Français, reprenez le pouvoir !/Partie 1/Chapitre 2

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Malheureusement, les lendemains du 29 mai n’ont pas été à la hauteur de ce formidable espoir! Avec les millions de concitoyens qui ont voté non, j’ai été trahi. Je m’étais pourtant mis à croire. Après plus de vingt ans d’alternances ratées, de promesses non tenues, après le 21 avril 2002 et finalement le « non » franc et massif du référendum, j’avais naïvement cru que le message du peuple français allait être entendu, que les dirigeants actuels allait encore gouverner autrement, définir une nouvelle ambition nationale, proposer un plan à long terme! En un mot, qu’ils allaient porter l’espérance de tout un peuple à nouveau debout!

Y ai-je vraiment cru ou ai-je simplement voulu y croire? J’avais hésité à voter la confiance au nouveau gouvernement – j’ai même accompagné mon vote d’une lettre au Premier ministre. J’espérais que Dominique de Villepin qui s’affirmait gaulliste, comprendrait qu’il devait, pour faire prendre un nouveau départ à la France, réconcilier la France du « oui » et celle du « non ».

J’ai mesuré l’étendue de mon erreur et la gravité de la situation lorsque je l’ai rencontré peu après pour lui parler de l’attente des Français, du rôle historique qu’il devait jouer, de la nécessité d’opposer le veto de la France à l’ouverture des négociations d’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, ainsi que de l’urgence absolue de changer le cap de la politique économique et sociale française.

Sa réaction fut en effet stupéfiante: « Non content de nous avoir fâchés avec vingt-quatre pays, vous voulez maintenant ouvrir une guerre de civilisation »! Il poursuivait: « Je reviens du G8 et la Turquie n’a même pas été évoquée. Même les Belges l’acceptent. La perspective de l’adhésion de la Turquie n’a joué que marginalement dans le “non” du 29 mai. Je ne fais pas, moi, la politique des bistrots. »

L’entretien s’est achevé froidement. J’ai compris ce jour-là que malgré son amour de la France, Dominique de Villepin risquait de se fracasser sur le mur des réalités. Aime-t-on la France lorsqu’on ignore l’expression du suffrage populaire? Lorsqu’on soutient une Constitution qui la diluait dans l’Europe avant de diluer l’Europe dans la jungle de la mondialisation? La résignation à la loi du plus fort, à la loi du plus grand nombre, a-t-elle jamais été une attitude française?

Quelle déception de voir Dominique de Villepin rejoindre le camp de ceux prêts à tout sacrifier sur l’autel de la facilité unanimiste! Charles de Gaulle, considérant l’honneur et l’intérêt supérieur de la patrie, dénonçait régulièrement cette « politique de l’abandon » que le Premier ministre a souvent combattue dans le passé: « Mais il y a plus grave. C’est l’esprit d’abandon. Cette espèce de trahison de l’esprit, dont on ne se rend même pas compte. […]. Surtout, ne pas faire de peine aux pays étrangers! Il y a chez nous toute une bande de lascars qui ont la vocation de la servilité. Ils sont faits pour faire des courbettes aux autres. Et ils se croient capables, de ce seul fait, de diriger le pays1. »

Quelques mois plus tard, me croisant à l’Assemblée nationale, le Premier ministre vint m’asséner un stupéfiant: « La Turquie, tu vois, c’est passé comme une lettre à la poste! »

Vingt-neuf mai ou pas, les élites françaises croient toujours pouvoir s’affranchir du vote des Français. On se croirait revenu au temps troublé de la fuite de Louis XVI à Varennes.

Les dirigeants français, honteux du choix de leur peuple, participent aux sommets de Bruxelles comme les émigrés de l’Ancien Régime allaient quémander de l’aide auprès des monarques étrangers. Comme leurs prédécesseurs de la contre-Révolution, ils n’y représentent plus rien qu’eux-mêmes, puisqu’ils avalisent des choix européens totalement contraires à la volonté souveraine du peuple français qu’ils sont censés représenter et dont ils tirent leur légitimité. Là est la seule « perte d’influence de la France » que le système tente d’asséner à longueur de sondages pour culpabiliser nos concitoyens. Ce n’est pas la France qui a perdu son pouvoir en Europe! Ce sont ses élites, désavouées par le suffrage universel, dont le discours reste identique comme si de rien n’était.

Ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie, adoption d’une directive Bolkestein faussement allégée, poursuite de la politique de l’euro cher (taux d’intérêt élevés, surévaluation face aux autres devises), maintien d’une politique de la concurrence de la Commission européenne qui renforce les prédateurs des entreprises européennes comme Mittal sur Arcelor et extension autonome des pouvoirs de l’Union européenne au détriment des États, en violation des traités eux-mêmes: autant de preuves concrètes de cette volonté de passer outre à la décision du peuple souverain. Dans quel but? Pourquoi une telle volonté obstinée d’appliquer une politique à ce point désavouée par les faits et par les électeurs?

L’effet boomerang n’en sera que plus violent, d’autant que le pire reste sans doute à venir. Considérant manifestement que le suffrage universel n’a plus de valeur, le PS comme l’UMP, avec la complicité des dirigeants européens, préparent leur revanche: faire voter après 2007 le « cœur » de la Constitution par voie parlementaire. Ils n’ont pas changé d’un iota leur objectif. Enfermés dans leurs certitudes, leur totale incapacité à se remettre en question éclate aux yeux de tous.

Valéry Giscard d’Estaing a été clair: « Le rejet du traité constitutionnel en France a été une erreur qui devra être corrigée, d’autant que les Français n’étaient pas contre d’après les sondages1. » Il fallait oser. Pour l’ancien président de la République, les sondages ont davantage de valeur que le vote, ce qui signifie que la démocratie républicaine devrait céder le pas à une démocratie d’opinion!

Tout a donc été fait pour mettre sur le dos des Français la « panne de l’Europe » qui était bien antérieure au refus de la Constitution: la « crise européenne » est la cause et non la conséquence de la révolte des peuples!

Invité en grande pompe devant la représentation nationale, José Manuel Barroso s’est même cru autorisé à donner des leçons aux Français. Les députés français au Parlement européen pousseront même l’entêtement anti-national jusqu’à voter une résolution demandant l’application de la Constitution en 2009, comme prévu dans le calendrier initial. Et pourtant, le peuple qui les a élus a refusé ce texte! Enfin, le Premier ministre luxembourgeois se permet de sermonner le peuple français, lui enjoignant de plier sur l’essentiel en échange de quelques aménagements cosmétiques du traité, au prétexte que seize pays contre deux ont ratifié la Constitution européenne. Il oubliait au passage de préciser que ni la Grande-Bretagne, ni la Pologne, ni le Danemark, ni l’Irlande n’étaient disposés à accepter un tel traité, aménagé ou non, tant que la France, un poids lourd de l’UE, n’aurait pas dit ce qu’elle voulait. Il oubliait que la partie III du Traité n’avait pas été soumise au vote des Espagnols, il oubliait de mentionner notamment que dans l’immense majorité des pays européens consultés, c’est par voie parlementaire que le traité avait été adopté. Quelle morgue, quelle insigne mauvaise foi!

Or un an après le 29 mai, les enquêtes d’opinion démontrent à l’unisson que l’hostilité à la Constitution européenne ne faiblit pas en France, bien au contraire1! Une autre enquête2 complète ce tableau, qui ne ressemble décidément pas à ce que le système voudrait faire croire:

  •  69 % des sondés ne font confiance ni à la droite, ni à la gauche pour gouverner notre pays;
  •  52 % pensent que la France est en déclin.

Ces chiffres témoignent de la colère et du découragement des Français face à un pouvoir qui, après chaque coup de semonce, repose le couvercle sur la marmite bouillante et attise encore la flamme!

Faute de prise en compte du vote des Français, à la faveur du repos estival qui a suivi le référendum du 29 mai 2005, j’ai compris que la classe dirigeante ne changerait décidément pas et que nous étions bel et bien partis pour le pire.

Alors qu’ils sont coupés à ce point des Français, comment ceux qui nous gouvernent pourraient-ils accepter de reconnaître l’inanité de leurs rêves, l’étendue du désaveu populaire, l’échec de la politique à laquelle ils s’accrochent depuis tant d’années? Ils continuent sur leur lancée, sourds et aveugles à la réalité, enfermés dans leur mépris et dans leur idéologie. Quand on choisit de ne pas écouter la réalité, tôt ou tard, elle se rappelle violemment à vous.

Pourquoi la classe dirigeante irait-elle rendre au peuple le pouvoir qu’elle s’est peu à peu approprié et dont elle use et abuse depuis tant d’années? Pourquoi s’amenderait-elle alors que la bulle médiatico-politique, comme la dérive de nos institutions, continuent d’étouffer le débat public? Un débat qui, faute de discriminant réel entre les programmes, ne peut se polariser que sur des rivalités personnelles et des histoires de couples présidentiables.

Coresponsables de ce mal sur lequel ils ont construit leurs carrières, les candidats favoris de la gauche et de la droite n’ont certes nullement l’intention de s’y attaquer. C’est là que réside le risque principal: que 2007 soit une fois de plus, une fois de trop, une élection confisquée, convenue et chloroformée, alors que la France est capable d’un nouveau sursaut national. Il suffit de lui offrir un choix, et de lui proposer de vraies alternatives entre des candidats aux programmes réellement différents les uns des autres. Mais le préformatage de l’élection présidentielle présente l’immense avantage de verrouiller le débat public dans un champ prédéfini…