Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Ame courtoise
Ame covrtoise. VII.
Ette nouueauté n’eſt pas bien grande, de voir la
peinture d’vn Enfant, à qui vn Dauphin fait le meſme
office ſur la mer, que le cheual rend à l’homme ſur la
terre. L’ancienne Hiſtoire nous en fournit d’aſſez curieux Cap. 17. 21.
exemples. Teſmoin celuy que Solin rapporte dans ſon Liure,
à ſçauoir, qu’aupres d’Hippone il ſe treuua vn de ces animaux
ſi amy de l’homme & ſi appriuoiſé, qu’il s’en alloit fort
ſouuent au prochain riuage, où il tendoit l’eſchine aux vns,
& ſe laiſſoit manier aux autres : Ce que le meſme Autheur dit
eſtre arriué à Flauianus Proconſul d’Afrique, auquel il prit
fantaiſie vn iour de le frotter de quelques onguents ; mais pource
que la ſenteur en eſtoit trop forte, le pauure Dauphin faillit
d’en mourir, & fut pluſieurs mois ſans reuenir à la riue. I’obmets
Pln. I. 9. c. 8
qu’au temps de l’Empereur Auguſte, il y en euſt vn autre ſi
priué, qu’vn petit garçon ayant pris l’aſſeurance de luy donner
du pain l’apprit auſſi de monter ſur luy, & fut porté de Bajes
à Pouzzol : Ce qui continue iuſques à la mort de l’enfant, qui fut
ſuiuie de celle du Dauphin, au grand eſtonnement de ceux qui
le virent. Ces deux exemples preuuent aſſez bien à mon aduis
ce que ie pretends par cette figure, qui eſt, d’en faire l’Embleme d’vne Ame courtoiſe, ou, ſi vous voulez, officieuſe & bien
née. Toute la raiſon que i’en puis donner eſt, que le Dauphin
ayme l’homme, & qu’il le careſſe, par inſtinct pluſtoſt que par
intereſt, ny pour aucun bien qu’il en reçoiue. Pierius le croit
ainſi, lors qu’alleguant à ce propos le iugement qu’en fait vn
Ancien ; Plutarque, dit-il, admire à bon droict ce genereux naturel
que les Dauphins ont pour les hommes. Car ce n’eſt ny
pour la nourriture qu’ils les aiment, comme font les chiens &
les cheuaux, ny par autre neceβité ; ou pour auoir eſté deliurez
de leur joug, comme l’on pourroit dire des Elephans, des Lyons,
& des Pantheres, mais par ie ne ſçay quelle tendreſſe qui les y
porte, & qui leur eſt ordinaire. Puis qu’ils tiennent donc de
leur propre nature ces bons mouuemens qu’ils ont pour les
creatures raiſonnables, ils meritent bien ſans doute d’eſtre le
ſymbole des courages nobles, qui ſont nais pour obliger autruy.
A quoy certes ne les pouſſe pas tant la recompenſe qu’ils
en attendent, que leur inclination propre, qui ſe laiſſe aller
d’elle-meſme à des actions officieuſes & charitables.