Héroïsmes d’antan, victoires d’aujourd’hui

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Le Chemin de Fer National
du Canada
Offre ce petit livre
à ses Amis
de France.


La première messe au Canada.

Héroïsmes d’Antan…



Ami Lecteur, en parcourant cette brochure, n’y voyez pas, d’un œil distrait, la seule réclame publicitaire d’une compagnie de chemins de fer américaine, et quelques images de trappeurs légendaires ou d’anonymes guerriers… C’est, au contraire, une des pages les plus glorieuses de votre histoire que vous apportent ces lignes, une page peut-être trop oubliée — vous en avez tant d’autres, et de si nobles ! — mais qu’il faut que l’on se rappelle.

Car le Canada fut un de vos enfants. Si de tragiques événements vous ont séparés, s’il a grandi sous la tutelle d’une autre protectrice, le beau nom de France, malgré la distance et le temps, a toujours sommeillé dans son cœur. Et quand tonna le premier canon, quoique brandissant un autre drapeau que le vôtre, il fut un des plus prompts parmi ces ardents adolescents qui s’élancèrent vers vos champs de bataille.

Aujourd’hui, alors que de nouveau vous reportez les yeux vers les arts, vers le commerce, et les autres industrieuses manifestations de la paix, alors qu’imitant le Train-Exposition Français qui traversa nos prairies, le Train-Exposition Canadien a couru des rivages méditerranéens jusqu’aux landes bretonnes, il importe de resserrer des liens qui ne furent jamais tout à fait dénoués, et de réveiller dans votre esprit le souvenir de ces premiers siècles de notre histoire, qui ne sont autres que d’illustres chapitres de la vôtre.

C’est pourquoi le Chemin de Fer National du Canada saisit avec joie cette occasion d’évoquer de glorieuses figures, qui nous sont communes, de décrire leurs combats, leurs épreuves, et ces voyages trop souvent tragiques
Soldat français au Canada en 1535.
qu’elles entreprirent pour planter, en terre canadienne, la croix civilisatrice et l’étendard du Roy de France, pour ensuite, parallèlement, démontrer avec quelle magique exubérance se sont développés, chez nous, les fruits des grandes découvertes françaises.

Cet exposé doit, nécessairement, être bref : de tels héroïsmes demanderaient de longs volumes… mais, de même qu’un mémoire ignoré, l’histoire d’une guilde, ou quelques lettres jaunies par le temps, font soudain réapparaître toute une époque, nous croyons que ce petit livre atteindra son dessein, qui est de suivre, cher Lecteur français, les routes périlleuses de vos compatriotes, à travers un Canada mystérieux et presque inhabité, puis de refaire ce voyage, commodément assis, en imagination, dans un luxueux wagon du Chemin de Fer National du Canada, en admirant d’un océan à l’autre des villes d’une activité et d’une richesse que leur âge rend incroyables, des forêts sans bornes, des prairies qui nourrissent l’univers entier.

⚜ ⚜ ⚜

Lorsque, cher Lecteur, vous vous installez douillettement sur les coussins du rapide de la Côte d’Azur, ou quand un preste bateau-mouche vous amène, en quelques minutes, du Pont des Arts au quai d’Auteuil, ou encore, quand une puissante voiture automobile vous transporte aux gorges du Jura ou de l’Esterel, songez-vous à l’immense et lente transformation qu’ont subie, au cours des siècles, les moyens de transport ? Avez-vous revu, en esprit, les voyages des rois fainéants, couchés sur leurs chariots sculptés que traînaient des bœufs indolents, — les barges fleuries, portant sur la Seine les échevins parisiens et leurs opulentes épouses, — les cavalcades des routiers, — le coche grinçant, — les carrosses embourbés dans les fondrières de Saint-Germain. — la diligence (si mal nommée !…) de terre et d’eau ?

Que d’étapes, que de transitions, que de métamorphoses avant de parvenir au paquebot moderne, plus somptueux que les palais des rois, et à

Ce train étourdissant qui fuit vers l’horizon…
qu’a chanté un de vos bons poètes !

Or, tous les ennuis et toutes les incommodités de ces véhicules et de ces embarcations, aux temps mérovingiens ou moyenâgeux, sous les Louis ou sous l’Empereur, n’étaient que jeux d’enfant auprès des périls et des épreuves qui accompagnèrent les voyages des premiers découvreurs français au Canada. Les uns, du moins, s’accomplissaient en terre amie et dans un pays plus ou
Le Père Lalemant.
moins réglementé, selon les siècles. Mais ces autres, Cartier, Champlain, François de Laval, Radisson, environnés de dangers, guettés par des peuplades ignorantes et souvent meurtrières, voguant sur des lacs et des fleuves dont ils ignoraient le cours et les écueils, se frayant un pénible chemin à travers des forêts vierges, au-delà de montagnes escarpées et sourcilleuses, comment avançaient-ils, eux, souffrant souvent de la faim, de la soif sous l’ardent soleil des prairies, ou, en hiver, d’un climat dont ils ne pouvaient prévoir les rigueurs, pauvrement armés comme on l’était alors, déchirant velours ou buffleteries aux ronces de la brousse… comment avançaient-ils, ces Français vaillants, vers l’intérieur des terres, plus loin, toujours plus loin, vers cette Inde de rêve, vers l’Eldorado mystérieux et fermé qu’ils voulaient conquérir pour leur Roi ?

D’abord, dans des caravelles, frêles coquilles à la merci des flots. Puis, pendant de longues années, à pied, toujours à pied, courbés sous le faix de


Cartier est reçu par les sauvages…


Jacques Cartier

leurs armes, de leurs vivres, de leurs canots (dans ces « portages » qui sont les trajets à pied sec entre deux nappes d’eau) ; plus tard, quelques-uns apprirent des sauvages l’usage de la raquette, sorte d’appareil formé d’un morceau de bois courbe et garni d’un réseau, dont l’on se sert encore aujourd’hui, et qui permet de marcher sur la neige profonde sans s’y enfoncer, et de la traîne, long traîneau fait d’écorce, qui glisse, sans patins, sur la neige, fort utile pour haler fourrures et provisions. Plus tard encore, le traîneau suédois, à patins celui-là, et attelé d’un cheval, ou le lourd carrosse européen unissaient, suivant la saison, Québec à Montréal, ou les villages avoisinants. Mais c’est grâce au canot d’écorce uniquement, tel que nous le voyons à la page dix, que les premiers explorateurs purent pénétrer jusqu’aux grands lacs intérieurs et, de là, aux Montagnes Rocheuses et à l’Océan Pacifique.

⚜ ⚜ ⚜

Nous voudrions, en quelques pages, brosser un bref tableau de ces grands découvreurs. Forcément incomplètes, ces lignes suffiront néanmoins à faire ressortir un peu de la couleur et de l’éclat d’une audacieuse épopée. Le 3 août 1529, le traité de Cambrai avait rendu la paix au royaume de France. Devant les succès espagnols et portugais dans l’Amérique centrale et méridionale, l’on se remit à penser au Nouveau Monde, et le Roi, sur le conseil de l’amiral de France, Philippe de Chabot, chargea Jacques Cartier, navigateur de Saint-Malo, d’une expédition qu’il espérait devoir rapporter de grandes richesses.

Cartier fit voile en 1534, et pénétra, par le détroit que l’on nomme maintenant Belle-Isle, dans le golfe Saint-Laurent. Il trafiqua avec les indigènes, visita un peu de pays, reconnut la côte aride du Labrador, et longea le Nouveau-Brunswick et l’île du Prince-Édouard actuels. Le trois juillet, par une température torride, il entra dans une baie qu’il baptisa, pour cette raison, Baie des Chaleurs. Puis, parvenu devant la baie de Gaspé, il prit possession du pays en dressant une croix ornée d’un écusson fleurdelisé et qui portait ces mots : Vive le Roi de France. Ce voyage d’environ cinq mois devait le conduire à la découverte de notre grand Fleuve, dont deux jeunes Hurons, qu’il amena en France, lui apprirent l’existence.

Son rapport gagna de nouveaux partisans aux expéditions lointaines. Hautement protégé, il repartait le 19 mai 1535. La traversée fut longue et périlleuse et ce ne fut qu’en juillet qu’il toucha de nouveau à la baie des Chaleurs. Les équipages reposés, l’on releva l’ancre et, le dix août, Cartier arrivait à une baie à laquelle il donna le nom de Saint-Laurent, que l’on fêtait ce jour-là, nom qui resta au golfe et au fleuve qui s’y déverse. Avançant toujours avec le plus grand courage, il s’arrêta dans une île délicieuse, nommée depuis l’île d’Orléans, et sut se faire agréer des habitants d’une petite bourgade — Stadaconé — qui est aujourd’hui Québec. Ces paysages calmes et fleuris enchantèrent les Français qu’avaient assombris les rives tourmentées et sauvages voisines de l’océan ; ils prirent l’audacieuse résolution de passer l’hiver dans ce pays mystérieux…

Mais Cartier était surtout impatient de voir cette autre bourgade, Hochelaga, destinée à être, plus tard, Ville-Marie, et le Montréal d’aujourd’hui. Là, les naturels se montrèrent accueillants et le conduisirent sur cette montagne au pied de laquelle s’élevaient les quelques habitations des sauvages.

C’est alors qu’un pays immense se déroula sous ses yeux étonnés et ravis. Il donna à la montagne le nom de Mont-Royal et ses guides lui laissèrent soupçonner que ces rivières majestueuses qu’il voyait se perdre à l’horizon pourraient, après de longs mois de navigation, le conduire à de fabuleuses mines de cuivre et d’argent… Ils entendaient la région du Lac Supérieur et, comme le rapporte le Brief Récit « … en disant cela, les Hurons touchoient la chaîne d’argent de son sifflet et le manche doré d’un poignard, et montroient que cela venoit d’amond ledict fleuve. »


Le Sieur de Maisonneuve.
L’hiver fut tragique. Le froid et le scorbut emportèrent le quart de ses hommes et, le printemps revenu, il remit à la voile. Mais la France était déchirée par les persécutions religieuses. Comme l’a écrit notre grand historien, Garneau : « La voix de Cartier fut perdue dans le fracas des armes. » Deux années s’écoulèrent. La fin dramatique de son expédition avait soulevé toutes les violences du parti opposé aux colonies. Enfin, le progrès l’emporta et, en 1541, François Ier nommait vice-roi des pays nouvellement découverts, Jean-François de La Rocque, seigneur de Roberval, que le monarque estimait fort et qu’il appelait amicalement le « petit roi du Vimeu. »

On leva des volontaires. Le 25 mai de cette même année, Cartier abordait de nouveau au Canada. Pendant tout l’hiver, il attendit en vain Roberval. Mais les sauvages se montrèrent menaçants et le Malouin se rembarqua au printemps.

Ainsi finit, il y a près de quatre siècles, la première tentative de colonisation française. L’orageuse politique européenne commençait déjà de faire négliger cet Eldorado dont on ne comprenait pas les prestigieuses richesses.

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Aux dernières années de Henri IV se rattachent les succès véritablement durables du mouvement colonisateur français dans notre pays.

En 1605, un officier de marine, Samuel de Champlain, qui arrivait des Indes occidentales, remontait le Saint-Laurent, accompagné de François Gravé, un armateur breton. De retour en France, le roi Henri fut si content de la relation de ce voyage qu’il nomma un nouveau lieutenant-général, le sieur de Monts, et Champlain s’embarqua une deuxième fois pour le Canada, avec un gentilhomme picard, Jean de Biencourt. On fit terre en Acadie, et c’est de cette expédition que date la ville qui porte aujourd’hui le nom d’Annapolis. Les travaux de colons actifs et intelligents portèrent bientôt leurs fruits : « … on fit du charbon de bois ; des chemins furent ouverts dans les forêts ; on construisit un moulin à farine, lequel, étant mû par l’eau, épargna beaucoup de fatigue… on monta un alambic à clarifier la gomme de sapin et la convertir en goudron ; enfin, tous les procédés des pays civilisés furent mis en usage pour faciliter les travaux. Les sauvages, étonnés de voir naître tant d’objets qui étaient des merveilles pour eux, s’écriaient dans leur admiration : « Que les Normands savent de choses ! »

Nommé lieutenant particulier de M. de Monts, Champlain arma deux navires, en avril 1608, et arriva à Québec le 3 juillet. Sans tarder, l’on entreprit des travaux considérables, des habitations furent élevées et fortifiées, des terrains défrichés, et c’est ainsi que naquit cette ville, peut-être la plus fameuse et, sans contredit, la plus pittoresque de toute l’Amérique.

Entre-temps, les peuplades sauvages, amicales et curieuses au début, étaient devenues inquiètes, soupçonneuses et agressives. Hurons, Iroquois, Algonquins furent cause, pendant de longues années, de combats sanglants dont l’histoire n’a pas sa place ici, mais qui mirent souvent la colonie dans le plus grand danger.

Et maintenant, commencent les longues explorations. Champlain remonta la rivière Ottawa, puis parvint aux grands lacs Huron et Ontario. Deux fois blessé dans des combats, il fut forcé de passer un hiver chez les Iroquois. Sa mort, en 1655, priva le Canada d’un chef énergique et la France d’un bon serviteur.


Champlain et ses compagnons entreprennent une expédition d’hiver.

L’établissement de l’île de Montréal commença peu après. Concédée successivement à divers gentilshommes par la Compagnie de la Nouvelle-France, elle ne réunit vraiment un groupe de français et de sauvages chrétiens qu’en 1642, alors que Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, qui n’avait quitté La Rochelle que l’année précédente, en fit « une école de morale, d’industrie et de civilisation. »

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Ici, faisons une courte halte, que Montréal mérite bien. S’élevant au pied d’une colline, entourée de campagnes fertiles, assise au bord du Saint-Laurent, cette ville qui compte aujourd’hui près d’un million d’habitants, ne rappelle que fort peu la modeste bourgade du temps de Maisonneuve. Mais elle est encore presque toute française, de langue et de cœur, et ces survivances sont au nombre des faits les plus émouvants de notre histoire.

Il est peu de voyageurs qui ne soient surpris de la ténacité avec laquelle nous nous sommes attachés à la tradition, aux coutumes, aux gestes français. Franchement divisée en deux sections, l’une anglaise, l’autre française, cette dernière présente, à chaque pas, des tableaux qui ne seraient en rien déplacés dans une grande ville de province, à Bordeaux, à Grenoble, à Lyon. Dans la famille et sur la rue, à l’école et à l’université, dans la chaire et à la comédie, l’on n’y parle que le français, — mais ce preste esprit et cette souplesse intellectuelle qui nous sont communs, cher Lecteur de France, font que, presque sans exception, les Canadiens-français manient la langue anglaise avec une égale désinvolture.


Un porte-drapeau.
Le Temps a respecté, sur l’île de Montréal, de nombreux vestiges de l’époque des gouverneurs français — maisons de nobles seigneurs, sévères et charmantes à la fois, églises, petits fortins. Mais c’est surtout dans les noms des rues et des places publiques que se perpétue le Passé — Place d’Armes, Place d’Youville. rue Notre-Dame, rue du Pressoir, rue Jacques-Cartier, rues d’Iberville, de Vaudreuil, de Carignan, de Levis, et mille autres… dont la rue Ronsard n’est pas la moins touchante. Enfin, à quelques kilomètres du cœur de la cité, l’église de la Pointe-Claire date de 1750 ; près de là, de pittoresques ruines, à Sainte-Anne de Bellevue, ancien fief où les voyageurs français entendaient la messe avant de s’embarquer pour leurs lointaines excursions, évoquent encore ce moulin qu’en 1686 construisait le sieur Le Bert et qui devait servir de redoute ; admirablement reconstitué, le vieux fort de Senneville fut bâti en 1703 : Toujours dans la même région, après avoir traversé Bordeaux et Ahuntsic, nous arrivons au Sault-au-Récollet, paroisse fondée par les Sulpiciens, où l’on voit la croix
Greysolon Du Lhut.
de pierre des « voyageurs, » qui se trouvait au pied du « rapide du crochet, » endroit où l’on croit que Jacques Cartier, venu par la rivière des Prairies, serait descendu. Voici encore la croix du P. Viel, près des ruines du vieux fort de Lorette, où il y avait une mission de sauvages, (au printemps de 1625, le P. Nicolas Viel et son néophyte Ahuntsic y étaient traîtreusement noyés par des guides indigènes)… Le nom de la paroisse rappelle ce martyre.

Cette promenade pourrait se continuer indéfiniment. Montréal, théâtre successif des chasses et de la vie pastorale des sauvages, des luttes d’une poignée de colons barricadés derrière leurs palissades, des grandes élégances d’une petite cour exilée mais qui n’oubliait pas Versailles, de l’occupation anglaise, et enfin, d’une activité commerciale et industrielle égale à celle de Londres et de New


« … Enfin, l’Océan Pacifique étala ses flots azurés sous les yeux émerveillés de La Vérendrye. »

York, renferme dans les pierres de ses vieilles maisons comme dans l’acier de ses skyscrapers matière à bien des poèmes, à mille études historiques, et l’économiste et le sociologue voient, dans ce creuset où deux races se sont enfin harmonieusement fondues, le plus captivant des problèmes.

Mais nous devons nous borner à la brève énumération des explorations et des voyages français que nous impose notre titre. Il suffit d’avoir essayé de démontrer avec quelle ferveur l’âme française a continué de vivre dans la petite bourgade indigène d’Hochelaga, dans Ville-Marie, dans Montréal…

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Vers 1650, sous l’administration de Pierre de Voyer, vicomte d’Argenson, les découvertes furent portées, d’un côté, au delà du lac Supérieur, chez les Sioux, et de l’autre, chez les Esquimaux, dans la Baie d’Hudson.

C’est aussi vers cette époque que, le 17 juin 1659, arrivait à Québec, « au bruit des cantiques, des clochers et du canon, » le premier vicaire apostolique du Canada, François de Laval de Montigny.

Il convient de citer ici l’émouvante description que fait de cet événement un historien contemporain, l’abbé Groulx : « Il arrive à la veille de 1660, au plus fort de la terreur iroquoise. Mal fondée, mal soutenue par les Compagnies égoïstes, la Nouvelle France hésite, depuis cinquante ans, entre la mort et la vie. L’arbrisseau a été jeté sur la rive nouvelle… Quand l’illustre immigrant remonte le fleuve, on se figure aisément sous quelle image lui apparaît le pays. Dans ce monde aux grandioses aspects, rares sont encore les empreintes de l’homme civilisé. La nature vierge domine dans sa royale sauvagerie. Çà et là, sur les bords du fleuve, quelques clairières isolées, sans continuité, sans lien, sont moins des établissements que des essais de colonisation ; au milieu de ces clairières, des huttes de colons se dressent, et parfois de petits clochers, modestes comme l’espérance qui flotte autour d’eux… »

L’on voit, par ces lignes, le danger constant dans lequel les Iroquois tenaient le pays. Cette situation se continua jusque sous le régime de Daniel Remy, sieur de Courcelle. Ceux-ci, de plus, lorsque régnait la paix, détournaient les pelleteries au profit des occupants anglais de la Nouvelle-Hollande. Courcelle, ne voulant pas voir disparaître ce commerce si précieux, partit pour le lac Ontario. Désireux de prouver que l’on pouvait s’y rendre par eau, et que ce trajet n’offrait d’obstacles ni au commerce ni à la guerre, Courcelle, avec cinquante-six hommes, remonta tous les rapides, de Montréal au lac Ontario.

Mais le roi de France n’était pas satisfait et, sur le conseil de l’intendant Talon, il voulut pousser ses conquêtes, au sud, jusqu’à la Floride, et même jusqu’au Mexique, et aussi vers les régions inconnues de l’Ouest. Les épreuves incroyables et les marches héroïques des découvreurs français de cette période tiennent trop de l’épique pour que nous puissions en donner même une faible idée. Tour à tour, les Grands Lacs, les cataractes du Niagara, les prairies immenses, les Rocheuses, le Mississippi, mille fleuves, mille plaines, mille montagnes durent livrer leurs secrets à ces intrépides découvreurs, jusqu’à ce qu’enfin, l’Océan Pacifique étala sous les yeux émerveillés de La Vérendrye ses flots azurés et ses sables d’or.

Ces messagers de la France s’appelaient Cavelier de La Salle, Du Lhut, Louis Joliet, Perrot, Saint-Lusson, Cadillac…

⚜ ⚜ ⚜

Les noms évocateurs des forts et des postes qui dressèrent alors leurs palissades et leurs bastions audacieux mais, hélas ! souvent insuffisants contre les attaques et les incursions des naturels, montrent abondamment que, dans le


Le voyageur, accompagné de ses guides, explore un lac inconnu…


Cavelier de La Salle parvient à la majestueuse cataracte du Niagara.

Nord-Ouest comme dans les régions de l’Est, les Français savaient fièrement établir leurs droits.

La plupart de ces forts ne sont qu’un souvenir ; mais l’on voit encore les ruines de certains autres. C’est le Fort La Tourette, fondé par Greysolon Du Lhut de la Tourette, en 1684 ; — et le Fort « des Français, » bâti l’année suivante… C’est encore le Poste du Grand Portage, qui date de 1718, et le Fort Saint-Pierre, qu’éleva, en 1731, Christophe Dufrost de la Jemmeraye. Voici le Fort Maurepas, construit en 1734 par le fils aîné de La Vérendrye ; voilà, avec son appellation délicieusement archaïque, le Fort de la Fourche aux Roseaux, et le Fort Rouge, tracé, en 1738, par d’Amour de Louvière, et le Fort La Reine, et les deux Forts Bourbon, et le Fort La Corne, dû à l’inlassable énergie du chevalier Saint-Luc de la Corne…

En 1751, quelques Français, envoyés par M. de Niverville, bâtissent le Fort La Jonquière. Enfin, dans le Fort Saint-Charles, fondé durant l’été de 1732 par Pierre Gaultier Varennes de la Vérendrye, l’illustre découvreur du Nord-Ouest, se trouvent les restes entiers du Père Aulneau, jésuite, et de ce fils aîné de La Vérendrye que nous nommions plus haut, et les têtes de leurs dix-neuf compagnons.

Quels plus beaux monuments à l’intrépidité de nos pères que ces barricades éphémères et ces enceintes où une poignée de soldats français, portant la croix et l’épée, défiaient d’inconcevables périls, avec, sur les lèvres, quelque prière apprise d’une mère bretonne, quelque chanson d’Île-de-France ?

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Diverses furent les fins qui inspirèrent les découvreurs européens en Amérique : recherche de l’or, liberté politique, émigration devant l’intolérance religieuse, ou simple amour de l’aventure… il appartenait aux Français d’y apporter la divine semence évangélique. « Le missionnaire » — écrit Garneau — « marchait à côté du défricheur pour l’encourager et le consoler ; il suivait l’explorateur et le traitant dans leurs courses périlleuses ; il s’installait parmi les tribus les plus reculées afin d’y annoncer la parole de Dieu… son dévouement, surtout aux heures critiques de la colonie, était sans bornes. »


SALON DE 1907
« Le trappeur »

Il convient donc, dans ce petit livre, de classer le missionnaire avec le marin et le soldat lorsque nous parlons des premiers grands voyageurs et explorateurs au Canada. Dès les premières pages de notre histoire, nous le voyons partout, depuis la baie d’Hudson jusqu’à la vallée du Mississippi, infatigable, brave, zélé, et ne faiblissant jamais devant la constante menace du supplice, temple tragique

… des saintes épousailles
De la Mort et de la Beauté !

Les premiers voyageurs leur avaient frayé la route. Champlain avait exploré les côtes de la Nouvelle-Angleterre et découvert le lac qui porte aujourd’hui son nom ; Étienne Brûlé avait navigué, âgé de dix-sept ans à peine, sur l’Ottawa, le lac Nipissing, la rivière des Français, la baie Géorgienne, le lac Huron, et découvert le lac Ontario ; Jean Nicolet avait reconnu le lac Michigan et pénétré jusqu’à l’état du Wisconsin… et dès 1615, le Récollet Jean d’Olbeau traversait les sombres montagnes de la région du Saguenay ; le P. Joseph Le Caron montait au pays des Hurons ; le Jésuite Jean de Quen découvrait, en 1647, le lac Saint-Jean ; le P. Gabriel Druillettes, l’apôtre des Abénaquis, remontait la rivière Chaudière et descendait celle de Kennebec jusqu’à la mer ; poussant inlassablement vers la source du Saint-Laurent, les PP. de Brébeuf, Gabriel et Jérôme Lalemant, Raymbault, Jogues, Pijart,
Le traîneau de « l’habitant » canadien.
Ragueneau, établissaient partout des villages chrétiens ; le P. Claude Allouez, évangélisait les nations sauvages ; enfin, le P. Marquette, épuisé par ses labeurs, mourait après avoir longé la rive orientale du lac Michigan…

⚜ ⚜ ⚜

Sans les missionnaires, surtout, et les traitants, la colonie n’aurait été que peu connue des indigènes ; mais, s’aventurant sans hésiter dans ces mystérieuses forêts que la superstition des sauvages peuplait d’êtres terribles et malfaisants, ils surent conquérir leur admiration et leur confiance, et donner aux naturels une haute idée de la nation française.

En 1658, Médard Chouart des Groseilliers et Pierre-Esprit Radisson quittèrent les Trois-Rivières et, accompagnés d’une trentaine de compagnons français et de sauvages, se rendirent, par les Grands Lacs, jusqu’à la région qui est aujourd’hui l’état américain du Minnesota ; de là, ils s’acheminèrent vers le pays des Sioux, firent un traité de paix et d’amitié entre les nations


Il fallait trois longues journées pour aller de Québec à Montréal…


Le « partageur »…
de l’Ouest et du Nord et les Français, et ne revinrent à Québec qu’en 1660. Ce voyage de deux années se ferait aujourd’hui en moins d’une semaine…

Les Français furent aussi les premiers à pénétrer les régions que baigne la baie d’Hudson. D’autre part, le P. Claude Allouez, infatigable missionnaire qui fit en deux ans près de deux mille lieues, prêchait, en langue algonquine, au-delà du lac Supérieur ; Paul Denys de Saint-Simon, par la rivière Saguenay, atteignait, lui aussi, la baie d’Hudson ; l’habile et éloquent Nicolas Perrot, pendant près de quarante ans, « maintenait les nations de l’Ouest dans les intérêts de la France » ; Joliet et ses compagnons atteignaient le Mississippi et, en récompense, il recevait la seigneurie de l’île d’Anticosti et le titre d’hydrographe du roi ; Cavelier de La Salle, un audacieux Rouennais qui avait un comptoir de traite à quelques milles de Montréal, découvrait la rivière Ohio, construisait quatre barques pontées, les premières qui déployèrent leurs voiles sur le lac Ontario et, avec ses compagnons, La Motte et le P. Hennepin, admirait en frémissant la majestueuse cataracte du Niagara ; enfin Greysolon Du Lhut, accompagné de son frère et de six autres Français, gagnait le lac Huron, le lac Supérieur, et plantait l’étendard de la France à Mille Lacs, chez les Sioux.

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Vint alors la sanglante période des troubles iroquois, puis le régime de Frontenac, le siège de Québec, une nouvelle paix avec les indigènes, d’innombrables combats avec les troupes anglaises… l’on n’avait que bien peu de temps pour songer à de nouvelles explorations. D’Iberville, cependant, visitait Terre-Neuve et achevait la conquête de la baie d’Hudson ; Radisson et Groseilliers pénétraient encore plus au nord dans ces parages dangereux et y construisaient un fort ; enfin le chevalier de Troyes, après avoir enduré des fatigues indicibles, parvenait à la baie James.

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Dans son ouvrage. Nouvelle Découverte d’un Très Grand Pays, Hennepin écrivait, en 1697 : « Ceux qui auront le bonheur de posséder un jour les terres de cet agréable et fertile pays (c’est-à-dire, au-delà du lac Érié) auront de l’obligation aux voyageurs qui leur en ont frayé le chemin… » À peine ces lignes étaient-elles tracées qu’un aventureux officier du Languedoc, Antoine de Lamothe-Cadillac, accompagné d’une centaine de réguliers et de Canadiens, d’un Récollet et d’un Jésuite, fondait un établissement et bâtissait le fort Pontchartrain dans la région du Détroit, pays admirable, abondamment boisé et traversé par de limpides rivières, où se touchent aujourd’hui le Canada et les États-Unis.

La famine, une néfaste épidémie, la guerre, rallumée dans les deux mondes par la mort de Charles II, arrêtèrent cependant, pendant quelques années, le développement du commerce et des défrichements de la Nouvelle-France. Ce voyage de Cadillac fut, pour ainsi dire, la dernière expédition française concertée dans le seul but d’explorer le pays. À compter de cette date, ce ne fut au Canada, jusqu’au traité d’Utrecht, que mouvements militaires, marches et contremarches…

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Cet aperçu trop rapide, ces hâtives descriptions, cher Lecteur, n’y voyez-vous pas, néanmoins, ce rayonnement surhumain qui illumine les pages d’un armorial ? En vérité, les premiers chapitres de l’histoire du Canada méritent la plus belle place au livre-d’or de l’héroïsme français.

Que de labeurs, que de déceptions, que de périls ! Mais aussi, quelles découvertes, quels trésors donnés au genre humain, quelles leçons de dévouement et de bravoure ! À tous, nous pouvons appliquer ces mots qu’écrivait M. Gabriel Hanotaux au sujet de Champlain : « Il eut… les grands desseins et les vastes pensées. Homme d’action, il fut un homme d’imagination.
… transporte son lourd fardeau entre deux lacs
Il rêva l’établissement, au profit de la France, d’une immense domination couvrant le continent américain, du Canada à la Louisiane et à la Floride, par la vallée du Mississippi… dans la pensée de Champlain, il s’agissait d’une Amérique française. »

Le défrichement d’un coin de forêt où s’élèveront un jour des maisons, des écoles, des églises, peut paraître sans importance à l’époque où il s’accomplit ; mais c’est véritablement un acte surhumain et l’apport prométhéen du feu aux races terrestres n’a rien de plus mystérieusement symbolique.

En faisant surgir de l’ombre d’une histoire trop peu connue ces quelques grêles silhouettes, en les montrant, dans ces pénibles et longs voyages — à pied, en canot, en caravelle, en barque — poussés, inspirés par le seul désir de conquérir de nouvelles terres à la Foi et au Roi, en décrivant ici ces voyages, et, dans les pages suivantes, les harmonieux et souples mécanismes qui, en quelques jours, tel le tapis magique du prince oriental, font que le touriste moderne respire l’air marin du Pacifique avant d’avoir oublié le parfum des jardins atlantiques, — nous voulions tracer un parallèle entre les modes de transport, lents et périlleux, de cette époque glorieuse et la rapide et commode locomotion d’aujourd’hui. Mais nous désirions aussi — dirons-nous que nous voulions : surtout ?… rendre à ces héros, dont quelques uns n’ont pas la renommée qu’ils méritèrent, l’hommage en quelque sorte officiel du Chemin de Fer National du Canada, la puissante organisation à laquelle ils tracèrent, au prix de leur jeunesse, de leur sang, de leur vie, la plus glorieuse et la plus utile des routes.

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Nous ne pourrions mieux terminer ces brèves évocations qu’en citant les émouvantes paroles que prononça, en 1675, un missionnaire illustre, le Père Marquette. Il visitait les Illinois, qui étaient en guerre avec les Miamis et qui lui demandèrent de la poudre. « Je suis venu, » leur répondit-il, « vous parler de la prière. De la poudre ? Je n’en ai point. Je viens pour faire régner la paix sur cette terre. »

Dans ces mots, d’une grandeur et d’une simplicité si touchantes, c’est la voix de la France civilisatrice que nous voulons entendre. Toujours, et dans notre Canada surtout, elle apporta avec elle l’ordre, la mesure et la paix. Les quelques combats des premières années de l’occupation étaient inévitables ; l’indulgence des gouverneurs français et leurs efforts bienveillants à s’attirer l’amitié des naturels pourraient servir d’exemple à tous les peuples colonisateurs.

Si le Canada est aujourd’hui le pays incomparable que nous allons tenter de décrire dans les pages suivantes, il le doit aux directives reçues de la mère-patrie.

C’est d’un sillon français qu’ont germé nos blés d’or.


Seule immuable au sein de tant de changements, l’éblouissante aurore boréale lance dans l’azur des nuits canadiennes ses fusées de diamants…

… Victoires d’Aujourd’hui



ET MAINTENANT voici que le Canada, admirablement civilisé, s’étend de l’Atlantique au Pacifique, des États-Unis à l’océan Arctique, et couvre une superficie de 3,729,665 milles. L’Européen qui le traverse s’étonne de ces vastes et riches régions qui séparent trois océans.

Pour ne citer que quelques chiffres, de Victoria à Dawson, la distance, par eau et par chemin de fer, est de plus de trois mille kilomètres ; celle de Québec au détroit de Belle-Isle est d’environ quinze cents kilomètres. De Halifax à Vancouver, c’est-à-dire d’un océan à l’autre, après cinq jours et demi en train rapide, le voyageur a franchi environ quatre mille milles anglais. D’autre part, de sa frontière du sud, les États-Unis, à l’océan Arctique, le Canada compte 1,600 milles… de telles étendues défient l’imagination et les explorateurs dont nous avons parlé dans la première partie de ce petit livre, ont certes donné à la civilisation des trésors tels qu’ils ne pouvaient eux-mêmes se les représenter.

Enfin, il n’est peut-être pas inutile, avant de commencer notre court voyage à travers le Dominion, d’ajouter que le Canada compte aujourd’hui près de neuf millions d’habitants, dont trois millions continuent avec fidélité le meilleur des traditions françaises.

L’on a accoutumé de diviser notre pays en cinq parties dont chacune a ses caractéristiques particulières : la région acadienne, formée par les provinces, dites Maritimes, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île du Prince-Édouard, ainsi que d’une partie de la rive sud du Saint-Laurent, dans la province de Québec ; la région des « terres basses » du Saint-Laurent ; la région des « terres hautes » de la chaîne des Laurentides ; puis, cette vaste plaine centrale que bornent, au sud, les États-Unis, au nord, l’océan Arctique, à l’est, les Laurentides, et à l’ouest, les Montagnes Rocheuses ; enfin, cette immense région montagneuse que nous venons de nommer.

Quel sol généreux, quelle fécondité, quelles richesses ! Nous énumérerons brièvement, plus loin, les trésors qu’offre chaque province — mines, forêts,
Les pêcheries de la Nouvelle-Écosse rapportent des millions par année.
pêcheries, moissons —, mais, plus précieuses encore, quelle liberté, quelle tolérance, quelle harmonie réelle entre les différentes races qui composent la nation canadienne ! Ajouterons-nous que le climat est infiniment sain et que si, pendant les mois d’hiver, certaines zones sont couvertes de neige, d’autres sont, à la même date, ornées des plus belles fleurs ? Aussi bien, l’inclémence de la température, de décembre à mars, s’est fort adoucie, — c’est là une constatation scientifique. Et ne le serait-elle pas, que les méthodes canadiennes de confort nous le feraient oublier !…

Ce territoire privilégié est desservi, sur toute son étendue, par des routes, dont certaines sont « nationales, » fort bien entretenues et dont le nombre s’accroît sans cesse, au grand bonheur des automobilistes ; par des compagnies de navigation parfaitement outillées suivant leurs fins diverses ; et surtout par des réseaux de chemins de fer,
Le renard argenté, joie des élégantes, est élevé dans l’Île du Prince-Édouard.
d’une organisation irréprochable et, nous le disons avec fierté, d’une excellence achevée, en dépit de l’immensité des régions qu’ils ont à parcourir.

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La relation entre le public et les compagnies de transport et de messageries est un grave problème économique. Toutes les législations du monde ne pourront créer un système satisfaisant s’il n’existe, dans leur administration, la volonté tenace de servir, — par des tarifs équitables ; par un outillage sans cesse


Le Château Laurier, administré à Ottawa par le Chemin de Fer National du Canada, est un des plus somptueux hôtel de l’univers.


Au nombre de ses richesses, le Nouveau-Brunswick compte l’industrie du bois.

renouvelé et conforme aux données les plus modernes de la science ; par la fidélité aux horaires ; par l’opération, d’autre part, de compagnies de navigation fluviale et maritime ; enfin, dans ces pays qui, comme le Canada, possèdent encore de vastes étendues où la civilisation n’est pas encore complétée, par l’établissement, à des points stratégiques, de confortables hôtelleries.

Le Chemin de Fer National du Canada s’est donné cette tâche gigantesque, — et il l’a accomplie.

Desservant toutes les provinces canadiennes, touchant à toutes les capitales, provinciales et fédérale, ses voies ferrées servant de débouché à tous les centres manufacturiers du pays, — le Chemin de Fer National du Canada, dirigé par un bureau d’administration unique, est sans contredit le principal facteur de notre développement industriel et commercial. Il ne fut construit que dans un but de service et de perfectionnement. Il a puissamment aidé à mettre en valeur nos ressources naturelles, incalculables certes, mais qu’il fallait néanmoins révéler à l’univers.

Par exemple, nos terres de l’Ouest, grenier du monde, n’avaient exporté en 1896, quand commença la construction des principales lignes des prairies, que pour environ soixante millions de dollars en produits agricoles et en animaux. Or, grâce aux chemins de fer, nos exportations accusaient, en 1921, près de 672 millions de dollars (environ sept billions de francs, à l’heure actuelle), se haussant ainsi de 980 pour cent en un quart de siècle, et transportant cinq fois plus de blé que toutes les exportations agricoles réunies, en 1896.


Soixante-dix pour cent de Montréal, la plus importante des villes canadiennes, est français.

Atteignant tous nos ports maritimes, son service devait aussi comprendre la grande industrie des pêcheries canadiennes, les plus riches de l’univers. Bref, le Chemin de Fer National du Canada dessert, de plus, les plus importantes réserves forestières du monde, couvertes des essences employées à la fabrication des pâtes et papiers ; nos dépôts miniers (notre charbon, seul, est évalué à plus de douze cent billions de tonnes…) ; et permet l’accès à vingt millions d’acres de terres argileuses, non développées encore, mais qui donneront bientôt, à profusion, grain, légumes et produits laitiers.

Ce prestigieux réseau ferroviaire est formé par un groupe de chemins de fer — Nord-Canadien, Transcontinental, Intercolonial, Grand-Tronc-Pacifique, Grand-Tronc, etc., — achetés par le gouvernement canadien et mis en opération sous le nom de « Chemin de Fer National du Canada. » C’est la plus grande organisation de transport de l’univers. Il possède 22,663 milles anglais de voies


Québec, berceau de la civilisation française en Amérique.


« Nos forêts renferment les essences les plus précieuses. » Un des stages de la fabrication du papier.

ferrées, 102,000 milles de lignes télégraphiques, une compagnie de messageries, dix grands hôtels dont quelques photographies contenues dans cette brochure ne donnent qu’une faible idée, de nombreux chalets et terrains de camping, il contrôle 66 paquebots maritimes, quatre navires sur les lacs, cinq cabotiers, onze bateaux de construction spéciale, pouvant transporter des wagons à marchandises et à voyageurs… ces faits ne démontrent-ils pas, cher Lecteur, bien mieux que tous les raisonnements, que le Chemin de Fer National du Canada rapportera au peuple canadien d’énormes bénéfices et sera la cause directe et la plus rapprochée de notre développement et du bien-être matériel de notre nation, comme de tous
Les terres les plus riches, cultivées d’après les méthodes les plus modernes, s’étendent à perte de vue… Cacouna, village de la province de Québec.
ceux qui viendront collaborer à notre tâche et partager nos destinées ?

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C’est cette partie du Canada que l’on appelle maintenant la Nouvelle-Écosse qui vit les premiers découvreurs. Cette importante péninsule orientale demeura française pendant plus d’un siècle, connue sous le nom d’Acadie qu’on lui donne encore
Une rue commerciale à Toronto, dans la province d’Ontario.
aujourd’hui. Le célèbre poème de Longfellow, Évangeline, n’a pas peu contribué à la faire connaître de l’univers, et le « grand dérangement » de l’histoire, ce fameux exil des habitants de la région, ordonné par les nouveaux maîtres du pays et par lequel de nombreuses familles furent dispersées et exilées vers la Louisiane et d’autres états du sud de l’Amérique, est un des épisodes les plus notables des annales de notre pays.

Sa capitale est Halifax, ville fortifiée qui s’avance sur un port long de six milles. Les nombreux navires qui y font escale lui donnent un cachet très spécial, particulier à ces lieux de rendez-vous de marins de toutes nationalités, et un parfum de civilisation très européen, qu’accentuent encore une université et des casernes pittoresques. Halifax est surtout connue comme port de mer pendant l’hiver (car les transatlantiques ne peuvent, quand le fleuve Saint-Laurent est immobilisé par les glaces, se rendre à Québec et à Montréal), et c’est un des termini du Chemin de Fer National du Canada.

Rivières poissonneuses, ports vastes et hospitaliers, climat salubre et tonique, agriculture et pomiculture intensives, pêcheries donnant au pays de soixante-quinze à quatre-vingt millions de dollars par année, mines d’or, de fer, gisements de gypse et de baryte, paysages admirables, telle est la Nouvelle-Écosse.

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Les usines hydro-électriques de l’Ontario, alimentées par d’innombrables cascades et des rivières impétueuses, distribuent au loin l’essentielle énergie mécanique.


Les chutes du Niagara.

Voisin de cette riche province est le Nouveau-Brunswick, dont la capitale est Saint-Jean, ville charmante, située sur les rives d’un fleuve portant le même nom et que nos visiteurs appellent communément le Rhin de l’Amérique, pour son pittoresque et les fertiles régions agricoles qu’il traverse.

Ici, grâce au climat et à la fertilité du sol, l’agriculture et l’industrie du bois sont les principales activités, et le blé, le seigle, l’avoine, le maïs, l’orge, les fruits, les légumes de cette province évoquent une Chanaan de rêve par leur abondance et leurs qualités… Des gisements de fer, de gypse, des puits de gaz naturel et d’huile, des bancs d’huîtres, des pêcheries de homard, de hareng, de morue, ajoutent à sa richesse.

Enfin, le Nouveau-Brunswick renferme de nombreuses usines — cordonneries, raffineries, scieries, tanneries, fonderies — et ses sources d’énergie hydraulique sont au nombre de nos plus précieuses.

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La troisième des provinces, dites « maritimes, » est l’Île du Prince-Édouard, aussi appelée, et à bon droit, le Jardin du Golfe. C’est la plus petite de nos provinces, mais cette ancienne Île Saint-Jean du pays acadien a gagné en beauté et en richesses ce que la nature lui a fait perdre en superficie.

Terres basses, fertiles et sans montagnes, nous y voyons la population la plus dense et l’agriculture la plus intensive du Canada. Sa capitale est Charlottetown, un des beaux ports de l’Atlantique.

Ici, fruits, grain et légumes, unis à diverses industries et à la pêche, contribuent abondamment à la prospérité des habitants. De plus, il s’y est développé, depuis quelques années surtout, une industrie nouvelle, facile et d’un rapport


La rivière Winnipeg.


L’Hôtel Fort Garry, à Winnipeg. est un des magnifiques établissements possédés et dirigés par le Chemin de Fer National du Canada

merveilleux : l’élevage du renard argenté, si recherché par les élégantes de tous les pays, qui donne à cette petite province environ dix millions de francs par année.

Voici donc les trois régions côtières que visitèrent les hardis explorateurs dont nous parlions au début de ce petit livre, avant de s’aventurer vers le mystérieux inconnu des terres intérieures… Mais le grand Fleuve les tentait — irrésistiblement — et bientôt, tant à pied qu’en canot, ils le remontèrent jusqu’au cap majestueux de Québec, puis jusqu’aux rapides qui les arrêtèrent à Hochelaga, le Montréal d’aujourd’hui

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Maintenant, les noires forêts qui durent, jadis, remplir de crainte et d’émoi les âmes des premiers navigateurs, ces savanes, ces plages désertes, ont cédé la place à des fermes fertiles et à d’innombrables et prospères cités.

Berceau de notre civilisation, l’incomparable province de Québec sait aujourd’hui harmoniser les fièvres de la vie moderne avec les pittoresques souvenirs de ses glorieuses premières armes. Les gratte-ciel y voisinent avec les châteaux des gouverneurs français, les automobiles trépident sous des portes-cochères où grondèrent les carrosses de grandes dames à mouches et en poudre, le wattman du tramway attrape le piéton avec des mots savoureux que ne dédaignait pas Molière… Captivants parallélismes pour l’historien et le voyageur !


Au cœur du quartier commercial de la ville de Winnipeg, province du Manitoba.
Toute cette région, des provinces maritimes jusqu’à la vallée de l’Ottawa, des États-Unis jusqu’aux zones arctiques, cette vallée immense, peut-être la plus riche de l’Amérique, trois fois plus grande, à elle seule, que la France et la Belgique réunies, c’est la province de Québec, terre française sous un drapeau britannique, fidèle aux traditions, à la langue et à la foi de ses illustres parrains.

Décrire ses richesses, ses lacs et ses fleuves pittoresques, son climat salubre et agréable, les immenses entreprises qui y trouvent une prospérité toujours croissante, exigerait de gros volumes… Qui ne sait, du reste, que le Saint-Laurent, navigable jusqu’à Montréal, et de là, par une série de canaux, jusqu’au Lac Ontario, y a attiré une partie considérable du commerce de l’Europe et des Iles Britanniques ? — que la valeur annuelle de ses produits agricoles se chiffre par billions de francs ? — qu’elle abonde en mines de plomb, de zinc, d’amiante, de fer, en puits de gaz naturel, en gisements de pyrite, de kaolin, de magnésite, de feldspath, de mica ? — que ses forêts, qui couvrent plus de 130 millions d’acres, renferment les essences les plus précieuses, et donnent à l’univers — aidées par l’inépuisable énergie mécanique que lui apportent ses cascades et ses cours d’eau — cet essentiel messager de la Pensée : le papier ?

Ajoutons à tout cela le confort des habitations ; la diffusion de tout ce que l’ingéniosité moderne a pu trouver pour faciliter l’existence dans les villes et les campagnes ; des caractéristiques bien françaises, chez nos Canadiens-Français, de courage, d’entrain, de probité, de franchise ; un système d’instruction


« Le Manitoba, grenier du monde… »


L’Ouest canadien est la zone agricole la plus merveilleuse de l’univers…
publique admirable, depuis les plus petites

écoles jusqu’à nos grandes universités classiques, commerciales, techniques… véritablement est-il exagéré de dire que la province de Québec est une Arcadie nouvelle ?

Ici encore, bien entendu, nous retrouvons partout l’influence bienfaisante du Chemin de Fer National du Canada, transportant les denrées européennes des ports maritimes aux grandes villes — Montréal, Québec, Sherbrooke, — desservant les plus petits hameaux, pénétrant dans les solitudes du nord ou conduisant vers des villégiatures, élégantes et ensoleillées, touristes et citadins en quête de sport et de grand air.

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Nous voici maintenant arrivés à la province industrielle par excellence : l’Ontario.

Presque exclusivement anglaise, celle-ci, et d’une étendue égale à deux fois la superficie de la France, elle se compose du Vieil Ontario, une des plus fertiles et des plus riches contrées de l’univers, et du Nouvel Ontario, au nord de la province, qui dans quelques années verra ses 330,000 milles carrés étonner le monde par leur développement industriel, agricole et minier. N’oublions pas que le Chemin de Fer National du Canada traverse ces deux régions dans toute leur longueur.

C’est, comme la province de Québec, un coin de l’univers qui semble tout particulièrement privilégié. Agriculture, élevage, industrie laitière, le tout pratiqué intensivement, telles sont les ressources principales ; viennent ensuite les usines d’énergie hydro-électrique dépendant de ces sources inépuisables que sont les chutes Niagara et cent autres cours d’eau puissants ; puis les fabriques et


… et ses troupeaux admirables font l’envie des autres nations.


Dans le Parc Jasper, vaste étendue giboyeuse et d’un pittoresque infini, le Chemin de Fer National du Canada a aménagé de luxueux chalets pour les touristes.

manufactures de toutes sortes ; les mines — or, argent et platine, cuivre, fer, nickel et plomb, huile et gaz naturels, sel, graphite et mica… — ; la culture du tabac et de fruits incomparables. Qu’ajouter à cette liste de richesses ? L’Ontario est, de plus, la province où est située la capitale du pays, Ottawa, aimable petite cité, pleine de jardins et d’édifices aussi riches qu’élégants.

C’est dans cette ville que le Chemin de Fer National du Canada dirige le Château-Laurier, nommé d’après un illustre homme d’état, et qui est un des plus beaux hôtels de l’univers.

La province d’Ontario, elle aussi, longe de très près les États-Unis, et ici, il n’est peut-être pas superflu d’écrire quelques mots sur les relations qui existent entre le Canada et ses voisins, les États-Unis américains.

Ces deux grands territoires, dont la ligne de frontière s’étend d’un océan à l’autre, traversant tour à tour montagnes et lacs, champs fertiles et sauvages forêts, connaissent la plus grande harmonie politique. Mais, comme semblent le penser nombre d’étrangers, leurs habitants n’ont de commun que leur origine et certaines traditions ancestrales, — analogies qui, par exemple, s’appliqueraient tout aussi bien à la France et à la Suisse.

Point n’est besoin, ici, de forteresses et de remparts ; les deux pays vivent dans la meilleure intelligence, malgré des caractéristiques nationales et
Les fleuves de la Colombie Britannique servent à transporter les arbres gigantesques utilisés par l’industrie des pâtes et papiers.
des idées politiques franchement distinctes, et cette harmonie se fait sentir tout particulièrement dans les villes limitrophes, comme Windsor (canadienne) et Détroit (américaine), Buffalo et la ville ontarienne construite près des chutes du Niagara, et cent autres amicales voisines…

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Voici que nous sommes rendus à la ligne imaginaire qui sépare les provinces de l’Est de cette région magnifique, d’une immensité et d’une richesse prodigieuses, que l’on nomme l’Ouest canadien.

Elle se compose de quatre provinces : le Manitoba, la plus ancienne province des Prairies, créée en 1870 et qui a, aujourd’hui, une superficie de 251,832 milles carrés ; la Saskatchewan, « le pays des blés d’or », vaste plateau d’une étendue plus considérable que n’importe quel pays européen, excepté la Russie, et qui ne date, officiellement, que de 1905 ; l’Alberta, prairies, lacs et forêts dont la richesse et la beauté sembleraient plutôt du domaine de la légende et de la poésie épique, alors que ses ressources, au contraire, ont été savamment développées d’après les méthodes les plus scientifiques ; enfin la Colombie Britannique, qui va des Montagnes Rocheuses à l’Océan Pacifique, offrant en même temps des roses et des neiges éternelles, et où nous terminons, dans une apothéose de soleil et de décors somptueux, ce voyage à travers le Dominion auquel nous invita ce magicien ailé — le Chemin de Fer National du Canada.


Vancouver est vraiment la perle du Pacifique

Décrire successivement chacune de ces provinces ne serait que répéter une énumération sans fin de tous ces trésors naturels qui font la prospérité et l’orgueil des nations… l’univers entier s’accorde à donner le premier rang au rendement agricole de l’Ouest canadien ; ses mines — or, fer et argent, charbon, platine et cuivre lasseraient la plume du bon Galland ; ses cours d’eau cachent dans leurs flots écumeux une énergie égale à des millions de chevaux


Prospères et ensoleillées, ces cinq villes sont l’orgueil de l’Ouest canadien.

vapeur ; ses forêts sont, au sens presque absolu du mot, inépuisables — la seule Colombie Britannique n’a-t-elle pas plus de 336 billions de pieds de bois ? — et les autres provinces ont aussi de vastes réserves forestières ; l’apiculture et les fruits de toutes sortes ajoutent à sa prospérité ; enfin, et bien que cette immense contrée soit surtout consacrée à l’agriculture et à l’élevage, l’industrie y occupe une place importante et la valeur totale des produits manufacturés dans le Manitoba et la Colombie Britannique, en une année, fut d’environ 360 millions de dollars !…

Croyez, cher Lecteur français, que ces chiffres fabuleux et ces énumérations enthousiastes n’ont pas leur source dans un vain orgueil. Ces provinces et ces villes, immenses et bien ordonnées — Vancouver, Victoria, Winnipeg, Calgary, Edmonton —, sont dues à une Providence munificente qui semble avoir voulu accumuler toutes les richesses imaginables dans un seul endroit du globe, mais considérez aussi que le courage et l’industrie d’une jeune nation ont fait surgir de telles merveilles parmi des forêts et des plaines qui, il y a un demi-siècle, ne comptaient que quelques avant-postes de gendarmerie à cheval… Cette confiante fierté que ressent tout bon Canadien n’est-elle pas bien pardonnable ?

Nous aurions aimé de nous attarder dans ces provinces de l’Ouest et, après en avoir célébré les utiles richesses, de décrire la sauvage beauté des Rocheuses. Le format de ce petit livre ne nous le permet pas, mais, en terminant, nous devons au Chemin de Fer National du Canada de louer, en particulier ce vaste parc national — réserve giboyeuse, boisée et montagneuse — que l’on nomme Jasper, et où il a construit, à la grande joie des voyageurs et des sportsmen, des chalets et un hôtel d’un pittoresque charmant. Le touriste, sur la longue route qui le mène vers l’Océan Pacifique, y fait une halte fraîche et reposante ; le citadin, en quête d’une villégiature élégante, y jouit de ce confort moderne que l’on ne rencontre que rarement, même dans les palaces les plus somptueux de l’Europe…

Cette promenade-éclair, sur les traces des premiers « coureurs des bois » comme le long du magique ruban d’acier que le Chemin de Fer National du Canada a déroulé d’un océan à l’autre, ce voyage, cher Lecteur, avait un double objet : rendre à une entreprise admirable


Le Mont Cavell, dans la Colombie Britannique.

l’hommage que méritent ses labeurs et son courage, et surtout, faire mieux

connaître de nos frères français le pays merveilleux que nous avons le bonheur d’habiter.

En vérité, le Canadien ne pourrait-il pas lui appliquer les paroles émouvantes que votre plus grand poète adressait à la France, et dire, lui aussi, en pensant à sa patrie, qu’il ne sait plus bien « si c’est dans sa tendresse ou bien dans son orgueil qu’il a le plus de joie… » ?


Le Mont Robson.

 
POUR TOUS RENSEIGNEMENTS QUANT AU
CHEMIN DE FER NATIONAL DU CANADA
S’adresser à
M. WILLIAM PHILLIPS, Administrateur pour l’Europe,
17-19 rue Cockspur, à Londres, S.W.I.
 



Texte de Paul Morin
de la Société Royale
du Canada

illustration de
M. A. Suzor-Coté
de l’Académie Royale
du Canada
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