Histoire du Montréal, 1640-1672/13

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De l’automne 1650 jusqu’à l’automne 1651, départ des navires du canada.


Les Iroquois n’ayant plus de cruautés à exercer au dessus de nous, parcequ’il n’y avait plus de Hurons à détruire, et que les autres sauvages s’en étaient enfuis dans des terres qu’ils ne pouvaient les aller chercher à cause du défaut de chasse et qu’il faut être plus adroit à la pêche qu’ils ne le sont pour aller dans les pays où ils s’étaient retirés, tournaient la face vers l’isle de Montréal qu’ils regardaient comme le premier objet de leur furie, dans leur descentes, pour ce sujet l’hiver étant passé, ils commençaient tout de bon à nous attaquer, mais avec une telle opiniâtreté qu’à peine nous laissèrent-ils quelques jours sans alarmes ; incessament nous les avions sur les bras, il n’y a pas de mois cet été où notre livre des morts ne soit marqué en lettre rouge par les mains des Iroquois ; il est marqué de leur côté, ils y perdaient bien plus de gens que nous, mais comme leur nombre était incomparablement plus grand que le notre, les pertes aussi nous ôtaient plus considérables qu’à eux qui avaient toujours du monde pour remplacer les personnes qu’ils avaient perdues dans les combats, que si les troupes étaient présents, je donnerais aux braves soldats qu’étaient pour lors les éloges qu’ils ont mérités, ! mais la plupart des choses que je désirais remarquer ayant été oubliées de ceux qui m’instruisent, il faut que je me contente seulement de vous rapporter les plus notables actions qui se firent pour lors, les autres étant hors le souvenir des hommes qui est le seul mémorial dont je puisse user dans cette histoire, laquelle jusqu’ici n’a eu aucun écrivain. Entre les autres qui ont laissé après elles une plus grande impression dans les esprits cette année, celle de Jean Bourdart est fort remarquable : ce pauvre jeune homme étant sorti de chez lui avec un nommé Chiquot furent surpris par 8 ou 10 Iroquois qui les voulurent saisir ; mais eux s’enfuyant, Chiquot se cacha sous un arbre et tous ces barbares se mirent à la poursuite de Jean Boudart, lequel s’en allant à toutes jambes vers sa maison vers laquel il trouva sa femme, à laquelle il demanda si le logis était ouvert : “ Non, lui répondit-elle, je l’ai fermé ; ” “Ah ! voilà notre mort à tous deux,” lui dit-il, “ fuyons-nous-en,” lors en courant de compagnie vers la maison, la femme demeurée derrière fut prise, mais elle criant à son mari qui était près d’être sauvé ; le mari touché par la voix de sa femme la vint disputer si rudement à coups de poing contre les barbares, qu’ils n’en purent venir à bout sans le tuer ; pour la femme ils la réservèrent pour en faire une cruelle curée ; ce qui fait toute leur joie, aussi n’en tuent-ils point sur champ à moins qu’ils y soient contraints, Mr. Lemoine, Harchanbault et un autre, ayant accouru au bruit, furent eux-mêmes chargés par quarante autres Iroquois qui étaient eux-mêmes en embuscade derrière l’hôpital, lesquels les voulurent couper, ce qu’eux trois ayant aperçu, ils voulurent retourner sur leurs pas, mais cela était assez difficile à cause qu’il fallait passer auprez de ces quarante hommes, lesquels ne manquèrent pas de les saluer avec un grand feu sans toutefois qu’il y eut autre effet que le bonnet de M. Lemoine percé, bref ils s’enfuirent tous trois dans l’hôpital qu’ils trouvèrent tout ouvert, et où Mlle Mance était seule, en quoi il y a bien à remercier Dieu, car s’ils ne l’eussent trouvé ouvert ils eussent été pris et si les Iroquois eussent arrivé à passer devant l’hôpital, sans que les Français y eussent entré, comme la maison était toute ouverte ils eussent prit Mlle Mance, pillé et brûlé l’hôpital, mais ces trois hommes y étant entrés et ayant fermé les portes, ils ne songèrent qu’à s’en retourner avec cette pauvre femme et à chercher Chiquot qu’ils avaient vu cacher. Enfin l’ayant trouvé, il les frappait si fort à coup de pieds et de poings qu’ils n’en purent pas venir à bout, ce qui fit que craignant d’être joints sur ces entrefaites par les Français qui venaient au secours, ils lui enlevèrent la chevelure avec un morceau du crâne de la tête, ce qui ne l’a pas empêché de vivre près de quatorze ans depuis, ce qui est bien admirable.

Le 18 juin du même an, il y eut un autre combat qui fut des plus heureux que nous ayons eu, car un très-grand nombre d’Iroquois ayant attaqué quatre de nos Français, ces quatre hommes se jettèrent dans un méchant petit trou nommé redoute, qui était entre le château et un lieu appelé la Pte. St. Charles au milieu des abatis et… là résolus de vendre chèrement leur vie, ils commencèrent à la disputer à grands coups de fusils ; à ce bruit un de nos anciens habitants nommé Lavigne accourut tout le premier étant le plus proche du lieu attaqué, ce qu’il fit avec une audace surprenante et un bonheur admirable, car passant seul avec une légèreté et une vitesse extraordinaire par dessus tous les bois abattus, pour venir à ses camarades, il donna en quatre embuscades Iroquoises les unes après les autres et essuya 60 à 80 coups de fusil sans être blessé et sans s’arrêter aucunement, jusqu’à ce qu’il eut joint ces pauvres assaillis, qui ne furent pas peu animés par son courage. Ce tintamarre ne fut pas longtemps sans émouvoir nos Français qui étaient toujours prêts de donner, s’en vinrent secourir nos gens par l’ordre de M. le Gouverneur. Ensuite les Iroquois ayant imprudemment laisser aller leurs coups de fusils à la fois, nos Français qui eurent plus de patience les tuèrent alors à plaisir. Les Iroquois se voyant tomber de tous côtés par leurs décharges ne songaient plus qu’à s’enfuir, mais comme les arbres étaient abattus et fort gros, à mesure qu’ils se levaient pour s’en aller en les faisait descendre à coups de fusil, enfin ils y laissèrent parmi les morts vingt-cinq ou trente des leurs sans les blessés qui s’en allèrent. Mais passons outre et disons que les Iroquois ensuite à force de nous inquiéter, obligèrent cette année Mlle Mance de quitter l’hôpital pour venir au château, et que tous les habitants furent obligés d’abandonner leurs maisons, que dans les lieux que l’on voulut conserver, il fallut y mettre des garnisons ; tous les jours on ne voyait qu’ennemis, la nuit on n’eut pas osé ouvrir sa porte et le jour on n’eut pas osé aller à quatre pas de sa maison sans avoir son fusil, son épée et son pistolet. Enfin comme nous diminuions tous les jours et que nos ennemis s’encourageaient, par leur grand nombre, chacun vit bien clairement, que s’il ne venait bientôt un puissant secours de France, tout était perdu ; Mlle Mance considérant et pesant cela dit à M. de Maison-Neufve qu’elle lui conseillait d’aller en France, que la fondatrice lui avait donné 22,000 livres pour l’hôpital, lesquels étaient dans un certain lieu qu’il lui indiqua qu’elle les lui donnerait pour avoir du secours, pourvu qu’en sa place on lui donna cent arpents du domaine de la seigneurie, avec la moitié des bâtiments, qu’encore cela ne valut pas les 2,2000 livres elles ne croyait pas y regarder de si près, parceque si cela ne se fesait pas tout était perdu et le pays bien hazardé. Ils convirent tous deux de la chose qui enfin s’exécuta par après ; Mlle Mance écrit le tout à son illustre fondatrice qui scella son approbation de 20 autres mille livres, qu’elle fit remettre à cette compagnie comme nous le verrons ci-après, afin de lui aider à envoyer un plus grand renfort. Voyez un peu combien cette dame est généreuse, les bonnes œuvres qu’elle a faites pour ce lieu énonceront sans doute éternellement ses louanges dans les portes de la Jérusalem céleste. Mais revenons à M. de Maison-Neufve qui ayant résolu son départ en cette persuasion de Mlle Mance, quitta enfin son cher Montréal, dans le pitoyable état que nous avons dit ; il est vrai que son départ l’eut rendu tout inconsolable sans l’espérance d’un aussi heureux et avantageux retour que celui qu’il promettait ; s’en allant, il laissa la conduite de toutes choses à M. de Museaux[1] confiant le tout à sa prudence et lui recommandant du plus intime de son cœur.

  1. Le 13 décembre 1651 M. d’Aillebout, fut remplacé par M. Jean de Lauson comme Gouverneur Général. Il était conseiller du roi et avait été intendant du Dauphiné et de la Nouvelle-France.