Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Barni)/Troisième section/b

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La liberté doit être supposée comme propriété de la volonté de tout être raisonnable.


Il ne suffit pas d’attribuer la liberté à notre volonté, par quelque raison que ce soit, si nous n’avons pas une raison suffisante de l’attribuer aussi à tous les êtres raisonnables. En effet, comme la moralité n’est une loi pour nous qu’autant que nous sommes des êtres raisonnables, elle doit aussi avoir la même valeur pour tous les êtres raisonnables ; et, comme elle doit être uniquement dérivée de la propriété de la liberté, il faut prouver aussi que la liberté est la propriété de la volonté de tous les êtres raisonnables. Il ne suffirait pas de la déduire de quelques expériences, qu’on prétendrait avoir faites sur la nature humaine (ce qui d’ailleurs est absolument impossible, car la liberté ne peut être établie qu’a priori), mais il faut prouver qu’elle appartient en général à l’activité des êtres doués de raison et de volonté. Or je dis que tout être qui ne peut agir autrement que sous la condition de l’idée de la liberté est par là même, au point de vue pratique, réellement libre ; c’est-à-dire que toutes les lois, qui sont inséparablement liées à la liberté, ont pour cet être la même valeur, que si sa volonté avait été reconnue libre en elle même et au point de vue de la philosophie théorique *[1]. Et je soutiens en même temps que nous devons nécessairement admettre que tout être raisonnable, qui a une volonté, a l’idée de la liberté, et qu’il n’agit que sous cette idée. En effet nous concevons dans un être raisonnable une raison qui est pratique, c’est-à-dire qui est douée de causalité à l’égard de ses objets. Or il est impossible de concevoir une raison qui, ayant conscience d’être elle-même la cause de ses jugements, recevrait une direction du dehors, car alors le sujet n’attribuerait plus à sa raison, mais à un mobile, la détermination de ses jugements. Il faut donc qu’elle se considère comme étant elle-même, indépendamment de toute influence étrangère, l’auteur de ses principes ; et, par conséquent, comme raison pratique ou comme volonté d’un être raisonnable, elle doit se considérer elle-même comme libre, c’est-à-dire que la volonté d’un être raisonnable ne peut être une volonté propre que sous la condition de l’idée de la liberté, et que, par conséquent, la liberté doit être attribuée, au point de vue pratique, à tous les êtres raisonnables.


Notes de Kant[modifier]

  1. * Ne voulant pas m’engager à prouver la liberté au point de vue théorique, je me borne à admettre comme une idée que les êtres raisonnables donnent pour fondement à toutes leurs actions. Cela suffit pour le but que nous nous proposons. Car, quand même l’existence de la liberté ne serait pas théoriquement démontrée, les mêmes lois qui obligeraient un être réellement libre obligent également celui qui ne peut agir qu’en supposant sa propre liberté. Nous pouvons donc nous délivrer ici du fardeau qui pèse sur la théorie.


Notes du traducteur[modifier]