Histoires poétiques (éd. 1874)/Aux Poètes provençaux
S’il me vient un appel de ma terre natale,
Soudain j’accours, pieux chanteur ;
Ainsi parmi vos rangs, convié, je m’installe,
En esprit du moins, et de cœur.
Oh ! quand l’Art réunit ses enfants magnanimes
Dans un synode harmonieux.
Avec des flots de vin coulent des flots de rimes :
On dirait un banquet des dieux.
Ici chantons d’abord LUI, la cause des causes ;
Puis les juges du Gai-Savoir,
Les Dames, l’Art enfin, qui mène aux grandes choses
Et les reflète en son miroir.
Le rameau d’olivier couronnera vos têtes,
Moi, je n’ai que la lande en fleurs :
L’un, symbole élégant de la paix et des fêtes,
L’autre, symbole des douleurs.
Unissons-les, amis ! — Les fils qui nous vont suivre
De ces fleurs n’ornent plus leurs fronts ;
Aucun ne redira le son qui nous enivre.
Quand nous, fidèles, nous mourrons…
Mais peut-elle mourir, la brise fraîche et douce ?
L’aquilon l’emporte en son vol.
Et puis elle revient légère sur la mousse :
Meurt-il, le chant du rossignol ?
Non ! tu ranimeras l’idiome sonore,
Belle Provence, à son déclin ;
Sur ma tombe longtemps doit soupirer encore
La voix errante de Merlin.
Mères, tout en filant, apprenez à vos filles
Les mots antiques du pays ;
Dans les champs, sur les flots, prudents chefs de familles,
À ce miel nourrissez vos fils.
La langue du pays, c’est la chaîne éternelle
Par qui sans effort tout se tient ;
Les choses de la vie, on les apprend par elle.
Par elle encore on s’en souvient.
Un mot dit en passant vous fait trouver un frère.
Joyeux on s’aborde en chemin :
« Vous êtes de mon bourg ! Vous connaissez ma mère ! »
Et la main vient serrer la main.
Nature, oh ! quels accords sous tes bois, sur tes plages,
Pour célébrer le Roi du ciel !
L’homme aussi doit avoir mille et mille langages
Dans le concert universel. —
Sur ce thème mes vers sans fin voudraient édore,
Mais aux savants rimeurs leurs tours :
Assez qu’ils aient admis sur la terre de Laure
Le barde prés des troubadours.