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Symphonie héroïque/Forêts

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Symphonie héroïqueMercure de FranceŒuvres de Albert Samain, t. 2 (p. 215-220).

FORÊTS

Vastes Forêts, Forêts magnifiques et fortes,
Quel infaillible instinct nous ramène toujours
Vers vos vieux troncs drapés de mousses de velours
Et vos étroits sentiers feutrés de feuilles mortes ?


Le murmure éternel de vos larges rameaux
Réveille encore en nous, comme une voix profonde,
L’émoi divin de l’homme aux premiers jours du monde,
Dans l’ivresse du ciel, de la terre, et des eaux.



Grands bois, vous nous rendez à la Sainte Nature.
Et notre cœur retrouve, à votre âme exalté,
Avec le jeune amour l’antique liberté,
Grands bois grisants et forts comme une chevelure !


Vos chênes orgueilleux sont plus durs que le fer ;
Dans vos halliers profonds nul soleil ne rayonne ;
L’horreur des lieux sacrés au loin vous environne,
Et vous vous lamentez aussi haut que la mer !


Quand le vent frais de l’aube aux feuillages circule,
Vous frémissez aux cris de mille oiseaux joyeux ;
Et rien n’est plus superbe et plus religieux
Que votre grand silence, au fond du crépuscule…


Autrefois vous étiez habités par les dieux ;
Vos étangs miroitaient de seins nus et d’épaules,
Et le Faune amoureux, qui guettait dans les saules,
Sous son front bestial sentait flamber ses yeux.



La Nymphe grasse et rousse ondoyait aux clairières
Où l’herbe était foulée aux pieds lourds des Silvains,
Et, dans le vent nocturne, au long des noirs ravins,
Le Centaure au galop faisait rouler des pierres.


Votre âme est pleine encor des songes anciens ;
Et la flûte de Pan, dans les campagnes veuves,
Les beaux soirs où la lune argente l’eau des fleuves,
Fait tressaillir encor vos grands chênes païens.


Les Muses, d’un doigt pur soulevant leurs longs voiles
À l’heure où le silence emplit le bois sacré,
Pensives, se tournaient vers le croissant doré,
Et regardaient la mer soupirer aux étoiles…


Nobles Forêts, Forêts d’automne aux feuilles d’or,
Avec ce soleil rouge au fond des avenues,
Et ce grand air d’adieu qui flotte aux branches nues
Vers l’étang solitaire, où meurt le son du cor.



Forêts d’avril : chansons des pinsons et des merles ;
Frissons d’ailes, frissons de feuilles, souffle pur ;
Lumière d’argent clair, d’émeraude et d’azur ;
Avril !… pluie et soleil sur la forêt en perles !…


Ô vertes profondeurs, pleines d’enchantements,
Bancs de mousse, rochers, sources, bruyères roses,
Avec votre mystère, et vos retraites closes,
Comme vous répondez à l’âme des amants !


Dans le creux de sa main l’amante a mis des mûres ;
Sa robe est claire encore au sentier déjà noir ;
De légères vapeurs montent dans l’air du soir,
Et la forêt s’endort dans les derniers murmures.


La hutte au toit noirci se dresse par endroits ;
Un cerf, tendant son cou, brame au bord de la mare
Et le rêve éternel de notre cœur s’égare
Vers la maison d’amour cachée au fond des bois.



Ô calme !… Tremblement des étoiles lointaines !…
Sur la nappe s’écroule une coupe de fruits ;
Et l’amante tressaille au silence des nuits,
Sentant sur ses bras nus la fraîcheur des fontaines…


Forêts d’amour, Forêts de tristesse et de deuil,
Comme vous endormez nos secrètes blessures,
Comme vous éventez de vos lentes ramures
Nos cœurs toujours brûlants de souffrance ou d’orgueil.


Tous ceux qu’un signe au front marque pour être rois,
Pâles s’en vont errer sous vos sombres portiques,
Et, frissonnant au bruit des rameaux prophétiques,
Écoutent dans la nuit parler de grandes voix.


Tous ceux que visita la Douleur solennelle,
Et que n’émeuvent plus les soirs ni les matins,
Rêvent de s’enfoncer au cœur des vieux sapins,
Et de coucher leur vie à leur ombre éternelle.



Salut à vous, grands bois à la cime sonore,
Vous où, la nuit, s’atteste une divinité,
Vous qu’un frisson parcourt sous le ciel argenté,
En entendant hennir les chevaux de l’Aurore.


Salut à vous, grands bois profonds et gémissants,
Fils très bons et très doux et très beaux de la Terre,
Vous par qui le vieux cœur humain se régénère,
Ivre de croire encore à ses instincts puissants :


Hêtres, charmes, bouleaux, vieux troncs couverts d’écailles,
Piliers géants tordant des hydres à vos pieds,
Vous qui tentez la foudre avec vos fronts altiers,
Chênes de cinq cents ans tout labourés d’entailles,


Vivez toujours puissants et toujours rajeunis ;
Déployez vos rameaux, accroissez votre écorce
Et versez-nous la paix, la sagesse et la force,
Grands ancêtres par qui les hommes sont bénis.

Octobre 1896.