Histoire du Montréal, 1640-1672/09

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de l’automne 1646, jusqu’à l’automne 1647, au départ des navires du Canada.


Au commencement de cet hiver, les Iroquois brûlèrent le fort de Richelieu,[1] qu’on avait laissé sans monde, disant par raillerie que ce n’était pas par mal mais qu’il n’était fait que de gros bois, ce qu’ils firent à dessein de le piller sans en pouvoir être accusés, le mois de mars venu, ils levèrent le masque tout de bon, ils commencèrent l’exécution des pernicieux desseins qui les avait portés à faire la paix ; voilà qu’ils se divisèrent en plusieurs branches et allèrent en guerre de toutes parts en même temps, Quand à nos pauvres sauvages, comme ils se regardaient dans une (profonde paix, ils étaient dans différentes rivières à chasser sans donner aucunement de garde, ce qui fut cause que ces traîtres venant tout d’un coup dans ces rivières où ils étaient, ils en firent tout à la fois un si épouvantable massacre qu’ils en laissèrent peu échapper, surtout il y eut très-peu de Nipissiriniens qui se sautèrent ; quand aux Hurons qui étaient aux environs d’ici, ils s’y jettaient comme dans un asile assuré, d’où ils prirent la coutume de parlementer avec leurs ennemis, ce qu’ils faisaient sans crainte cause du lieu où ils étaient, mais comme ils avaient de la peine s’y tenir, pour avoir leur vie et liberté assurés en même temps, ils méditaient une lâche manière de trahir les Français, pour captiver la bienveillance de l’ennemi, sans penser aux grandes dépenses que l’on faisait ici pour les entretenir dans ce temps-là où l’on faisait tout venir de France ; ce qui fait voir leur extrême ingratitude qui les portait à vouloir livrer leurs hôtes entre les mains de leurs ennemis, afin d’être par eux brûlés tout vifs, ce qu’ils tâchaient de faire réussir en cette manière ; tantôt l’un, tantôt l’autre allaient à la chasse et venaient accompagnés d’Iroquois vers la maison de son hôte, il l’appelait comme s’il eût besoin de quelque chose voulant l’attirer dans une embuscade d’ennemis, un pauvre homme sortait bonnement à une telle voix, et souvent il se trouvait dans la gueule du loup. Cela aurait réussi à ces malheureux et ils auraient fait mourir quantité de leurs charitables bienfaiteurs, si Dieu qui ne voulait pas payer leurs bonnes œuvres de cette méchante monnaie ne les eut préservés. Enfin plusieurs ayant été repoussé jusque dans leurs propres foyers, on commença à se donner de garde et on laissa désormais crier ces basiliques avec moins de compassion sans aller s’enquérir de ce qu’ils souhaitaient. On demandera d’où vient que l’on recevait ces gens, qu’on ne les faisait pas mourir ; mais il faut considérer que l’envie que l’on avait de les gagner à Dieu faisait qu’on se laissait aisément tromper par eux dans toutes leurs protestations, et que d’ailleurs, il était de la politique de ne les pas punir, crainte d’animer toute leur nation dans un temps où nous n’étions pas en état de nous soutenir contre tant de monde ; ainsi le temps se passa en trahisons et alarmes jusqu’à ce que l’été étant venu, après que nos pauvres Montréalistes se furent longtemps entretenus de leur cher gouverneur, ils surent qu’il était arrivé, ce qui combla ce lien de joie. Aussitôt qu’il fut venu, il avertit M. d’Ailleboutz qu’en France on voulait rappeler M.le chevalier de Montmagny dont la mémoire est encore en grande vénération ; de plus, il lui dit qu’il serait nommé au gouvernement du Canada et qu’il fallait qu’il s’en allât en France, et que l’année suivante il reviendrait pourvu de sa commission ; ce bon gentilhomme avertit bien M. d’Ailleboutz de ces deux choses, mais il était trop humble pour lui dire qu’on lui avait offert à lui-même d’être gouverneur du pays, et qu’il l’avait refusé par une sagesse qui sera mieux reconnue en l’autre monde qu’en celui-ci.

  1. Bâti en 1642 par M. de Montmagny à l’entrée de la rivière de Sorel alors Sommée rivière Richelieu.