Les Siècles morts/Iahvé

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Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.I. L’Orient antique (p. 146-150).

 
Moi, je suis Iahvé, l’Élohim dont la main
Tira de Miçraïm le peuple de tes pères,
Israël ! Et moi-même ai tracé ton chemin
Vers la plaine conquise et les coteaux prospères.

J’ai fait pleuvoir la manne et du cœur du rocher
Inépuisablement jaillir la fraîche source.
Ma colonne de feu, que tu voyais marcher,
Dans le désert nocturne a précédé ta course.

Et voilà que je parle, et voilà que sur toi
Descend, avec l’éclair, mon regard redoutable.
Voilà que tu vivras enfermé dans ma Loi,
Comme un troupeau parqué dans une sombre étable.


Voilà que t’avançant dans mes sentiers étroits,
Selon ma règle antique et mon précepte auguste,
Te verras, dans tes champs hérissés d’épis droits,
Croître le blé du Riche et la moisson du Juste.

Pour tes lourds chariots, rentrant le nouveau blé,
Des gerbes d’autrefois tu videras tes granges,
Et le grain débordant, aux pieds des bœufs foulé,
Chargera l’aire encore au matin des vendanges.

Et quand sur les coteaux pierreux les raisins noirs
Verseront l’allégresse au fond de tes entrailles,
Réjouis-toi, mon peuple, au bruit de tes pressoirs
Gémissant jusqu’au jour des lointaines semailles !

Dressant mes pavillons et ma tente au milieu
De vos camps défendus, et semant les miracles,
J’habiterai, caché dans le nuage en feu,
Comme un hôte jaloux, parmi vos tabernacles.

L’épée étincelante en cercle fauchera
Les ennemis fuyant sur la terre usurpée ;
Un seul de vos guerriers en frappant suffira
Pour en abattre mille au vent de son épée.

Mais si, brisant mon joug et le pacte divin,
Si, rebelle et têtu comme un âne indocile,
Mon peuple inattentif, guidé toujours en vain,
Pour de nouveaux autels déserte mon asile ;


Si son cœur est pareil à l’onagre sans frein,
Si Milkom ou Kemosch ont dévoré mes dîmes,
Si les pieux de Baal et les Serpents d’airain
Du Libanon ombreux ont profané les cimes :

Alors, tournant vers toi ma face de terreur,
Je répandrai le sang comme une horrible pluie,
Et romprai dans ta main, ô peuple ! en ma fureur,
Le bâton de ma force où ta marche s’appuie.

Sur ton sol de métal, du haut d’un ciel de fer,
Parmi les oliviers, la vigne et les récoltes,
J’exciterai la flamme et je tordrai l’éclair,
Vengeant sept fois ton crime et sept fois tes révoltes.

Vous tramerez, Lions ! des gorges aux sommets,
La chair des nouveau-nés pendue à vos crocs sombres.
Et les nids des hiboux empliront à jamais
Les fentes des cités et le creux des décombres.

Tes idoles, tes bois, tes cippes, tes hauts-lieux,
Broyant, je les broierai comme un verre fragile ;
Et j’étendrai, muet, ton cadavre odieux
Sur les cadavres froids des Baalim d’argile.

Que le vomissement des fornications,
Rejaillissant sur toi, souille encor tes murailles !
Et qu’Israël, vanné parmi les nations,
Soit comme un grain pourri qu’on jette avec les pailles !


Et que son peuple, au bord des fleuves étrangers,
Soit comme un daim, qui tremble au bruit de la poursuite,
Ou qu’un frisson de vent dans des arbres légers
Réveille, fait bondir, effare et met en fuite.

Puis les pentes des monts et les plaines d’en bas,
Infécondes enfin, libres, abandonnées,
Sous un morne soleil connaîtront leurs sabbats
Et jouiront en paix du repos des années.

Alors, quand, frémissant d’angoisse et dévorant
Les fruits de leurs péchés et leurs fautes accrues,
Mes fils, courbant l’épaule au joug du conquérant,
Glaneront leur pâture aux carrefours des rues ;

Quand ma vieille fureur, comme un vin fermenté,
Débordera le vase où bouillait ma colère ;
Quand mes fils, gémissant au nom de leur Cité,
Lèveront leurs yeux morts vers le Dieu tutélaire ;

Alors, me souvenant, dans mes cieux éclaircis
Je déploierai mon arc et ma lumière neuve,
Et je purifierai leurs cœurs incirconcis,
Comme un haillon souillé qu’on lave dans un fleuve.

Et l’alliance antique, Abraham, le serment,
La race d’Iaqob, vivant dans ma mémoire,
O peuple ! je ferai luire éternellement
L’Astre de ma puissance et le jour de ma gloire.


Car je suis Iahvé, qui tirai tes aïeux
Du sol de Miçraïm, du Lieu de l’esclavage.
Je suis ton Élohim devant qui tous les dieux
Ne sont que des cailloux dans un ravin sauvage.