Itinéraire de Paris à Jérusalem/Introduction 1

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Garnier (Œuvres complètes, Tome 5p. 67-94).


INTRODUCTION





PREMIER MÉMOIRE


Je diviserai cette Introduction en deux mémoires : dans le premier, je prendrai l’histoire de Sparte et d’Athènes à peu près au siècle d’Auguste, et je la conduirai jusqu’à nos jours. Dans le second, j’examinerai l’authenticité des traditions religieuses à Jérusalem.

Spon, Wheler, Fanelli, Chandler et Leroi ont, il est vrai, parlé du sort de la Grèce dans le moyen âge ; mais le tableau tracé par ces savants hommes est bien loin d’être complet. Ils se sont contentés des faits généraux, sans se fatiguer à débrouiller la Byzantine ; ils ont ignoré l’existence de quelques Voyages au Levant : en profitant de leurs travaux, je tâcherai de suppléer à ce qu’ils ont omis.

Quant à l’histoire de Jérusalem, elle ne présente aucune obscurité dans les siècles barbares ; jamais on ne perd de vue la ville sainte. Mais lorsque les pèlerins vous disent : " Nous nous rendîmes au tombeau de Jésus-Christ, nous entrâmes dans la grotte où le Sauveur du monde répandit une sueur de sang, etc., etc., " un lecteur peu crédule pourrait s’imaginer que les pèlerins sont trompés par des traditions incertaines : or, c’est un point de critique que je me propose de discuter dans le second mémoire de cette Introduction.

Je viens à l’histoire de Sparte et d’Athènes :


Lorsque les Romains commencèrent à se montrer dans l’Orient, Athènes se déclara leur ennemie, et Sparte embrassa leur fortune. Sylla brûla le Pirée et Munychie1 ; il saccagea la ville de Cécrops, et fit un si grand massacre des citoyens, que le sang, dit Plutarque2, remplit tout le Céramique, et regorgea par les ports.

Dans les guerres civiles de Rome, les Athéniens suivirent le parti de Pompée, qui leur semblait être celui de la liberté : les Lacédémoniens s’attachèrent à la destinée de César. Celui-ci refusa de se venger d’Athènes. Sparte, fidèle à la mémoire de César, combattit contre Brutus à la bataille de Philippes3 ; Brutus avait promis le pillage de Lacédémone à ses soldats, en cas qu’il obtint la victoire. Les Athéniens élevèrent des statues à Brutus, s’unirent à Antoine et furent punis par Auguste. Quatre ans avant la mort de ce prince4, ils se révoltèrent contre lui5.

Athènes demeura libre pendant le règne de Tibère6. Sparte vint plaider et perdre à Rome une petite cause contre les Messéniens, autrefois ses esclaves. Il s’agissait de la possession du temple de Diane Limnatide : précisément cette Diane dont la fête donna naissance aux guerres messéniaques.

Si l’on fait vivre Strabon7 sous Tibère, la description de Sparte et d’Athènes par ce géographe se rapportera au temps dont nous parlons.

Lorsque Germanicus passa chez les Athéniens, par respect pour leur ancienne gloire, il se dépouilla des marques de la puissance, et marcha précédé d’un seul licteur8.

Pomponius Méla écrivait vers le temps de l’empereur Claude.

Il se contente de nommer Athènes en décrivant la côte de l’Attique9.

Néron visita la Grèce, mais il n’entra ni dans Athènes ni dans Lacédémone10.

Vespasien réduisit l’Achaïe en province romaine, et lui donna pour gouverneur un proconsul11. Pline l’ancien, aimé de Vespasien et de Titus, parla sous ces princes de divers monuments de la Grèce.

Apollonius de Tyane, pendant le règne de Domitien, trouva les lois de Lycurgue en vigueur à Lacédémone12.

Nerva favorisa les Athéniens. Les monuments d’Hérode Atticus et le voyage de Pausanias sont à peu près de cette époque13.

Pline le jeune, sous Trajan, exhorte Maxime, proconsul d’Achaïe, à gouverner Athènes et la Grèce avec équité14.

Adrien rétablit les monuments d’Athènes, acheva le temple de Jupiter Olympien, bâtit une nouvelle ville auprès de l’ancienne, et fit refleurir dans la Grèce les sciences, les lettres et les arts15.

Antonin et Marc-Aurèle comblèrent Athènes de bienfaits16. Le dernier s’attacha surtout à rendre à l’Académie son ancienne splendeur : il multiplia les professeurs de philosophie, d’éloquence et de droit civil, et en porta le nombre jusqu’à treize : deux platoniciens, deux péripatéticiens, deux stoïciens, deux épicuriens, deux rhéteurs, deux professeurs de droit civil, et un préfet de la jeunesse. Lucien, qui vivait alors, dit qu’Athènes était remplie de longues barbes, de manteaux, de bâtons et de besaces.

Le Polyhistor de Solin parut vers la fin de ce siècle. Solin décrit plusieurs monuments de la Grèce. Il n’a pas copié Pline le naturaliste aussi servilement qu’on s’est plu à le répéter.

Sévère priva Athènes d’une partie de ses privilèges ; pour la punir de s’être déclarée en faveur de Pescennius Niger17.

Sparte, tombée dans l’obscurité, tandis qu’Athènes attirait encore les regards du monde, mérita la honteuse estime de Caracalla : ce prince avait dans son armée un bataillon de Lacédémoniens, et une garde de Spartiates auprès de sa personne18.

Les Scythes, ayant envahi la Macédoine, au temps de l’empereur Gallien, mirent le siège devant Thessalonique. Les Athéniens, effrayés, se hâtèrent de relever les murs que Sylla avait abattus19.

Quelques années après, les Hérules pillèrent Sparte, Corinthe et Argos. Athènes fut sauvée par la bravoure d’un de ses citoyens nommé Dexippe, également connu dans les lettres et dans les armes20.

L’archontat fut aboli à cette époque ; le stratège, inspecteur de l’agora ou du marché, devint le premier magistral d’Athènes21.

Les Goths prirent cette ville sous le règne de Charles II. Ils voulurent brûler les bibliothèques, mais un des barbares s’y opposa : " Conservons, dit-il, ces livres qui rendent les Grec si faciles à vaincre, et qui leur ôtent l’amour de la gloire. "

Cléodème, Athénien échappé au malheur de sa patrie, rassembla des soldats, fondit sur les Goths, en tua un grand nombre, et dispersa le reste : il prouva aux Goths que la science n’exclut pas le courage22.

Athènes se remit promptement de ce désastre ; car on la voit peu de temps après offrir des honneurs à Constantin et en recevoir des grâces. Ce prince donna au gouverneur de l’Attique le titre de grand-duc : titre qui, se fixant dans une famille, devint héréditaire, et finit par transformer la république de Solon en une principauté gothique. Pite, évêque d’Athènes, parut au concile de Nicée23.

Constance, successeur de Constantin, après la mort de ses frères Constantin et Constant, fit présent de plusieurs îles à la ville d’Athènes24.

Julien, élevé parmi les philosophes du Portique, ne s’éloigna d’Athènes qu’en versant des larmes. Les Grégoire, les Cyrille, les Basile, les Chrysostome, puisèrent leur sainte éloquence dans la patrie de Démosthène25.

Sous le règne du grand Théodose, les Goths ravagèrent l’Epire et la Thessalie. Ils se préparaient à passer dans la Grèce ; mais ils en furent écartés par Théodore, général des Achéens. Athènes reconnaissante éleva une statue à son libérateur26.

Honorius et Arcadius tenaient les rênes de l’empire lorsque Alaric pénétra dans la Grèce. Zosime raconte que le conquérant aperçut, en approchant d’Athènes, Minerve qui le menaçait du haut de la citadelle, et Achille qui se tenait debout devant les remparts. Si l’on en croit le même historien, Alaric ne saccagea point une ville que protégeaient les héros et les dieux27. Mais ce récit a bien l’air d’une fable. Synésius, plus près de l’événement que Zosime, compare Athènes incendiée par les Goths à une victime que la flamme a dévorée et dont il ne reste plus que les ossements28. On croit que le Jupiter de Phidias périt dans cette invasion des barbares29.

Corinthe, Argos, les villes de l’Arcadie, de l’Elide et de la Laconie, éprouvèrent le sort d’Athènes : " Sparte, si fameuse, dit encore Zosime, ne put être sauvée ; ses citoyens l’abandonnèrent et ses chefs la trahirent : ses chefs, vils ministres des tyrans injustes et débauchés qui gouvernaient l’État30. "

Stilicon, en venant chasser Alaric du Péloponèse, acheva de désoler cet infortuné pays.

Athénaïs, fille de Léonce le Philosophe, connue sous le nom d’Eudoxie31, était née à Athènes, et elle épousa Thodose le jeune32.

Pendant que Léonce tenait les rênes de l’empire d’Orient, Genséric se jeta de nouveau sur l’Achaïe33. Procope ne nous dit point quel fut le sort de Sparte et d’Athènes dans cette nouvelle invasion.

Le même historien fait ainsi la peinture des ravages des barbares, dans son Histoire secrète : " Depuis que Justinien gouverne l’empire, la Thrace, la Chersonèse, la Grèce, et tout le pays qui s’étend entre Constantinople et le golfe d’Ionie, ont été ravagés chaque année par les Antes, les Slavons et les Huns. Plus de deux cent mille Romains ont été tués ou faits prisonniers à chaque invasion des barbares, et les pays que j’ai nommés sont devenus semblables aux déserts de la Scythie34. "

Justinien fit réparer les murailles d’Athènes et élever des tours sur l’isthme de Corinthe. Dans la liste des villes que ce prince embellit et fortifia, Procope ne cite point Lacédémone. On remarque auprès des empereurs d’Orient une garde laconienne ou tzaconienne, selon la prononciation alors introduite. Cette garde, armée de piques, portait une espèce de cuirasse ornée de figures de lion ; le soldat était vêtu d’une casaque de drap et couvrait sa tête d’un capuchon. Le chef de cette milice s’appelait stratopedarcha35.

L’empire d’Orient avait été divisé en gouvernements appelés thêmata. Lacédémone devint l’apanage des frères ou des fils aînés de l’empereur. Les princes de Sparte prenaient le titre de despotes, leurs femmes s’appelaient despoenes, et le gouvernement despotat. Le despote résidait à Sparte ou à Corinthe36.

Ici commence le long silence de l’histoire sur le pays le plus fameux de l’univers. Spon et Chandler perdent Athènes de vue pendant sept cents ans : " Soit, dit Spon, à cause du défaut de l’histoire, qui est courte et obscure dans ces siècles-là, ou que la fortune lui eût accordé ce long repos37. " Cependant on découvre dans le cours de ces siècles quelques traces de Sparte et d’Athènes.

Nous retrouvons d’abord le nom d’Athènes dans Théophilacte Simocate ; historien de l’empereur Maurice. Il parle des Muses qui brillent à Athènes dans leurs plus superbes habits38, ce qui prouve que vers l’an 590 Athènes était encore le séjour des Muses.

L’Anonyme de Ravenne, écrivain goth qui vivait vraisemblablement au VIIe siècle, nomme trois fois Athènes dans sa Géographie39 ; encore n’avons-nous de cette géographie qu’un extrait mal fait par Galatéus.

Sous Michel III, les Esclavons se répandirent dans la Grèce40. Théoctiste les battit et les poussa jusqu’au fond du Péloponèse. Deux hordes de ces peuples, les Ezérites et les Milinges, se cantonnèrent à l’orient et à l’occident du Taygète, qui se nommait dès lors Pentadactyle. Quoi qu’en dise Constantin Porphyrogénète, ces Esclavons sont les ancêtres des Maniotes, et ceux-ci ne sont point les descendants des anciens Spartiates, comme on le soutient aujourd’hui, sans savoir que ce n’est qu’une opinion ridicule de Constantin Porphyrogénète41. Ce sont sans doute ces Esclavons qui changèrent le nom d’Amyclée en celui de Sclabochorion.

Nous lisons dans Léon le Grammairien42 que les habitants de la Grèce ne pouvant plus supporter les injustices de Chasès, fils de Job et préfet d’Achaïe, le lapidèrent dans une église d’Athènes, pendant le règne de Constantin VII.

Sous Alexis Comnène, quelque temps avant les croisades, nous voyons les Turcs ravager les îles de l’Archipel et toutes les côtes de l’Occident43.

Dans un combat entre les Pisans et les Grecs, un comte, natif du Péloponèse, signala son courage vers l’an 108544 : ainsi le Péloponèse ne portait point encore le nom de Morée.

Les guerres d’Alexis Comnène, de Robert et de Boémond eurent pour théâtre l’Epire et la Thessalie, et ne nous apprennent rien de la Grèce proprement dite. Les premiers croisés passèrent aussi à Constantinople, sans pénétrer dans l’Achaïe45. Mais sous le règne de Manuel Comnène, successeur d’Alexis, les rois de Sicile, les Vénitiens, les Pisans et les autres peuples occidentaux se précipitèrent sur le Péloponèse et sur l’Attique. Roger Ier, roi de Sicile, transporta à Palerme les artisans d’Athènes, habiles dans la culture de la soie46. C’est à peu près à cette époque que le Péloponèse changea son nom en celui de Morée ; du moins je trouve ce nom employé par l’historien Nicétas47. Il est probable que les vers à soie venant à se multiplier dans l’Orient, on fut obligé de multiplier les mûriers : le Péloponèse prit son nouveau nom de l’arbre qui faisait sa nouvelle richesse.

Roger s’empara de Corfou, de Thèbes et de Corinthe, et eut la hardiesse, dit Nicétas, d’attaquer les villes les plus avancées dans le pays48. Mais, selon les historiens de Venise, les Vénitiens secoururent l’empereur d’Orient, battirent Roger, et l’empêchèrent de prendre Corinthe49. Ce fut en raison de ce service qu’ils prétendirent, deux siècles après, avoir des droits sur Corinthe et sur le Péloponèse.

Il faut rapporter à l’an 1170 le voyage de Benjamin de Tudèle en Grèce : il traversa Patras, Corinthe et Thèbes. Il trouva dans cette dernière ville deux mille juifs qui travaillaient aux étoffes de soie et s’occupaient de la teinture en pourpre50.

Eustathe était alors évêque de Thessalonique. Les lettres étaient donc encore cultivées avec succès dans leur patrie, puisque cet Eustathe est le célèbre commentateur d’Homère.

Les Français, ayant à leur tête Boniface, marquis de Mont-Ferrat, et Baudouin, comte de Flandre, les Vénitiens, sous la conduite de Dandolo, chassèrent Alexis de Constantinople, et rétablirent Isaac l’Ange sur le trône. Ils s’emparèrent bientôt de la couronne pour leur propre compte. Baudouin, comte de Flandre, eut l’empire, et le marquis de Mont-Ferrat fut déclaré roi de Thessalonique51.

Dans ce temps-là, un petit tyran de la Morée, appelé Sgure, et natif de Napoli de Romanie, vint mettre le siège devant Athènes : il en fut repoussé par l’archevêque Michel Acominat Choniate, frère de l’historien Nicétas52. Cet archevêque avait composé un poème dans lequel il comparaît l’Athènes de Périclès à l’Athènes du XIIe siècle. Il reste encore quelques vers de ce poème manuscrit, in-4 o, N o 963, page 116, à la Bibliothèque royale.

Quelque temps après, Athènes ouvrit ses portes au marquis de Mont-Ferrat ; Boniface donna l’investiture de la seigneurie de Thèbes et d’Athènes à Othon de la Roche ; les successeurs d’Othon prirent le titre de ducs d’Athènes et de grands sires de Thèbes. Au rapport de Nicétas, le marquis de Mont-Ferrat porta ses armes jusqu’au fond de la Morée ; il se saisit d’Argos et de Corinthe, mais il ne put s’emparer du château de cette dernière ville, où Léon Sgure se renferma53.

Tandis que Boniface poursuivait ses succès, un coup de vent amenait d’autres Français à Modon. Geoffroi de Ville-Hardouin, qui les commandait, et qui revenait de la Terre Sainte, se rendit auprès du marquis de Mont-Ferrat, alors occupé au siège de Napoli. Geoffroi, bien reçu de Boniface, entreprit avec Guillaume de Champlite la conquête de la Morée54. Le succès répondit aux espérances ; toutes les villes se rendirent aux deux chevaliers, à l’exception de Lacédémone, où régnait un tyran nommé Léon Chamarète55. Peu de temps après, la Morée fut remise aux Vénitiens ; elle leur appartenait, d’après le traité général conclu à Constantinople entre les croisés. Le corsaire génois Léon de Scutrano se rendit maître un moment de Coron et de Modon ; mais il en fut bientôt chassé par les Vénitiens56.

Guillaume de Champlite prit le titre de prince d’Achaïe. A la mort de Guillaume, Geoffroi de Ville-Hardouin hérita des biens de son ami, et devint prince d’Achaïe et de Morée57.

La naissance de l’empire ottoman se rapporte à peu près au temps dont nous parlons. Soliman-Shah sortit des solitudes des Tartares Oguziens, vers l’an 1214, et s’avança vers l’Asie-Mineure58. Démétrius Cantémir, qui nous a donné l’histoire des Turcs d’après les auteurs originaux, mérite plus de confiance que Paul Jove et les auteurs grecs, qui confondent souvent les Sarrasins avec les Turcs.

Le marquis de Mont-Ferrat ayant été tué, sa veuve fut déclarée régente du royaume de Thessalonique. Athènes, lasse apparemment d’obéir à Othon de la Roche ou à ses descendants, voulut se donner aux Vénitiens ; mais elle fut traversée dans ce dessein par Magaduce, tyran de Morée : ainsi la Morée avait vraisemblablement secoué le joug de Ville-Hardouin ou des Vénitiens. Ce nouveau tyran, Magaduce, avait sous lui d’autres tyrans ; car, outre Léon Sgure, déjà nommé, on trouve un Etienne, pêcheur, signore di molti stati nella Morea, dit Giacomo Diedo59.

Théodore Lascaris reconquit sur les Francs une partie de la Morée. La lutte entre les empereurs latins d’Orient et les empereurs grecs retirés en Asie dura cinquante-sept années : Guillaume de Ville-Hardouin, successeur de Geoffroi, était devenu prince d’Achaïe60 ; il tomba entre les mains de ce Michel Paléologue, empereur grec, qui rentra dans Constantinople au mois d’août de l’année 1261. Pour obtenir sa liberté, Guillaume céda à Michel les places qu’il possédait en Morée ; il les avait conquises sur les Vénitiens et sur les petits princes qui s’élevaient et disparaissaient tour à tour : ces places étaient Monembasie, Maïna, Hiérace et Misitra. C’est la première fois qu’on lit ce nom de Misitra : Pachymère l’écrit sans réflexion, sans étonnement, et presque sans y penser, comme si cette Misitra, petite seigneurie d’un gentilhomme français, n’était pas l’héritière de Lacédémone.

Nous avons vu un peu plus haut Lacédémone paraître sous son ancien nom, lorsqu’elle était gouvernée par Léon Chamarète : Misitra fut donc pendant quelque temps contemporaine de Lacédémone.

Guillaume céda encore à l’empereur Michel Anaplion et Argos ; la contrée de Ciusterne demeura en contestation. Guillaume est ce même prince de Morée dont parle le sire de Joinville :

Lors vint (…)

Avec mainte armeure dorée,

Celui qui prince est de la Morée61.

Diedo le nomme Guillaume Ville, en retranchant ainsi la moitié du nom62.

Pachymère nomme vers ce temps-là un certain Théodose, moine de Morée, qui, dit l’historien, était issu de la race des princes de ce pays : nous voyons aussi l’une des sœurs de Jean, héritier du trône de Constantinople, épouser Mathieu de Valincourt, Français venu de Morée.

Michel fit équiper une flotte, et reprit les îles de Naxos, de Paros, de Céos, de Caryste et d’Orée ; il s’empara en même temps de Lacédémone, différente ainsi de Misitra, cédée à l’empereur pour la rançon du prince d’Achaïe : on voit des Lacédémoniens servir sur la flotte de Michel ; ils avaient, disent les historiens, été transférés de leur pays à Constantinople, en considération de leur valeur63.

L’empereur fit ensuite la guerre à Jean Ducas Sebastocrator, qui s’était soulevé contre, l’empire ; ce Jean Ducas était fils naturel de Michel, despote d’Occident. Michel l’assiégea dans la ville de Duras. Jean trouva le moyen de s’enfuir à Thèbes, où régnait un prince, sire Jean, que Pachymère appelle grand-seigneur de Thèbes64, et qui était peut-être un descendant d’Othon de la Roche. Ce sire Jean fit épouser à son frère Guillaume la fille de Jean, bâtard du despote d’Occident.

Six ans après, un prince issu de l’illustre famille des princes de Morée disputa à Veccus le patriarcat de Constantinople.

Jean, prince de Thèbes, mourut ; son frère Guillaume fut son héritier. Guillaume devint aussi, par sa femme, petite-fille du despote d’Occident, prince d’une partie de la Morée ; car le despote d’Occident, en dépit des Vénitiens et du prince d’Achaïe, s’était emparé de cette belle province65.

Andronic, après la mort de Michel son père, monta sur le trône d’Orient66. Nicéphore, despote d’Occident, et fils de ce Michel, despote, qui avait conquis la Morée, suivit Michel empereur dans la tombe ; il laissa pour héritier un fils nommé Thomas et une fille appelée Itamar. Celle-ci épousa Philippe, petit-fils de Charles, roi de Naples : elle lui apporta en mariage plusieurs villes, et une grande étendue de pays. Il est donc probable que les Siciliens eurent alors quelques possessions en Morée.

Vers ce temps-là je trouve une princesse d’Achaïe, veuve et fort avancée en âge, qu’Andronic voulait marier à son fils Jean, despote67 ; cette princesse était peut-être la fille ou même la femme de Guillaume, prince d’Achaïe, que nous avons vu faire la guerre à Michel, père d’Andronic.

Quelques années après, un tremblement de terre ébranla Modon et plusieurs autres villes de la Morée68.

Athènes vit alors arriver de l’Occident de nouveaux maîtres. Des Catalans, cherchant aventure sous la conduite de Ximenès, de Roger et de Bérenger, vinrent offrir leurs services à l’empereur d’Orient. Mécontents d’Andronic, ils tournèrent leurs armes contre l’empire. Ils ravagèrent l’Achaïe et mirent Athènes au nombre de leurs conquêtes69. C’est alors, et non pas plus tôt, qu’on y voit régner Delves, prince de la maison d’Aragon. L’histoire ne dit point s’il trouva les héritiers d’Othon de la Roche en possession de l’Attique et de la Béotie.

L’invasion de la Morée par Amurat, fils d’Orcan, doit être placée sous la même date70 : on ignore quel en fut le succès71.

Les empereurs Jean Paléologue et Jean Cantacuzène voulurent porter la guerre dans l’Achaïe72. Ils étaient invités par l’évêque de Coronée et par Jean Sidère, gouverneur de plusieurs villes. Le grand-duc Apocauque, qui s’était révolté contre l’empereur, pilla la Morée et y mit tout à feu et à sang73.

Reinier Acciajuoli, Florentin, chassa les Catalans d’Athènes. Il gouverna cette ville pendant quelque temps, et, n’ayant point d’héritiers légitimes, il la laissa par testament à la république de Venise74 ; mais Antoine, son fils naturel, qu’il avait établi à Thèbes, enleva Athènes aux Vénitiens.

Antoine, prince de l’Attique et de la Béotie, eut pour successeur un de ses parents nommé Nérius. Celui-ci fut chassé de ses États par son frère Antoine II, et il ne rentra dans sa principauté qu’après la mort de l’usurpateur75.

Bajazet faisait alors trembler l’Europe et l’Asie ; il menaçait de se jeter sur la Grèce. Mais je ne vois nulle part qu’il se soit emparé d’Athènes, comme le disent Spon et Chandler, qui ont d’ailleurs confondu l’ordre des temps en faisant arriver les Catalans dans l’Attique après le prétendu passage de Bajazet.

Quoi qu’il en soit, la frayeur que ce prince répandit en Europe produisit un des événements les plus singuliers de l’histoire. Théodore Porphyrogène, despote de Sparte, était frère d’Andronic et d’Emmanuel, tour à tour empereurs de Constantinople. Bajazet menaçait la Morée d’une invasion : Théodore, ne croyant pas pouvoir défendre sa principauté, voulut la vendre aux chevaliers de Rhodes76. Philibert de Naillac, prieur d’Aquitaine et grand maître de Rhodes, acheta, au nom de son ordre, le despotat de Sparte. Il y envoya deux chevaliers français, Raymond de Leytoure, prieur de Toulouse, et Elie du Fossé, commandeur de Sainte-Maixance, prendre possession de la patrie de Lycurgue. Le traité fut rompu, parce que Bajazet, obligé de repasser en Asie, tomba entre les mains de Tamerlan. Les deux chevaliers, qui s’étaient déjà établis à Corinthe, rendirent cette ville, et Théodore remit de son côté l’argent qu’il avait reçu pour le prix de Lacédémone.

Le successeur de Théodore fut un autre Théodore, neveu du premier et fils de l’empereur Emmanuel. Théodore II épousa une Italienne de la maison de Malatesta. Les chefs de cette illustre maison prirent dans la suite, à cause de cette alliance, le titre de ducs de Sparte77.

Théodore laissa à son frère Constantin, surnommé Dragazès, la principauté de la Laconie. Ce Constantin, qui monta sur le trône de Constantinople, fut le dernier empereur d’Orient.

Tandis qu’il n’était encore que prince de Lacédémone, Amurat II envahit la Morée, et se rendit maître d’Athènes78. Mais cette ville retourna promptement sous la domination de la famille Reinier Acciajuoli.

L’empire d’Orient n’existait plus, et les derniers restes de la grandeur romaine venaient de s’évanouir79 ; Mahomet II était entré à Constantinople. Toutefois la Grèce, menacée d’un prochain esclavage, ne portait point encore les chaînes qu’elle se hâta de demander aux musulmans. Francus, fils du second Antoine, appela Mahomet II à Athènes, pour dépouiller la veuve de Nérius80. Le sultan, qui faisait servir ces querelles intestines à l’accroissement de sa puissance, favorisa le parti de Francus et relégua la veuve de Nérius à Mégare. Francus la fit empoisonner81. Cette malheureuse princesse avait un jeune fils, qui porta à son tour ses plaintes à Mahomet. Celui-ci, vengeur intéressé du crime, ôta l’Attique à Francus, et ne lui laissa que la Béotie. Ce fut en 1455 qu’Athènes passa sous le joug des barbares. On dit que Mahomet parut enchanté de la ville, qu’il ne ravagea point, et qu’il visita avec soin la citadelle. Il exempta de toute imposition le couvent de Cyriani, situé sur le mont Hymette, parce que les clefs d’Athènes lui furent présentées par l’abbé de ce couvent. Francus Acciajuoli fut mis à mort quelque temps après, pour avoir conspiré contre le sultan82.

Il ne nous reste plus à connaître que le sort de Sparte ou plutôt de Misitra. J’ai dit qu’elle était gouvernée par Constantin, surnommé Dragazès83. Ce prince, étant allé prendre à Constantinople la couronne qu’il perdit avec la vie, partagea la Morée entre ses deux frères, Démétrius et Thomas. Démétrius s’établit à Misitra, et Thomas à Corinthe84. Les deux frères se firent la guerre, et eurent recours à Mahomet, meurtrier de leur famille et destructeur de leur empire. Les Turcs chassèrent d’abord Thomas de Corinthe. Il s’enfuit à Rome, en emportant le chef de saint André, qu’il enleva à la ville de Patras. Mahomet vint alors à Misitra ; il engagea le gouverneur à lui remettre la citadelle. Ce malheureux se laissa séduire ; il se livra aux mains du sultan, qui le fit scier par le milieu du corps. Démétrius fut exilé à Andrinople, et sa fille devint la femme de Mahomet. Ce conquérant estima et craignit assez cette jeune princesse pour ne pas l’admettre à sa couche.

Trois ans après cet événement, Sigismond Malatesta, prince de Rimini, vint mettre le siège devant Misitra ; il emporta la ville, mais il ne put prendre le château, et il se retira en Italie85.

Les Vénitiens descendirent au Pirée en 1464, surprirent Athènes, la pillèrent, et se réfugièrent en Eubée avec leur butin86.

Sous le règne de Soliman Ier, ils ravagèrent la Morée et s’emparèrent de Coron ; ils en furent peu après chassés par les Turcs87.

Ils conquirent de nouveau Athènes et toute la Morée, en 1688 ; ils reperdirent la première presque aussitôt, mais ils gardèrent la seconde jusqu’à l’an 1715, qu’elle retourna au pouvoir des musulmans. Catherine II, en soulevant le Péloponèse, fit faire à ce malheureux pays un dernier et inutile effort en faveur de la liberté88.

Je n’ai point voulu mêler aux dates historiques les dates des voyages en Grèce. Je n’ai cité que celui de Benjamin de Tudèle : il remonte à une si haute antiquité et il nous apprend si peu de choses, qu’il pouvait être compris sans inconvénient dans la suite des faits et annales. Nous venons donc maintenant à la chronologie des voyages et des ouvrages géographiques.

Aussitôt qu’Athènes, esclave des musulmans, disparaît dans l’histoire moderne, nous voyons commencer pour cette ville un autre ordre d’illustration plus digne de son ancienne renommée. En cessant d’être le patrimoine de quelques princes obscurs, elle reprit, pour ainsi dire, son antique empire, et appela tous les arts à ses vénérables ruines. Dès l’an 1465 Francesco Giambetti dessina quelques monuments d’Athènes89. Le manuscrit de cet architecte était en vélin, et se voyait à la bibliothèque Barberini, à Rome. Il contenait, entre autres choses curieuses, le dessin de la tour des Vents, à Athènes, et celui des masures de Lacédémone, à quatre ou cinq milles de Misitra. Spon observe à ce sujet que Misitra n’est point sur l’emplacement de Sparte, comme l’avait avancé Guillet, d’après Sophianus Niger et Ortelius. Spon ajoute : " J’estime le manuscrit de Giambetti d’autant plus curieux, que les dessins en ont été tirés avant que les Turcs se fussent rendus maîtres de la Grèce et eussent ruiné plusieurs beaux monuments qui étaient alors en leur entier. " L’observation est juste quant aux monuments, mais elle est fausse quant aux dates : les Turcs étaient maîtres de la Grèce en 1465.

Nicolas Gerbel publia à Bâle, en 1550, son ouvrage intitulé : Pro declaratione picturoe, sive descriptionis Groecioe, Sophiani libri septem90. Cette description, excellente pour le temps, est claire et courte, et pourtant substantielle. Gerbel ne parle guère que de l’ancienne Grèce ; quant à Athènes moderne, il dit : Aeneas Sillius Athenas hodie parvi oppiduli speciem gerere dicit, cujus munitissimam adhuc arcem Florentinus quidam Mahometi tradiderit, ut nimis vere Ovidius dixerit :

Quid Pandionae restant, nisi nomen Athenae ?

O rerum humanarum miserabiles vices ! O tragicam humanoe potentioe permutationem ! Civitas olim muris, navalibus, oedificiis, armis, opibus, viris, prudentia atque omni sapientia florentissima, in oppidulum, seu potius vicum, reducta est ! Olim libera et suis legibus vivens, nunc immanissimis belluis, servitutis jugo obstricta. Proficiscere Athenas, et pro magnificentissimis operibus videto rudera et lamentabiles ruinas. Noli, noli nimium fidere viribus tuis, sed in eum confidito qui dicit : Ego Dominus Deus vester.

Cette apostrophe d’un vieux et respectable savant aux ruines d’Athènes est très touchante : nous ne saurions avoir trop de reconnaissance pour les hommes qui nous ont ouvert les routes de la belle antiquité.

Dupinet91 soutenait qu’Athènes n’était plus qu’une petite bourgade, exposée aux ravages des renards et des loups.

Laurenberg92, dans sa Description d’Athènes, s’écrie : Fuit quondam Groecia, fuerunt Athenoe : nunc neque in Groecia Athenae, neque in ipsa Groecia Groecia est.

Ortelius93, surnommé le Ptolémée de son temps, donna quelques nouveaux renseignements sur la Grèce dans son Theatrum orbis terrarum et dans sa Synonyma Geographia, réimprimée sous le titre de Thesaurus Geographicus ; mais il confond mal à propos Sparte et Misitra : il croyait aussi qu’il n’y avait plus à Athènes qu’un château et quelques chaumières : Nunc casuloe tantum supersunt quoedam.

Martin Crusius94, professeur de grec et de latin à l’université de Tubinge, vers la fin du XVIe siècle, s’informa diligemment du sort du Péloponèse et de l’Attique. Ses huit livres, intitulés Turco-Groecia, rendent compte de l’état de la Grèce depuis l’année 1444 jusqu’au temps où Crusius écrivait. Le premier livre contient l’histoire politique, et le second l’histoire ecclésiastique de cet intéressant pays : les six autres livres sont composés de lettres adressées à différentes personnes par des Grecs modernes. Deux de ces lettres contiennent quelques détails sur Athènes, qui méritent d’être connus.

TW SOFW KAI ARISTW, ctl. ( Zygomalas)

Au docte Martin Crusius, professeur des lettres grecques et latines à l’université de Tubinge, et très cher en Jésus-Christ.
" (…) Moi, qui suis né à Nauplia, ville du Péloponèse peu éloignée d’Athènes, j’ai souvent vu cette dernière ville. J’ai recherché avec soin les choses qu’elle renferme, l’Aréopage, l’antique Académie, le Lycée d’Aristote, enfin le Panthéon. Cet édifice est le plus élevé, et surpasse tous les autres en beauté. On y voit en dehors, sculptée tout autour, l’histoire des Grecs et des dieux. On remarque surtout, au-dessus de la porte principale, des chevaux qui paraissent vivants et qu’on croirait entendre hennir95. On dit qu’ils sont l’ouvrage de Praxitèle : l’âme et le génie de l’homme ont passé dans la pierre. Il y a dans ce lieu plusieurs autres choses dignes d’être vues. Je ne parle point de la colline opposée, sur laquelle florissent des simples de toutes espèces, utiles à la médecine96, colline que j’appelle le jardin d’Adonis. Je ne parle pas non plus de la douceur de l’air, de la bonté des eaux et des autres agréments d’Athènes : d’où il arrive que ses habitants, tombés maintenant dans la barbarie, conservent toutefois quelques souvenirs de ce qu’ils ont été. On les reconnaît à la pureté de leur langage : comme des sirènes, ils charment ceux qui les écoutent par la variété de leurs accents… Mais pourquoi parlerais-je davantage d’Athènes ? La peau de l’animal reste : l’animal lui-même a péri.
" A jamais votre ami,
" Théodore Zygomalas.
" Protonotaire de la grande église de Constantinople. "
Constantinople, 1575.

Cette lettre fourmille d’erreurs, mais elle est précieuse à cause de l’ancienneté de sa date. Zygomalas fit connaître l’existence du temple de Minerve, que l’on croyait détruit, et qu’il appelle mal à propos le Panthéon.

La seconde lettre, écrite à Crusius par un certain Cabasilas, de la ville d’Acarnanie, ajoute quelque chose aux renseignements du protonotaire97.

" Athènes était composée autrefois de trois parties également peuplées. Aujourd’hui la première partie, située dans un lieu élevé, comprend la citadelle et un temple dédié au Dieu Inconnu : cette première partie est habitée par les Turcs. Entre celle-ci et la troisième se trouve la seconde partie où sont réunis les chrétiens. Après cette seconde partie vient la troisième, sur la porte de laquelle on lit cette inscription :
C’est ici Athènes,
l’ancienne ville de Thésée.
On voit dans cette dernière partie un palais revêtu de grands martres et soutenu par des colonnes. On y voit encore des maisons habitées. La ville entière peut avoir six ou sept milles de tour ; elle compte environ douze mille citoyens.
" Siméon Cabasilas,
" De la ville d’Acarnanie. "

On peut remarquer quatre choses importantes dans cette description : 1° Le Parthénon avait été dédié par les chrétiens au Dieu Inconnu de saint Paul. Spon chicane mal à propos Guillet sur cette dédicace ; Deshayes l’a citée dans son Voyage. 2° Le temple de Jupiter Olympien (le palais revêtu de marbre) existait en grande partie du temps de Cabasilas : tous les autres voyageurs n’en ont vu que les ruines. 3° Athènes était divisée comme elle l’est encore aujourd’hui ; mais elle contenait douze mille habitants, et elle n’en a plus que huit mille. On voyait plusieurs maisons vers le temple de Jupiter Olympien : cette partie de la ville est maintenant déserte. 4° Enfin la porte avec l’inscription :

C’est ici Athènes,
l’ancienne ville de Thésée,

a subsisté jusqu’à nos jours. On lit sur l’autre face de cette porte, du côté de l’Hadrianopolis, ou de l’ Athenae novae :

C’est ici la ville d’Adrien,
et non pas la ville de Thésée.

Avant l’apparition de l’ouvrage de Martin Crusius, Belon avait publié (1555) ses Observations de plusieurs singularités et choses mémorables trouvées en Grèce98. Je n’ai point cité son ouvrage, parce que le savant botaniste n’a parcouru que les îles de l’Archipel, le mont Athos et une petite partie de la Thrace et de la Macédoine.

D’Anville, en les commentant, a rendu célèbres les travaux de Deshayes à Jérusalem ; mais on ignore généralement que Deshayes est le premier voyageur moderne qui nous ait parlé de la Grèce proprement dite99 : son ambassade en Palestine a fait oublier sa course à Athènes. Il visita cette ville entre l’année 1621 et l’année 1630. Les amateurs de l’antiquité seront bien aises de trouver ici le passage original du premier Voyage à Athènes ; car les lettres de Zygomalas et de Cabasilas ne peuvent pas être appelées des Voyages.

" De Mégare jusques à Athènes il n’y a qu’une petite journée, qui nous dura moins que si nous n’eussions marché que deux lieues : il n’y a jardin en bois de haute futaie qui contente davantage la vue que fait ce chemin. L’on va par une grande plaine toute remplie d’oliviers et d’orangers, ayant la mer à main droite et les collines à main gauche, d’où partent tant de beaux ruisseaux, qu’il semble que la nature se soit efforcée à rendre ce pays aussi délicieux100.
" La ville d’Athènes est située sur la pente et aux environs d’un rocher, qui est assis dans une plaine ; laquelle est bornée par la mer qu’elle a au midi, et par les montagnes agréables qui l’enferment du côté du septentrion. Elle n’est pas la moitié si grande qu’elle était autrefois, ainsi que l’on peut voir par les ruines, à qui le temps a fait moins de mal que la barbarie des nations qui ont tant de fois pillé et saccagé cette ville. Les bâtiments anciens qui y restent témoignent la magnificence de ceux qui les ont faits ; car le marbre n’y est point épargné, non plus que les colonnes et les pilastres. Sur le haut du rocher est le château, dont les Turcs se servent encore aujourd’hui. Entre plusieurs anciens bâtiments, il y a un temple qui est aussi entier et aussi peu offensé de l’injure du temps comme s’il ne venait que d’être fait ; l’ordre et la structure en sont admirables. Sa forme est ovale, et par dehors, aussi bien que par dedans ; il est soutenu par trois rangs de colonnes de marbre, garnies de leurs bases et chapiteaux ; derrière chaque colonne, il y a un pilastre qui en suit l’ordonnance et la proportion. Les chrétiens du pays disent que ce temple est celui-là même qui était dédié au Dieu Inconnu, dans lequel saint Paul prêcha : à présent il sert de mosquée, et les Turcs y vont faire leurs oraisons. Cette ville jouit d’un air fort doux, et les astres les plus malfaisants se dépouillent de leurs mauvaises influences quand ils regardent cette contrée : ce que l’on peut connaître aisément, tant par la fertilité du pays que par les marbres et les pierres qui, depuis un si long temps qu’elles sont exposées à l’air, ne sont aucunement rongées ni endommagées. L’on dort à la campagne la tête découverte sans en recevoir nulle incommodité ; enfin, l’air qu’on y respire est si agréable et si tempéré, que l’on y reconnaît beaucoup de changements lorsque l’on s’en éloigne. Quant aux habitants du pays, ce sont tous Grecs, qui sont cruellement et barbarement traités par les Turcs qui y demeurent, encore qu’ils soient en petit nombre. Il y a un cadi qui rend la justice, un prévôt appelé soubachy et quelques janissaires que l’on y envoie de la Porte, de trois mois en trois mois. Tous ces officiers firent beaucoup d’honneur au sieur Deshayes lorsque nous y passâmes, et le défrayèrent aux dépens du grand seigneur.
" En sortant d’Athènes on traverse cette grande plaine qui est toute remplie d’oliviers et arrosée de plusieurs ruisseaux qui en augmentent la fertilité. Après avoir marché une bonne heure, on arrive sur la marine, où il y a un grand port fort excellent, qui était autrefois fermé par une chaîne : ceux du pays l’appellent le port Lion, à cause d’un grand lion de pierre que l’on y voit encore aujourd’hui, mais les anciens le nommaient le port du Pirée. C’était en ce lieu que les Athéniens assemblaient leurs flottes et qu’ils s’embarquaient ordinairement. "

L’ignorance du secrétaire de Deshayes (car ce n’est pas Deshayes lui-même qui écrit) est singulière ; mais on voit de quelle admiration profonde on était saisi à l’aspect des monuments d’Athènes lorsque le plus beau de ces monuments existait encore dans toute sa gloire.

L’établissement de nos consuls101 dans l’Attique précède le passage de Deshayes de quelques années.

J’ai cru d’abord que Stochove avait vu Athènes en 1630, mais en conférant son texte avec celui de Deshayes, je me suis convaincu que le gentilhomme flamand n’avait fait que copier l’ambassadeur français.

Le père Antoine Pacifique donna en 1636, à Venise, sa Description de la Morée, ouvrage sans méthode, où Sparte est prise pour Misitra.

Quelques années après, nous voyons arriver en Grèce ces missionnaires102 qui portaient dans tous les pays le nom, la gloire et l’amour de la France. Les jésuites de Paris s’établirent à Athènes vers l’an 1645 ; les capucins s’y fixèrent en 1658, et en 1669 le père Simon acheta la Lanterne de Démosthène, qui devint l’hospice des étrangers.

De Monceaux parcourut la Grèce en 1668 : nous avons l’extrait de son Voyage, imprimé à la suite du Voyage de Bruyn. Il a décrit des antiquités, surtout dans la Morée, dont il ne reste aucune trace. De Monceaux voyageait avec Laisné par ordre de Louis XIV.

Au milieu des œuvres de la charité, nos missionnaires ne négligeaient point les travaux qui pouvaient être honorables à leur patrie : le père Babin, jésuite, donna en 1672 une Relation de l’état présent de la ville d’Athènes : Spon en fut l’éditeur ; on n’avait rien vu jusque alors d’aussi complet et d’aussi détaillé sur les antiquités d’Athènes.

L’ambassadeur de France à la Porte, M. de Nointel, passa à Athènes dans l’année 1674 : il était accompagné du savant orientaliste Galland. Il fit dessiner les bas-reliefs du Parthénon. Ces bas-reliefs ont péri, et l’on est trop heureux d’avoir aujourd’hui les cartons du marquis de Nointel : ils sont pourtant demeurés inédits, à l’exception de celui qui représente les frontons du temple de Minerve103.

Guillet104 publia en 1675, sous le nom de son prétendu frère La Guilletière, l’ Athènes ancienne et moderne. Cet ouvrage, qui n’est qu’un roman, fit naître une grande querelle parmi les antiquaires. Spon découvrit les mensonges de Guillet : celui-ci se fâcha, et écrivit une lettre en forme de dialogue contre les Voyages du médecin lyonnais. Spon ne garda plus de ménagements ; il prouva que Guillet ou La Guilletière n’avait jamais mis le pied à Athènes ; qu’il avait composé sa rapsodie sur des mémoires demandés à nos missionnaires, et produisit une liste de questions envoyées par Guillet à un capucin de Patras : enfin, il donna un catalogue de cent douze erreurs, plus ou moins grossières, échappées à l’auteur d’ Athènes ancienne et moderne, dans le cours de son roman.

Guillet ou La Guilletière ne mérite donc aucune confiance comme voyageur ; mais son ouvrage, à l’époque où il le publia, ne manquait pas d’un certain mérite. Guillet fit usage des renseignements qu’il obtint des pères Simon et Barnabé, l’un et l’autre missionnaires à Athènes ; et il cite un monument, le Phanari tou Diogenis, qui n’existait déjà plus du temps de Spon.

Le Voyage de Spon et de Wheler, exécuté dans les années 1675 et 1676, parut en 1678.

Tout le monde connaît le mérite de cet ouvrage, où l’art et l’antiquité sont traités avec une critique jusque alors ignorée. Le style de Spon est lourd et incorrect, mais il a cette candeur et cette démarche aisée qui caractérisent les écrits de ce siècle. Le comte de Winchelsey, ambassadeur de la cour de Londres, visita Athènes dans cette même année 1676, et fit transporter en Angleterre quelques fragments de sculpture.

Tandis que toutes les recherches se dirigeaient vers l’Attique, la Laconie était oubliée. Guillet, encouragé par le débit de ses premiers mensonges, donna, en 1676, Lacédémone ancienne et moderne. Meursius avait publié ses différents traités, de Populis Atticoe, de Festis Graecorum, etc., etc. ; et il fournissait ainsi une érudition toute préparée à quiconque voulait parler de la Grèce. Le second ouvrage de Guillet est rempli de bévues énormes sur les localités de Sparte. L’auteur veut absolument que Misitra soit Lacédémone, et c’est lui qui a accrédité cette grande erreur. " Cependant, dit Spon, Misitra n’est point sur le plan de Sparte, comme je le sais de M. Giraud, de M. Vernon et d’autres, etc. "

Giraud était consul de France à Athènes depuis dix-huit ans lorsque Spon voyageait en Grèce. Il savait le turc, le grec vulgaire et le grec littéral. Il avait commencé une description de la Morée ; mais comme il passa au service de la Grande-Bretagne, il est probable que ces manuscrits seront tombés entre les mains de ses derniers maîtres.

Il ne reste de Vernon105, voyageur anglais, qu’une lettre imprimée dans les Philosophical Transactions, 24 avril 1676. Vernon trace rapidement le tableau de ses courses en Grèce :

" Sparte, dit-il, est un lieu désert : Misitra, qui en est éloignée de quatre milles, est habitée. On voit à Sparte presque toutes les murailles des tours et des fondements de temples, avec plusieurs colonnes démolies aussi bien que leurs chapiteaux. Il y reste encore un théâtre tout entier. Elle a eu autrefois cinq milles de tour, et elle est située à un demi-quart de lieue de la rivière Eurotas106 ".

On doit observer que Guillet indique dans la préface de son dernier ouvrage plusieurs mémoires manuscrits sur Lacédémone : " Les moins défectueux, dit-il, sont entre les mains de M. Saint-Challier, secrétaire de l’ambassade de France en Piémont. "

Nous voici arrivés à une autre époque de l’histoire de la ville d’Athènes. Les voyageurs que nous avons cités jusqu’à présent avaient vu dans toute leur intégrité quelques-uns des plus beaux monuments de Périclès : Pococke, Chandler, Leroi, n’en ont plus admiré que les ruines. En 1687, tandis que Louis XIV faisait élever la colonnade du Louvre, les Vénitiens renversaient le temple de Minerve. Je parlerai dans l’ Itinéraire de ce déplorable événement, fruit des victoires de Koningsmarck et de Morosini.

Cette même année 1687 vit paraître à Venise la Notizia del Ducato d’Atene, de Pierre Pacifique : mince ouvrage, sans critique et sans recherches.

Le père Coronelli107, dans sa Description géographique de la Morée reconquise par les Vénitiens, a montré du savoir ; mais il n’apprend rien de nouveau, et il ne faudrait pas suivre aveuglément ses citations et ses cartes. Les petits faits d’armes vantés par Coronelli font un contraste assez piquant avec les lieux célèbres qui en sont le théâtre. Cependant, on remarque parmi les héros de cette conquête un prince de Turenne qui combattit près de Pylos, dit Coronelli, avec cette bravoure naturelle à tous ceux de sa maison. Coronelli confond Sparte avec Misitra.

L’ Atene Antica de Fanelli prend l’histoire d’Athènes à son origine, et la mène jusqu’à l’époque où l’auteur écrivait son ouvrage. Cet ouvrage est peu de chose considéré sous le rapport des antiquités ; mais on y trouve des détails curieux sur le siège d’Athènes par les Vénitiens, en 1687, et un plan de cette ville dont Chandler paraît avoir fait usage.

Paul Lucas108 jouit d’une assez grande renommée parmi les voyageurs, et je m’en étonne. Ce n’est pas qu’il n’amuse par ses fables : les combats qu’il rend lui tout seul contre cinquante voleurs, les grands ossements qu’il rencontre à chaque pas, les villes de géants qu’il découvre, les trois ou quatre mille pyramides qu’il trouve sur un grand chemin, et que personne n’avait jamais vues, sont des contes divertissants ; mais du reste il estropie toutes les inscriptions qu’il rapporte ; ses plagiats sont continuels, et sa description de Jérusalem est copiée mot à mot de celle de Deshayes ; enfin, il parle d’Athènes comme s’il ne l’avait jamais vue : ce qu’il en dit est un des contes les plus insignes que jamais voyageur se soit permis de débiter.

" Ses ruines, comme on le peut juger, sont la partie la plus remarquable. En effet, quoique les maisons y soient en grand nombre, et que l’air y soit admirable, il n’y a presque point d’habitants. Il y a une commodité qu’on ne trouve point ailleurs : y demeure qui veut, et les maisons s’y donnent sans que l’on en paye aucun loyer. Au reste, si cette ville célèbre est de toutes les anciennes celle qui a consacré le plus de monuments à la postérité, on peut dire que la bonté de son climat en a aussi conservé plus qu’en aucun autre endroit du monde, au moins de ceux que j’ai vus. Il semble qu’ailleurs on se soit fait un plaisir de tout renverser, et la guerre a causé presque partout des ravages qui, en ruinant les peuples, ont défiguré tout ce qu’ils avaient de beau. Athènes seule, soit par le hasard, soit par le respect que l’on devait naturellement avoir pour une ville qui avait été le siège des sciences, et à laquelle tout le monde avait obligation, Athènes, dis-je, a été seule épargnée dans la destruction universelle : on y rencontre partout des marbres d’une beauté et d’une grandeur surprenantes ; ils y ont été prodigués, et l’on y trouve à chaque pas des colonnes de granit et de jaspe. "

Athènes est fort peuplée ; les maisons ne s’y donnent point ; on n’y rencontre point à chaque pas des colonnes de granit et de jaspe ; enfin, dix-sept ans avant l’année 1704, les monuments de cette ville célèbre avaient été renversés par les Vénitiens. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est qu’on possédait déjà les dessins de M. Nointel et le voyage de Spon, lorsque Paul Lucas imprima cette relation, digne des Mille et une Nuits.

La Relation du Voyage du sieur Pellegrin dans le royaume de Morée est de 1718. L’auteur paraît avoir été un homme de petite éducation et d’une science encore moins grande ; son misérable pamphlet de cent quatre-vingt deux pages est un recueil d’anecdotes galantes, de chansons et de mauvais vers. Les Vénitiens étaient restés maîtres de la Morée depuis l’an 1685 ; ils la perdirent en 1715. Pellegrin a tracé l’histoire de cette dernière conquête des Turcs : c’est la seule chose intéressante de sa relation.

L’abbé Fourmont109 alla, par ordre de Louis XV, chercher au Levant des inscriptions et des manuscrits. Je citerai dans l’ Itinéraire quelques-unes des découvertes faites à Sparte par ce savant antiquaire. Son voyage est resté manuscrit, et l’on n’en connaît que des fragments : il serait bien à désirer qu’on le publiât, car nous n’avons rien de complet sur les monuments du Péloponèse.

Pococke110 visita Athènes en revenant de l’Égypte ; il a décrit les monuments de l’Attique avec cette exactitude qui fait connaître les arts sans les faire aimer.

Wood111, Hawkins et Bouveric faisaient alors leur beau voyage en l’honneur d’Homère.

Le premier voyage pittoresque de la Grèce est celui de Leroi112. Chandler accuse l’artiste français de manquer de vérité dans quelques dessins ; moi-même je trouve dans ses dessins des ornements superflus : les coupes et les plans de Leroi n’ont pas la scrupuleuse fidélité de ceux de Stuart ; mais, à tout prendre, son ouvrage est un monument honorable pour la France. Leroi avait vu Lacédémone, qu’il distingue fort bien de Misitra et dont il reconnut le théâtre et le dromos.

Je ne sais si les Ruins of Athens, de Robert Sayer113, ne sont point une traduction anglaise et, une nouvelle gravure des planches de Leroi ; j’avoue également mon ignorance sur le travail de Pars, dont Chandler fait souvent l’éloge.

L’an 1761, Stuart enrichit sa patrie de l’ouvrage si connu sous le titre de Antiquities of Athens : c’est un grand travail, utile surtout aux artistes, et exécuté avec cette rigueur de mesures dont on se pique aujourd’hui ; mais l’effet général des tableaux n’est pas bon : la vérité qui se trouve dans les détails manque dans l’ensemble : le crayon et le burin britanniques n’ont point assez de netteté pour rendre les lignes si pures des monuments de Périclès ; il y a toujours quelque chose de vague et de mou dans les compositions anglaises. Quand la scène est placée sous le ciel de Londres, ce style vaporeux a son agrément, mais il gâte les paysages éclatants de la Grèce.

Le Voyage de Chandler114, qui suivit de près les Antiquités de Stuart, pourrait dispenser de tous les autres. Le docteur anglais a déployé dans son travail une rare fidélité, une érudition facile et pourtant profonde, une critique saine, un jugement exquis. Je ne lui ferai qu’un reproche, c’est de parler souvent de Wheler, et de n’écrire le nom de Spon qu’avec une répugnance marquée. Spon vaut bien la peine qu’on parle de lui, quand on cite le compagnon de ses travaux. Chandler, comme savant et voyageur, aurait dû oublier qu’il était Anglais. Il a donné en 1805 un dernier ouvrage sur Athènes, que je n’ai pu me procurer.

Riedesel parcourut le Péloponèse et l’Attique dans l’année 1773 : il a rempli son petit ouvrage de beaucoup de grandes réflexions sur les mœurs, les lois, la religion des Grecs et des Turcs : le baron allemand voyageait dans la Morée trois ans après l’expédition des Russes. Une foule de monuments avaient péri à Sparte, à Argos, à Mégalopolis, par une suite de cette invasion, comme les antiquités d’Athènes ont dû leur dernière destruction à l’expédition des Vénitiens.

Le premier volume du magnifique ouvrage de M. de Choiseul parut au commencement de l’année 1778. Je citerai souvent cet ouvrage, avec les éloges qu’il mérite, dans le cours de mon Itinéraire. J’observe ici seulement que M. de Choiseul n’a point encore donné les monuments de l’Attique et du Péloponèse. L’auteur était à Athènes en 1784 : ce fut, je crois, la même année que M. de Chabert détermina la latitude et la longitude du temple de Minerve.

Les recherches de MM. Foucherot et Fauvel commencent vers l’année 1780, et se prolongent dans les années suivantes. Les Mémoires du dernier voyageur font connaître des lieux et des antiquités jusque alors ignorés. M. Fauvel a été mon hôte à Athènes, et je parlerai ailleurs de ses travaux.

Notre grand helléniste d’Ansse de Villoison parcourut la Grèce à peu près à cette époque : nous n’avons point joui du fruit de ses études.

M. Lechevalier passa quelques moments à Athènes dans l’année 1785.

Le voyage de M. Scrofani115 porte le cachet du siècle, c’est-à-dire qu’il est philosophique, politique, économique, etc. Il est nul pour l’étude de l’antiquité ; mais les observations de l’auteur sur le sol de la Morée, sur sa population, sur son commerce, sont excellentes et nouvelles.

Au temps du voyage de M. Scrofani, deux Anglais montèrent à la cime la plus élevée du Taygète.

En 1797, MM. Dixo et Nicolo Stephanopoli furent envoyés à la république de Maïna par le gouvernement français. Ces voyageurs font un grand éloge de cette république, sur laquelle on a tant discouru. J’ai le malheur de regarder les Maniottes comme un assemblage de brigands, Sclavons d’origine, qui ne sont pas plus les descendants des anciens Spartiates que les Druses ne sont les descendants du comte de Dreux : je ne puis donc partager l’enthousiasme de ceux qui voient dans ces pirates du Taygète les vertueux héritiers de la liberté lacédémonienne.

Le meilleur guide pour la Morée serait certainement M. Pouqueville116, s’il avait pu voir tous les lieux qu’il a décrits. Malheureusement il était prisonnier à Tripolizza.

Alors l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, lord Elgin, faisait faire en Grèce les travaux et les ravages que j’aurai occasion de louer et de déplorer. Peu de temps après lui, ses compatriotes Swinton et Hawkins visitèrent Athènes, Sparte et Olympie.

Les Fragments pour servir à la connaissance de la Grèce actuelle117 terminaient la liste de tous ces voyages, avant la publication des Lettres sur la Morée, par M. Castellan118.

Résumons maintenant en peu de mots l’histoire des monuments d’Athènes. Le Parthénon, le temple de la Victoire, une grande partie du temple de Jupiter Olympien, un autre monument appelé par Guillet la Lanterne de Diogène, furent vus dans toute leur beauté par Zygomalas, Cabasilas et Deshayes.

De Monceaux, le marquis de Nointel, Galland, le père Babin, Spon et Wheler, admirèrent encore le Parthénon dans son entier ; mais la Lanterne de Diogène avait disparu, et le temple de la Victoire avait sauté en l’air par l’explosion d’un magasin de poudre119 ; il n’en restait plus que le fronton.

Pococke, Leroi, Stuart, Chandler, trouvèrent le Parthénon à moitié détruit par les bombes des Vénitiens, et le fronton du temple de la Victoire abattu. Depuis ce temps les ruines ont toujours été croissant. Je dirai comment lord Elgin les a augmentées.

L’Europe savante se console avec les dessins du marquis de Nointel, les Voyages pittoresques de Leroi et de Stuart. M. Fauvel a moulé deux cariatides du Pandroséum et quelques bas-reliefs du temple de Minerve ; une métope du même temple est entre les mains de M. de Choiseul ; lord Elgin en a enlevé plusieurs autres, qui ont péri dans un naufrage à Cérigo ; MM. Swinton et Hawkins possèdent un trophée de bronze trouvé à Olympie ; la statue mutilée de Cérès Eleusine est aussi en Angleterre ; enfin, nous avons, en terre cuite, le monument choragique de Lysicrates. C’est une chose triste à remarquer, que les peuples civilisés de l’Europe ont fait plus de mal aux monuments d’Athènes, dans l’espace de cent cinquante ans, que tous les barbares ensemble dans une longue suite de siècles : il est dur de penser qu’Alaric et Mahomet II avaient respecté le Parthénon et qu’il a été renversé par Morosini et lord Elgin.




Notes


1. Av. J.-C. 87. (N.d.A.)

2. Plut. in Syll. ; Appian. (N.d.A.)

3. Caes. de Bell. civil. ; Dion. ; Appian. ; Plut. in Vit. Brut. Av. J.-C. 44. (N.d.A.)

4. Av. J.-C. 41. Plut. in Ant. ; Av. J.-C. 21. Vell.-Pat. (N.d.A.)

5. De J.-C. 10. Suet. in Aug. (N.d.A.)

6. De J.-C. 25. Tac. Ann. lib. 4. (N.d.A.)

7. De Sit. orb. lib. 9. (N.d.A.)

8. De J.-C. 18. Tacit. Annal. lib. 2. (N.d.A.)

9. De J.-C. 56. De Sit. orb. lib. 2. (N.d.A.)

10. De J.-C. 67. Xiph. in Ner. (N.d.A.)

11. De J.-C. 79. Dio. (N.d.A.)

12. De J.-C. 91. Philostr. in Vit. Apol. Ty. (N.d.A.)

13. De J.-C. 97. Eutr. Vict. Dio. (N.d.A.)

14. De J.-C. 115. Plin. jun. lib. 8. cap. 24. (N.d.A.)

15. De J.-C. 134. Dio. ; Spart. ; Euseb. (N.d.A.)

16. De J.-C. 176. Capitol. ; Dio. (N.d.A.)

17. De J.-C. 194. Herodian. Spart. ; Dio. (N.d.A.)

18. De J.-C. 214. Herodian. (N.d.A.)

19. De J.-C. 260. Trebell. ; Zon. (N.d.A.)

20. De J.-C. 261. Trebell. (N.d.A.)

21. Chandl. Trav. (N.d.A.)

22. De J.-C. 269. Zon. (N.d.A.)

23. De J.-C. 323. Liban. ; Or. ; Zon. (N.d.A.)

24. De J.-C. 337. Eunape ; Zon. in Const. (N.d.A.)

25. De J.-C. 354. Zos. lib. 3 ; Jul. Ep. Ad. Athen. ; Greg. ; Cyr. ; Bas. ; Chrys. Oper. ap. Bibl. Pat. (N.d.A.)

26. De J.-C. 377. Zos. lib. 4 ; Chandl. Inscript. ant. (N.d.A.)

27. De J.-C. 395. Zos. lib.5. (N.d.A.)

28. Syn. ep. Op. omn. a Pet. edit. (N.d.A.)

29. Chandl. Trav. (N.d.A.)

30. Zos. lib. 5. (N.d.A.)

31. De J.-C. 433. Zon. in Th. 11. (N.d.A.)

32. On n’a pas fait attention à l’ordre chronologique, et l’on place mal à propos le mariage d’Eudoxie avant la prise d’Athènes par Alaric. Zonare dit qu’Eudoxie, chassée par ses frères, Valérius et Genèse, avait été obligée de fuir à Constantinople. Valérius et Genèse vivaient paisiblement dans leur patrie, et Eudoxie les fit élever aux dignités de l’empire. Toute cette histoire du mariage et de la famille d’Eudoxie ne prouverait-elle pas qu’Athènes ne souffrit pas autant du passage d’Alaric que le dit Synésius, et que Zosime pourrait bien avoir raison, du moins pour le fait ? (N.d.A.)

33. De J.-C. 430. Procop. de Bell. Vand. lib. 1. cap. 5. (N.d.A.)

34. De J.-C. 527. Procop. cap. 18. (N.d.A.)

35. Procop. de Aedif. lib. 4. cap. 2 ; Cod. Curop. ap. Bys. Script. (N.d.A.)

36. Ce titre de despote n’était pas cependant particulier à la principauté de Sparte, et l’on trouve des despotes d’Orient, de Thessalie, qui jettent une grande confusion dans l’histoire. (N.d.A.)

37. Spon. Voy. t. II. (N.d.A.)

38. De J.-C. 590. Theoph. lib. 8. cap. 12 ap. Bys. Script. (N.d.A.)

39. De J.-C. 650. Raven. Anon. lib. 4 et 6. (N.d.A.)

40. De J.-C. 846. Const. Porph. de Adm. Imp. (N.d.A.)

41. L’opinion de Paw, qui fait descendre les Maniottes, non des Spartiates, mais des Laconiens affranchis par les Romains, n’est fondée sur aucune vraisemblance historique. (N.d.A.)

42. De J.-C. 915. Leo. Vit. Const. cap. 2. (N.d.A.)

43. De J.-C. 1081. Leo. Ann. Comn. lib. 7. (N.d.A.)

44. De J.-C. 1085. Ann. Comm. lib. 11, cap. 9. (N.d.A.)

45. De J.-C. 1085 et seq. Ann. Comn. lib. 4-5, etc. ; Glycas. (N.d.A.)

46. De J.-C. 1130. (N.d.A.)

47. Nicet. Hist. Bald. cap. 1. (N.d.A.)

48. De J.-C. 1140. Nicet. Man. Comn. lib. 2. cap. 1. (N.d.A.)

49. Coron. p. 17. (N.d.A.)

50. De J.-C. 1170. Itin. Benj. Tudel. (N.d.A.)

51. De J.-C. 1204. Nic. in Bald. Ville-Hard. cap. 136 et s. (N.d.A.)

52. Nic. in Bald. cap. 3. (N.d.A.)

53. Nic. in Bald. cap. 4. (N.d.A.)

54. Ville-Hard. cap. 173 et seq. ; Du Cang. Hist. Const. lib. 1. (N.d.A.)

55. Nic. in Bald. cap. 9. (N.d.A.)

56. Coronell. ; Giac. Died. Stor. del Rep. Ven. (N.d.A.)

57. De J.-C. 1210. Du Cang. Histor. Const. lib. 2. (N.d.A.)

58. De J.-C. 1214. Cantem. Hist. de l’emp. ot. liv. 1. (N.d.A.)

59. Died. Stor. del. Rep. Ven. lib. 5. (N.d.A.)

60. De J.-C. 1259. Pachym. lib. 1, 3 et 5 ; Du Cang. Hist. Const. lib. 5. (N.d.A.)

61. Joinv. Hist. de Saint Louis. Du Cang. Annot. (N.d.A.)

62. Died. Stor. dell Rep. de Ven. lib. 6. Pachym. lib. 2. (N.d.A.)

63. De J.-C. 1263. Pachym. lib. 3. (N.d.A.)

64. De J.-C. 1269. Pachym ; lib. 4. (N.d.A.)

65. De J.-C. 1275. Pachym. lib. 5. (N.d.A.)

66. De J.-C. 1293. Pachym. lib. 9. (N.d.A.)

67. De J.-C. 1300. Pachym. lib. 11. (N.d.A.)

68. De J.-C. 1305. Pachym. lib. 11. (N.d.A.)

69. De J.-C. 1312. Pachym. lib. 11. Pac. Notiz. del duc. d’At. ; Farnel. Athen. Attic. ; Spon, t. I ; Chandl. t. II. (N.d.A.)

70. Cant. Hist. de l’emp. ot. lib. 2. (N.d.A.)

71. On voit quelques traces de cette invasion dans Cantacuzène, liv. I, c. 39. (N.d.A.)

72. De J.-C. 1336. Cantac. lib.3. cap. 11. (N.d.A.)

73. De J.-C. 1342. Cantac. lib. 3. cap. 71. (N.d.A.)

74. De J.-C. 1370. Pac. Notiz. del duc. d’At. Fanell. Ath. Att. Mart. Crus. lib. 2, etc. (N.d.A.)

75. De J.-C. 1390 jusqu’à 1400. Auct. supr. cit. (N.d.A.)

76. De J.-C. 1400. Hist. des chev. de Malte. La Guillot. Lacéd. anc. et mod. (N.d.A.)

77. De J.-C. 1410. Mart. Crus. Turc.-Graec. lib. 2 ; Guill. Lac. anc. et mod. (N.d.A.)

78. De J.-C. 1420. Cantem. Hist. ott. lib. 2. (N.d.A.)

79. De J.-C. 1444. Cantem. Hist. ott. ; Mart. Crus. Turco-Graec. lib. 1. (N.d.A.)

80. On ignore le temps de la mort de Nérius. (N.d.A.)

81. Fanel. Athen. Att. ; Pacific. Not. del. duc. d’At. ; Spon ; Chandl. (N.d.A.)

82. De J.-C. 1458. (N.d.A.)

83. De J.-C. 1460. Chalcond. Hist. Turc. lib. 10. (N.d.A.)

84. Ducas. Hist. cap. 45. Sansow. Ann. Turc. ; Mart. Crus. Turco-Graec. lib. 1. (N.d.A.)

85. De J.-C. 1463. Guill. Lacéd. anc. et mod. (N.d.A.)

86. De J.-C. 1464. Chandl. Trav. (N.d.A.)

87. De J.-C. 1555. Cantem Hist. Ot. l. 3 ; Coron. Desc. de l. M. (N.d.A.)

88. De J.-C. 1688. Auct. supr. cit. ; de J.-C. 1770. Choiseul. Voy ; de la Gr. (N.d.A.)

89. De J.-C. 1465. Francesco Giambetti. (N.d.A.)

90. De J.-C. 1550. Gerbel. (N.d.A.)

91. De J.-C. 1554. Dupinet. (N.d.A.)

92. De J.-C. 1557. Laurenberg. (N.d.A.)

93. De J.-C. 1578. Ortelius. (N.d.A.)

94. De J.-C. 1584. Crusius ou Kraus. (N.d.A.)

95. N V 1 18

96. Apparemment le mont Hymette. (N.d.A.)

97. Cabasilas. (N.d.A.)

98. Belon. (N.d.A.)

99. De J.-C. 1625. Deshayes. (N.d.A.)

100. 1625-1630. (N.d.A.)

101. Consuls français. (N.d.A.)

102. De J.-C. 1645. Missionn. (N.d.A.)

103. On peut le voir dans l’Atlas des nouvelles éditions du Voyage d’Anacharsis. (N.d.A.)

104. Guillet ou La Guilletière. (N.d.A.)

105. Spon écrit presque toujours Vernhum. Cette orthographe n’est point anglaise : c’est une faute de Spon. (N.d.A.)

106. Je me sers de la traduction de Spon, n’ayant point l’original. (N.d.A.)

107. De J.-C. 1688. (N.d.A.)

108. De J.-C. 1704. (N.d.A.)

109. De J.-C. 1728. (N.d.A.)

110. De J.-C. 1739. (N.d.A.)

111. De J.-C. 1740. (N.d.A.)

112. De J.-C. 1758. (N.d.A.)

113. De J.-C. 1759. (N.d.A.)

114. De J.-C. 1764. (N.d.A.)

115. De J.-C. 1794. (N.d.A.)

116. De J.-C. 1798. (N.d.A.)

117. De J.-C. 1803. Bartholdi. (N.d.A.)

118. De J.-C. 1808. (N.d.A.)

119. Cet accident arriva en 1656. (N.d.A.)