Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Les Frelons et les Mouches à miel

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XXI.

Les Frelons, & les Moûches à miel.



À l’œuvre on connoiſt l’Artiſan.
Quelques rayons de miel ſans maiſtre ſe trouverent.
Des Frelons les reclamerent.
Des Abeilles s’oppoſant,

Devant certaine Gueſpe on traduiſit la cauſe.
Il eſtoit mal-aiſé de décider la choſe.
Les témoins dépoſoient qu’autour de ces rayons
Des animaux aîlez bourdonnans, un peu longs,
De couleur fort tannée ; & tels que les Abeilles,
Avoient long-temps paru. Mais quoy, dans les Frelons
Ces enſeignes eſtoient pareilles.
La Gueſpe ne ſçachant que dire à ces raiſons,
Fit enqueſte nouvelle ; & pour plus de lumiere
Entendit une fourmilliere.
Le point n’en pût eſtre éclaircy.
De grace, à quoy bon tout cecy ?
Dit une Abeille fort prudente.

Depuis tantoſt ſix mois que la cauſe eſt pendante,
Nous voicy comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel ſe gaſte.
Il eſt temps deſormais que le Juge ſe haſte :
N’a-t-il point aſſez leché l’Ours ?
Sans tant de contredits, & d’interlocutoires,
Et de fatras, & de grimoires,
Travaillons, les Frelons & nous :
On verra qui ſçait faire avec un ſuc ſi doux
Des cellules ſi bien baſties.
Le refus des Frelons fit voir
Que cet art paſſoit leur ſçavoir :
Et la Gueſpe adjugea le miel à leurs parties :
Pluſt à Dieu qu’on reglaſt ainſi tous les procez ;
Que des Turcs en cela l’on ſuiviſt la methode :

Le ſimple ſens commun nous tiendroit lieu de Code.
Il ne faudroit point tant de frais.
Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge ;
On nous mine par des longueurs :
On fait tant à la fin, que l’huiſtre eſt pour le Juge,
Les écailles pour les plaideurs.