Histoire du Montréal, 1640-1672/28

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de l’automne 1665 jusqu’à l’automne 1666 au départ des vaisseaux du Canada.


Encore que le Montréal eut été cette année notablement fortifié de monde pour l’arrivée des troupes où il y avait de braves soldats et de dignes officiers, toutefois, comme ils voulaient qu’on suivit la manière dont on se sert dans l’Europe pour se défendre, laquelle est très-désavantageuse pour ce pays, aux expériences duquel ils ajoutaient trop peu de foi : cela fit que les ennemis ne laissaient pas de nous tuer du monde tout comme auparavant, même ils nous en auraient tué davantage dans ces commencements si la multitude des gens ne leur eut fait peur et s’ils ne les fussent point aller chercher chez eux pour les combattre, ce qui les intimida ; en quoi on a beaucoup d’obligation à M. de Courcelle, gouverneur de ce pays, car il a pris des peines incroyables et risqué beaucoup sa vie nommément cet hiver parceque jugeant qu’il était très-important de donner aux Iroquois une juste idée de nous, il se résolut à aller chez eux aussitôt que les glaces seront bonnes :[1] on ne saurait exprimer l’excès de peines qu’il eut à ce voyage pour le peu d’expérience qu’avaient nos Français, ce que je décrirai plus au long sans que ce soit m’étendre plus loin que je ne me suis prescrit dans cette histoire, à laquelle je puis seulement ajouter que M. de Courcelle avait 70 Montréalistes en cette expédition, sous le commandement de M. Lemoine, et que M. le Gouverneur les sachant les mieux aguéris, il leur fit l’honneur de leur donner la tête en allant et la queue au retour ; y en ayant peu d’autres auxquels il eut pu leur confier ces marches honorables et périlleuses parmi ces bois dont nos troupes avaient si peu d’instruction en ce temps-là ; aussi M. le Gouverneur se reposait beaucoup sur eux tous et leur témoignait une confiance particulière et les caressait grandement, il les appelait ses capots bleus, comme s’il les eut voulu nommer “Les enfants de sa droite ; ” que si tout son monde eut été de pareille trempe, il eut été en état d’entreprendre davantage qu’il ne pût pas : au reste, pour cette occasion et pour toutes les autres, M. le Gouverneur a trouvé toujours le peuple de ce lieu plus prompt à marcher qu’aucun autre, ce qui a fait qu’il a toujours uniquement eu une affection toute particulière pour le Montréal ; ce qu’avant été trouvé à redire par une personne, il lui répondit : « — Que voulez-vous, je n’ai mieux trouvé de gens qui m’aient servi pendant les guerres et qui m’aient obéi.” L’été d’après, on fit une seconde entreprise contre les Iroquois où M. de Jurel eut le commandement dans lequel parti, il fut assisté d’environ 50 Montréalistes quoiqu’il n’eut environ que 200 Français. M. de Tracy allant pendant l’automne en guerre contre les mémés ennemis, il eut 110 habitants du Montréal auxquels il accorda le même honneur, allant chez les ennemis, les faisant marcher assez loin devant jusqu’à la vue des villages ennemis, bravant les plus grands périls qu’on pouvait encourir. M. Lemoine eut l’honneur pareillement d’être capitaine des habitants en cette occasion et M. de Bellestre celui d’être lieutenant ; outre cette compagnie, nous avions encore trois autres Montréalistes, trois qui étaient près de M. de Courcelle ou de certains capitaines, lesquels étaient leurs amis particuliers, ces trois étaient M. Daillebout, M. du Homeny et M. de St André ; quand à M. Daillebout, il ne vint pas jusqu’au pays pour une morsure d’ours qui l’en empêcha, quant à M. du Homeny, il vint non-seulement en ce voyage mais encore en celui de l’hiver fait par M. de Courcelle, où il pensa périr et aussi en celui de M. de Sorel. La troupe de MM. les habitants de Montréal dans l’expédition de M. de Tracy se peut encore grossir par la venue d’un prêtre du Séminaire de St. Sulpice, lequel étant arrivé cette année là de France 5 ou 6 jours devant cette expédition, y assista selon son ministère, ainsi que la relation du Canada le manifeste, sous le nom de M. Colson ; au reste, ce prêtre fit un bon noviciat d’abstinence sous un certain capitaine qui peut-être appelé le grand maitre du Jeune, du moins cet officier aurait pu servir de père maitre en ce point chez les pères du désert : (M. l’abbé Dubois devait faire pour) M. l’abbé Dubois qui était de cette confrérie y pensa mourir absolument pour le même sujet. Pour l’éclésiastique de St. Sulpice, il était d’une complexion plus forte, mais ce qui l’affaiblissait beaucoup, c’étaient les confessions de nuit, travaux spirituels qu’il fallait faire tandis que les autres dormaient, ce qui fit qu’il ne put jamais sauver un homme qui se noyait devant lui, ce qu’il eut fait aisément sans cette grande faiblesse et que un affronteur de cordonnier l’avais mis nu-pieds pour une méchante paire de souliers qui n’avaient plus que le dessus, ce qu’étant bien rude surtout en ce lieu là à cause des pierres aiguës dont l’eau et le rivage sont pavés, ces choses l’ayant rendu paresseux, quand ce fut à l’extrémité et qu’il se fut déshabillé pour se jeter à la nage, il n’en était plus temps, ce qui n’empêche pas que sa tentative en eut une bonne récompense, parceque cet homme étant en quelque façon aux RR. PP. Jésuites, un des pères de la compagnie l’ayant remercié de ce qu’il avait voulu faire, il lui répondit que la faiblesse de la faim l’avait empêché de faire davantage, ce bon père entendant ce discours, le tira à part et lui donna un morceau de pain assaisonné de deux sucres tous différents, l’un de Madère et l’autre de l’appétit.

  1. Cette expédition eut lieu le 9 janvier 1666 (que M. de Courcelle quitta Québec) au 19 mars suivant qu’il y entra avec ses troupes (Journal des Jésuites M. S.)