Les Siècles morts/Hymne à Artémis Éphésienne

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Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.II. L’Orient grec (p. 27-30).

 
La Lune renaissante, argentant les prairies,
Ramène encor le mois de tes panégyries,
       Sœur antique des Dieux cléments,
Vénérable Artémis, mère, épouse et nourrice,
Déesse aux larges flancs, à la vaste matrice
       Prête aux nombreux enfantements.

Oupis ! sinistre et vague en un ciel solitaire,
La Lune symbolique engendre le mystère.


Vierges, avec des chants et des appels vainqueurs,
Autour de la Déesse entrelacez les chœurs
       De vos danses voluptueuses !
Que vos voiles, gonflés par de légers essors,
Laissent en s'envolant transparaître vos corps
       Et vos nudités radieuses !

Oupis ! tels au travers des nuages flottants
Brillent les chœurs sacrés des astres éclatants.

Ta demeure splendide, aux quadruples pylônes,
Infrangible rempart des grandes Amazones,
       Aime les tumultes guerriers,
Et le bruit des tambours et le son des sambuques
S’unissent pour te plaire aux clameurs des eunuques
       Et des chiens aux crocs meurtriers.

Oupis ! dans le tonnerre et le volcan qui gronde,
Dans la clameur des vents vibre ta voix profonde.

Le Mégabyse, chef d’un peuple émasculé,
Seul pose un pied craintif sur le seuil étoilé
       De tes retraites interdites,
Où dans l’ombre, selon le culte ténébreux,
Se déroule en hurlant le cortège fiévreux
       Des prêtresses hermaphrodites.

Oupis ! primordial, unique, mais divers,
L’Être, mâle et femelle, engendra l’Univers.


O productrice, ô mère, ô féconde, ô Nature ;
D’immobiles forêts hérissent ta ceinture
       Où pullulent les animaux ;
Tu vois de noirs taureaux se cabrer sur ta gaîne
Et des lions ramper vers ta gorge sereine
       Parmi les fleurs et les rameaux.

Oupis ! ton corps scellé dans la gaîne de pierre
Est pareil à l’esprit captif dans la matière.

Sur le disque de bronze où luit un croissant d’or,
Ton front, chargé de tours, laisse ondoyer encor
       Tes cheveux aux boucles jumelles,
Et ta vaste poitrine, ainsi qu’un réservoir,
Offre à toutes les soifs le lait que fait pleuvoir
       Le triple rang de tes mamelles.

Oupis ! la Moire est grave et file un triple sort :
La naissance, la vie et l’implacable mort.

O Secrète ! tu sais les formules utiles
Qu’en des siècles sans nom cachèrent les Dactyles
       Sous la base de tes autels ;
Lumière, obscurité, lettres éphésiennes,
Où rayonnait jadis pour les races anciennes
       Le sens des mots sacramentels !

Oupis ! l’initié seul en tremblant déplace
Le voile de sagesse épaissi sur ta face.


Salut dans Korissos, mère auguste ! salut
Dans Éphèse la grande où fleurit et se plut
       Ta pudeur farouche et sinistre !
Tellurique, Lunaire, ô toi dont la clarté
Fait apparaître et fuir un vol épouvanté
       De cygnes hlancs sur le Kaystre !

Oupis ! mère des mois, comme un cygne qui fuit,
Monte, plane, palpite et décroîs dans la nuit !