Gaspard de la nuit (éd. 1920)/Les Deux Juifs

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Livre II
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 69-70).


I

LES DEUX JUIFS


Vieux époux
Vieux jaloux,
Tirez tous
Les verrous

Vieille chanson.


Deux juifs, qui s’étaient arrêtés sous ma fenêtre, comptaient mystérieusement au bout de leurs doigts les heures trop lentes de la nuit.

— « Avez-vous de l’argent, Rabbi ? demanda le plus jeune au plus vieux. — Cette bourse, répondit l’autre, n’est point un grelot. »


*


Mais alors une troupe de gens se rua avec vacarme des bouges du voisinage ; et des cris éclatèrent sur mes vitraux comme les dragées d’une sarbacane.

C’étaient des turlupins qui couraient joyeusement vers la place du Marché, d’où le vent chassait des étincelles de paille et une odeur de roussi.

— « Ohé ! Ohé ! Lanturelu ! — Ma révérence à Madame la lune ! — Par ici, la cagoule du diable ! Deux juifs dehors pendant le couvre-feu ! — Assomme ! assomme ! aux juifs le jour, aux truands la nuit !


*


Et les cloches fêlées carillonnaient là-haut dans les tours de Saint-Eustache le gothique : — « Dindon, dindon, dormez donc, dindon ! »