Illyrine/2/Lettre 104

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LETTRE CIV.

À Julie.


Quoi ! se peut-il, Lili ? quelle épître ! quelle froideur ! ô ! Lili ! tu ne m’aimes plus ! qu’appelles-tu devoir ? en est-il de plus sacré que ceux que le cœur impose ? Lili, tu étais épouse et mère la première fois que tu m’as rendu heureux ! tu étais épouse et mère lorsque tu vint à Anisy ! tu étais épouse et mère lorsque tu vint à V… à C…, à Paris même ! tu étais épouse et mère à l’hermitage ! ô ! Lili ! est-ce que tu serais doublement mère ? sans ce cas même, n’ai-je pas les droits les plus sacrés sur l’innocente créature que tu porterais dans ton sein ? Lili, tu n’avais pas ta tête à toi lorsque tu m’as, pour toutes objections, dit que tu étais épouse et mère. Et sous le pommier du bois du rendez-vous, au bois des adieux, m’as-tu jamais objecté que tu avais des devoirs à violer pour me vendre heureux ? n’as tu pas toujours partager, mes transports, et j’ose dire même provoqué ? qu’à H. F…, chez ton aïeule, tu m’aurais prétexté tes devoirs ! mais aujourd’hui, Lili, c’est du dernier ridicule vis-à-vis d’un homme qui te possède depuis deux ans. Lili, tu n’as pas osé m’avouer que tu ne m’aimais plus ; mais je le sens ; et pour m’en convaincre, dimanche, de dix heures à midi, j’arriverai à Ermenonville ; j’irai droit à l’isle des peupliers. Sur le tombeau de J.-J., c’est-là que j’attendrai le dernier adieu de Julie. Tu n’as plus là rien à m’objecter, sauf, cependant, tes devoirs maritales que tu as donc repris avec bien du plaisir, puisque tu n’y veut plus manquer !…

Quant à ta fille, en deviendra-t-elle moins grande, moins jolie, parce que sa mère me rendra encore heureux une fois ? si au contraire c’est un autre que ton mari t’a fait, eh bien ! il sera à nous deux. Ne me réponds pas, tu n’en aurais pas le tems ; mais, bien sûr, tu viendras me joindre à l’isle des peupliers et passer un jour avec moi ; je m’y rendrai sans même attendre ton consentement. Lili, que je voudrais bien te rendre amante et mère. Ermenonville coupe la moitié du chemin de S…, comme Anisy de L… Lili, je réserve tous mes baisers pour l’isle des peupliers : viens adorable et adorée amante, ou je ne sais à quoi le désespoir peut me porter.

Dimanche, de dix heures à midi, que je serai transporté de joie de voir ma jeune espiègle sauter dans mes bras. Adieu, Lili, adieu ma chère, tout pour moi, Lili, à jamais ton ami.

N. Q…te


Fin du Tome II.