Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Un Fou et un Sage

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XXII

UN FOU ET UN SAGE

Certain fou poursuivait à coups de pierre un sage.
Le sage se retourne, et lui dit : Mon ami,
C’est fort bien fait à toi, reçois cet écu-ci.
Tu fatigues assez pour gagner davantage ;

Toute peine, dit-on, est digne de loyer[1] :
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer ;
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire.
Amorcé par le gain, notre fou s’en va faire
Même insulte à l’autre bourgeois.
On ne le paya pas en argent cette fois,
Maint estafier accourt : on vous happe notre homme,
On vous l’échine, on vous l’assomme.

Auprès des rois il est de pareils fous :
À vos dépens ils font rire le maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter ? Vous n’êtes pas peut-être
Assez puissant. Il faut les engager
À s’adresser à qui peut se venger.

  1. De récompense.