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Histoires ou Contes du temps passé (1697)/Riquet à la houppe

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RIQUET A LA HOUPPE


Il estoit une fois une reine qui accoucha d’un fils si laid et si mal fait qu’on douta longtemps s’il avoit forme humaine. Une fée, qui se trouva à sa naissance, asseura qu’il ne laisseroit pas d’estre aimable, parce qu’il auroit beaucoup d’esprit : elle ajoûta même qu’il pourroit, en vertu du don qu’elle venoit de luy faire, donner autant d’esprit qu’il en auroit à la personne qu’il aimeroit le mieux.

Tout cela consola un peu la pauvre reine, qui estoit bien affligée d’avoir mis au monde un si vilain marmot. Il est vray que cet enfant ne commença pas plutost à parler qu’il dit mille jolies choses, et qu’il avoit dans toutes ses actions je ne sçai quoi de si spirituel qu’on en estoit charmé. J’oubliois de dire qu’il vint au monde avec une petite houppe de cheveux sur la teste, ce qui fit qu’on le nomma Riquet à la Houppe, car Riquet estoit le nom de la famille.

Au bout de sept ou huit ans, la reine d’un royaume voisin accoucha de deux filles. La premiere qui vint au monde estoit plus belle que le jour ; la reine en fut si aise qu’on apprehenda que la trop grande joye qu’elle en avoit ne luy fit mal. La même fée qui avoit assisté à la naissance du petit Riquet à la Houppe estoit presente, et, pour moderer la joye de la reine, elle luy declara que cette petite princesse n’auroit point d’ esprit, et qu’elle seroit aussi stupide qu’elle estoit belle. Cela mortifia beaucoup la reine ; mais elle eut, quelques momens aprés, un bien plus grand chagrin, car la seconde fille dont elle accoucha se trouva extrémement laide.

« Ne vous affligez point tant, Madame, luy dit la fée, vostre fille sera recompensée d’ailleurs, et elle aura tant d’esprit qu’on ne s’apercevra presque pas qu’il luy manque de la beauté.

— Dieu le veuille, répondit la reine ; mais n’y auroit-il point moyen de faire avoir un peu d’esprit à l’aînée, qui est si belle ?

— Je ne puis rien pour elle, Madame, du costé de l’esprit, luy dit la fée ; mais je puis tout du costé de la beauté ; et comme il n’y a rien que je ne veüille faire pour vôtre satisfaction, je vais luy donner pour don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui luy plaira. »

A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crûrent aussi avec elles, et on ne parloit partout que de la beauté de l’aisnée et de l’esprit de la cadette. Il est vray aussi que leurs défauts augmenterent beaucoup avec l’âge. La cadette enlaidissoit à veuë d’œil, et l’aisnée devenoit plus stupide de jour en jour. Ou elle ne répondoit rien à ce qu’on lui demandoit, ou elle disoit une sottise. Elle estoit avec cela si maladroite qu’elle n’eust pû ranger quatre porcelaines sur le bord d’une cheminée sans en casser une, ny boire un verre d’eau sans en répandre la moitié sur ses habits.

Quoy que la beauté soit un grand avantage dans une jeune personne, cependant la cadette l’emportoit presque toûjours sur son aînée dans toutes les compagnies. D’abord on alloit du costé de la plus belle, pour la voir et pour l’admirer ; mais bien tost aprés on alloit à celle qui avoit le plus d’esprit pour luy entendre dire mille choses agreables, et on estoit estonné qu’en moins d’un quart d’heure l’aînée n’avoit plus personne auprés d’elle, et que tout le monde s’estoit rangé autour de la cadette. L’aisnée, quoy que fort stupide, le remarqua bien ; et elle eut donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur. La reine, toute sage qu’elle estoit, ne put s’empêcher de luy reprocher plusieurs fois sa bestise : ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse.

Un jour qu’elle s’estoit retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort desagreable, mais vestu tres-magnifiquement. C’estoit le jeune prince Riquet à la Houppe, qui, estant devenu amoureux d’elle sur ses portraits qui courroient par tout le monde, avoit quitté le royaume de son pere pour avoir le plaisir de la voir et de luy parler. Ravi de la rencontrer ainsi toute seule, il l’aborde avec tout le respect et toute la politesse imaginable. Ayant remarqué, aprés luy avoir fait les complimens ordinaires, qu’elle estoit fort melancolique, il luy dit :

« Je ne comprens point, Madame, comment une personne aussi belle que vous l’estes peut estre aussi triste que vous le paraissiez : car, quoyque je puisse me vanter d’avoir veu une infinité de belles personnes, je puis dire que je n’en ay jamais vû dont la beauté approche de la vostre.

— Cela vous plaist à dire, Monsieur », lui répondit la princesse, et en demeura là.

« La beauté, reprit Riquet à la Houppe, est un si grand avantage qu’il doit tenir lieu de tout le reste, et, quand on le possede, je ne voy pas qu’il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup.

— J’aimerois mieux, dit la princesse, estre aussi laide que vous, et avoir de l’esprit, que d’avoir de la beauté comme j’en ay, et estre beste autant que je le suis.

— Il n’y a rien, Madame, qui marque davantage qu’on a de l’esprit que de croire n’en pas avoir, et il est de la nature de ce bien-là que, plus on en a, plus on croit en manquer.

— Je ne sçay pas cela, dit la princesse ; mais je sçay bien que je suis fort beste, et c’est de là que vient le chagrin qui me tuë.

— Si ce n’est que cela, Madame, qui vous afflige, je puis aisement mettre fin à vostre douleur.

— Et comment ferez-vous ? dit la princesse.

— J’ay le pouvoir, Madame, dit Riquet à la Houppe, de donner de l’esprit autant qu’on en sçauroit avoir à la personne que je dois aimer le plus ; et comme vous estes, Madame, cette personne, il ne tiendra qu’à vous que vous n’ayez autant d’esprit qu’on en peut avoir, pourvû que vous vouliez bien m’épouser. »

La princesse demeura toute interdite, et ne répondit rien.

« Je voy, reprit Riquet à la Houppe, que cette proposition vous fait de la peine, et je ne m’en estonne pas ; mais je vous donne un an tout entier pour vous y resoudre. »

La princesse avoit si peu d’esprit, et en mesme temps une si grande envie d’en avoir, qu’elle s’imagina que la fin de cette année ne viendroit jamais ; de sorte qu’elle accepta la proposition qui luy estoit faite. Elle n’eut pas plustost promis à Riquet à la Houppe qu’elle l’épouseroit dans un an à pareil jour qu’elle se sentit tout autre qu’elle n’estoit auparavant : elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui luy plaisoit, et à le dire d’une maniere fine, aisée et naturelle. Elle commença, dés ce moment, une conversation galante et soutenuë avec Riquet à la Houppe, où elle brilla d’une telle force que Riquet à la Houppe crut luy avoir donné plus d’esprit qu’il ne s’en estoit réservé pour luy-mesme.

Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne sçavoit que penser d’un changement si subit et si extraordinaire : car, autant qu’on luy avoit oüy dire d’impertinences auparavant, autant luy entendoit-on dire des choses bien sensées et infiniment spirituelles. Toute la cour en eut une joye qui ne se peut imaginer ; il n’y eut que sa cadette qui n’en fut pas bien aise, parce que, n’ayant plus sur son aisnée l’avantage de l’esprit, elle ne paroissoit plus auprés d’elle qu’une guenon fort desagreable.

Le roi se conduisoit par ses avis, et alloit même quelquefois tenir le conseil dans son appartement. Le bruit de ce changement s’estant répandu, tous les jeunes princes des royaumes voisins firent leurs efforts pour s’en faire aimer, et presque tous la demanderent en mariage ; mais elle n’en trouvoit point qui eust assez d’esprit, et elle les écoutoit tous, sans s’engager à pas un d’eux, Cependant il en vint un si puissant, si riche, si spirituel et si bien fait, qu’elle ne pust s’empêcher d’avoir de la bonne volonté pour luy. Son pere, s’en estant aperceu, luy dit qu’il la faisoit la maistresse sur le choix d’un époux, et qu’elle n’avoit qu’à se déclarer. Comme, plus on a d’esprit, et plus on a de peine à prendre une ferme resolution sur cette affaire, elle demanda, aprés avoir remercié son pere, qu’il luy donnast du temps pour y penser.

Elle alla par hasard se promener dans le même bois où elle avoit trouvé Riquet à la Houppe, pour rêver plus commodement à ce qu’elle avoit à faire. Dans le tems qu’elle se promenoit, rêvant profondement, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont et viennent et qui agissent. Ayant presté l’oreille plus attentivement, elle ouït que l’un disoit : « Apporte-moy cette marmite » ; l’autre : « Donne-moy cette chaudiere » ; l’autre : « Mets du bois dans ce feu. » La terre s’ouvrit dans le même temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine pleine de cuisiniers, de marmitons et de toutes sortes d’officiers necessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente rotisseurs, qui allerent se camper dans une allée du bois, autour d’une table fort longue, et qui tous, la lardoire à la main et la queuë de renard sur l’oreille se mirent à travailler en cadence, au son d’une chanson harmonieuse. La princesse, estonnée de ce spectacle, leur demanda pour qui ils travailloient.

« C’est, Madame, luy répondit le plus apparent de la bande, pour le prince Riquet à la Houppe, dont les nopces se feront demain. »

La princesse, encore plus surprise qu’elle ne l’avoit esté, et se resouvenant tout à coup qu’il yavoit un an qu’à pareil jour elle avoit promis d’épouser le prince Riquet à la Houppe, pensa tomber de son haut. Ce qui faisoit qu’elle ne s’en souvenoit pas, c’est que, quand elle fit cette promesse, elle estoit une bête, et qu’en prenant le nouvel esprit que le prince lui avoit donné, elle avoit oublié toutes ses sottises.

Elle n’eut pas fait trente pas, en continuant sa promenade, que Riquet à la Houppe se presenta à elle, brave, magnifique, et comme un prince qui va se marier.

« Vous me voyez, dit-il, Madame, exact à tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour executer la vostre, et me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes.

— Je vous avoüeray franchement, répondit la princesse, que je n’ay pas encore pris ma resolution làdessus, et que je ne croy pas pouvoir jamais la prendre telle que vous la souhaitez.

— Vous m’étonnez, Madame, lui dit Riquet à la Houppe.

— Je le croy, dit la princesse, et assurément, si j’avois affaire à un brutal, à un homme sans esprit, je me trouverois bien embarassée. « Une princesse n’a que sa parole, me diroit-il, et il faut que vous m’épousiez, puisque vous me l’avez promis. » Mais, comme celuy à qui je parle est l’homme du monde qui a le plus d’esprit, je suis seure qu’il entendra raison. Vous sçavez que, quand je n’estois qu’une beste, je ne pouvois neanmoins me resoudre à vous épouser ; comment voulezvous qu’ayant l’esprit que vous m’avez donné, qui me rend encore plus difficile en gens que je n’estois, je prenne aujourd’hui une resolution que je n’ay pû prendre dans ce temps-là ? Si vous pensiez tout de bon à m’épouser, vous avez eu grand tort de m’oster ma bestise, et de me faire voir plus clair que je ne voyois.

— Si un homme sans esprit, répondit Riquet à la Houppe, seroit bien receu, comme vous venez de le dire, à vous reprocher vostre manque de parole, pourquoi voulez-vous, Madame, que je n’en use pas de mesme dans une chose où il y va de tout le bonheur de ma vie ? Est-il raisonnable que les personnes qui ont de l’esprit soient d’une pire condition que celles qui n’en ont pas ? Le pouvez-vous prétendre, vous qui en avez tant, et qui avez tant souhaité d’en avoir ? Mais venons au fait, s’il vous plaist. A la reserve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moy qui vous déplaise ? Estes-vous mal contente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur et de mes manieres ?

— Nullement, répondit la princesse ; j’aime en vous tout ce que vous venez de me dire.

— Si cela est ainsi, reprit Riquet à la Houppe, je vais estre heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable de tous les hommes.

— Comment cela se peut-il faire ? lui dit la princesse.

— Cela se fera, répondit Riquet à la Houppe, si vous m’aimez assez pour souhaiter que cela soit ; et, afin, Madame, que vous n’en doutiez pas, sçachez que la même fée qui, au jour de ma naissance, me fit le don de pouvoir rendre spirituelle la personne qui me plairoit, vous a aussi fait le don de pouvoir rendre beau celuy que vous aimerez, et à qui vous voudrez bien faire cette faveur.

— Si la chose est ainsi, dit la princesse, je souhaite de tout mon cœur que vous deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable, et je vous en fais le don, autant qu’il est en moy. »

La princesse n’eut pas plustost prononcé ces paroles que Riquet à la Houppe parut, à ses yeux, l’homme du monde le plus beau, le mieux fait et le plus aimable qu’elle eust jamais vû. Quelques-uns asseurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opererent, mais que l’amour seul fit cette metamorphose. Ils disent que la princesse, ayant fait reflexion sur la perseverance de son amant, sur sa discretion et sur toutes les bonnes qualitez de son ame et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps ny la laideur de son visage ; que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos, et qu’au lieu que jusqu’à lors elle l’avoit vû boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmoit. Ils disent encore que ses yeux, qui estoient louches, ne luy en parurent que plus brillans ; que leur déreglement passa dans son esprit pour la marque d’un violent excez d’amour, et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d’heroïque.

Quoy qu’il en soit, la princesse luy promit sur-le-champ de l’épouser, pourvû qu’il en obtînt le consentement du roy son pere. Le roy, ayant sçû que sa fille avait beaucoup d’estime pour Riquet à la Houppe, qu’il connoissoit d’ailleurs pour un prince tres-spirituel et tres-sage, le receut avec plaisir pour son gendre. Dés le lendemain, les nopces furent faites, ainsi que Riquet à la Houppe l’avoit prévû, et selon les ordres qu’il en avoit donnez longtemps auparavant.


MORALITÉ

Ce que t on voit dans cet écrit
Est moins un conte en l’air que la verité même.
Tout est beau dans ce que ton aime,
Tout ce qu’on aime a de l’esprit.


AUTRE MORALITÉ

Dans un objet où la nature
Aura mis de beaux traits et la vive peinture
D’un teint où jamais l’art ne sçauroit arriver,
Tous ces dons pourront moins pour rendre un cœur sensible
Qu’un seul agrément invisible
Que l’amour y fera trouver.