Fables de La Fontaine (éd. 1874)/L’Huître et les Plaideurs

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IX

L’HUÎTRE ET LES PLAIDEURS

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une huître, que le flot y venait d’apporter :
Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
À l’égard de la dent il fallut contester.
L’un se baissait déjà pour amasser[1] la proie ;
L’autre le pousse, et dit : Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l’apercevoir
En sera le gobeur ; l’autre le verra faire.

Si par là l’on juge l’affaire,
Reprit son compagnon, j’ai l’œil bon, Dieu merci.
Je ne l’ai pas mauvais aussi,
Dit l’autre ; et je l’ai vue avant vous, sur ma vie.
Hé bien ! vous l’avez vue ; et moi je l’ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l’huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit, d’un ton de président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens ; et qu’en paix chacun chez soi s’en aille.

Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ;
Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles[2].



  1. Ramasser.
  2. Ne leur laisse rien.