qu’il ne me semble pas inutile d’aborder brièvement, sans autre prétention que d’apporter, pour la solution définitive, le secours de quelques renseignemens pris sur les lieux.

De tout temps, les songes ont été un moyen fort employé par les puissances célestes pour communiquer avec les hommes. La fable nous en offre bien des exemples, et la Bible elle-même en fournirait au besoin. Encore qu’elles soient écrites par des lettrés et qu’elles aient à retracer l’histoire d’une société que le scepticisme dévore, les annales de la Chine n’en sont pas moins remplies de récits merveilleux. L’empereur Ming-Ti, ayant aperçu pendant son sommeil un homme resplendissant d’or qui s’avançait vers lui, comprit, et cela fait honneur à sa sagacité, qu’il y avait dans les contrées situées à l’occident de la Chine un être extraordinaire plus fort que les rois et plus sage que les lettrés. Il envoya aussitôt chercher la statue du maître inconnu et les livres renfermant sa doctrine. Les ambassadeurs trouvèrent dans l’Inde les images et les préceptes de Bouddha, et rapportèrent ces trésors. Voilà comment le bouddhisme pénétra dans l’empire au VIIe siècle avant notre ère. Au dire de plusieurs mahométans que j’ai consultés dans le Yunan, l’islamisme y fit une entrée à peu près semblable. Rien n’est stérile comme l’imagination des peuples barbares; enfantant toujours les mêmes chimères, elle a éternellement recours aux mêmes plagiats. Qu’au lieu d’habits dorés on revête le fantôme de vêtemens arabes, qu’à la place d’une simple curiosité d’esprit on veuille bien supposer chez l’empereur auquel le fantôme apparut un besoin pressant de secours contre des troubles intérieurs et des fléaux extraordinaires, et l’on aura l’explication légendaire du fait historique qui nous occupe. Ce serait donc un empereur de Chine qui, dans une circonstance critique, aurait attiré chez lui les premiers musulmans. Quand ces auxiliaires eurent cessé d’être utiles, on peut bien penser qu’ils devinrent dangereux, et que, suivant une pratique toujours usitée en Orient à l’égard des masses embarrassantes, ils furent dispersés dans l’empire et confinés dans des provinces éloignées, où ils se sont multipliés. Les musulmans du Yunan n’ont en effet sur leur origine que des idées très confuses; mais on démêle dans tous leurs récits, au milieu de fables qui les rattacheraient aux démons, — filiation que les malheureux Chinois seraient d’ailleurs très disposés à admettre, — un vague souvenir d’assistance fournie à l’empire, de triomphes obtenus sur des rebelles, triomphes payés d’ailleurs par l’ingratitude. L’histoire confirme ces traditions.

La nation chinoise n’a pas toujours été cette nation laborieuse et d’humeur paisible, voulant vivre seule et pour elle seule, uniquement occupée à repousser l’invasion des idées étrangères en opposant une résistance désespérée à la force qui l’entraîne dans l’universelle gravitation des peuples. Elle a souvent porté ses armes fort au-delà de ses immenses frontières, et l’on peut dire qu’il n’y a pas de région dans l’Asie continentale qui n’ait été contrainte à respecter son nom. Sous les Thang, elle exerçait une suzeraineté réelle jusqu’à la Perse et à la mer Caspienne à l’ouest, et au nord jusqu’aux monts Altaï. Elle recevait des ambassadeurs du Népaul, de l’Inde et de l’empire romain, et protégeait le roi de Perse contre les Arabes au VIIe siècle de notre ère[4]. Dès le VIIIe siècle, elle entrait directement en lutte avec les califes. Ceux-ci infligeaient même aux troupes de l’empereur de Chine une sanglante défaite à l’époque où les Maures succombaient à Poitiers sous les coups de Charles Martel; mais malgré ces récens souvenirs, en l’année 757, Sout-song, menacé par une insurrection formidable, n’hésita point à faire appel aux musulmans et à solliciter l’appui des califes contre ses propres sujets révoltés. Abou-Abbas et Abou-Giafar-Almanzor, chefs de la famille des Abbassides et fondateurs de Bagdad, expédièrent en Chine des troupes que le père Gaubil suppose avoir été des bandes arabes tenant garnison sur les frontières orientales du Khorassan et du Turkestan. Ces forces, réunies à l’armée chinoise, à un corps de Tartares occidentaux et au continssent fourni par les Oïgours, formèrent un effectif assez puissant pour permettre à Sout-song de tailler en pièces ses ennemis. La bataille eut lieu dans le Chensi, non loin de Si-ngan-fou, qui était à cette époque la capitale de l’empire. Taïssoung fut contraint, comme son père, d’invoquer le secours des étrangers, dont un grand nombre, lassés de leurs longs voyages à travers l’Asie, se fixèrent sur le sol qu’ils étaient venus défendre.

D’un autre côté, les Chinois eurent avec les peuples de l’Occident des relations commerciales, présentées souvent, il est vrai, dans les annales chinoises comme des rapports obligés de vassaux à suzerain, mais dont le véritable caractère ne saurait être contesté. Parmi ces peuples qui, dès les temps les plus reculés, envoyèrent des marchands dans l’empire, les Arabes ont toujours eu une importance particulière, et au temps où leurs coreligionnaires combattaient dans le nord sous l’étendard impérial, ils ne craignaient pas de piller et d’incendier Canton, cité déjà très commerçante, avec laquelle ils entretenaient par mer des rapports lucratifs. Le négoce et la guerre, voilà donc les deux grandes causes qui plusieurs fois durant le cours des siècles mirent en contact les Chinois et les musulmans ; ceux-ci ont fait irruption dans l’empire à des époques diverses et par des chemins différens. Cette conclusion générale ressort également de traditions altérées, mais vivantes encore dans le pays, et de l’étude des faits; en la soumettant au lecteur, je n’ai plus qu’à le renvoyer aux sources, s’il est curieux d’étudier de près ces formidables chocs de nations dont la vieille Asie a été le théâtre et dont l’Europe a souvent ressenti le contre-coup.

Les musulmans étaient déjà si nombreux dans le Yunan au XIIIe siècle que Marco-Polo, écrivant en 1295, représente la population de Yachi comme étant « un mélange d’indigènes idolâtres, de chrétiens nestoriens et de Sarrasins ou mahométans[5]. » La ville que l’illustre voyageur appelle Yachi paraît être la même que Tali, nommée Y-tchéou par Han-outi, qui la fonda après avoir porté ses armes au-delà du Gange. Cette cité célèbre, qui est aujourd’hui le centre de la révolte, reçut le nom de Yao-tchéou sous la dynastie des Thang, puis celui de Nan-tchao[6] quand elle eut secoué le joug des Chinois ; elle prit enfin, après qu’elle eut été conquise par le petit-fils de Gengis-Khan, le nom de Tali, qu’elle porte encore aujourd’hui. Depuis cette époque, les dynasties ont changé en Chine, les Mongoux ont été remplacés par des souverains nationaux, ceux-ci ont été renversés à leur tour par les Tartares-Mantchoux ; mais le pays de Tali n’en est pas moins demeuré pendant six siècles incorporé à l’empire. C’est en 1857 qu’il s’en est détaché de nouveau ; pour quels motifs et dans quelles circonstances ? Je vais essayer de le dire.

Les doctrines de l’islam ne se sont pas répandues sur la Chine à la suite des prédications qu’aurait pu y faire un apôtre voyageur, elles s’y sont perpétuées, sans s’étendre sensiblement d’ailleurs par la voie des conversions, chez les descendans d’anciens émigrés fixés dans le Céleste-Empire. Il y a lieu de penser que le christianisme dégénéré des nestoriens et l’islamisme modifié de ceux que Marco-Polo appelle Sarrasins se sont fondus en une seule doctrine, basée sur le dogme de l’unité divine, et que cette croyance commune a entretenu chez les adeptes, à l’égard des athées et des polythéistes, un mépris facile à convertir en haine. Ces sentimens se sont traduits cent fois par des révoltes partielles qui auraient suffi pour éclairer sur les causes et l’étendue du danger un gouvernement moins aveugle que le gouvernement chinois.

Les premiers désordres paraissent avoir éclaté en 1855, parmi des mineurs maltraités par les mandarins préposés à la surveillance des travaux. Le plus grand nombre des ouvriers appartenait à la religion mahométane ; exaspérés par la violence et se sentant en force, ils assassinèrent les officiers chinois et se répandirent en bandes armées dans la campagne en appelant à eux leurs coreligionnaires. À la suite de ce mouvement, les musulmans redoublèrent partout d’insolence, refusèrent les impôts, bravèrent les agens de l’autorité, en témoignant un dédain profond pour la population chinoise ; ils détruisirent les porcs au nom du prophète et violèrent les filles au nom d’Allah. En 1856, ils tentèrent d’assassiner à la fois tous les mandarins chinois de Yunan-sen. C’est alors qu’un homme énergique, nommé Changsou, qui avait fait ses preuves en combattant les taipïngs dans le Kouang-si, crut le moment venu de frapper un coup décisif. Gouverneur de Hokin, ville située à un jour de marche dans le sud de Likiang et non loin de Tali, il résolut, de concert avec le mandarin de Likiang et un autre chef chinois, d’organiser pour le même jour le massacre en masse des musulmans dans toute la province du Yunan, Il en fit périr en effet quelques centaines aux environs de Hokin, cruauté trop incomplète pour n’être pas dangereuse, et provoqua ainsi une insurrection générale. Par représailles, les mahométans, nombreux dans Tali, égorgèrent tous les officiers chinois de cette ville et se disposèrent à la lutte. Le mandarin de Hokin vint, en 1857, mettre le siège devant cette place, la seconde du Yunan, la première peut-être au double point de vue militaire et commercial. Il agissait au nom du gouvernement contre des rebelles abhorrés déjà, auxquels le temps avait manqué pour se préparer des ressources et pour se procurer des armes, et cependant il fut battu. Une sortie opérée par une vingtaine de musulmans déterminés suffit pour disperser l’armée assiégeante, composée de gens sans aveu, plus accoutumés à la fumée de l’opium qu’à celle de la poudre. Le fils d’un marchand de chevaux, lettré d’assez bas étage, originaire de Monghoa et portant le nom de Tou, fut alors proclamé souverain. Les mahométans l’ont appelé Soliman, les Chinois ont ajouté à son nom le titre de Uen-soai, et il gouverne à l’aide d’un conseil composé de quatre mandarins civils et de quatre mandarins militaires. Toute la partie occidentale de la province est rapidement tombée sous ce joug. Dans le premier enivrement de la victoire, ses troupes se sont avancées en plein Laos birman jusqu’à Sientong ; mais, repoussées par le roi de ce pays, elles se sont portées, comme nous l’avons vu, dans le midi du Yunan, sur Seumao et Poheul, qu’elles ont prises et perdues, et elles continuent de tenir en échec le brave gouverneur de Lin-ngan. Les musulmans n’ont gardé Yunan-sen que le temps nécessaire pour ruiner en partie cette grande et belle ville[7]. Plus puissans par le courage que par le nombre, ils règnent par la terreur qu’ils inspirent. On dit qu’ils enterrent ou écorchent vifs les prisonniers tombés entre leurs mains. Partout où ils ont des coreligionnaires, ils ont des partisans; leurs ennemis, frappés dans l’ombre au milieu de leurs propres soldats, meurent par le poignard ou par le poison. C’est ainsi qu’ils se sont défaits de leur implacable adversaire, le mandarin de Hokin. Celui-ci, enfermé à Ten-huen-chen dans un camp retranché, se prit de querelle avec ses généraux. Les soldats mirent à profit pour se débander ces contestations, issues de rivalités personnelles, et peu de temps après le terrible Changsou fut trouvé assassiné dans son lit.

Sans exposer en détail toutes les tentatives faites par le gouvernement de Pékin pour arrêter les progrès de l’insurrection, on peut dire qu’elles n’ont servi, en prouvant l’impuissance ou la vénalité des Chinois, qu’à redoubler la confiance de leurs ennemis. Les mandarins militaires s’approprient l’argent qu’on leur confie pour lever une armée, ou pactisent avec les rebelles. C’est le cas de Léan-Tagen, gouverneur de Tong-tchouan, chez lequel nous étions, comme on l’a vu, au mois de janvier 1868. A la suite de brillans succès, il s’est enfui sans profiter de sa victoire, après avoir laissé massacrer ses soldats[8]. Redoutant de nous voir entrer en rapports avec les musulmans, qui pouvaient nous éclairer sur sa conduite, il ne cessa de faire à notre voyage dans l’ouest une opposition désespérée; mais notre détermination était prise. Les sombres peintures, les prédictions sinistres demeuraient sans effet sur nos imaginations accoutumées à tout cela. Si nous n’avions pas senti, au moment des adieux, la main du commandant de Lagrée trembler dans la nôtre, si nous n’avions pas vu pâlir d’émotion le visage du docteur Joubert, demeuré seul près du malade, le jour de notre départ aurait été un jour de joie..

J’ai déjà dit que, d’après l’usage en vigueur depuis le Cambodge jusqu’en Chine, les étrangers ne sont pas admis à visiter ces contrées, s’ils n’ont eu la précaution de se pourvoir de passeports. Nous ignorions, au moment de notre départ de Saigon, l’existence du royaume naissant de Tali, et nous n’aurions eu d’ailleurs aucun moyen de communiquer avec ce pays. D’un autre côté, parmi les Chinois de Tong-tchouan, nous n’en trouvâmes pas un seul qui osât nous précéder chez les musulmans pour y porter une lettre. Nous partîmes donc un peu à l’aventure, sans autre garantie que le billet écrit en arabe par le vieux papa, de Yunan-sen, et sans trop compter sur le succès. Il était possible cependant que le même sentiment qui faisait envisager notre voyage avec un déplaisir très vif par les fonctionnaires chinois nous ménageât un bon accueil de la part des autorités musulmanes. Une poignée d’hommes résolus en lutte contre un immense empire pouvaient faire bon accueil aux envoyés de l’un de ces gouvernemens européens dont les peuplades les plus sauvages admirent, à travers le voile de récits fabuleux, la puissance merveilleuse, et il n’était pas impossible que les rebelles se montrassent empressés de nouer des relations avec eux. Les principaux événemens de la guerre de Chine sont connus d’ailleurs, en dépit de tous les mensonges officiels, jusqu’aux extrémités de l’Empire-Céleste, et si certains épisodes de cette mémorable campagne ont pu confirmer les Chinois dans l’idée que nous étions des barbares, nous avons fait au moins preuve de force et d’audace, deux qualités très estimées à Tali. La guerre ayant rendu impraticable la route directe de Tong-tchouan à Tali, il fut convenu que nous contournerions le pays des rebelles avant d’y pénétrer, et que nous approcherions le plus près possible de leur capitale, en suivant les frontières de la province chinoise de Setchuen.

Notre caravane, réduite à quatre officiers[9] et à cinq hommes d’escorte, se met en marche le 30 janvier 1868, à dix heures du matin. Nous entrons de nouveau dans la vallée que nous avons suivie longtemps avant d’arriver à Tong-tchouan. Les montagnes qui l’encaissent sont toujours rougeâtres et désolées. Cependant, lorsqu’on les voit s’étager derrière soi et fermer l’horizon, on ne les contemple pas sans plaisir, inévitable effet du lointain, dont les choses profitent comme les hommes. La route, sentier rocailleux tracé sur le bord de la rivière ou dans la montagne elle-même, est encombrée de chaises à porteurs, de piétons, de cavaliers enrubannés et en habits de fête. C’est la manière en Chine comme en Europe de souhaiter la bienvenue au nouvel an. Il n’est pas jusqu’aux chevaux et aux mulets chargés de sel qui ne portent au front des festons et des banderoles. Nous faisons notre première halte dans un petit village occupé à se fortifier. L’auberge est chétive et malpropre; les lits, toujours dressés, sont en pierre, avec oreillers sculptés. Nous étendons nos nattes sur ces couches de granit, car nous n’avons pas eu jusqu’à présent, comme les voyageurs chinois, la ressource de porter sur la selle de nos chevaux couvertures, matelas et édredons. Cependant, comme M. de Lagrée nous a mesuré les jours d’une main avare, et qu’il faut, pour obtenir un résultat tout en restant dans les limites de temps imposées par les instructions de notre chef, marcher avec une rapidité extrême, nous nous décidons à nous procurer des montures. Dans le Yunan, rien n’est plus aisé. Les chevaux sont très abondans dans cette province montagneuse, moins bien pourvue de cours d’eau navigables que d’autres contrées de la Chine, et où les transports se font à dos d’hommes ou d’animaux. Ces chevaux sont « petits, de basse taille pour la plupart, mais forts et hardis[10]. » — « C’est probablement à la même race, écrit Marsden, qu’appartiennent les chevaux du Bas-Thibet qu’on mène vendre dans l’Hindoustan. Les habitans du Boutan dirent au major Rennel qu’ils faisaient venir leurs chevaux d’un pays situé à trente-cinq jours de marche au-delà de leurs frontières[11]. » Si tardive qu’ait été cette acquisition, elle nous a évité bien des fatigues. De Craché[12] à Tong-tchouan, M. de Lagrée avait toujours été contraint de se renfermer dans les bornes étroites d’un budget insuffisant; il avait plus souffert qu’aucun de nous d’une économie qu’il pratiquait en toute occasion en déplorant qu’elle fût nécessaire. L’emprunt heureusement conclu avec Ma-Tagen nous plaçait, sous le rapport financier, dans une situation meilleure, et nous permettait d’acheter des chevaux. Je n’ai conservé, pour ma part, que des souvenirs charmans de ces premiers jours de marche, pendant lesquels j’avançais en rêvant à mon aise, sans nul souci de la route, car mon cheval, accoutumé à se guider lui-même, me portait avec autant d’assurance qu’il portait auparavant des sacs de sel ou des ballots de coton.

Au commencement du mois de février, la terre, toute frémissante de son travail intérieur, recelait encore les germes dans son sein et demeurait uniformément grise. C’était à peine si de loin en loin quelque gramen indiscret venait révéler la prochaine éclosion, l’immense et universelle explosion de vie. Les arbres fruitiers, très nombreux autour de nous, bordaient la route. Tous bourgeonnaient; la sève montante faisait éclater l’écorce, et les plus précoces étaient déjà couverts de fleurs blanches ou rosées. Une forêt de pommiers, d’abricotiers et d’amandiers se préparait à semer de neige le tapis que les rizières naissantes allaient bientôt dérouler à leurs pieds. Ces tableaux rians ne tardèrent pas à être remplacés par des scènes d’un tout autre caractère. Arrivés par une pente insensible jusqu’à un col resserré, nous eûmes soudainement devant les yeux comme un énorme entassement de montagnes grises, nues et ravinées. Nous sentions les approches d’un grand fleuve vers lequel une force invincible attirait tous les torrens grondant au fond des gorges. Quelque chose de solennel annonçait sa présence. La main de Dieu semble avoir entouré les grandes artères du monde physique de barrières infranchissables, de même qu’elle a pris soin d’enfermer dans plus d’ombre et de mystère les vaisseaux essentiels du corps humain. Il nous faut descendre lentement dans le gouffre par d’étroits sentiers suspendus aux flancs des montagnes. D’un côté, la muraille lisse, taillée parfois en demi-voûte, s’avançait au-dessus de nous, ou bien nous passions sous une sorte de portique semblable à ceux que creuse la mer en battant les falaises; de l’autre côté, nous avions un abîme à donner le vertige. Si imparfaite qu’elle soit, une telle route a dû coûter bien des peines à construire. Ouverte dans la roche calcaire, qui forme en grande partie la carcasse des montagnes, elle est souvent glissante au point d’ajouter un péril de plus aux dangers du voyage. Sur un espace immense, les pentes sont trop raides pour maintenir les terres, et la pierre affleure partout en rocs aigus et bleuâtres comme la lave figée d’un volcan qui aurait détruit sur son passage jusqu’au plus humble germe de vie. On se sent écrasé soi-même par ces proportions démesurées de la nature inerte, entre ces colosses qui semblent peser sur votre tête et ces abîmes qui vous attirent. Les caravanes apparaissent au loin comme des fourmis hâtant le pas pour achever l’étape avant la nuit. Chevaux et mulets indisciplinés, marchant à l’aventure et prompts à s’effrayer, roulent souvent dans le précipice quand ils se rencontrent aux endroits périlleux. Aussi, avant de s’y engager, les mandarins font-ils parcourir ces routes par un éclaireur qui intime aux négocians l’ordre de se garer dans certains lieux disposés à cet effet. Le gouverneur de Tong-tchouan avait spontanément, sans nous en prévenir, pris pour nous cette précaution nécessaire.

Posées sur de petites terrasses comme des nids d’aigles collés aux rochers, des cases chétives abritent une pauvre famille qui vit du sapèque déposé par chaque voyageur auprès du bol de thé froid qu’il absorbe en passant. Les chaleurs sont en effet très fortes, même au mois de février. Toutes ces murailles de pierre exposées aux rayons ardens du soleil, qui ne rencontrent pas une feuille d’arbre pour les briser, s’échauffent vite, et l’on respire à peine dans l’atmosphère embrasée de cette immense fournaise. Enfin, après une marche longue et pénible, nous voyons, au fond du berceau que lui forment deux montagnes abruptes, le Yang-tse-kiang étendre, malgré la qualification de Fleuve-Bleu, ses eaux vertes comme celle d’une mer endormie dans une anse. Tout pleins du souvenir du Mékong, nous nous attendions à voir le Yang-tse bouillonnant et limoneux comme lui; il est au contraire tranquille et tout imprégné de lumière. Nous saluons avec transport ce fleuve qui anime à lui seul une région où tout est mort, qui nous donne une image de la vie paisible et féconde au milieu d’une nature stérile et tourmentée. Il paraît d’ailleurs, d’après les renseignemens qu’on nous a donnés, que des roches hérissent le lit du fleuve à une courte distance en-deçà et au-delà de Manko, village où nous avons pris une journée de repos. Ce village, station forcée des voyageurs qui se rendent au Setchuen par cette route, a presque l’importance d’une petite ville. Cependant il n’y réside aucun fonctionnaire qui ait le droit de requérir pour nous des porteurs de bagages. Nous nous hâtons d’en louer, et au prix de 2 francs 25 centimes par jour nous avons des hommes qui marcheront avec courage, que nous n’aurons ni la fatigue de stimuler, ni l’ennui de surveiller constamment. Les corvéables s’échappent souvent, quand ils espèrent se dérober à la peine dont la loi les frappe dans ce cas. Il faut en outre les harceler sans cesse, disputer avec eux sur le choix des lieux de halte, la durée des étapes, toutes choses impossibles pour nous, car nous étions partis de Tong-tchouan absolument livrés à nous-mêmes, sans un interprète quelconque, sans un homme auquel nous pussions nous confier au milieu de ce monde inconnu.

Le lendemain, après une heure d’attente que je passai sur la rive, regardant couler le Fleuve-Bleu à 500 lieues de son embouchure, un gros bateau quitta la berge opposée et s’avança lentement vers nous. Notre caravane, chevaux compris, y entra tout entière. Cette lourde machine, à laquelle des troncs d’arbre à peine équarris servaient d’avirons, se mit alors en mouvement, et nous porta de l’autre côté du fleuve profond[13] qui sert de limites aux deux provinces les plus occidentales de l’empire chinois, le Setchuen et le Yunan. Alors commença l’une de nos ascensions les plus longues et les plus pénibles. Nos chevaux s’engagèrent dans un sentier qui semblait à peine praticable pour les chèvres, et nous nous élevâmes presque en droite ligne, ayant toujours à nos pieds le fleuve semé de bancs de sable étincelans. Les champs de canne à sucre faisaient sur les rives des taches vertes et régulières. Manko se montrait toujours directement au-dessous de nous; mais dans des proportions qui diminuaient à vue d’œil, et cette diminution constatait seule pour nous les progrès de notre marche. Enfin le chemin s’enfonça en corniche au-dessus d’une vallée latérale, la pente se fit plus douce, nous redevînmes sensibles aux beaux spectacles, et nous admirâmes, en reprenant haleine, le magnifique panorama des hautes montagnes qui marquaient le cours du fleuve derrière nous. Celui-ci nous apparaissait encore par intervalles comme un mince serpent vert aux écailles luisantes glissant avec mollesse et tournant sans s’irriter les obstacles qu’il ne pouvait franchir. C’est le matin surtout que j’aimais à contempler les montagnes, quand l’aurore, immortelle magicienne, jetait l’or et la pourpre sur la nudité osseuse de ces enfans de l’Himalaya; leurs têtes, peu à peu sorties de l’ombre, s’entouraient d’une éclatante auréole, et, la lumière déchirant enfin tous les voiles, les masses entières resplendissaient à la fois en se reflétant dans le fleuve comme dans un miroir d’émeraude. Nous montions toujours. Après avoir eu sur les bords du Yang-tse-kiang plus de 25 degrés de chaleur, nous grelottions dans nos manteaux, surpris par ce brusque changement de température comme des baigneurs plongés dans la vapeur et qu’on inonderait ensuite d’eau glacée. Elle a quelque chose d’étrange, la sensation qu’on éprouve à une grande hauteur; là, hors le murmure du vent, nul bruit n’arrive; on se sent plus léger, et les couches de l’atmosphère semblent acquérir une transparence sensible. Ce calme, ce bien-être intime, ne sont point altérés par l’aspect tourmenté de la terre au-dessous de soi; les gorges sans fond, les roches de toute nature entassées pêle-mêle, témoins éloquens des grands bouleversemens du passé, tout cela vous laisse indifférent; quand on n’a sur la tête que l’azur du ciel, on participe à cette sérénité. Pas un être vivant n’habite volontairement au milieu de ce chaos. J’aperçois seulement à une grande distance au-dessous de moi un troupeau de moutons jaunes poussés par un pâtre et cherchant une maigre pâture d’herbes brûlées. Ils s’agitent lentement au milieu des rocs bleuâtres qui percent le sol, et ils semblent ramper; on dirait de la vermine sur l’habit troué d’un mendiant. Mon cheval, pour éviter les graviers du sentier, a l’habitude de marcher sur l’étroite bande gazonneuse où le précipice commence; je le laisse faire, il tient à l’existence autant que moi, et je me fie bien moins à ma raison qu’à son instinct.

Le village de Ta-cho se présente à merveille avec son pont de bois et ses maisons blanches ombragées par de grands arbres. Un peu de verdure et un petit paysage bourgeois font tant de plaisir après les spectacles grandioses offerts aux yeux par la zone sauvage et nue que nous venons de parcourir ! Nous logeons dans une des nombreuses hôtelleries de ce village, où les caravanes s’arrêtent. De vastes écuries abritent un nombre considérable de chevaux et de mulets. Le soir, en face de nous, un long serpent de feu illumine les ravins creusés dans la montagne, en dévorant le peu de végétation qui s’était réfugiée là. Depuis la Cochinchine jusqu’ici, nous avons rencontré partout des traces de cette dévastation sans but qui détruit en quelques heures les ressources que la nature met des siècles à créer. L’hiver rappelle périodiquement aux Chinois la nécessité de se chauffer, et ils seraient probablement plus ménagers du bois s’ils n’avaient presque partout, dans le pays que nous avons visité, du combustible minéral facile à extraire.

Non loin de Ta-cho, le sentier s’enlace encore aux flancs escarpés des montagnes; le froid nous saisit de nouveau; un vent glacé nous souffle au visage, effeuillant la couronne de neige que les pics les plus élevés portent au front. Ces crêtes, où se développe une végétation toute spéciale, sont le dernier asile de certaines tribus sauvages qui ne se rencontrent plus dans les plaines. Vêtus d’un manteau de feutre raide et à plis réguliers, la tête couverte d’un haut bonnet en hélice, ces derniers représentans d’une race opprimée nous regardent passer, immobiles, accroupis au milieu des rhododendrons et de pins rabougris. Ils bâtissent leurs pauvres villages dans les plis du terrain et cultivent les pentes ; mais la moisson manque souvent sur ces versans abrupts, entraînée par la pluie au fond de l’abîme avec la terre qui la portait. Après avoir vaincu ces malheureux, les Chinois les insultent ; d’odieuses peintures couvrant les écrans des pagodes représentent un de ces beaux sauvages en costume national, enchaîné et sans armes, essuyant les outrages d’un groupe de soldats chinois : vengeance bien digne du peuple lâche qui s’y complaît !

Nos porteurs de bagage, venus de Tong-tchouan à Manko comme corvéables, mais loués depuis ce dernier point, sont encore gais et agiles malgré ces horribles montées, qui ont mis sur les dents nos chevaux et nous-mêmes. Ils ont le pied d’une étonnante sûreté, et, bien que chargés lourdement, ils ne chancellent jamais, même dans ces chemins à pic dont le dallage, à tout instant interrompu, forme une longue succession d’escaliers et de fondrières. La plupart des auberges étaient des antres nauséabonds encombrés de voyageurs. Dans l’une d’elles, la chambre d’honneur, où il fallait allumer de la lumière en plein midi, n’avait d’ouverture que sur l’écurie, appentis étroit qui servait à la fois de porcherie et de lieu d’aisances. Au village de Tchang-tchou, nous avons été plus heureux, et nous nous sommes installés avec joie dans des chambres qui donnaient sur une galerie élevée au-dessus d’une cour intérieure. Les misères, les rudes fatigues du jour sont bien vite oubliées le soir, lorsqu’on a retrouvé bon souper et bon gîte ; quant au reste, en vérité nous n’y songions guère. À Tchang-tchou cependant, où nous arrivons transis après une longue marche sous la neige, nous essayons de faire un punch avec la mauvaise eau-de-vie du pays. La flamme s’élève, se balance, livrée au caprice du vent qui pénètre par les cloisons mal jointes ; chacun se laisse aller aux souvenirs que rappellent ces feux légers aux teintes mobiles qui ont jeté sur tant de scènes de jeunesse le même éclat éphémère ; mais la réalité chassa le rêve lorsque le moment fut venu de déguster ce breuvage exécrable, qui ne blessait pas moins l’odorat que le goût. Les curieux, voyant à travers le papier déchiré qui garnissait nos fenêtres, au milieu d’une chambre où toute autre lumière était éteinte, un homme à barbe longue et rousse agiter un feu fantastique qui semblait courir sur la table, nous prirent pour des sorciers en train de composer un philtre, et s’enfuirent épouvantés. L’aubergiste, pour se rendre favorable des étrangers versés dans les sciences occultes, commença sur-le-champ la sérénade dont il est d’usage d’honorer les mandarins ; un vieux tambour et une vieille casserole en firent les frais.

En quittant Tchang-tchou, nous entrons dans une vallée encadrée par les montagnes, qui y poussent leurs contre-forts et la découpent en vertes lagunes. Le ciel est clair, et la neige, étincelant au soleil de midi comme une frange d’argent, tranche par son éclat métallique sur la blancheur vaporeuse des nuages. Les villages pullulent dans cette vallée, les maisons sont neuves ou fraîchement blanchies; de loin en loin, quelques groupes d’habitations rappellent les villas soignées de nos marchands retirés des affaires. Cette partie du Setchuen paraît respirer l’aisance et profiter du triste état de la province voisine, dépeuplée par la guerre, la peste et la famine.

À ces consolans symptômes de calme prospérité s’ajoutent, aux abords de Hoéli-tcheou, des signes d’animation et d’activité commerciales. Cette ville est entourée d’une forte enceinte; des bastions viennent d’être achevés, d’autres travaux de défense sont en cours d’exécution ; d’ailleurs les événemens paraissent inquiéter très peu les habitans d’Hoéli-tcheou. Nous sommes à plus de dix jours du renouvellement de l’année, et ils célèbrent encore cet événement périodique. Des arcs de triomphe en bois peint, embrassant la largeur de la rue, s’élèvent à de courts intervalles du milieu de la foule grouillante. Les maisons, petites et basses, dont les façades en bois sont décorées de lanternes multicolores, ont l’apparence de baraques construites à la hâte pour un jour de foire; un acrobate, le visage caché par un masque grotesque, s’épuise en contorsions sur une pyramide de tréteaux; nous passons, et, malgré ses efforts pour retenir autour de lui les curieux, nous entraînons à notre suite la foule heureuse de voir si à propos une exhibition d’Européens véritables. Nos chevaux se fraient avec peine un passage jusqu’à l’hôtel où l’on nous conduit. Cet établissement a bonne mine, et ne manque pas extérieurement d’un certain air de propreté d’autant plus séduisante qu’elle est plus rare. Au-dessus d’une cour intérieure étroite et longue, une galerie avec balustrade en bois donne accès dans des cellules sans fenêtres, où règne une perpétuelle obscurité. Il semble que les Chinois en voyage ne s’arrêtent à l’hôtel que pour dormir ou fumer l’opium. Par les portes entre-bâillées, j’ai aperçu en effet, à la lueur de la petite lampe dont un fumeur d’opium ne se sépare jamais, des hommes étendus sur une natte aspirant la vapeur blanche qui exhale une odeur d’abord peu sensible, mais qui ne tardait pas à s’imposer en quelque sorte à mes sens, au point qu’il m’est souvent arrivé de m’arrêter comme pour dérober au fumeur endormi quelque chose de son ivresse. Hoéli-tcheou est essentiellement une ville de transit, et elle s’est appropriée à cette destination. Les maisons sont de vastes magasins où s’entassent des blocs de cuivre et de sel, des balles de coton, des boîtes de plantes médicinales et tinctoriales. Des rues entières sont habitées par des fabricans de bâts, des vendeurs de harnachemens de chevaux et autres objets nécessaires aux caravanes. Le yamen du gouverneur que nous allons visiter ne répond guère à la réputation que s’est faite ce personnage, âpre au gain et concussionnaire émérite. Il prélève un droit considérable sur les négocians qui vont prendre un chargement aux mines de cuivre; il impose de sa propre autorité une foule d’industries, au point qu’on a cessé, dans les limites de sa circonscription, d’utiliser les barques sur les parties navigables du Fleuve-Bleu. Malgré toutes ces ressources extraordinaires, son yamen n’a qu’un ameublement très simple. Nous demeurons chez lui pendant le temps nécessaire pour placer les quelques mots chinois de notre vocabulaire appropriés à la circonstance. Cela est bientôt fait, et nous nous retirons, laissant un homme peu éclairé sur nos projets et visiblement inquiet de nos résolutions. Le soir, un messager nous apporte une lettre fort obscure, traduite à grand’peine par le plus lettré de nos Annamites. Dans cette lettre étrange, le gouverneur nous annonce qu’on a observé des étoiles se livrant dans le firmament aux pérégrinations les plus fantasques, et qu’elles avaient fini par disparaître. Cette consultation astronomique était-elle une allusion délicate à notre voyage à Tali, l’objet de toutes les préoccupations des autorités chinoises, et au sort qui nous était réservé chez les mahométans? Nous ne l’avons jamais bien su; mais, si cette interprétation est la vraie, il faut convenir que le mandarin de Hoéli-tcheou avait trouvé le moyen de rajeunir, par la forme flatteuse et imagée qu’il lui donnait, une prédiction qui nous avait été déjà bien souvent faite. Ce personnage a voulu d’ailleurs nous traiter en mandarins, et s’est permis de renvoyer, sans nous consulter, les porteurs de bagage dont nous avions loué les épaules, pour les remplacer, au moment de notre départ, par des corvéables mis en réquisition sur ses ordres. Nous nous sommes trouvés en outre escortés de cinq ou six petits chefs qui nous entouraient de soins, s’étudiaient à deviner nos désirs avant même qu’ils fassent formés, et ne nous laissaient seuls que lorsqu’il se présentait une occasion de boire. Ces hommes déguisaient mal leur qualité d’espions sous le masque de serviteurs empressés. Nous n’avions rien à cacher, et nous leur disions très haut que nous étions résolus à entrer dans Tali. C’était singulièrement faciliter leur tâche.

Le chemin continue d’être très accidenté. Les flancs des montagnes sont magnifiquement parés de buissons de camélias roses et de rhododendrons remarquables par leurs dimensions diverses et leurs nuances variées. Parmi ces derniers arbustes, les uns sont couverts de fleurs rouges qui se détachent sur le fond sombre du feuillage avec tant de vigueur que l’œil en est ébloui; les autres ont des fleurettes touffues et blanches, d’une délicatesse exquise comme celle des azalées. Dans les plaines, les fleurs pâles du pavot, culture répandue sur d’immenses espaces, se balancent sur leur tige flexible et longue, charmant la vue et imprégnant l’air d’une senteur violente qui monte au cerveau. Les animaux eux-mêmes ne résistent pas, dit-on, au vertige; les abeilles, par exemple, butinent avec rage sur ces sirènes végétales; lorsque les pétales sont tombées et que l’homme a recueilli le poison pour lui-même, les abeilles, enivrées et blasées, dédaignent le suc des autres plantes et se laissent mourir d’inanition. Des rats qui avaient élu domicile dans une bouillerie d’opium ont été trouvés morts en grand nombre peu de jours après la clôture de cet établissement; accoutumés à respirer les vapeurs exhalées des chaudières, ils ont cessé de vivre dès qu’elles leur ont manqué. Les chevaux et les porcs qui ont goûté aux pavots refusent toute autre nourriture, et dépérissent après la récolte de l’opium, saisissante image des périlleux enivremens de la vie!

Nous sommes arrivés jusqu’au village de Hompousso sans interprète, mais devancés par une lettre du gouverneur de Tong-tchouan à celui de Hoéli-tcheou, de qui relève encore ce pays, et n’ayant en somme qu’à nous laisser transporter et conduire. Nous touchons ici à la limite des états soumis au gouvernement chinois; à quelques lieues de nous, la guerre continue, guerre terrible et sans merci, surtout pour l’habitant paisible, également pillé par les deux armées. Il importe de ne pas s’engager au hasard dans l’une des routes qui mènent à la capitale du royaume musulman. Les renseignemens nous manquent, et, en supposant qu’un Chinois voulût bien nous en fournir d’exacts, nous ne serions pas en mesure de les comprendre et de les contrôler. Nous avons appris à Yunan-sen qu’à deux jours de marche de Hompousso demeurait un prêtre catholique chinois; au milieu de notre embarras, c’était un bonheur inespéré; rien ne saurait exprimer l’émotion que j’ai ressentie en recevant le billet écrit en latin par lequel cet interprète inattendu nous annonçait son arrivée. Trouver un Chinois qui non-seulement parle une langue connue, mais qui soit, par la force des choses, en communion d’idées et de sentimens avec vous au milieu d’une foule curieuse et malveillante, dans un hameau perdu loin du monde civilisé, cela tient du prodige. A quelque croyance qu’on appartienne, ce grand résultat du catholicisme obtenu sans bruit, dans une obscurité si redoutée des œuvres humaines, frappe l’esprit d’admiration et de respect quand une circonstance fortuite le met subitement en lumière. A peine entré dans notre maison, le père Lu est assailli de questions; il y répond avec une bonne grâce dont sa timidité augmente le charme. Il consent à nous accompagner jusqu’au village de Machan, où il réside; il ne pourrait aller plus loin sans interrompre la visite annuelle de ses chrétiens et sans se compromettre vis-à-vis du gouvernement impérial; des Chinois pris de vin lui ont déjà prodigué les menaces et les insultes parce qu’il rendait service à des Européens. Il est convenu que nous irons ensemble à Machan, et que là, avec le secours du père Lu, nous choisirons, entre les routes diverses qui mènent à Tali, sinon la plus directe, au moins la plus sûre.

Nous retrouvons le Yang-tse-kiang, dont les eaux toujours vertes coulent à travers un paysage moins beau que celui qui leur sert de cadre à Manko. Après quelques heures de marche pénible dans le sable du rivage, nous voyons le grand fleuve se bifurquer, et nous mettre en présence d’un problème géographique sur la solution duquel les Chinois disputent depuis des siècles sans parvenir à s’accorder. Il s’agit de savoir si c’est le bras venant du nord ou celui venant de l’ouest qui est le véritable Fleuve-Bleu. Les données générales de la science tranchent[14] la question en faveur du bras de l’ouest, qui prend le nom de Kin-cha-kiang (fleuve au sable d’or), tandis que son rival porte celui de Pe-shoui-Kiang (fleuve à l’eau blanche). Le nom de Yang-tse-kiang n’est appliqué qu’après le confluent aux deux fleuves réunis.

Sur la rive gauche du Kin-cha-kiang, sensiblement amoindri au-dessus du point de jonction, le charbon affleure en divers endroits dans la vallée. Nous avons visité un puits à deux lieues de Machan environ. Le combustible appartient au propriétaire du sol, qui vend 600 sapèques le droit d’en extraire 1,000 livres chinoises. Chacun vient prendre la quantité qu’il veut consommer et l’extrait lui-même à ses frais. Réduit en poudre agglutinée, en forme de gâteaux très employés pour la cuisine indigène, ce charbon se vend le double, 1,200 sapèques ou un demi-taël les 1,000 livres. On se dispense de pousser fort loin les travaux, et, sans creuser des galeries, on se borne en quelque sorte à écorcher la surface du sol. Un certain nombre des chrétiens du père Lu viennent à cheval au-devant de nous, et nous faisons à Machan une entrée solennelle. Machan est un pauvre village plusieurs fois détruit et souvent assailli par des bandes de loups féroces qui descendent des montagnes, enlèvent des animaux et des enfans, et souvent même étranglent des hommes. Nous prenons là un jour de repos en préparant notre départ. Nous étions sur la limite du Yongpé. Cette contrée appartient au Yunan, qui forme sur la rive gauche du Kin-cha-kiang une enclave bizarre dans le territoire du Setchuen. Ce pays est en grande partie peuplé par des sauvages turbulens, qui se sont révoltés en 1859 contre le gouvernement impérial et ont commis l’imprudence d’appeler à leur aide les musulmans. Ceux-ci ont fait irruption chez eux, et leur ont imposé un joug nouveau plus dur que l’ancien. En pénétrant dans cette région, que traverse la route ordinaire du Setchuen à Tali, nous aurions couru le risque de nous voir barrer le chemin par un chef timoré, placé trop loin du centre du royaume mahométan pour qu’il fût possible d’en appeler au besoin de sa décision au sultan de Tali. En offrant un prix très élevé, nous parvenons enfin à réunir des hommes courageux qui consentent à nous servir de porteurs et de guides. Ils nous indiquent une route presque déserte, très longue et très dépourvue de ressources, mais qui, n’étant pas fréquentée par les soldats, n’a d’autre inconvénient que d’être exposée aux incursions des brigands, et notre expérience nous porte à redouter beaucoup moins les voleurs que les gens de guerre chargés de les surveiller. Nous aurons à faire 300 kilomètres environ au lieu de 200, que l’on compte au maximum par le chemin de Yongpé. Bien qu’ils soient ardemment secondés par le père Lu, nos efforts pour trouver un messager qui veuille bien porter à Tali une lettre et le billet en arabe du papa demeurent infructueux.

Par leur persévérance encore plus peut-être que par leur hardiesse, les Anglais ont acquis comme explorateurs du globe une réputation prépondérante, et ce n’est pas un médiocre sujet de plaisir de réussir là où ils ont constamment échoué. Cette satisfaction, qui prend sa source dans une pensée d’émulation féconde et non dans un sentiment de vanité puérile, nous l’avions éprouvée déjà en passant les premiers de l’Indo-Chine en Chine, du Laos dans le Yunan. Au moment où nous allons mettre le pied sur le territoire musulman, il n’est pas sans intérêt, à ce point de vue, de rappeler les obstacles devant lesquels avait jugé nécessaire de s’arrêter Is colonel Sarel, chef de la dernière expédition anglaise qui ait remonté, en partant de Shang-haï, le cours du Fleuve-Bleu. Cet officier ne dépassa point Pinshang, limite extrême de la navigabilité du Yang-tse-kiang, dont il nous a été donné de reconnaître et de suivre le cours à plus de 300 milles au-delà de ce point. Ce résultat n’est pas sans importance, on peut en juger par les paroles mêmes du docteur Barton, l’un des membres de l’expédition anglaise. Celui-ci, après avoir dit pour quels motifs le colonel Sarel dut s’arrêter à Pinshang, s’exprime dans ces termes, où l’on sent respirer, malgré la déception finale, une sorte de patriotique orgueil : « Ainsi, après avoir remonté le Yang-tse-kiang durant 1,800 milles en explorant et en observant 900 milles de plus que tout autre Européen, excepté les jésuites revêtus du costume chinois, après avoir pénétré à la plus extrême frontière occidentale de l’empire, car nous n’étions qu’à quelques milles du pays occupé par les tribus indépendantes, nous nous vîmes forcés d’abandonner toute espérance d’accomplir notre plan primitif, d’atteindre l’Inde par la voie du Thibet, et nous dûmes retourner à Shang-haï après une absence de cinq mois[15].» En fait, dit un écrivain anglais très admirateur du colonel §arel, cet officier n’abandonna son entreprise que lorsqu’il eut atteint une contrée plongée dans la rébellion et l’anarchie, et à travers laquelle aucun guide ne voulait s’aventurer avec lui.

Quoi qu’il en soit, avant de nous aventurer nous-mêmes dans un pays en proie à la rébellion et à l’anarchie, nous jouissons tout un jour de l’hospitalité du père Lu. Ce jeune prêtre nous comble de soins délicats et d’attentions charmantes. Il n’hésite pas à se dépouiller en notre faveur du seul flacon de vin de Porto[16] qui, en dehors de la réserve nécessaire aux besoins du culte, constitue toute sa cave, liqueur précieuse qui lui a été donnée par un ancien évêque du Yunan, résidant aujourd’hui sur la frontière du Thibet, et dont le meilleur johannisberg ou le plus pur tokay n’égalera jamais pour nous la saveur. — L’église du père Lu est située à une lieue du village de Machan. Elle est pauvre, ornée seulement de quelques grossières images, et sert successivement de salon, puis de salle à manger dès que les mouchoirs d’indienne qui figurent la nappe d’autel ont été repliés, après la messe, par le sacristain indigène. La chambre du missionnaire touche à son église. J’ai passé des heures trop vite écoulées dans cette modeste cellule, scrutant la bibliothèque, toute contenue dans un étroit bahut, et dévorant les livres au hasard. La Bible, le livre par excellence, est le premier qui me soit tombé sous les yeux. Ces pages, tout imprégnées d’austère philosophie et de poésie ardente, où l’idée religieuse, tour à tour douce et terrible, se montre tantôt sous la forme sévère d’un Dieu courroucé dictant ses lois au milieu des orages, tantôt sous les traits d’une belle Juive appelant sur elle les brûlans baisers d’un amant, ce mélange de gravité solennelle et de grâces mystiques, tout cela produisit sur moi, après une si longue abstinence de toute nourriture morale, un effet que j’essaierais vainement de décrire. Que d’idées vagues, que de sensations mystérieuses se heurtent en tumulte dans le cerveau d’un jeune Chinois méditant devant l’image de sainte Madeleine après la lecture du Cantique des cantiques! Le père Lu s’est déchinoisé au séminaire, et j’imagine, à voir sa douce figure, qu’une phthisie commençante n’y a pas à elle seule répandu tant de pâleur. Les êtres charmans qu’il n’a connus que par ses livres ne peuvent manquer parfois dans ses rêves de prendre un corps à ses yeux. Bien qu’habitué dès l’enfance à tout rapporter à Dieu, surtout l’amour, je le soupçonne de pleurer sur lui-même et d’honorer, avec une tendresse qui ne supporterait peut-être pas l’analyse d’une orthodoxie rigoureuse, ces saintes d’une autre race aux cheveux blonds et aux yeux d’azur qui lui semblent sans doute beaucoup plus près des anges que les tristes femmes de son pays. C’est en latin que nous causons avec le père Lu, et dans un latin à faire frémir, si loin qu’ils reposent, Virgile et Cicéron. Le matin de notre départ, cet excellent missionnaire, devenu bien vite notre ami, nous recommande de charger avec soin nos catapultas, et, convaincu que nous jouons notre existence, il nous quitte tout ému pour aller à l’autel attirer sur nous les bénédictions de Dieu.

Nous traversons le Kin-cha-kiang dans de petites barques que le poids de deux chevaux fait chanceler au moindre mouvement de ces animaux. Les eaux du fleuve sont toujours vertes, les rives toujours déboisées. Les grandes forêts ne se retrouvent qu’à la hauteur de Hokin et de Likiang. Elles appartiennent au gouvernement, mais suivant un procédé usité, je crois, en Norvège, la compagnie qui exploite ces forêts lance les arbres dans le fleuve après les avoir marqués au sceau impérial, et les fait arrêter à Souitcheou-fou. Nous débarquons sur le territoire du Yunan. La route que nous nous sommes déterminés à prendre a peut-être existé jadis, mais il n’en reste aucune trace, et chacun de nous se fraie comme il peut un passage à travers les broussailles, escaladant les roches, s’accrochant aux racines et aux branches. Nos porteurs de bagage, loués très cher à cause des risques auxquels ils s’exposent, nous font la loi et demandent à s’arrêter, après une marche de quelques heures, dans une case isolée dont tous les habitans ont fui à notre approche. Sur cette frontière si souvent franchie par les bandes musulmanes, les gens paisibles sont encore plus timides qu’ailleurs. Une vieille femme, qui s’est exposée à tous les dangers pour ne point abandonner son logis, sort enfin de derrière un bahut; rassurée par nos manières, elle se met à rappeler son monde. Après une heure de cris persuasifs, six robustes gaillards quittent les gîtes où ils s’étaient blottis comme des lièvres, et, chacun s’évertuant, nous avons bientôt une table, des bancs, des lits en planches. Les chevaux prennent place sous un hangar, et je fais ouvrir un cercueil, meuble qui m’a déjà rendu bien des services en pareille occasion, pour y placer le fourrage de mon cheval; mais il était occupé par le propriétaire. Les porcs habitent sous le même toit que ce cadavre, tout à côté se fait la cuisine. Après la récolte, lorsqu’ils auront du temps à perdre et de l’argent à dépenser pour les funérailles, nos hôtes songeront à enterrer leur père.

Le pays est absolument désert, et nous cheminons longtemps sans rencontrer un seul voyageur. Nous pénétrons enfin, non sans curiosité, dans le premier village du royaume musulman. Il est d’ailleurs fort tranquille et ne justifie point la frayeur de nos porteurs. Rien n’aurait empêché les insurgés de reculer leurs frontières jusqu’au fleuve; cependant ils ont laissé entre le Kin-cha-kiang et leurs domaines une sorte de zone neutre où le drapeau rouge des troupes impériales flotte encore pour la forme, mais où les fonctionnaires, peu soumis à une hiérarchie tombée d’elle-même par la fuite des mandarins, sont des habitans du pays, véritables chefs de garde nationale qui jouissent d’une demi-indépendance, et exercent sans contrôle le pouvoir dont ils se sont emparés. Il arrive souvent que les autorités constituées désignent elles-mêmes ces personnages militaires, destinés à les remplacer. Le motif qui a déterminé le nouveau sultan de Tali à suspendre le succès de ses armes est tout commercial, et ce motif est bon à noter parce qu’il éclaire un des côtés les-plus originaux du caractère chinois. Le drapeau blanc, adopté par les rebelles, aurait pu effrayer le négoce, s’il avait été arboré sur les rives mêmes du fleuve, et il était habile de ménager une transition. Le gouvernement chinois n’a jamais essayé d’ailleurs d’enfermer ses ennemis dans ces barrières qui sont un des moyens les plus puissans employés en Europe par les nations belligérantes pour s’affamer ou s’appauvrir mutuellement. Il n’y a jamais eu de blocus. On combat les armées, on arrête les voyageurs, mais des deux côtés une pacotille est tenue pour une garantie plus sûre qu’un passeport.

La végétation se trouve bien de l’absence des hommes, et les forêts de pins, brûlées ailleurs, se montrent partout ici vigoureuses et verdoyantes sur les montagnes. Aspirant sous ces ombrages, dans les ravins qui furent des torrens, les derniers restes de l’humidité du sol, des buissons de rhododendrons et de camélias surprennent par leur bel aspect sauvage nos yeux, accoutumés à n’admirer leurs fleurs que sur les étroits gradins et dans l’atmosphère malsaine des serres chaudes. Nous avons à passer devant la première douane musulmane, autour de laquelle un grand nombre de marchands sont agglomérés. Un fonctionnaire visite les ballots, les paniers, les caisses, et perçoit les sapèques. Nous lui faisons comprendre que nous ne sommes pas des marchands, et il n’insiste pas pour soumettre nos bagages à la loi commune. Au village de Ngadati, la population se mélange d’une notable quantité de sauvages de la race des Lissougn. Le costume des femmes de cette tribu se compose d’une jupe courte et plissée descendant jusqu’aux genoux, faite de toile de chanvre[17], et d’un corsage largement ouvert, orné comme la robe d’une bordure bleue. Leur coiffure est une sorte d’élégante mantille dont les pans multicolores retombent en arrière. Nous nous occupions d’apprivoiser, pour la mieux observer, cette intéressante fraction de la grande famille humaine, quand des coups de fusil, des cris et les éclats lugubres de la trompette chinoise nous annoncèrent l’arrivée du chef militaire de Ngadati. C’était le premier fonctionnaire musulman qui se rencontrât sur notre route. Il avait l’air dégagé, et de loin semblait vêtu comme un gentilhomme de la cour de Louis XV. Sous une espèce de chapeau à trois cornes, il portait une longue chevelure noire flottant des deux côtés sur ses épaules, et réunie seulement vers le milieu en une queue courte et mince. Le sultan, qui ne néglige pas les détails, s’est occupé déjà du costume de ses sujets. Il les a autorisés à porter la queue, à la double condition qu’ils ne se raseraient pas la partie antérieure de la tête, comme font les Chinois, et qu’ils n’ajouteraient pas à leur appendice naturel cette longue tresse de soie qui tombe jusqu’aux pieds des élégans dans le Céleste-Empire. Le chef militaire de Ngadati mit de l’empressement à venir nous visiter; il ne demanda pas à voir nos papiers et n’essaya nullement de nous inquiéter. On ne nous avait d’ailleurs annoncé, comme assez puissant pour nous créer des embarras sur cette route abandonnée, que le chef de Peyouti. Nous avons hâte de nous rendre à ce village et de nous voir aux prises enfin avec des difficultés sérieuses. On nous a prédit tant de périls que nous éprouvons une sorte de désappointement à ne pas rencontrer même d’obstacles. Il règne en effet dans tout ce pays un calme, une tranquillité que la pauvreté de la région explique, mais sur lesquels nous ne comptions pas. Quelques négocians nous précèdent ou nous suivent. Ils sont pour la plupart chargés de sel, denrée qui fait l’objet d’un commerce important, bien que local, car la loi chinoise, conservée par les musulmans, fixe à chaque saline des limites au-delà desquelles elle ne peut vendre ses produits. Le thé, l’opium, les métaux et les plantes médicinales fournissent seuls au commerce d’exportation du Yunan des élémens considérables. Le prestige qui s’attache à notre qualité d’Européens nous met à l’abri de toute tentative de la part des bandits, fort redoutés des voyageurs isolés dans ce pays façonné à souhait pour les embuscades. De rares indices nous révèlent seuls l’existence de ces invisibles ennemis. Des potences, sorte de croix dont la traverse mobile est munie aux deux extrémités de crochets en fer, agitent leurs grands bras dans le vide comme pour appeler leur proie humaine. De loin en loin, un crâne dépouillé réfléchit les rayons du soleil comme un bloc de quartz arrondi, ou tache le ciel noir d’un point blanc qui n’a rien de trop sinistre. La pluie tombe fine et froide, tandis que la neige couvre les montagnes et produit aux branches des arbres verts ces heureux effets si souvent décrits. Dans cette région, l’on ne voit guère que des pâtres veillant sur leurs troupeaux, et des sauvages accroupis au bord d’un ruisseau, près d’un feu fumeux, et occupés à rouir du chanvre. La végétation est vigoureuse, car elle semble toujours être en Chine en raison inverse de la population.

Une dizaine de cases en terre semées sans ordre sur la croupe d’une montagne, autant de maisons en ruines, c’est là tout le village de Peyouti. Il présente un singulier aspect : les toits sont formés de planches juxtaposées, maintenues par de grosses pierres, de telle sorte qu’une grêle de cailloux semble être tombée sur ces pauvres habitations. Plusieurs fois déjà, même dans les grandes villes, nous avons vu employer ce système de toiture. On est si mal assuré de vivre dans le Yunan, qu’on n’y prend pas la peine de s’y construire un gîte. La pluie tombe à torrens dans la chaumière abandonnée où nous nous sommes établis, faute de pagode ou d’hôtellerie.

Quant au formidable chef que des gens mal informés ou pris de l’envie de rire à nos dépens nous avaient signalé, il n’a pas paru. Nous aurions pu, sans trop de peine, jeter son village dans la boue d’où il était sorti. Il faut monter bien longtemps pour quitter Peyouti, et suivre le lit d’un torrent qui dessine sur la neige fondante une ligne noire et sinueuse. Au point culminant de notre ascension, la vue embrasse un magnifique ensemble de sommets noyés dans des nuages semblables aux flocons de fumée échappés d’une usine, et ces nuages répandent sur le paysage des teintes livides. Beaucoup de paysans habitent avec leurs familles à la lisière de leurs champs, dans des huttes faites de branches entrelacées, où ils attendent, au sein d’une misère navrante, la paix, le soleil ou la mort. Ils s’écartent des routes battues sous peine de voir enlever par les soldats qui passent tout le produit de leur maigre récolte, et préfèrent la chance d’être pillés par les voleurs, moins exigeans et plus humains. Quelques hommes sont censés d’ailleurs, à des intervalles très éloignés, veiller à la sécurité publique. Ils se tiennent, sentinelles tremblantes, dans de fragiles guérites au nombre de trois ou quatre, mais ne disposent entre eux tous que d’une seule lance.

Après de longs jours de marche, tantôt dans des gorges profondes, tantôt au-dessus de ravins escarpés, à travers un pays très pauvre et presque inhabité, nous arrivons à l’extrémité d’un promontoire d’où le regard plonge sur une plaine magnifique, telle que nous n’en avions pas vu depuis notre sortie de la Chine impériale. De nombreux îlots de maisons, sur les murailles desquelles nous ne tardons pas d’ailleurs à distinguer les traces funestes de la guerre, semblent baignés dans une mer de verdure. Des soldats impériaux venaient d’incendier récemment tout ce que des propriétaires persévérans avaient réédifié après un premier désastre. Nous parcourons successivement trois petites villes sans trouver une maison pour y passer la nuit à l’abri du vent et de la neige. Nous ne parvenons à nous loger que dans la place fortifiée de Pinchouan. Cette ville est populeuse; les rues sont remplies d’hommes remarquables par leurs costumes, leurs longs cheveux, leurs traits accentués, et je ne sais quel air d’insolence sauvage répandu sur leur physionomie. Rien qu’à leurs allures arrogantes, on reconnaîtrait des musulmans. L’un d’eux entre brusquement chez nous pendant notre repas; à l’injonction de se retirer, il répond en dégainant un coutelas. Sans attendre un ordre, notre sergent annamite, emporté par son courage et son indignation, fond sur l’impertinent, le désarme et le jette violemment à la porte. Le mandarin militaire de Pinchouan accourt sur ces entrefaites, et, après une conversation amicale, se fait donner lecture de la lettre du papa. A la cordialité qu’il nous avait témoignée d’abord s’ajouta, quand il eut entendu les éloges que le vieil astronome voulait bien faire de nous, une nuance visible de respect. Ce capitaine musulman a imaginé, pour attirer chez lui les commerçans, de les garantir contre les vols dont ils pourraient être victimes sur son territoire. Cette mesure pousse les habitans des villages, sur lesquels pèserait solidairement le poids des indemnités, à traquer les brigands et à faire la police.

Les montagnes qui courent le long du lac de Tali nous montrent déjà de loin leurs fiers sommets neigeux; les autres, plus près de nous, s’arrondissent et s’abaissent. Les petites plaines se multiplient et font pressentir la grande plaine. Dans celle de Pien-ho, pas un village ne reste debout; les ruines faites alternativement par les impériaux comme par les rebelles servent d’abri précaire à de nombreuses familles de cultivateurs qui consentent encore à semer parce qu’ils pourront récolter dans six mois, mais qui renoncent à bâtir. On nous conduit chez le père Fang, prêtre catholique chinois, court et trapu, à la face plate comme celle d’un Tartare; nous ignorions son existence, et lui n’était pas averti de notre arrivée. Nous le surprenons au milieu de la lecture de son bréviaire, et il serait difficile de peindre son étonnement. Vox faucibus hœsit, le latin restait figé dans sa gorge, ou n’en sortait que par monosyllabes absolument inintelligibles. Remis enfin de son émotion, il laissa de côté vêpres et complies pour nous faire cordialement les honneurs de chez lui. Le père Fang possède la seule maison du village ; il l’a construite lui-même. Ses talens d’architecte ont pu d’ailleurs se développer, car sa résidence actuelle est la quatrième que l’incendie l’a forcé d’élever. Les autres maisons ont été détruites par des soldats de passage en belle humeur. Nous couchons dans la chapelle, qui, comme celle du père Lu, sert, une fois la messe dite, à tous les usages profanes.

Le calendrier du père Fang nous apprit que nous étions au mardi gras. Moins heureux que le célèbre curé de Gresset qui put remplir dignement en trois jours tous les devoirs du carnaval et du carême, nous laissâmes s’écouler sans même les saluer d’un regret les dernières heures d’une journée marquée en Europe par tant de folles joies. Aussi peu enclin à fêter le bœuf gras qu’à partager les doctrines dont cet animal ventru semble être le symbole, j’ai toujours vivement goûté au contraire l’idée que l’église catholique oppose chaque année au culte de la force brutale et de la chair engraissée. Recevoir d’un prêtre chinois et en même temps que des Chinois les cendres qui affirment l’origine, la rédemption et la fin commune de l’humanité, quelle rude leçon pour cet orgueil si prompt à germer dans le cerveau de tout Européen hors de chez lui !

Le memento homo quia pulvis es, qui fait réfléchir partout, tire quelque chose de plus grave et de plus solennel encore du temps de malheur que traverse cette contrée. La guerre civile, les épidémies, la disette et l’émigration ont réduit, d’après des témoignages dignes de foi, la population du Yunan de près de moitié en dix ans. Pour peu que l’on s’écarte du chemin, on se heurte aux ossemens mutilés des victimes de meurtres ignorés ou impunis. Il m’est arrivé bien souvent, pour mon compte, de faire de ces découvertes qui, en France, comblent de joie les procureurs impériaux. A quelques lieues de la demeure du père Fang, séparé de celui-ci par une montagne, habite un autre prêtre, un Français, qui a caché son presbytère dans un pli de terrain, à mi-côte ; il vit là au jour le jour, sans avoir vu depuis quatorze années aucun compatriote, adoptant des enfans, s’efforçant au milieu de tous les périls de relever le courage abattu des quelques chrétiens qui l’entourent et de grouper autour de lui assez de justes pour sauver Sodome. Les détails qu’il nous donne sur le jeune empire mahométan, à la formation duquel il assiste, font frémir d’horreur, et l’on ne sait s’il faut plus s’indigner contre les tyrans sanguinaires et lascifs que contre des populations dix fois plus nombreuses qui supportent un joug honteux, non sans se plaindre, mais sans le secouer.

Le père Leguilcher vit dans une retraite absolue, loin des routes, sans rapports avec les autorités musulmanes, contre lesquelles rien ne le protège et qui ignorent presque son existence. Quand les bruits de la guerre, montant de la plaine jusqu’à son asile, deviennent trop menaçans, il cherche un refuge dans une caverne profonde, lieu sacré pour les Thibétains, qui y viennent en pèlerinage. Resté inviolablement attaché à la France, bien qu’il ait renoncé à l’espoir de la revoir jamais, le père Leguilcher consent, pour servir des Français, à sortir de la réserve que la prudence non moins que ses goûts lui ont imposée jusque-là, et à nous accompagner à Tali, où nous ne pouvions nous risquer sans interprète. Avoir en quelque sorte pénétré dans la banlieue de cette ville sans nous être fait annoncer, sans avoir demandé aucune autorisation, cela pouvait être considéré comme un peu téméraire; mais, aucun courrier n’ayant consenti à porter nos lettres, il n’y avait d’autre parti à prendre que celui de nous présenter nous-mêmes. Nous avons toujours été heureux depuis deux ans, et nous comptons sur notre étoile. Le père Leguilcher cependant n’avait qu’une confiance très limitée dans le succès de notre entreprise; mais, si celle-ci réussissait, elle aurait l’avantage de donner à sa situation de missionnaire une sorte de sanction officielle dont profiteraient ses chrétiens, unique objet de ses pensées. Cette considération acheva de le déterminer à partager notre fortune.

Pour atteindre, des hauteurs où le prêtre français a caché sa maison, le niveau des régions habitées, il faut descendre à l’aventure, car les capricieux zigzags du sentier qui mène à la plaine semblent tracés par l’écoulement des eaux plutôt que par le pied des hommes. Nos chevaux restent inutiles jusqu’au moment où nous rejoignons la route du Yongpé à Tali. Une citadelle occupée par un chef militaire important commande cette route. Nous nous faisons annoncer solennellement et nous pénétrons dans le fort sans donner au mandarin qui y réside le temps de se reconnaître. Celui-ci, surpris par notre brusque arrivée, laisse de côté sa pipe d’opium, se précipite au-devant de nous à demi hébété déjà et donne des ordres à ses gens, qui finissent par souffler à pleins poumons dans des clarinettes discordantes. Nous étions comblés d’honneurs. Le commandant de cette forteresse n’a pas embrassé l’islamisme. Il est resté tolérant et doux comme un Chinois et s’est opposé souvent, sans rien perdre de la confiance du sultan, aux violences de ses soldats. Une bande de ces guerriers musulmans lui ayant fait demander un jour, dans un dessein facile à comprendre, de remplacer par des jeunes filles les hommes qui portaient leurs bagages, il fit saisir et garrotter les insolens, ordonna qu’on les enduisît tout entiers de graisse de porc et leur dit : « Vous voulez abuser de nos femmes, commencez par user de nos cochons! » Malgré les efforts de ce personnage, les villages sont détruits autour de la citadelle construite pour les protéger, et des monceaux de briques marquent seuls l’emplacement qu’ils occupaient. Le soir venu, nous trouvons à grand’peine une maison debout, triste résidence, obscure et inhabitée. Nous plaçons nos chevaux dans la cour intérieure et nous nous couchons près d’eux sur les dalles, en redoublant de vigilance. Non loin de nous en effet, dans la montagne, habitent des sauvages nommés Chasu, qui dans tous les temps ont exploité les voyageurs. Les paysans leur paient un tribut annuel appelé en chinois la rente des voleurs, moyennant quoi ils sont assurés d’être remboursés de la moitié de la valeur de ce qui pourra leur être enlevé. Le cultivateur ne perd pas tout, il reste encore aux brigands un bénéfice honnête, et tout le monde est satisfait : singulière convention tacite, sorte de camorra respectée par le gouvernement et acceptée de tous comme une servitude naturelle pesant sur un certain rayon.

Le lendemain, notre route nous conduit à travers une série d’ondulations basses dans une vallée étroite et longue que la grande chaîne des monts Tien-song semble de loin fermer hermétiquement. Ceux-ci s’éloignent et se détachent à mesure que nous avançons. Nous apercevons enfin en face de nous dans tout leur magnifique développement les montagnes de Tali, dont le pied baigne dans un lac admirable, tandis que la tête, couronnée de neige, se perd dans les nuages. Sous nos yeux se déroule un immense tapis de verdure au milieu duquel des groupas de maisons en terre rouge, avec leurs toits en tuiles et leurs pignons blanchis, se détachent au soleil. Autour de nous, tout est couleur, lumière, limpidité. Fussions-nous contraints de nous arrêter là que nous ne regretterions pas nos longues marches, nos inquiétudes et nos fatigues. Après un premier élan d’admiration, la critique reprend ses droits. Si ce paysage n’est pas l’un des plus magnifiques qu’il soit possible de rêver, la faute en est aux Chinois, qui n’ont pas laissé subsister un arbre, ni sur les grandes montagnes, ni sur les monticules désolés qu’orneraient si bien de beaux ombrages. En revanche, la culture maraîchère est admirablement entendue, et nous reconnaissons, en approchant, des fèves, des choux et des légumes vulgaires; les rizières occupent aussi de vastes espaces. La population agricole qui vit autour du lac est une population indigène qui appartient en grande partie à la race des Minkias. D’ailleurs, sur les cinq cents villages qui existaient dans cette grande plaine avant la guerre, on n’en compte pas aujourd’hui plus de deux cent cinquante, et un seul sur ce nombre est exclusivement peuplé de Chinois.

Nous passons sur une longue chaussée à laquelle on travaille. C’est la première fois depuis mon entrée dans le Yunan que je vois construire ou réparer une route. Cette chaussée conduit à une forteresse dont les murailles, appuyées d’un côté à la montagne et prolongées de l’autre jusque dans l’eau du lac, barrent absolument le chemin. Le commandant de la forteresse nous fait dire qu’il vient d’envoyer prendre les ordres du sultan, et nous somme de les attendre. A cela nous n’avons rien à répondre. Ces ordres arrivent le lendemain, et nous nous sentons tous soulagés d’un grand poids en apprenant qu’ils sont favorables. Nous traversons le fort, véritable souricière dans laquelle il eût été facile de nous emprisonner d’un seul coup; mais on nous a envoyé de Tali un mandarin et quelques soldats pour nous escorter, cette mesure nous rassure et nous empêche de soupçonner un piège. Au-delà du fort, la plaine s’épanouit, traversée par la route que nous suivons. Quand les murailles de la ville se montrent dans le lointain, dominées par des montagnes grandioses, la peur s’empare de nos porteurs; des chrétiens qui avaient voulu suivre le père Leguilcher rétrogradent prudemment, se proposant de rallier notre caravane après qu’ils auront connu l’accueil qui lui aura été fait. Des bruits sinistres nous sont rapportés : quatorze Européens auraient été récemment mis à mort, et nous allions bientôt, au dire de nos gens effrayés, voir leurs têtes sur les murailles. Tous les étrangers sont des Européens pour les Chinois. Les hommes massacrés par ordre du sultan étaient probablement des Birmans ou des Hindous, car ils avaient la peau presque noire. Nous entrons néanmoins sans obstacle dans la redouta])le cité. La grande rue, d’abord presque déserte, se peuple peu à peu. Nous avançons toujours, serrés les uns contre les autres, l’œil aux aguets et la main sur nos armes. Un mandarin magnifiquement vêtu et monté sur un cheval de prix vient au-devant de nous, jette un regard dédaigneux sur nos costumes de laine fripés et sans dorure, sur nos chevaux petits et maigres, et nous invite à mettre pied à terre. Nous sommes alors assaillis par une foule énorme, excitée, hurlante, qui, débouchant de toutes les rues adjacentes, oscille comme les flots de la mer et menace de nous écraser. Des soldats se ruent sur nous par derrière et nous arrachent violemment nos chapeaux. Cette insulte fut suivie d’une rixe dans laquelle nous dûmes faire usage des crosses de nos fusils; nos quatre Annamites et nos deux tagals usèrent bravement de leurs sabres, et le mandarin, resté d’abord impassible, s’interposa tardivement, au moment où un soldat musulman tombait ensanglanté.

Cet incident dont les suites pouvaient être si funestes, et dont nous ignorions la cause, avait été provoqué par la curiosité du sultan. Celui-ci nous observait du haut des remparts de la citadelle, et c’était pour qu’il pût examiner à son aise nos visages européens que l’on nous avait brutalement décoiffés après nous avoir enjoint de descendre de cheval. Il donna l’ordre lui-même de nous conduire hors de la ville, dans un logement qu’il désigna. A peine y étions-nous installés que des mandarins vinrent nous présenter les excuses du sultan, nous offrir de sa part une audience pour le lendemain, régler le cérémonial, sur lequel ils se montrèrent même très concilians. Ils n’exigèrent qu’une chose, la promesse que nous nous présenterions sans armes. On causa ensuite du but de notre voyage ; mais cette conversation, malgré la courtoisie des formes, était en réalité un véritable interrogatoire. Soit que le caractère exclusivement scientifique de notre expédition n’eût pas été de notre part assez soigneusement maintenu, soit que les têtes fussent trop dures, ainsi que nous l’avait prédit le grand-prêtre de Yunan-sen, pour supposer à une exploration pénible des motifs désintéressés, il est certain que le jour suivant nous trouvâmes absolument changées les bienveillantes dispositions annoncées la veille. A l’heure qui avait été fixée pour l’audience, un mandarin vint nous avertir qu’il restait encore des détails à régler, qu’il y avait lieu de s’expliquer d’une manière plus complète et plus claire ; il finit par nous dire que le sultan demandait le père Leguilcher. Après l’heureuse issue des négociations antérieures, confians, pour en avoir déjà fait l’épreuve, dans l’intelligence et la sagesse du missionnaire, nous estimions l’entrevue souhaitée par le sultan avantageuse et sans danger. Le père Leguilcher, moins rassuré, s’y rendit néanmoins en homme accoutumé à braver tous les périls. Il revint après une absence d’une heure sain et sauf, mais ayant entendu proférer les plus violentes menaces contre lui d’abord pour avoir introduit dans Tali des gens de notre espèce, puis contre nous qui venions reconnaître les routes, mesurer les distances et dessiner le pays dans l’intention manifeste, quoique niée effrontément, de nous en emparer. « Va dire, avait ajouté le sultan, va dire à ces Européens qu’ils peuvent prendre toutes les terres arrosées par le Lant-san-kiang (Mékong) depuis la mer jusqu’au Yunan, mais qu’ils seront forcés de s’arrêter là. Ils auraient conquis la Chine tout entière que l’inexpugnable royaume de Tali serait encore une borne infranchissable à leur ambition. J’ai déjà fait mettre à mort un grand nombre d’étrangers; que ces insolens qui ont versé hier sous mes yeux le sang de l’un de mes soldats s’attendent, s’ils demeurent plus longtemps chez moi, à un sort pareil. Je les épargne parce qu’ils me sont recommandés par un homme vénéré des musulmans, mais qu’ils retournent sans retard au lieu d’où ils sont venus, et s’ils tentent d’aller reconnaître le fleuve dans lequel se déverse le lac de Tali (le Mékong), malheur à toi et à eux ! »

Ce souverain qui règne par la terreur vit lui-même dans une terreur perpétuelle. Les murs de la citadelle, construite au centre de la ville, sont les plus beaux et les plus forts qu’on puisse voir; le sultan demeure retiré derrière ces remparts. Deux canons constamment chargés sont braqués aux portes de la salle d’audience; personne ne l’approche, hors ses fidèles, et très peu de gens connaissent sa figure. On appelle les suspects un à un dans cet antre, et ils en sortent rarement vivans. Des chrétiens mêlés à la foule, en voyant passer le père Leguilcher qui se rendait à l’audience, ont éclaté en sanglots, bien convaincus qu’il allait à la mort. Il en avait été autrement, comme on vient de le voir. Après le récit du missionnaire, il fallait non-seulement renoncer à l’espoir de revoir le Mékong, mais même à visiter la ville, et demeurer exactement enfermés dans notre logis jusqu’au lendemain. Nous chargeons nos armes, tout est à craindre de la part d’un homme aussi effrayé que le sultan. Nous sommes autorisés, après l’inexplicable changement qui s’est déjà produit une fois dans ses dispositions, à redouter chez ce tyran fantasque un revirement nouveau qui aggraverait encore notre situation. Nous étions en effet absolument à sa merci, et, bien que résolus à nous défendre, il était impossible d’entretenir aucune illusion sur le résultat de la lutte, si celle-ci venait à s’engager. Le soir, notre maison tout entière, à l’exception du réduit où nous étions entassés, fut envahie par des soldats. Nos propres sentinelles durent alors se replier jusque dans notre chambre, et, sous le coup d’une anxiété qu’on trouvera naturelle, nous passâmes la nuit dans l’attente de quelque grave événement, observant les soldats, qui de leur côté surveillaient tous nos mouvemens. Aux premières lueurs de l’aube, nos geôliers descendirent dans la cour; ils n’opposèrent aucune résistance à notre départ, mais se mirent en devoir de nous escorter, armés jusqu’aux dents. Tout alla bien jusqu’à la forteresse qui donne accès dans la plaine. Le mandarin préposé à notre garde nous donna l’ordre de nous arrêter là, et s’éloigna rapidement. Craignant qu’il ne fût allé s’entendre avec le commandant de cette petite place, où nous pouvions soupçonner que l’on voulait nous enfermer pour se défaire de nous, nous rassemblâmes nos porteurs de bagage, et, les poussant devant nos chevaux, nous franchîmes au grand galop, malgré les réclamations des soldats intimidés et la consigne de leur chef, toutes les fortifications, très mal gardées d’ailleurs, qui barraient notre chemin ; une fois sortis de ce périlleux passage, nous avions devant nous l’espace, et nous ne manquâmes pas d’en profiter.

A dix heures du soir, comme nous avions pris position, pour y passer la nuit, dans une maison déserte et facile à défendre, un certain nombre de soldats demandèrent pacifiquement à être introduits. Ils venaient informer le père Leguilcher que le commandant du fort, celui-là même dont nous avions reçu trois jours auparavant un si bon accueil, l’invitait à se présenter chez lui sur-le-champ. Ils étaient chargés en outre d’acheter au nom du sultan de Tali le revolver que nous nous étions proposé d’offrir à ce capricieux personnage. Malgré l’insistance qu’ils apportèrent dans cette double négociation, ces ambassadeurs indiscrets furent éconduits. Laisser le missionnaire compromis à cause de nous s’éloigner en pleine nuit de notre petite colonne, c’eût été manquer de prudence, et vendre une arme à un homme qui n’avait ni su la mériter ni osé la prendre, c’eût été manquer de dignité. Les soldats nous quittèrent donc en murmurant, et nous passâmes la nuit à consolider nos barricades. Celles-ci d’ailleurs demeurèrent inutiles, et cette alerte fut la dernière. Le chef du nouvel empire musulman nous a épargnés par crainte de provoquer contre lui l’intervention des Européens, et ses fanatiques sujets ont été tenus en respect par la terreur secrète que nos armes leur avaient inspirée. En rentrant dans l’ermitage du père Leguilcher, nous reconnûmes bien vite à la consternation des visages que la nouvelle de notre insuccès nous y avait devancés. De tous les points de la montagne, les chrétiens affluaient au presbytère, remplissant la chambre et l’oratoire, se pressant autour du prêtre, qu’ils n’osaient interroger, silencieux comme des gens qui pressentent une grande douleur. Le lendemain, lorsque le père Leguilcher, dont un plus long séjour au milieu d’eux aurait mis la vie en péril, s’éloigna avec nous, des sanglots éclatèrent, les hommes et les enfans voulurent accompagner leur bienfaiteur. Quant aux femmes, c’était vraiment pitié de les voir avec leurs pieds mutilés s’efforçant de suivre le pas des chevaux et gravissant en pleurant la montagne à pic. Elles s’attachaient à la robe du prêtre, qui ne se détournait pas de peur de faiblir. Nous emportions l’âme de ce petit monde chrétien, entouré d’ennemis du côté du Thibet aussi bien que du côté de la Chine, et qui allait peut-être, après notre départ et par notre imprudence, être persécuté pour sa foi. C’était là une pensée amère qui, en se joignant à l’inévitable contagion de la douleur humaine sincèrement exprimée, nous arracha à nous-mêmes les premières larmes que nous eussions versées depuis deux ans. La montagne de Likiang montra bientôt à l’horizon ses formes imposantes ; elle apparaissait au loin comme un blanc fantôme qui semble garder l’entrée du Thibet. Partis des plaines basses conquises sur la mer par les alluvions du Mékong, nous pouvions contempler enfin de hauts sommets, des neiges éternelles, et entrevoir la contrée brumeuse vers laquelle nous avaient si souvent entraînés nos rêves. Nous perdions en même temps l’espoir d’y pénétrer; mais les préoccupations qui nous assiégeaient alors laissèrent en nous peu de place aux regrets. Tant que dura notre marche en territoire musulman, il fallut presser le pas, ne camper qu’en lieux sûrs et hors des villages populeux. Ce fut donc avec un vif contentement que nous arrivâmes enfin dans cette zone neutralisée par les belligérans d’un accord commun. L’itinéraire de notre retour fut, sauf une modification légère, le même que j’ai déjà décrit en conduisant le lecteur à Tali; je n’ai donc point à m’y arrêter. Nous eûmes la satisfaction d’obtenir du mandarin de Hoéli-Tcheou la punition d’un soldat qui avait insulté le père Lu, et la publication du dernier édit impérial favorable aux chrétiens, édit qu’on avait jusqu’alors laissé ignorer aux populations.

Cependant, grâce au missionnaire qui nous servait d’interprète, les conversations des voyageurs, des marchands, des aubergistes, races en tous pays curieuses et bavardes, n’étaient plus pour nous lettres closes. Nos aventures faisaient ordinairement tous les frais de ces récits, où déjà la vérité commençait à disparaître sous la légende. Nous écoutions ces propos sans y prendre part, et c’est ainsi qu’après une longue absence les premières nouvelles du malade de Tong-tchouan vinrent par hasard nous frapper au cœur. Une opération avait été pratiquée sur M. de Lagrée, voilà le fait que nous parvînmes à démêler au milieu des détails extravagans dont un fumeur d’opium embellissait sa narration. De quelle nature avait été cette opération, quel résultat avait-elle amené? A toutes les questions qui se pressaient sur nos lèvres, nulle réponse sérieuse n’était donnée. Ce fut seulement trois jours avant notre arrivée à Tong-tchouan que nos appréhensions se changèrent en certitude. M. de Lagrée était mort, le 12 mars 1868, d’une maladie de foie dont il souffrait depuis plus de soixante jours. Celui d’entre nous qui avait eu au plus haut degré l’amitié et la confiance de notre chef, le docteur Joubert, vint à notre rencontre. Miné lui-même par la fièvre et par le chagrin, il était encore sous l’impression des pénibles devoirs qu’il venait d’accomplir, l’autopsie et l’inhumation du cadavre. — L’intelligence ne s’était éteinte chez M. de Lagrée qu’avec la vie. Jusqu’au dernier moment, le sentiment de sa responsabilité ne l’abandonna point; en présence de la mort, l’une de ses plus grandes souffrances, c’était de rester dans l’ignorance de notre sort. Ce n’est pas ici le lieu de payer longuement à M. de Lagrée le tribut d’hommages qu’il a si justement mérité. Je dirai seulement aujourd’hui que le succès de notre long voyage a été son œuvre, et que l’honneur en revient tout entier à sa mémoire. Il nous restait à gagner Shang-haï. Le récit de ce rapide voyage à travers la Chine fera l’objet de la dernière partie de ce travail.


L.-M. DE CARNE.

  1. Voyez la Revue du 15 février 1870.
  2. Je dois dire cependant que des renseignemens qui me sont parvenus très récemment ne confirment pas l’opinion que je m’étais formée sur les lieux touchant l’attitude probable de Ma-Tagen. Peu après notre départ de Yunan-sen, l’armée des rebelles investit cette ville. Tous les soldats mahométans commandés par Ma-Tagen passèrent à l’ennemi ; mais celui-ci tint ferme à son poste, massacra ceux de ses lieutenans dont la fidélité lui paraissait douteuse, et soutint vaillamment l’assaut avec le reste de son armée. I) a été blessé sur les murs. — Peut-être son cœur a-t-il changé, suivant l’expression chinoise, peut-être est-il jaloux du rôle et de l’importance du sultan de Tali.
  3. Poste avancé des missions catholiques au Thibet, évacué à la suite du meurtre de deux prêtres français massacrés par les lamas.
  4. Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie.
  5. Le savant éditeur du Tong-kien-kang-mou donne les plus curieuses indications sur les différentes religions pratiquées à la cour du tartare Manko-Khan, religions que Marco-Polo trouva on vigueur dans la ville de Tali, et principalement sur la secte chrétienne fondée au Ve siècle par Nestorius.
  6. Le royaume de Nan-tchao est l’un des quatre que les Chinois appellent les fléaux de l’empire. — Depuis la révolte musulmane, il a conquis des droits nouveaux à cette qualification.
  7. Ainsi que je l’ai dit dans une note précédente, ils l’ont investie de nouveau. Ce second siège a duré plus de dix-huit mois. Je viens d’apprendre qu’ils ont été repoussés enfin à plus de trente lieues de cette capitale, et qu’ils ont été contraints de se replier sur Tali. De cette alternative de succès et de revers, ou peut inférer que cette portion de l’empire est vouée pour longtemps à l’anarchie.
  8. Il a été depuis révoqué de ses fonctions, cassé de son grade et exilé au Setchuen.
  9. MM. Garnier, Delaporte, Thorel et de Carné. L’escorte était composée de deux Tagals et de trois Annamites, en tout neuf personnes.
  10. Martini.
  11. Marsden, Travels of Marco Polo.
  12. Lieu de notre départ en 1866.
  13. Une corde longue de dix brasses, munie d’une pierre et jetée au milieu du fleuve, ne rencontra pas le fond.
  14. Le bras de l’ouest ne tarde pas d’ailleurs à remonter lui-même vers le nord, et à partir de Likiang il suit une direction longtemps parallèle à celle du Pe-shoui-kiang,
  15. Journal of the Boyal geographical Society, volume the thirty-second; Notes on the Yang-tsze-kiang, from Hankow to Pingshang, by lieutenant-colonel Sarel and doctor Barton. London 1862.
  16. En Chine, c’est le vin de Porto qui sert aux missionnaires pour célébrer la messe. Il se conserve facilement dans ces climats.
  17. Le chanvre n’est d’un usage général que chez les sauvages. Les Chinois ne s’habillent guère que de soieries et de cotonnades.