Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Atlantide (nouvelle)

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Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 3p. 865).

Atlantide (Nouvelle-), Nova Atlantis, ouvrage inachevé du grand Bacon, espèce de roman scientifique dans la manière de Platon, contenant la description d’une cité idéale des sciences physiques, comme la République, la Cité du Soleil, l’Utopia, etc., qui ne sont que les rêves de la philosophie politique et de la morale.

Cette conception se rattachait à un des projets favoris du célèbre chancelier. Vivement préoccupé de l’éparpillement des efforts intellectuels dans l’humanité, de cette espèce d’anarchie du monde scientifique, où tant da force se dépense sans profit, il aurait voulu grouper des phalanges entières, coordonner tous les travaux dans une vaste organisation qui aurait assuré un échange rapide et fécond de toutes les découvertes. En un mot, il rêvait l’association dans la science, pour arriver à ce but qu’il indique : augmenter par la puissance intellectuelle le pouvoir de l’homme sur la nature, reculer les bornes de la puissance humaine dans l’accomplissement de tout ce qui est possible. Ce projet d’une sorte d’académie disciplinée et travaillant « avec méthode n’est jeté que comme un épisode dans la Nouvelle-Atlantide, mais n’en est pas moins le trait original et caractéristique.

Le cadre dans lequel le philosophe a enfermé son sujet et ses idées est le même d’ailleurs que celui de toutes les utopies. Des navigateurs, poussés par les vents dans des régions inexplorées de l’Océan, abordent sur le rivage d’une lie inconnue où se trouvent une ville et un port : c’est la Nouvelle-Atlantide, dont le vrai nom est Bensalem parmi les habitants du pays. Les voyageurs sont reçus et installés dans une maison spécialement destinée aux étrangers. Ces insulaires jouissent d’un bonheur idéal, comme dans toutes les républiques imaginaires. Ils sont d’ailleurs chrétiens ; ils ont été convertis, vingt ans après l’ascension du Christ, non par des missionnaires, mais par un miracle qui leur a fait connaître les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, même ceux qui, à cette époque, n’étaient pas encore écrits. Leurs institutions, leurs sciences, leur civilisation, ils les doivent à une société formée parmi eux, sorte de sénat scientifique nommé Institut de Salomon, destiné à l’étude des œuvres de la divinité. Un des membres de cette. société en décrit minutieusement le règlement, et démontre comment elle arrive, par une division méthodique du travail, à une production régulière et plus considérable de richesses scientifiques.

Douze des membres, nommés commerçants de lumière, voyagent secrètement dans les contrées étrangères et en rapportent des machines, des instruments, des modèles, des observations de toute espèce. Trois autres, appelés plagiaires, recueillent dans les livres les expériences utiles qu’ils y peuvent trouver, en même temps que trois collecteurs sont chargés, d’emprunter aux arts mécaniques et libéraux toutes les pratiques qui se rapportent au but de la Société. Trois autres encore tentent de nouvelles expériences : ce sont les pionniers. Une section de trois compilateurs classe dans des tables dressées méthodiquement toutes les expériences et observations que trois évergètes ou bienfaiteurs comparent entre elles, coordonnent et tâchent d’appliquer à l’utilité sociale ou à la découverte de nouvelles lumières. Il y a encore des lampes, qui dans une sphère plus élevée, cherchent des routes nouvelles ; des greffiers, qui enregistrent et contrôlent les résultats obtenus par les précédents ; enfin, des interprètes de la nature, qui étudient toutes les observations et en dégagent les conséquences générales ; puis des élèves et novices destinés à perpétuer la Société.

Il y a sans doute des singularités dans l’organisation de cette espèce d’ordre scientifique, qui est le principal ressort social de la république de Bensalem ; mais le mal auquel cette conception était destinée à porter remède était réel, et l’idée d’une vaste association pour empêcher toute déperdition de force intellectuelle est une conception dont il est impossible de méconnaître la grandeur. Qui pourrait affirmer d’ailleurs que c’est un rêve absolument irréalisable ? La Nouvelle-Atlantide a été traduite par l’abbé Raguet ; Paris, 1702, in-12.