Journal d’un poète

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Texte établi par Louis RatisbonneMichel Lévy frères.






Quelques jours après la mort d’Alfred de Vigny, j’essayai, dans un article du Journal des Débats, d’esquisser en quelques traits rapides, mais précis et fidèles, la physionomie et l’œuvre du poète. Je demande au lecteur la permission de reproduire ces lignes. J’ai quelque chose à y ajouter. Mais, après trois ans, ayant à parler d’Alfred de Vigny et à le faire parler lui-même, je n’ai rien à y changer :

« C’est un ami qui va parler d’un ami, un cœur plein d’affliction et de reconnaissance. Le noble poëte dont les lettres françaises portent le deuil m’a honoré, en mourant, d’un monument inestimable de sa confiance et de son amitié. L’illustre écrivain a recommandé, il a fait plus, il a légué ses belles œuvres en toute propriété, comme un père à son fils, comme un frère aîné à son frère, à l’humble homme de lettres, son ami : poétique héritage, don touchant et rare, comme tout ce qui venait de lui. Je craindrais de n’en pas paraître digne et de n’en pas laisser voir assez de gratitude si je n’en montrais quelque fierté, si je ne me parais comme d’une couronne, ô mon cher maître, du témoignage de ta glorieuse amitié[1] !

» Que ce lien personnel de piété reconnaissante qui m’attache à lui ne diminue pas sous ma plume l’autorité de son éloge et ne mette pas en garde contre moi. Une atteinte à la vérité, même pour le louer, offenserait la mémoire du gentilhomme qui ne mentit jamais.

» Au surplus, je ne veux pas entrer devant le public dans le détail de cette vie si pure, toute à la poésie et au devoir, mais qu’il cachait avec une réserve pudique et même un peu farouche. Je l’ai vu, il y a quelques jours à peine, ayant quitté dans sa cellule « le camail de l’étude » pour le linceul de la tombe : je ne veux que le regarder encore une fois et rappeler à la France ce qu’elle a perdu.

» Il était né trois ans avant le siècle[2], cinq ans avant Victor Hugo, huit ans après Lamartine. Son père, le comte de Vigny, brillant homme de cour, ancien officier sous Louis XV, s’était distingué dans la guerre de Sept ans. Sa mère était fille de l’amiral de Baraudin, cousine du grand Bougainville, petite-nièce du poëte Regnard. Elle était d’une distinction et d’une beauté remarquables ; elle avait, disent ceux qui l’ont connue avant la terrible maladie des dernières années, une intelligence des plus élevées unie à une rare fermeté de caractère, et il y avait entre le fils et la mère une parfaite ressemblance. Alfred fut envoyé comme externe dans une institution du faubourg Saint-Honoré, où il fit ses études avec une ardeur extraordinaire qui compromettait sa frêle santé. Comme tous les poëtes-nés, il essaya son vol et rima des vers à des âges invraisemblables. Cependant, quand sa mère, qui avait ramassé quelques plumes de cette muse au bord du nid, l’interrogeait sur sa vocation, l’enfant répondait : « Je veux être lancier rouge ! » Lancier rouge ! On était à la fin de l’Empire. Alors, comme il l’écrit lui-même, les lycéens les plus studieux étaient distraits, le tambour étouffait la voix des maîtres ; on était pressé de finir les logarithmes et les tropes et d’arriver, sur quelque champ de bataille, à l’étoile de la Légion d’honneur, « la plus belle étoile des cieux pour des enfants. » L’Empire tomba. Alfred de Vigny, à peine âgé de seize ans, s’engagea dans les gendarmes de la garde. Il fit partie d’une compagnie composée de jeunes gens de famille ayant tous le grade de sous-lieutenant. Il eut un beau cheval et de belles parades au champ de Mars, mais de champ de gloire, point. Lors du retour de l’île d’Elbe, et encore mal remis d’une chute de cheval qui lui avait brisé la jambe, il accompagna Louis XVIII jusqu’à Béthune, où le roi licencia la compagnie dont il faisait partie. À la seconde Restauration, le jeune officier, qui avait été interné à Amiens pendant les Cent-Jours, entra dans la garde royale à pied et fut nommé capitaine. Mais les rêves de gloire guerrière qui avaient enflammé son imagination d’enfant pendant le tourbillon impérial, il fallait leur dire adieu. Il les voyait s’évanouir un à un avec les dernières fumées des champs de bataille. Alors, la muse qui songeait dans le cœur de ce capitaine adolescent et le préservait des trivialités de la vie de garnison se mit à chanter. De cette époque sont datées quelques imitations gracieuses de l’antiquité grecque, dont il s’inspirait d’abord, comme André Chénier. En 1822, il publie son premier volume de vers, Héléna, qui empruntait son nom au poëme le plus étendu du recueil, celui justement qu’il jugea plus tard inférieur à ses autres compositions et qu’il n’a plus réimprimé dans ses poésies complètes. Pendant les marches de sa vie errante et militaire, dans les Vosges, ou dans les montagnes des Pyrénées qu’on ne lui avait pas permis de franchir avec les bataillons de la guerre d’Espagne, il continuait de vivre avec la Muse, portant dans sa giberne quelques poëtes anciens et surtout la Bible, dont le génie a imprégné plusieurs de ses plus belles compositions : Moïse, le Déluge, la Femme adultère. En 1823 paraissait le poëme exquis d’Éloa, la sœur des anges, née d’une larme, l’aile brisée par la pitié. Ainsi, pendant que Lamartine publiait ses Méditations, Hugo ses Odes et Ballades, lui, trop contenu, trop discret pour les effusions lyriques, il avait trouvé, lui aussi, des sentiers nouveaux, dramatisant une pensée philosophique sous forme de récit et composant sans parti pris, en se laissant aller à son grave et doux génie, des poëmes qui, comme les œuvres de ses rivaux, n’avaient point de modèles.

» Pendant plusieurs années, les gloires nouvelles se faisaient écho, Cinq-Mars répondait à Notre-Dame, Hernani à Othello. Jusque dans la charmante petite comédie Quitte pour la peur (1833), Alfred de Vigny frayait une voie et précédait Alfred de Musset. Plus tard, il racontait dans Stello les souffrances du poëte, revendiquant pour lui non pas, comme on l’a dit, le droit de se tuer, mais le droit de vivre ; puis il transportait son éloquent plaidoyer sur la scène, où l’on jouait avec un succès d’enthousiasme et de larmes le drame si simple et unique en son genre de Chatterton. C’est au sortir d’une de ces représentations que le comte Maillé de Latour-Landry fit accepter à l’Académie française une somme qu’elle décerne tous les deux ans à quelque poëte en lutte avec la vie. En 1835, Servitude et Grandeur militaires mettaient le sceau à la renommée d’Alfred de Vigny. Réveillé tristement de ses songes de gloire militaire, il avait quitté le service depuis huit ans lorsqu’il écrivit avec son imagination et ses souvenirs ces courts récits d’une haute philosophie, d’un art si achevé, et où les souffrances ignorées du soldat sont peintes avec une sensibilité si pénétrante. C’est là qu’il a trouvé son « Paul et Virginie », Laurette, ou le Cachet rouge, un de ces récits délicieux et pleins d’émotion qu’on lit en une heure et qu’on n’oublie jamais.

» Un critique, poëte lui-même, de cette pléiade romantique qui scintillait au ciel de 1830, M. Théophile Gautier, comparait l’autre jour poétiquement la gloire sereine mais peu bruyante d’Alfred de Vigny à ces astres blancs et doux de la Voie lactée qui brillent moins que d’autres étoiles, parce qu’ils sont placés plus haut et plus loin. Oui, Alfred de Vigny avait placé haut son idéal. C’était, à vrai dire, un enfant du XVIIIe siècle, fort sceptique en matière de religion. Mais il avait retenu de sa naissance, de son éducation, de sa vie militaire, il tenait surtout de lui-même un sentiment qui fut comme l’étoile fixe de sa vie et lui tint lieu de croyances, une religion grave et mâle, sans symboles et sans images, la religion de l’Honneur, qui ne vacille pas plus que la foi dans l’âme capable de la sentir. « L’honneur ou la pudeur virile, » écrit-il, « c’est la conscience, mais la conscience exaltée, c’est le respect de soi-même et de la beauté de sa vie porté jusqu’à la plus pure élévation, jusqu’à la passion la plus ardente. » Celui qui pensait ainsi devait considérer volontiers sa vocation poétique comme une mission et porter l’art sur les hauteurs. Mais, chose digne de remarque, tandis que les fils de Chateaubriand, Lamartine en tête, se livraient en croyants aux effusions du lyrisme religieux, chez Alfred de Vigny, en dépit de son berceau catholique et de l’air du temps, ce fut le doute justement, l’incrédulité douloureuse qui ouvrit la source de poésie en lui inspirant une profonde compassion pour la créature humaine livrée à tant d’ignorance et de misère. « Je crois fermement à une vocation ineffable qui m’est donnée, et j’y crois à cause de la pitié sans bornes que m’inspirent les hommes, mes compagnons de misère, et à cause du désir que je me sens de leur tendre la main et de les élever sans cesse par des paroles de commisération et d’amour. » Ainsi il fait parler le poëte dans Stella, celui de ses ouvrages qu’il aimait le mieux, parce qu’il y avait mis le plus de son âme. C’est ce désir miséricordieux qui a fait de Vigny poëte ; il résume son œuvre, ses chants en prose et en vers. Sa muse s’appelle la Pitié. Il plane avec elle au-dessus de ce qui souffre ; les parias du monde sont ses amis ; les martyrs silencieux de l’amour, de l’honneur, du génie, Chatterton, Kitty Bell, Renaud le capitaine, voilà ses clients. Il force les traits sombres du portrait de Richelieu pour venger de nobles victimes ; il dessine avec amour les têtes virginales et poétiques tombées sous le couteau de Robespierre. Mais n’a-t-il pas donné lui-même une figure à sa muse dans cette adorable création d’Éloa, la vierge idéale qui se laisse tomber du ciel dans les bras de Lucifer avec ce cri sublime : Seras-tu plus heureux ? « Poëme le plus beau, le plus parfait peut-être de la langue française, » ne craint pas de dire le critique que nous avons déjà cité ; et il faut avouer qu’aucun poëme ne renferme, sous le vêtement diaphane des chastes vers, un plus bel idéal d’amour et de pitié.

» D’ailleurs, dans toutes les compositions d’Alfred de Vigny, roman, poésie ou drame, prose ou vers, la conception toujours élevée domine le reste. Il avait la recherche du rare et de l’exquis, mais surtout dans l’idée ; son effort d’artiste vers la perfection consistait moins dans le travail du style, toujours soigné pourtant, que dans la spiritualisation de plus en plus exquise de la pensée et aussi dans l’art savant de la composition où aucun de ses rivaux ne l’a égalé. Dans l’exécution, surtout dans ses vers, on peut trouver parfois quelque effort, quelque incertitude, et nous avons, il se peut, des ouvriers plus habiles que lui à ciseler une rime. Mais il a des coups d’aile sans pareils, des vers d’une ampleur superbe, et, quand il s’élève dans l’azur poétique, c’est à la façon de cet aigle blessé qui dans son vol, comme il l’a dit.

Monte aussi vite au ciel que l’éclair en descend.

Et dans sa prose, quelle élégance poétique et originale ! quelle douce et parfois quelle vigoureuse couleur ! Pour l’effet et pour la vivacité du ton, autant que pour la vérité et l’observation des caractères, que de pages admirables ! Vous souvenez-vous, par exemple, du jugement d’Urbain Grandier dans Cinq-Mars, de Richelieu recevant dans son cabinet la cour de Louis XIII, ou encore, dans Servitude, du dialogue entre le pape et l’empereur à Fontainebleau ? il faut remarquer aussi que cet aîné de l’école romantique n’obéit jamais à un système, à un parti pris d’école. Il n’a point suivi le romantisme dans ses violences. Il est resté lui-même, délicat et pur dans ses audaces. Il a su se contenir et se régler. Et c’est pour cela que ses œuvres ont gardé leur tendre éclat et qu’elles se reliront encore, quand d’autres, du même temps, qui ont fait autant et plus de bruit, seront peut-être fanées.

» Depuis Servitude et Grandeur militaires, Alfred de Vigny, qui avait triomphé dans la poésie, dans le roman et au théâtre, ne livra plus rien au public et se renferma dans la solitude. Cette retraite en pleine gloire et ce silence prolongé devaient étonner, surtout dans un temps où la littérature est devenue une profession. Pourquoi ce poëte chômait-il ? Pourquoi ne produisait-il plus rien ? C’est d’abord qu’il était poëte et non pas « producteur ». Il savait se taire quand la voix intérieure ne lui disait pas de chanter. Et puis quel rapport y avait-il entre le poëte de l’idéal et la foule du jour, entre le public de Stello et celui de Fanny, par exemple ? Mais que faisait-il dans sa retraite ? Pourquoi ne pas ouvrir la porte de « sa tour d’ivoire » ? Pourquoi tant de secret ? Ses amis ont pénétré quelque chose du mystère. Ils ont entrevu ce qu’il y avait, hélas ! de douleurs intimes dans cette solitude si sacrée et si chère. « Je lutte en vain contre la fatalité, » disait-il à l’un d’eux ; « j’ai été garde-malade de ma pauvre mère, je l’ai été de ma femme pendant trente ans, je le suis maintenant de moi-même. » Il était devenu alors malade à son tour à force de fatigues et de veilles. En effet, ce haut sentiment du devoir, de l’honneur, et cette pitié tendre qui pénètre toutes ses œuvres, il les portait dans sa vie intime, et il mettait à remplir sa tâche de dévouement une ferveur inébranlable et tranquille, la flamme droite et pure qui brûlait dans son âme de poëte et qu’aucun vent n’eût fait dévier du ciel.

» Il écrivait cependant au milieu de ces saintes peines ; mais, à mesure qu’il s’était rapproché de la perfection, il devenait plus difficile, et jetait au feu le travail de ses nuits. Sensible à la gloire, peu curieux du bruit, plus soucieux de l’avenir que du présent, et sachant ce que la postérité conserve des montagnes de volumes que chaque génération lui apporte, il avait fait le tri lui-même en ce qui le touchait. Il a brûlé ainsi toute une suite à Stello, où il craignait de s’être laissé emporter trop loin dans la démonstration de son idée. Il restera pourtant de ces veilles un volume de poésies encore inédites, remplies de beautés du premier ordre et qui ravivera bientôt, pour ce qui reste de public ami du grand art, l’admiration et les regrets.

» La seule fois qu’Alfred de Vigny sortit de sa retraite avec quelque bruit n’était pas faite pour l’encourager et lui laissa au cœur une assez vive amertume. En 1845, il avait été reçu à l’Académie française. Alors (les temps sont changés !), les immortels en voulurent un peu au poëte qui oubliait dans son discours le compliment de la fin pour le roi. M. Molé, qui se souvenait sans doute aussi de quelques traits de Stello, aussi dédaigneux pour les politiques que les politiques peuvent l’être pour les poëtes, fit du fauteuil une véritable sellette où l’auteur de Servitude et de Cinq-Mars fut immolé à coups d’épingle.

Quelques années ou deux révolutions plus tard, c’était après le 2 décembre, Alfred de Vigny reçut dans son château de Maine-Giraud, près d’Angoulême, une invitation du prince-président en voyage, et en train de faire, lui aussi, comme il le dit au poëte, « son roman historique, » qui allait s’appeler l’Empire. Alfred de Vigny avait connu le prince dans l’exil, à Londres. Des sympathies toutes personnelles ont été attribuées par la malignité à une mesquine ambition. Il aurait chassé quelque vaine dignité qu’il n’aurait même pas obtenue. Jamais homme ne fut plus au-dessus de cette banale accusation. Il vivait dans une région au-dessus des préoccupations de l’intérêt et de la petite ambition, au-dessus des partis et des coteries politiques, dans l’impossibilité même de capituler ; car, ainsi que le disait M. Antony Deschamps, un de ses plus fidèles témoins :

Il n’attacha jamais de cocarde à sa muse.

» J’ai dans les mains des notes qui témoignent de ses sympathies élevées pour l’impérial interlocuteur qu’il eut quelquefois, et il n’en fit jamais mystère. Mais, un jour, un ministre lui demanda une cantate pour un berceau entouré d’hommages, salué de grandes espérances. Alfred de Vigny répondit qu’il ne savait pas faire « de ces choses-là ». Et il resta pauvre, indépendant et poëte, trois titres sinon à la défaveur, au moins à l’absence de faveurs ; ce qui lui a permis de mourir sans une note douteuse dans l’harmonie chaste de son œuvre et de sa vie, dans l’hermine inviolée de sa robe de poëte. Il ne tenait qu’à ce titre-là.

» Il se souvenait seulement d’avoir été soldat. Je le vois encore ; il y a quelques semaines, sur le fauteuil où l’horrible vautour qui déchirait ses entrailles le tenait cloué depuis deux ans. Il était enveloppé dans un manteau romantique à la mode de 1830, et il s’y drapait avec sa grâce noble mêlée d’une certaine raideur militaire, comme un général blessé dans son manteau de guerre. Aucune plainte ne s’échappait de ses lèvres pâles, et l’on eût dit que l’Honneur, après la beauté de la vie, lui commandait maintenant de composer la beauté de la mort. « Donnez-moi, » me disait-il, « des nouvelles du monde des vivants ! » Mais je ne lui avais pas encore répondu qu’il m’entraînait avec lui, comme il faisait toujours, dans le monde des idées, son vrai domaine, vers quelque champ de la poésie ou de l’art, dans son royaume !

. . . . . . . . . . . . . . . . .

« Et maintenant, « murmure Chatterton en mourant, pensées venues d’en haut, remontez en haut avec moi ! »

» Il en est une, de ces pensées de toi, ô mon cher maître ! que je veux recueillir en ce moment où je me penche sur ta mémoire. Elle est poétique, recherchée dans son tour, mais exquise ; je l’aime parce qu’elle te ressemble. « Qu’est-ce qu’une grande vie ? » dit-il quelque part. « C’est un rêve de jeunesse réalisé dans l’âge mûr… » Oui, la jeunesse rêve ce qui est beau : le dévouement et l’amour, l’art et la poésie. Ces beaux rêves de jeunesse, tu les as faits, ô mon cher maître ! ton âge mûr incorruptible les a réalisés ; par eux ta vie fut noble, et ton souvenir est grand ! »

Depuis la publication de ces lignes, le volume de poésies posthumes auxquelles je faisais allusion a vu le jour. C’est quelquefois, de Vigny le pensait et il avait raison, le privilège des ouvrages médiocres de réussir sur-le-champ. Mais je ne m’étais pas trompé en présumant que ce livre si triste et si beau des Destinées recueillerait demain, sinon tout de suite, les admirations qui comptent.[3]

Ce mince volume de poésie concentrée, plein de pensée, et succédant tout seul, après trente ans de silence, aux œuvres d’autrefois, aide justement à comprendre ce silence. L’œuvre ne trahit ni appauvrissement ni dessèchement de la source de poésie, mais une immense lassitude et comme une sublime oppression du cœur sous le poids de la pensée. L’eau du fleuve coule lente, froide et profonde, mais c’est l’eau de la même source. Le poëte qui s’est posé les grands problèmes et qui a mesuré et éprouvé la vie se soulage de temps en temps de la rêverie qui le fait souffrir en l’enfermant dans la sculpture de vers marmoréens. C’est une poésie altière et douloureuse qui fait songer à ce vers d’Alfred de Musset :

Les chants désespérés sont les chants les plus beaux.

Mais « chant » n’est pas exact pour exprimer le caractère de cette poésie, dernier mot, suprême et mystérieux soupir d’une muse qui a fait vœu de silence, ne voulant ni chanter ni gémir.

Seulement, ils se sont bien trompés, ceux qui ont cru voir dans le paisible et stoïque désespoir des Destinées un Alfred de Vigny tout nouveau et comme la révélation inattendue d’une pensée qu’on n’aurait pas soupçonnée. Il n’est pas difficile de rattacher cette poésie empreinte d’une si haute mélancolie, qui a dit avec une calme douleur et un sourire si triste la colère de Samson et les vaines interrogations du Christ sur le mont des Oliviers, à l’inspiration d’où naquit autrefois Moïse et même Éloa. Cinq-Mars aussi et Stello sont, de Vigny l’a reconnu lui-même, les chants d’une sorte de poëme épique sur la désillusion, ruines sur lesquelles il voulait élever la sainte beauté de la pitié, de la bonté, de l’amour et la mâle religion de l’honneur. Alfred de Vigny a toujours été le poëte le plus penseur de ce siècle, et la direction de sa pensée, dont le stoïcisme avec l’incrédulité aux dogmes religieux fait le fond, quoique plus accusée à la fin, n’a jamais varié.

Les Destinées sont le seul ouvrage achevé qu’Alfred de Vigny ait laissé après lui, et je l’ai publié, suivant sa volonté, sans en retrancher un vers, sans y ajouter ni une note ni une préface. Sa solitude avait vu naître bien d’autres œuvres ; j’ai eu dans les mains les débris de quelques-unes de celles qu’il caressait, romans ou poëmes, disant comme André Chénier : Rien n’est fait aujourd’hui, tout sera fait demain,

n’en abandonnant aucune et n’en finissant aucune : scrupule d’artiste amoureux de la perfection, dédain tout ensemble et appréhension du public vulgaire, langueur secrète aussi ; car sa vie intime était, je l’ai dit, pleine d’amertume, et il était lui-même blessé aux sources de la vie.

Il avait projeté une suite à Éloa, dont la conception était fort belle. Il avait rêvé bien d’autres poëmes : on verra dans ce volume des traces de ces rêves. Deux nouvelles consultations du Docteur noir devaient suivre la première. Il avait entrepris un grand roman, les Français en Égypte, dont Bonaparte était le héros, et une grande comédie en vers sur Regnard ; enfin, sur trois romans historiques commencés, il avait écrit quelques mois avant sa mort : « À brûler après moi. » Nul doute que ces œuvres, s’il avait pu ou voulu les achever, n’eussent ajouté à sa gloire.

J’arrive à ce que j’appelle le Journal du Poëte.

Alfred de Vigny me montrait quelquefois dans sa bibliothèque de nombreux petits cahiers cartonnés, où il avait depuis longtemps jeté au jour le jour ses notes familières, ses memento, ses impressions courantes sur les hommes, sur les choses surtout, ses pensées sur la vie et sur l’art, la première idée de ses œuvres faites ou à faire. Et, quelques jours avant sa mort, il me dit : « Vous trouverez peut-être quelque chose là. » J’y ai trouvé l’homme tout entier. Il a écrit ici pour lui-même, non pas sans couleur et sans style, il ne pouvait, mais sans apprêt, avec une entière candeur. On l’y surprend dans sa parfaite ressemblance dans sa vive et haute originalité. Il y poursuit, sans souci du public, sans témoin que sa conscience, un monologue intime plein d’intérêt. On a, en général, bien jugé l’écrivain ; on a estimé le poëte à son prix ; mais l’homme, si honoré qu’il soit, n’est pas encore bien connu. Est-ce une entreprise téméraire d’entr’ouvrir, en laissant lire dans son journal, la perte de ce religieux de la poésie et de l’art et de montrer ce qu’était au naturel Alfred de Vigny ?

Rien, on le sait, n’est plus intéressant que ce genre de publication intime où l’on voit de tout près une figure d’écrivain célèbre qu’on n’a pu guère qu’imaginer d’après ses œuvres ou de sèches et inexactes biographies. L’intérêt est plus rare lorsqu’il s’agit d’un homme comme Alfred de Vigny, qui s’est retranché dans la solitude, connu seulement de quelques élus de son cœur. « Personne, a dit M. Jules Sandeau[4], n’a vécu dans sa familiarité, pas même lui. » L’observation, qui a fait sourire, ne manque pas de vérité. On peut l’accepter pour Alfred de Vigny malgré son tour épigrammatique. Ennemi de cette mêlée de relations banales si fréquentes de notre temps, comme des propos médiocres, indiscrets, vulgaires qu’elles engendrent, la familiarité avait pour lui quelque chose de trivial et presque d’ignoble par où elle le blessait. Ses amis ont connu le charme et l’abandon spirituel de son intimité ; mais il est vrai qu’en général il s’enveloppait d’une haute réserve comme d’une armure d’acier poli contre les bas contacts des hommes, et je crois bien qu’il gardait encore son armure quand il était seul, pour se défendre de la familiarité de vulgaires pensées. Sa distinction manquait un peu de bonhomie ? Soit. S’il y avait quelque excès dans ce goût du noble, dans ce respect de soi-même, il n’est pas à craindre que cette particularité de sa nature devienne contagieuse.

Ces notes révélatrices elles-mêmes ont gardé le grand air qui lui était naturel, l’attitude et l’altitude de l’homme. Si on y cherche un intérêt anecdotique et commun, on ne l’y trouvera guère. Mais on n’y trouvera pas davantage d’attaque ou d’insinuation blessante contre personne, de ces flèches empoisonnées, traits de Parthe des mémoires posthumes. Il a pensé sans doute à M. Molé, quoiqu’il ne l’ait pas nommé dans sa pièce les Oracles, publiée depuis sa mort dans les Destinées ; mais il espérait bien publier ces poésies lui-même, et je me souviens qu’un jour il me disait : « J’ai félicité aujourd’hui M. Guizot du dernier volume de ses beaux Mémoires ; mais je l’ai félicité d’abord d’avoir noblement publié ses Mémoires de son vivant. » Le respect de soi-même a cela de bon qu’il nous maintient dans le respect d’autrui. Il écrivait dans une note du 31 décembre 1833 : « L’année est écoulée. Je n’ai pas écrit une ligne contre ma conscience ni contre aucun être vivant. » Il aurait pu signer cela chaque année de sa vie.

Ce qu’on recueillera dans ces mémoires de son imagination et de sa pensée, ce sont ses idées, ses vues sur toutes choses : philosophie, politique, littérature ; ses doutes et ses convictions invariables, son esprit et son cœur, tout cela réfléchi dans ces notes éparses comme dans les morceaux brisés d’un pur miroir. Parmi ces fragments souvent exquis, il en est peu qui n’aient de la valeur, soit en eux-mêmes et par les idées qu’ils expriment, soit par le jour qu’ils jettent sur la physionomie du poëte. Ses réflexions, en général, sont moins remarquables par l’absolue justesse, qui peut en être souvent contestée, que par la haute et profonde originalité, la finesse pénétrante, la poétique couleur ; et toujours s’y révèlent son esprit délicat, même quand il est un peu chimérique, et son âme fière mais tendre, attristée mais douce, défiante du ciel silencieux autant que de la terre bruyante, toujours excellente et toute pure.

Sauf quelques notes à peu près indispensables, je ne mêlerai à ces fragments intimes aucune réflexion : ils portent en eux-mêmes leur meilleur commentaire, et l’avantage éventuel de souligner par quelques remarques critiques plus ou moins ingénieuses la pensée du poëte ne vaudrait pas pour le lecteur le dommage de l’interrompre.

Qu’on ne se méprenne pas cependant. Ce n’est pas une œuvre de lui que je donne, car alors je ne me croirais pas permis d’y coudre même ce chapitre préliminaire. Alfred de Vigny a mis le signet à l’œuvre signée de son nom après le volume des Destinées, et, pour obéir à ses intentions formellement exprimées, de même qu’il n’a voulu sur sa tombe d’autre éloquence que les larmes des cœurs fidèles, aucune préface, aucune étude de critique littéraire ne s’installera pour prendre sa mesure en tête des œuvres qu’il a destinées à la publicité. Aussi bien cette mesure, la plupart du temps, est celle de la bienveillance ou de la valeur du critique plutôt que celle de la taille de l’auteur, et la postérité, en présence de l’écrivain, prend bien ses mesures toute seule. Mais ici, je le répète, ce n’est pas un ouvrage d’Alfred de Vigny que je publie, c’est moins et beaucoup plus. Sauf quelques vers ajoutés à la fin de ce volume et qu’il eût réunis sans doute à ses poésies, s’il eût pu les revoir, c’est lui-même que je donne, c’est lui se parlant à lui-même et ne faisant pas œuvre d’auteur.

C’est pour le faire mieux connaître, autant dire mieux aimer, que j’expose au jour, sous ma responsabilité, devant ma conscience et devant lui qui me voit peut-être, ces fragments significatifs de cette sorte de mémoires de sa vie méditative. Il m’a semblé qu’il ne m’avait pas interdit d’y puiser avec discrétion dans l’intérêt des lettres et de sa pure renommée, puisqu’il me disait : « Vous trouverez quelque chose là. »

Si, comme je l’espère, on sent dans ces pages non-seulement un des poètes les plus rares, mais un des hommes les meilleurs de ce pays, d’une élévation que rehausse son scepticisme même ; — il écrivait : « L’honneur, c’est la poésie du devoir » et, de cette pensée exquise, il faisait la devise de sa vie ; — si l’un y est touché d’une sensibilité qui n’était pas seulement imaginative et intellectuelle : on lira le récit émouvant de la mort de sa mère, moment de détresse où il fut visité par les espérances religieuses ; si l’on y sent une bonté aimante qui lui faisait noter comme bonheurs à lui arrivés des choses heureuses survenues à ses amis, j’aurai publié quelque chose de plus rare qu’un poëme ou un roman inédit d’Alfred de Vigny, j’aurai montré Alfred de Vigny.

Au surplus, j’ai déjà mieux qu’une espérance. Ces fragments, avant d’être réunis ici, ont pour la plupart déjà vu le jour ou au moins le demi-jour dans une Revue. Des journaux en ont reproduit quelque chose. Et ce qu’on en a pu lire a causé une vive sensation. Je le savais bien, ô noble poëte ! que tu paraîtrais plus grand à ceux qui approcheraient de toi ; j’avais le sentiment, cher et paternel ami, qu’en publiant ces notes frustes et pourtant si éloquentes, j’arrachais à la tombe quelque chose de ton génie, et, mieux encore, je faisais revenir comme l’ombre de ta belle âme !



JOURNAL D’UN POÈTE


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1824


le combat intellectuel. — Dieu a jeté — c’est ma croyance — la terre au milieu de l’air et de même l’homme au milieu de la destinée. La destinée l’enveloppe et l’emporte vers le but toujours voilé. — Le vulgaire est entraîné, les grands caractères sont ceux qui luttent. — Il y en a peu qui aient combattu toute leur vie ; lorsqu’ils se sont laissé emporter par le courant, ces nageurs ont été noyés. — Ainsi, Bonaparte s’affaiblissait en Russie, il était malade et ne luttait plus, la destinée l’a submergé. — Caton fut son maître jusqu’à la fin. — Le fort fait ses événements, le faible subit ceux que la destinée lui impose. — Une distraction entraîne sa perte quelquefois, il faut qu’il surveille toujours sa vie : rare qualité.


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La seule faculté que j’estime en moi est mon besoin éternel d’organisation. À peine une idée m’est venue, je lui donne dans la même minute sa forme et sa composition, son organisation complète.


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ma vie a deux ans. — L’imagination nous vieillit, et souvent il semble qu’on ait vu plus de temps en rêvant que dans sa vie. Des empires détruits, des femmes désirées, aimées, des passions usées, des talents acquis et perdus, des familles oubliées, ah ! combien j’ai vécu ! N’y a-t-il pas deux cents ans que cela est ainsi ? — Revue de ma vie entière.


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élévation.> — Comme le petit Poucet, en partant, remplit sa main de grains de mil et les jeta sur sa route, nous partons et Dieu nous remplit la main de jours dont le nombre est compté, nous les semons sur notre route avec insouciance et sans nous effrayer d’en voir diminuer le nombre.


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passage de mer.> — Un beau vaisseau partit de Brest un jour. — Le capitaine fit connaissance avec un passager. Homme d’esprit, il lui dit : « Je n’ai jamais vu d’homme qui me fût aussi cher. » Arrivés à la hauteur de Taïti. — Sur la ligne. — Le passager lui dit : « Qu’avez-vous donc là ? — Une lettre que j’ai ordre de n’ouvrir qu’ici ; pour l’exécuter. » Il dit aux matelots d’armer leurs fusils et pâlit. « Feu ! » il le fait fusiller.[5]


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LE PORT


Une ancre sur le sable, un cordage fragile
Te retiennent au port et pourtant, beau vaisseau,
Deux fois l’onde en fuyant te laisse sur l’argile,
Et deux fois, ranimé, tu flottes plus agile
Chaque jour au retour de l’eau !

Comme toi, l’homme en vain fuit, se cache ou s’exile
La vie encor souvent le trouble au fond du port,
L’élève, puis l’abaisse, ou rebelle ou docile ;
Car la force n’est rien, car il n’est point d’asile
Contre l’onde et contre le sort.

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comparaison poétique. — L’Islande. — Dans les nuits de six mois, les longues nuits du pôle, un voyageur gravit une montagne et, de là, voit au loin le soleil et le jour, tandis que la nuit est à ses pieds : ainsi le poëte voit un soleil, un monde sublime et jette des cris d’extase sur ce monde délivré, tandis que les hommes sont plongés dans la nuit.


vers écrits sur le more de venise donné
à madame dorval.


Quel fut jadis Shakspeare ? — On ne répondra pas.
Ce livre est à mes yeux l’ombre d’un de ses pas,
Rien de plus. — Je le lis en cherchant sur sa trace
Quel fantôme il suivait de ceux que l’homme embrasse,
Gloire, — fortune — amour, — pouvoir ou volupté !

Rien ne trahit son cœur, hormis une beauté
Qui toujours passe en pleurs parmi d’autres figures
Comme un pâle rayon dans les forêts obscures,
Triste, simple et terrible, ainsi que vous passez,
Le dédain sur la bouche et vos grands yeux baissés.


La réputation n’a qu’une bonne chose, c’est qu’elle permet d’avoir confiance en soi et de dire hautement sa pensée entière.

Étant malade aujourd’hui, j’ai brûlé, dans la crainte des éditeurs posthumes : une tragédie de Roland, une de Julien l’Apostat, et une d’Antoine et Cléopâtre, essayées, griffonnées, manquées par moi de dix-huit à vingt ans.

Il n’y avait de supportable dans Roland qu’un vers, sur Jésus-Christ :

Fils exilé du ciel, tu souffris au désert.


Je sors d’une longue maladie qui avait les symptômes du choléra.

Je suis étonné de n’être pas mort. J’ai souffert en silence des douleurs horribles, je croyais bien me coucher pour mourir.

Mon sursis est prolongé, à ce qu’il me semble.


La deuxième consultation sur le suicide. Elle renfermera tous les genres de suicide et des exemples de toutes leurs causes analysées profondément.

Là, j’émettrai toutes mes idées sur la vie. Elles sont consolantes par le désespoir même.

Il est bon et salutaire de n’avoir aucune espérance.

L’espérance est la plus grande de nos folies. Cela bien compris, tout ce qui arrive d’heureux surprend.

Dans cette prison nommée la vie, d’où nous partons les uns après les autres pour aller à la mort, il ne faut compter sur aucune promenade, ni aucune fleur. Dès lors, le moindre bouquet, la plus petite feuille, réjouit la vue et le cœur, on en sait gré à la puissance qui a permis qu’elle se rencontrât sous vos pas.

Il est vrai que vous ne savez pas pourquoi vous êtes prisonnier et de quoi puni ; mais vous savez à n’en pas douter quelle sera votre peine : souffrance en prison, mort après.

Ne pensez pas au juge, ni au procès que vous ignorerez toujours, mais seulement à remercier le geôlier inconnu qui vous permet souvent des joies dignes du ciel.

Tel est l’aperçu de l’ordonnance qui terminera la deuxième consultation du Docteur noir.[6]


pour la deuxième consultation. — Tous les crimes et les vices viennent de faiblesse.

Ils ne méritent donc que la pitié !


Je reviens à l’idée de la deuxième consultation.

Voici la vie humaine.

Je me figure une foule d’hommes, de femmes et d’enfants, saisis dans un sommeil profond. Ils se réveillent emprisonnés. Ils s’accoutument à leur prison et, s’y font de petits jardins. Peu à peu, ils s’aperçoivent qu’on les enlève les uns après les autres pour toujours. Ils ne savent ni pourquoi ils sont en prison, ni où on les conduit après et ils savent qu’ils ne le sauront jamais.

Cependant, il y en a parmi eux qui ne cessent de se quereller pour savoir l’histoire de leur procès, et il y en a qui en inventent les pièces ; d’autres qui racontent ce qu’ils deviennent après la prison, sans le savoir.

Ne sont-ils pas fous ?

Il est certain que le maître de la prison, le gouverneur, nous eût fait savoir, s’il l’eût voulu, et notre procès et notre arrêt.

Puisqu’il ne l’a pas voulu et ne le voudra jamais, contentons-nous de le remercier des logements plus ou moins bons qu’il nous donne, et, puisque nous ne pouvons nous soustraire à la misère commune, ne la rendons pas double par des querelles sans fin. Nous ne sommes pas sûrs de tout savoir au sortir du cachot, mais sûrs de ne rien savoir dedans.


Que Dieu est bon, quel geôlier adorable, qui sème tant de fleurs qu’il y en a dans le préau de notre prison ! Il y en a (le croirait-on ?) à qui la prison devient si chère, qu’ils craignent d’en être délivrés ! Quelle est donc cette miséricorde admirable et consolante qui nous rend la punition si douce ? Car nulle nation n’a douté que nous ne fussions punis – on ne sait de quoi.


Il faut surtout anéantir l’espérance dans le cœur de l’homme.

Un désespoir paisible, sans convulsions de colère et sans reproches au ciel est la sagesse même.

Dès lors, j’accepte avec reconnaissance tous les jours de plaisir, tous les jours même qui ne m’apportent pas un malheur ou un chagrin.


On a de la peine à s’imaginer que Robespierre ait été un enfant, porté par sa bonne, à qui sa mère ait souri et dont on ait dit : « Le beau petit garçon ! »



J’ai dans la tête une ligne droite. — Une fois que j’ai lancé sur ce chemin de fer une idée quelconque, elle le suit jusqu’au bout malgré moi. Et pendant que j’agis et parle.


20 mai. — J’ai achevé de corriger moi-même, et moi seul, les épreuves de la première édition de Stello. Cette édition vaudra mieux que le manuscrit que je brûlerai un de ces jours, et que je conserve encore je ne sais pourquoi. En cas peut-être qu’un de mes amis me le demande.


organisation bizarre. — Ma tête, pour concevoir et retenir les idées positives, est forcée de les jeter dans le domaine de l’imagination, et j’ai un tel besoin de créer qu’il me faut dire en allant pas à pas : Si telle science ou telle théorie pratique n’existait pas, comment la formerais-je ? Alors le but, puis l’ensemble, puis les détails m’apparaissent, et je vois et je retiens pour toujours.

Et comment faire autrement pour tomber d’Éloa à la théorie d’infanterie ?


1826

9 décembre. — Achevé de revoir les dernières épreuves de Cinq-Mars.

Ce qui fait l’originalité de ce livre, c’est que tout y a l’air roman et que tout y est histoire. — Mais c’est un tour de force de composition dont on ne sait pas gré et qui, tout en rendant la lecture de l’histoire plus attachante par le jeu des passions, la fait suspecter de fausseté et quelquefois la fausse en effet.


lundi 6 novembre. — Voir est tout et tout pour moi. Un seul coup d’œil me révèle un pays et je crois deviner sur le visage, une âme. — Aujourd’hui, à onze heures, l’oncle de ma femme, M. le colonel Hamilton Bunbury, m’a présenté à sir Walter Scott qu’il connaissait. Dans un appartement de l’hôtel de Windsor, au second, au fond de la cour, j’ai trouvé l’illustre Écossais. En entrant dans son cabinet, j’ai vu un vieillard tout autre que ne l’ont représenté les portraits vulgaires : sa taille est grande, mince et un peu voûtée ; son épaule droite est un peu penchée vers le côté où il boite ; sa tête a conservé encore quelques cheveux blancs, ses sourcils sont blancs et couvrent deux yeux bleus, petits, fatigués mais très-doux, attendris et humides, annonçant, à mon avis, une sensibilité profonde. Son teint est clair comme celui de la plupart des Anglais, ses joues et son menton sont colorés légèrement. Je cherchai vainement le front d’Homère et le sourire de Rabelais que notre Charles Nodier vit avec son enthousiasme sur le buste de Walter Scott, en Écosse ; son front m’a semblé, au contraire, étroit, et développé seulement au-dessus des sourcils ; sa bouche est arrondie et un peu tombante aux coins. Peut-être est-ce l’impression d’une douleur récente ; cependant, je la crois habituellement mélancolique comme je l’ai trouvée. On l’a peint avec un nez aquilin : il est court, retroussé et gros à l’extrémité. La coupe de son visage et son expression ont un singulier rapport avec le port et l’habitude du corps et des traits du duc de Cadore, et plus encore du maréchal Macdonald, aussi de race écossaise ; mais, plus fatiguée et plus pensive, la tête du page s’incline plus que celle du guerrier.

Lorsque j’ai abordé sir Walter Scott, il était occupé à écrire sur un petit pupitre anglais de bois de citron, enveloppé d’une robe de chambre de soie grise. Le jour tombait de la fenêtre sur ses cheveux blancs. Il s’est levé avec un air très-noble et m’a serré affectueusement la main dans une main que j’ai sentie chaude, mais ridée et un peu tremblante. Prévenu par mon oncle de l’offre que je devais lui faire d’un livre, il l’a reçu avec l’air très-touché et nous a fait signe de nous asseoir.

« On ne voit pas tous les jours un grand homme dans ce temps-ci, lui ai-je dit ; je n’ai connu encore que Bonaparte, Chateaubriand et vous (je me reprochais en secret d’oublier Girodet, mon ami, et d’autres encore, mais je parlais à un étranger). — Je suis honoré, très honoré, m’a-t-il répondu ; je comprends ce que vous me dites, mais je n’y saurais pas répondre en français. » J’ai senti dès lors un mur entre nous. Voyant mon oncle me traduire ses paroles anglaises, il s’est efforcé, en parlant lentement, de m’exprimer ses pensées. — Prenant Cinq-Mars : « Je connais cet événement, c’est une belle époque de votre histoire nationale.» Je l’ai prié de m’en écrire les défauts en lui donnant mon adresse. — « Ne comptez pas sur moi pour critiquer, m’a-t-il dit, mais je sens, je sens ! » Il me serrait la main avec un air paternel : sa main, un peu grasse, tremblait beaucoup ; j’ai pensé que c’était l’impatience de ne pas bien s’exprimer. Mon oncle a cru que ma visite lui avait causé une émotion douce ; Dieu le veuille et que toutes ses heures soient heureuses. Je le crois né sensible et timide. Simple et illustre vieillard ! — Je lui ai demandé s’il reviendrait en France : « Je ne le sais pas, » m’a-t-il dit. L’ambassadeur l’attendait, il allait sortir, je l’ai quitté, non sans l’avoir observé d’un œil fixe tandis qu’il parlait en anglais avec mon oncle.

1829

L’histoire du monde n’est autre chose que la lutte du pouvoir contre l’opinion générale. Lorsque le pouvoir suit l’opinion, il est fort ; lorsqu’il la heurte, il tombe.


L’art est la vérité choisie.

Si le premier mérite de l’art n’était que la peinture exacte de la vérité, le panorama serait supérieur à la Descente de croix.


préface. — Exempt de tout fanatisme, je n’ai point d’idole. J’ai lu, j’ai vu, je pense et j’écris seul, indépendant.


L’homme est si faible, que, lorsqu’un de ses semblables se présente disant : « Je peux tout, » comme Bonaparte, ou : « Je sais tout, » comme Mahomet, il est vainqueur et a déjà à moitié réussi. De là le succès de tant d’aventuriers.


La conscience publique est juge de tout. Il y a une puissance dans un peuple assemblé. Un public ignorant vaut un homme de génie. Pourquoi ? Parce que l’homme de génie devine le secret de la conscience publique. La conscience, savoir avec, semble collective et appartient à tous.


Lorsqu’un siècle est en marche guidé par une pensée, il est semblable à une armée marchant dans le désert. Malheur aux traînards ! rester en arrière, c’est mourir.


Quel intervalle sépare la curiosité qui fait accourir le peuple au passage d’un roi, ou à celui d’une girafe, d’un sauvage ou d’un acteur ? — Est-ce un cheveu ou une aiguille ?


Le célibataire ne donne point, comme le père de famille. des otages à son pays : la femme, les enfants, garants qu’il ne peut déserter et devenir cosmopolite.


La puissance est toujours avec la lumière : de là vient que, dans le moyen âge, le clergé eut la force parce qu’il eut la science ; à présent, il est inférieur en connaissances, de là en empire.


Il faut que les hommes de talent se portent sur les points menacés du cercle de l’esprit humain, et se rendent forts sur ce qui manque à la nation.


La pensée est semblable au compas qui perce le point sur lequel il tourne, quoique sa seconde branche décrive un cercle éloigné.

L’homme succombe sous son travail et est percé par le compas.


La raison offense tous les fanatismes.


Chaque homme n’est que l’image d’une idée de l’esprit général.


L’humanité fait un interminable discours dont chaque homme illustre est une idée.


tragédie. — J’y veux représenter toujours la destinée et l’homme, tels que je les conçois. — L’une l’emportant comme la mer, et l’autre grand parce qu’il la devance, ou grand parce qu’il lui résiste.


de l’éclectisme. — L’éclectisme est une lumière sans doute, mais une lumière comme celle de la lune, qui éclaire sans échauffer. On peut distinguer les objets à sa clarté, mais toute sa force ne produirait pas la plus légère étincelle.


Parler de ses opinions, de ses amitiés, de ses admirations, avec un demi-sourire, comme de peu de chose que l’on est tout prêt d’abandonner pour dire le contraire : vice français.


les français. — Tout Français, ou à peu près, naît vaudevilliste et ne conçoit pas plus haut que le vaudeville.

Écrire pour un tel public, quelle dérision ! quelle pitié ! quel métier !

Les Français n’aiment ni la lecture, ni la musique, ni la poésie. — Mais la société, les salons, l’esprit, la prose.


la gloire. — J’ai cru longtemps en elle ; mais, réfléchissant que l’auteur du Laocoon est inconnu, j’ai vu la vanité.

Il y a, d’ailleurs, en moi quelque chose de plus puissant pour me faire écrire, le bonheur de l’inspiration, délire qui surpasse de beaucoup le délire physique correspondant qui nous enivre dans les bras d’une femme. La volupté de l’âme est plus longue… L’extase morale est supérieure à l’extase physique.


du christ. — L’humanité devait tomber à genoux devant cette histoire, parce que le sacrifice est ce qu’il y a de plus beau au monde, et qu’un Dieu né sur la crèche et mort sur la croix dépasse les bornes des plus grands sacrifices.


des romains. — C’était un sage peuple que celui-là, peuple industrieux, sain et fort, s’il en fut. Sans philosophie, sans idéalisme, ne se perdant guère en abstractions, mais ne considérant que le pouvoir sur la terre, la grandeur sur la terre, et l’immortalité sur la terre, celle du nom. — Sur ce point, le crâne de Bonaparte fut trempé comme un crâne romain, car il ne s’occupait guère d’autre chose.

Tout Romain se considérait comme acteur ; il prenait tel rôle et le poussait jusqu’où il pouvait aller. « Je joue le rôle de républicain, » dit Caton ; le rôle fini, la République finissant, il se tue. « Je joue celui d’empereur, dit Auguste, applaudissez et baissez le rideau, je meurs. » La vie toujours publique des Romains est là tout entière.


pudeur. — Un jour, elle changeait de chemise ; — elle vit son chien la regarder et lui lécher les pieds : — la chemise qu’elle quittait était tombée trop vite ; l’autre n’était pas mise encore. — Toute nue, elle laissa tomber celle qu’elle tenait, et, effrayée, se jeta sur le lit évanouie.


Le seul beau moment d’un ouvrage est celui où on l’écrit.


une tragédie sur l’adultère — Quoiqu’on ait abusé de ce crime, on n’en a pas encore sondé la profondeur, les supplices de l’amant, sa honte devant l’époux trahi.

1830


mardi 27 juillet 1830. — Aujourd’hui commencent les soulèvements populaires. — Les ordonnances du 25 en sont la cause. — Le roi va à Compiègne et laisse les ministres faire feu sur le peuple. — On l’entend pendant que j’écris. — Je me sens heureux d’avoir quitté l’armée ; treize ans de services mal récompensés m’ont acquitté envers les Bourbons. — Dès l’avènement de Charles X, j’avais prédit qu’il tenterait d’arriver au gouvernement absolu. — Il hait la Charte et ne la comprend pas. Les vieilles femmes de la cour et les favoris le gouvernent. — Il est arrivé à mettre M. de Polignac au ministère et veut l’y maintenir malgré tout. — Il s’est cru insulté par le renvoi des deux cent vingt et un à la Chambre ; il croit pouvoir faire le Bonaparte : Bonaparte était debout derrière ses canons à Saint-Roch. Charles X est à Compiègne. Il a dit : « Mon frère a tout cédé, il est tombé ; je résisterai et ne tomberai pas. » Il se trompe. Louis XVI est tombé à gauche et Charles X à droite. C’est toute la différence.

mercredi 28. — Je ne puis plus traverser Paris. Les ouvriers sont lâchés, brisent les réverbères, enfoncent les boutiques, tuent, et sont fusillés et poursuivis par la garde. — Le 50e de ligne a (dit-on) refusé de faire feu sur le peuple.

J’ai approuvé le ministère du duc de Richelieu ; — celui de M. de Martignac. — La seule manière de réconcilier la Restauration et la Révolution, ces deux éternelles ennemies, était de gouverner avec les deux centres et d’écraser de leur poids les extrêmes. — Aujourd’hui, un extrême l’emporte. Désordres. Illégalité. — Les ministres sont out laws, hors la loi et y ont placé le roi. — Pourquoi n’est-il pas à Paris ? Pourquoi le Dauphin est-il absent ?…

L’article 14 de la Charte, qui a servi de prétexte aux ordonnances, dit :

« Le roi… fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l’exécution des lois et la sûreté de l’État. »

Il est évident que le membre de phrase la sûreté de l’État est le complément du premier. L’État, c’est la loi armée ; la sûreté de l’État est la sûreté de la loi dans son cours. — Cela ne peut être entendu autrement que par une escobarderie de jésuite ou d’avocat.

de mercredi à jeudi 29. — Depuis ce matin, on se bat.

Les ouvriers sont d’une bravoure de Vendéens ; les soldats, d’un courage de garde impériale : Français partout. Ardeur et intelligence d’un côté, honneur de l’autre. — Quel est mon devoir ? Protéger ma mère et ma femme. Que suis-je ? Capitaine réformé. J’ai quitté le service depuis cinq ans. La cour ne m’a rien donné durant mes services. Mes écrits lui déplaisaient ; elle les trouvait séditieux. Louis XIII était peint de manière à me faire dire souvent : Vous qui êtes libéral. J’ai reçu des Bourbons un grade par ancienneté, au 5e de la garde, le seul, car j’étais, entré lieutenant. Et pourtant, si le roi revient aux Tuileries et si le Dauphin se met à la tête des troupes, j’irai me faire tuer avec eux. — Le tocsin. — J’ai vu l’incendie de la fenêtre des toits. — La confusion viendra donc par le feu. — Pauvre peuple, grand peuple, tout guerrier !

J’ai préparé mon vieil uniforme. Si le roi appelle tous les officiers, j’irai. — Et sa cause est mauvaise, il est en enfance, ainsi que toute sa famille ; en enfance pour notre temps qu’il ne comprend pas. — Pourquoi ai-je senti que je me devais à cette mort ? — Cela est absurde. Il ne saura ni mon nom ni ma fin. Mais mon père, quand j’étais encore enfant, me faisait baiser la croix de Saint-Louis, sous l’Empire : superstition, superstition politique, sans racine, puérile, vieux préjugé de fidélité noble, d’attachement de famille, sorte de vasselage, de parenté du serf au seigneur. Mais comment ne pas y aller demain matin s’il nous appelle tous ? J’ai servi treize ans le roi. Ce mot : le roi, qu’est-ce donc ? Et quitter ma vieille mère et ma jeune femme qui comptent sur moi ! Je les quittetai, c’est bien injuste, mais il le faudra.

La nuit est presque achevée. — Encore le canon.


jeudi 29. — Ils ne viennent pas à Paris, on meurt pour eux. Race de Stuarts ! Oh ! je garde ma famille.

Attaque des casernes de la rue Verte et de la Pépinière. Bravoure incomparable des ouvriers serruriers. — J’ai mis la tête à la fenêtre pour voir si quelque blessé de l’un des deux partis venait se réfugier à ma porte. On vient de faire feu sur moi, on a cru que je voulais tirer de la fenêtre. Les trois balles ont cassé la corniche de ma fenêtre.

— En vingt minutes, les deux casernes prises.


vendredi 30. — Pas un prince n’a paru. Les pauvres braves de la garde sont abandonnés sans ordres, sans pain depuis deux jours, traqués partout et se battant toujours. — Ô guerre civile, ces obstinés dévots t’ont amenée !

Chassés de partout. Paris est libre.


samedi 31. — Donc, en trois jours, ce vieux trône sapé ! J’en ai fini pour toujours avec les gênantes superstitions politiques. Elles seules pouvaient troubler mes idées par leurs mouvements d’instinct. — Si le duc d’Enghien eût été là ou seulement le duc de Berry, j’y serais mort. C’eût peut-être été dommage. Qui sait ce que je ferai !


du 1er août — Le duc d’Orléans est froidement accueilli par le peuple. Ses partisans ont pensé que son nom de Bourbon lui faisait tort. Ils impriment qu’il n’appartient pas aux Capets-Bourbons, mais qu’il est Valois.


10 août — Couronnement de Louis-Philippe Ier. Cérémonie grave. — C’est un couronnement protestant. — Il convient à un pouvoir qui n’a plus rien de mystique, dit le Globe. J’y trouve le défaut radical que le trône ne s’appuie ni sur l’appel au peuple ni sur le droit de légitimité, il est sans appui.

On ferait une bonne comédie des chefs de parti qui l’ont été malgré eux dans les trois premières journées.


21 août — En politique, je n’ai plus de cœur. Je ne suis pas fâché qu’on me l’ait ôté, il gênait ma tête. Ma tête seule jugera dorénavant et avec sévérité. Hélas !


La Fortune en jetant ses dés n’avait pas encore amené la royauté démocratique. Nous allons voir ce que c’est.


J’ai organisé la deuxième compagnie du quatrième bataillon de la première légion de la garde nationale, en nommant sur-le-champ mon sergent-major et le chargeant de la comptabilité ; j’ai moi-même parcouru, inscrit et commandé trois rues.


11 août. — On ne parle pas des officiers de la garde qui ont fait de nobles traits de bravoure. — Un lieutenant au 6e de la garde, ayant reçu l’ordre de faire feu, a refusé parce que la rue était pleine de femmes et d’enfants. Le colonel réitère l’ordre de faire feu et le menace de le faire arrêter, il prend un pistolet et se brûle la cervelle.

Le Motteux, capitaine au premier régiment, avait envoyé sa démission le jour des ordonnances folles de M. de Polignac. — Le soir, on se bat ; il va trouver son colonel et le prie de regarder sa démission comme non avenue. — Sa compagnie est traquée à la Madeleine, dans les colonnes de l’église que l’on élève ; on lui crie de se rendre, il refuse et est tué.

Ces deux exemples peuvent servir de symbole parfait pour exprimer la situation d’âme de la garde royale. Elle a fait noblement son devoir, mais à contre-cœur. — Tant qu’une armée existera, l’obéissance passive doit être honorée. — Mais c’est une chose déplorable qu’une armée.


29 août. — Revue de la garde nationale au Champ-de-Mars. J’ai commandé assez militairement le quatrième bataillon de la première légion. — Le roi Louis-Philippe Ier, après avoir passé devant le front du bataillon, a arrêté son cheval, m’a ôté son chapeau et m’a dit :

— Monsieur de Vigny, je suis bien aise de vous voir et de vous voir là. Votre bataillon est très-beau, dites-le à tous ces messieurs de ma part, puisque je ne peux pas le faire moi-même.

Je l’ai trouvé beau et ressemblant à Louis XIV — à peu près comme madame de Sévigné trouvait Louis XIV le plus grand roi du monde, après avoir dansé avec lui.


Si je faisais le roman que je projette de la Vie et la Mort d’un soldat. Pensée. — L’obéissance passive, — le martyre d’un soldat. — Je plaiderais entre lui et le second personnage une actrice qui le suit partout et qui lui raconte la vie de son frère, qui a suivi une carrière politique d’avocat ; toute magnifique, et toute pleine de trahisons et de récompenses.


Le jour où il n’y aura plus parmi les hommes ni enthousiasme, ni amour, ni adoration, ni dévouement, creusons la terre jusqu’à son centre, mettons-y cinq cents milliards de barils de poudre et qu’elle éclate en pièces comme une bombe au milieu du firmament.


Enterrement de Benjamin Constant. — Je ne l’ai vu qu’une fois l’hiver dernier, chez madame O’Reilly. — Il y fut d’une coquetterie charmante à mon égard, disant à côté de moi qu’il me regardait comme le plus grand des jeunes écrivains. — Quand je lui parlai de l’acharnement avec lequel on poursuivait la poésie dans le côté gauche de la Chambre, il me dit que c’était affaire de bonne compagnie, que c’était crainte de paraître vouloir briser toutes les chaînes, qu’on voulait conserver les plus légères, celles des règles littéraires… J’engageai avec lui une sorte de petite querelle polie sur ce sujet et il se laissa battre, avec Walstein, très-complaisamment.

C’était un homme d’un esprit supérieur. Il combattit toujours sans récompense : ce que j’estime. Mais je crois qu’il avait son but d’ambition très-élevé, qu’il n’a pas atteint. — Il n’eût pas été satisfait d’être pair de France ou premier ministre ; peut-être lui fallait-il une république et en être président. — La dynastie des Bourbons l’importunait, il a contribué à la renverser ; et la tristesse qu’il a confessée à la tribune lui est venue de l’impuissance où il se sentait plongé de rien fonder sur les ruines qu’il nous a faites.

Il avait un assez noble profil, des formes polies et gracieuses, il était homme du monde et homme de lettres, alliance rare, assemblage exquis. — Je crois qu’il avait un cœur froid et nulle imagination.


Les Français ont de l’imagination dans l’action et rarement dans la méditation solitaire.


Le monde a la démarche d’un sot, il s’avance en se balançant mollement entre deux absurdités : le droit divin et la souveraineté du peuple.


Il est dit que jamais je ne verrai une assemblée d’hommes quelconque sans me sentir battre le cœur d’une sourde colère contre eux, à la vue de l’assurance de leur médiocrité, de la suffisance et de la puérilité de leurs décisions, de l’aveuglement complet de leur conduite.


Oh ! fuir ! fuir les hommes et se retirer parmi quelques élus, élus entre mille milliers de mille !

1831


23 décembre 1831. — Naître sans fortune est le plus grand des maux. On ne s’en tire jamais dans cette société basée sur l’or.

Je suis le dernier fils d’une famille très-riche. — Mon père, ruiné par la Révolution, consacre le reste de son bien à mon éducation. Bon vieillard à cheveux blancs, spirituel, instruit, blessé, mutilé par la guerre de Sept ans, et gai et plein de grâces, de manières. — On m’élève bien. On développe le sentiment des arts que j’avais apporté au monde. — J’eus, pendant tout le temps de l’Empire, le cœur ému, en voyant l’empereur, du désir d’aller à l’armée. Mais il faut avoir l’âge ; d’ailleurs, le grand homme est détesté ; on éloigne de lui mes idées, autant qu’il se peut. — Vient la Restauration. — Je m’arme à seize ans de deux pistolets, et je vais, une cocarde blanche au chapeau, m’unir à tous les royalistes qui s’annonçaient faiblement. — J’entre dans les compagnies rouges à grands frais. — Un cheval me casse la jambe. Boitant et à peine guéri, je pris la déroute de Louis XVIII jusqu’à Béthune, toujours à l’arrière-garde et en face des lanciers de Bonaparte. — En 1815, dans la garde royale, après un mois dans la ligne. J’attends neuf ans que l’ancienneté me fasse capitaine. — J’étais indépendant d’esprit et de parole, j’étais sans fortune et poëte, triple titre à la défaveur. — Je me marie après quatorze ans de services, et ennuyé du plat service de paix. — On vient de faire sans moi une révolution dont les principes sont bien confus. — Sceptique et désintéressé, je regarde et j’attends, dévoué seulement au pays dorénavant.


31 décembre, minuit. — L’année est écoulée. — Je rends grâces au ciel qui a fait qu’elle se soit passée comme les autres, sans que rien ait altéré l’indépendance de mon caractère et le sauvage bonheur de ma vie. Je n’ai fait de mal à personne. Je n’ai pas écrit une ligne contre ma conscience, ni contre aucun être vivant ; cette année a été inoffensive comme les autres années de ma vie.

1832


mémoires et journal. — Les importunités des biographes qui, bon gré, mal gré, veulent savoir et imprimer ma vie et ne cessent de m’écrire pour avoir des détails que je me garde de leur donner ; la crainte du mensonge, que je hais partout, celle surtout de la calomnie ; le désir de n’être pas posé comme un personnage héroïque ou romanesque, aux yeux du peu de gens qui s’occuperont de moi après moi : voilà ce qui me fait prendre la résolution d’écrire mes mémoires.[7]

J’irai de ma naissance à cette année, puis je commencerai un journal qui ira jusqu’à ce que la main qui tient cette plume cesse d’avoir la puissance d’écrire.

Je suis né à Loches, petite ville de Touraine, jolie, dit-on ; je ne l’ai jamais vue. À deux ans, on m’apporta à Paris, où je fus élevé, entre mon père et ma mère et par eux, avec un amour sans pareil. Ils avaient eu trois fils : Léon, Adolphe, Emmanuel, morts avant ma naissance. Je restais seul, le plus faible et le dernier d’une ancienne et nombreuse famille de Beauce. Mon grand-père était fort riche. Vigny, le Tronchet, Gravelle, Émerville, Saint-Mars, Sermoise, Lourquetaine, etc., etc., étaient des terres à lui. — Il ne m’en reste que les noms sur une généalogie. — Il faisait en Beauce, avec mon père et ses sept frères, de grandes chasses au loup. Il tenait un état de prince. La Révolution détruisit tout. Ses terres appartinrent à ses hommes d’affaires, qui les achetèrent en assignats. — Ses enfants moururent, les uns tués à l’armée de Condé, les autres avec peu de biens, un à la Trappe. — Le frère de ma mère à Quiberon, son père en prison. — Mon père resta seul et m’éleva avec peu de fortune.

Malheur dont rien ne tire quand on est honnête homme.

Je remarque, en repassant les trente années de ma vie, que deux époques les divisent en deux parts presque égales, et ces époques semblent deux siècles à la pensée : l’Empire et la Restauration. L’une fut le temps de mon éducation ; l’autre, de ma vie militaire et poétique. Une troisième époque commence depuis deux ans : celle de la Révolution, ce sera la plus philosophique de ma vie, je pense.

Je puis donc séparer le passé de mes jours en ces deux grandes parts. Temps que j’ai bien vus et bien observés du sombre point de vue où j’étais placé.


aperçus généraux à classer. — La sévérité froide et un peu sombre de mon caractère n’était pas native.

Elle m’a été donnée par la vie.

— Une sensibilité extrême, refoulée dès l’enfance par les maîtres, et à l’armée par les officiers supérieurs, demeura enfermée dans le coin le plus secret du cœur. — Le monde ne vit plus, pour jamais, que les idées.

— Le Docteur noir seul parut en moi, Stello se cacha.

— J’étais malade en 1819, je crachais le sang. Mais, comme, à force de jeunesse et de courage, je me tenais debout, marchais et sortais, il fallut continuer le service jusqu’à la mort. Ce n’est que lorsqu’un homme est mort qu’on croit à sa maladie dans un régiment. — Après son enterrement, on dit : « Il paraît qu’il était vraiment malade. » — S’il est au lit, on dit : « Il fait semblant. » — S’il est malade de la poitrine et sort pour prendre l’air, on dit : « C’est se moquer de ses camarades et leur faire faire son service. » — Cette dureté se gagne. On se moque de vous si vous avez pitié d’un soldat. Là, vous avez horreur d’un homme qui se brûle la cervelle, on croit que cette résolution ressemble à la révolte contre l’autorité. On devient impassible et dur.

Je pris ce parti contre moi-même et je dis : « J’irai jusqu’à la fin. » — Je marchai une fois d’Amiens à Paris par la pluie avec mon bataillon, crachant le sang sur toute la route et demandant du lait à toutes les chaumières, mais ne disant rien de ce que je souffrais. Je me laissais dévorer par le vautour intérieur.


Les drames et les romans médiocres tendent à présent à faire de l’intérêt et des rencontres surprenantes en inventant des rapports accumulés, inimaginables : ainsi, si un ouvrier rencontre à un bal champêtre une grande dame, il se trouvera qu’il est justement chargé de faire son bracelet et de le lui porter, et qu’il est aussi le fils de son mari, et qu’il est aussi l’assassin d’un sot qui va faire de la rivalité avec lui dans son grenier.


Une actrice vraiment inspirée est charmante à voir à sa toilette avant d’entrer en scène. Elle parle avec une exagération ravissante de tout ; elle se monte la tête sur de petites choses, crie, gémit, rit, soupire, se fâche, caresse en une minute ; elle se dit malade, souffrante, guérie, bien portante, faible, forte, gaie, mélancolique, en colère ; et elle n’est rien de tout cela, elle est impatiente comme un petit cheval de course qui attend qu’on lève la barrière, elle piaffe à sa manière, elle se regarde dans la glace, met son rouge, l’ôte ensuite ; elle essaye sa physionomie et l’aiguise ; elle essaye sa voix en parlant haut, elle essaye son âme en passant par tous les tons et tous les sentiments. Elle s’étourdit de l’art et de la scène par avance, elle s’enivre.


Je me rappelle en travaillant un trait fort beau que la princesse de Béthune me conta un soir.

M. de X… savait fort bien que sa femme avait un amant. Mais, les choses se passant avec décence, il se taisait. Un soir, il entre chez elle ; ce qu’il ne faisait jamais depuis cinq ans.

Elle s’étonne. Il lui dit :

— Restez au lit ; je passerai la nuit à lire dans ce fauteuil. Je sais que vous êtes grosse et je viens ici pour vos gens.[8]

Elle se tut et pleura : c’était vrai.

Le génie épique a la place d’étendre ses ailes dans le grand roman. Dans le drame, il faut qu’il se réduise à de trop étroites proportions. Comme je trouve l’histoire à la gêne même dans les drames de Shakspeare ! comme il a senti qu’il étouffait !


Bonaparte meurt en disant : Tête d’armée, et repassant ses premières batailles dans sa mémoire ; Canning, en parlant d’affaires ; Cuvier, en s’analysant lui-même et disant : La tête s’engage.

Et Dieu ? — Tel est le siècle : ils n’y pensèrent pas !

Oui, tel est le siècle. — C’est que la raison humaine est arrivée en ces hommes et doit arriver en tous à la résignation de notre faiblesse et de notre ignorance. Soyons tout ce que nous pouvons être, sachons le peu que nous pouvons savoir. C’est assez pour si peu de jours à vivre. La résignation qui nous est la plus difficile est celle de notre ignorance. Pourquoi nous résignons-nous à tout, excepté à ignorer les mystères de l’éternité ? À cause de l’espérance qui est la source de toutes nos lâchetés. Nous inventons une foi, nous nous la persuadons, nous voulons la persuader aux autres, nous les frappons pour les y contraindre. — Et pourquoi ne pas dire :

— Je sens sur ma tête le poids d’une condamnation que je subis toujours, ô Seigneur ! mais, ignorant la faute et le procès, je subis ma prison.J’y tresse de la paille pour l’oublier quelquefois : là se réduisent tous les travaux humains. Je suis résigné à tous les maux et je vous bénis à la fin de chaque jour lorsqu’il s’est passé sans malheur. — Je n’espère rien de ce monde et je vous rends grâces de m’avoir donné la puissance du travail, qui fait que je puis oublier entièrement en lui mon ignorance éternelle.


On ne peut trop mettre d’indulgence dans ses rapports avec les jeunes gens qui consultent. Je pense qu’il faut toujours les encourager, les vanter, les élever à leurs propres yeux, tirer d’eux tout ce que renferme leur cerveau et l’exprimer comme un grain de raisin jusqu’à la dernière goutte.

J’étais lieutenant de la garde royale, en garnison à Versailles, en 1816, je crois, lorsque je fis une assez mauvaise tragédie de Julien l’Apostat, que j’ai brûlée dernièrement. — Telle qu’elle était, je la montrai à M. de Beauchamp, qui avait fait quelques livres d’histoire. Après avoir entendu la préface et le premier acte, il me serra la main vivement et me dit : « Souvenez-vous de ceci : à dater d’aujourd’hui, vous avez conquis votre indépendance. » Ce fut un des encouragements qui me touchèrent le plus, et l’un des premiers, car je n’osais rien lire à personne. — Peut-être que, s’il m’eût dit le contraire, je me fusse livré à l’instinct de paresse, si puissant sur l’homme, que la principale occupation des hommes qui sont au pouvoir est toujours de le combattre.

Ceci me remet en mémoire un homme d’esprit, mon cousin, le comte James de Montrivault. Je lui reprochais un jour qu’il fatiguait les soldats du régiment dont il était colonel et où j’étais capitaine. — Mon ami, me dit-il, il faut toujours exiger des hommes plus qu’ils ne peuvent faire, afin d’en avoir tout ce qu’ils peuvent faire. — C’était un bon principe militaire venant d’un bon officier.


Bossuet met par trop de simplicité dans les explications de chaque mot de l’Histoire universelle. On sent trop qu’il écrit pour un enfant. Il ne peut dire : Anachronisme, sans ajouter sur-le-champ : « Cette sorte d’erreur qui fait confondre le temps. »


Je n’ai jamais lu deux Harmonies ou Méditations de Lamartine sans sentir des larmes dans mes yeux. Quand je les lis tout haut, les larmes coulent sur ma joue. — Heureux quand je vois d’autres yeux plus humides encore que les miens !

Larmes saintes ! larmes bienheureuses ! d’adoration, d’admiration et d’amour !


Si quelque chose ne me repoussait, je ferais un hymne à la duchesse de Berry, qui vient, comme une madone.

Son enfant dans ses bras et son lis à la main !

Mais quoi ! faire la cour à une infortune aussi belle, c’est se confondre avec ceux qui se préparent des faveurs pour l’avenir. Je n’ai point d’enthousiasme pour sa cause ; sans quoi, je serais allé combattre et non chanter.


L’élégante simplicité, la réserve des manières polies du grand monde causent non-seulement une aversion profonde aux hommes grossiers de toutes les opinions, mais une haine qui va jusqu’à la soif du sang.


La presse dévorera l’éloquence : elle l’a déjà mangée à demi. — Dans l’antiquité, qui perdait une représentation de Cicéron perdait tout ; aujourd’hui, on se dit :

— Je ne l’ai pas entendu ce matin, qu’importe ! je le lirai demain.


Quelquefois, notre langue a embelli ce qu’elle a touché ; cela est rare, il est vrai. — J’aime mieux Michel-Ange que Michelangelo, et Florence que Firenze.


Le véritable citoyen libre est celui qui ne tient pas au gouvernement et qui n’en tient rien. — Voilà ma pensée et voilà ma vie.


L’amélioration de la classe la plus nombreuse et l’accord entre la capacité prolétaire et l’hérédité propriétaire sont toute la question politique actuelle.


Le Docteur noir, c’est la vie. Ce que la vie a de réel, de triste, de désespérant, doit être représenté par lui et par ses paroles, et toujours le malade doit être supérieur à sa triste raison de tout ce qu’a la poésie de supérieur à la réalité douloureuse qui nous enserre ; mais cette raison selon la vie doit toujours réduire le sentiment au silence, et le silence sera la meilleure critique de la vie.


sujet : l’habeas corpus, le vide des lois (pour la troisième consultation du Docteur noir). — Le Docteur noir rencontre un homme en qui l’orgueil d’être nommé le premier législateur de son temps est devenu une vraie maladie. Il était avocat et avocasse du matin au soir.

Le Docteur lui montre le défaut de toutes les lois en le menant près du lit d’un homme qui meurt en prison, où il a été laissé préventiment neuf mois. Il est reconnu innocent, absous et meurt à l’audience. Dans son agonie, il s’écrie : « Rendez-moi ma santé, mon temps, ma famille, mon bonheur perdu par cette prison. Si je suis innocent, pourquoi donc m’avez-vous tué ? Si je suis innocent, pourquoi ai-je pu être tué sans que vous soyez des assassins ? Si vous êtes des assassins, pourquoi n’y a-t-il pas quelqu’un qui ait le droit de vous mettre en accusation ? »


L’amour physique et seulement physique pardonne toute infidélité. L’amant sait ou croit qu’il ne retrouvera nulle volupté pareille ailleurs, et, tout en gémissant, s’en repaît.


Mais toi, amour de l'àme, amour passionné, tu ne

peux rien pardonner.

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Pour l'homme qui sait voir, il n'y a pas de temps perdu. Ce qui serait désœuvrement pour un autre est observation et réflexion pour lui.

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Le charlatanisme est à son comble. Je ne sais ce qui peut le faire cesser si ce n'est son excès ; j'espère en lui beaucoup.

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LA CONSISTANCE, —— Avoir de la consistance , en France, n'est pas une phrase vaine. Cette expression représente parfaitement l'aplomb et la considération qu'une longue et honorable vie peut donner et que le talent ne donne pas à lui seul.

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LE THÉÂTRE DANS LE JOURNAL. — La passin du monde est de voir. Si les hommes pouvaient tous voir ce que fait chacun, s'ils pouvaient se construire un théâtre assez vaste pour y voir agir les grandeurs et les célébrités, ils seraient heureux et transportés chaque jour. — C’est pour cela qu’ils ont créé le théâtre ; mais le théâtre ne parle que du passé ou ne s’explique sur les événements présents que par des allusions très-détournées. Il a fallu un théâtre de chaque jour où des grands personnages vinssent jouer le matin leur rôle de la veille, ou le soir celui du matin ; où les spectateurs fussent vingt, cent, huit cents, mille à la fois ; où tous les yeux d’un peuple fussent attentifs à la même scène, au même moment, sans que les spectateurs eussent besoin de quitter leur demeure ; ce théâtre a été fait, ce théâtre, c’est un journal. Là viennent jouer tous à la fois les peuples et les rois. Acteurs, observez-vous bien ! tous vos gestes sont remarqués et comptés, le monde a tous ses yeux ouverts sur vous. L’applaudissement est rare et le murmure fréquent. Hâtez-vous surtout de changer de scènes, car en un jour une scène est usée et elle use et dévore votre nom, ou, si ce n’est elle, c’est celle que joue une autre célébrité dans quelque autre coin du globe. Celui qui fait mouvoir chaque jour à son gré ces personnages vivants, celui qui les présente sur son théâtre, dans le sens et sous le jour qui lui plaît, celui qui les grandit ou les rapetisse à son gré, c’est le journaliste ! Ce sera toi demain, si tu veux ! Vois si tu trouves assez vaste cette occupation !

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Ballanche, dans son Essai sur les institutions sociales, dit qu’il ne peut y avoir aucune raison d’écrire la poésie en vers, depuis que les poèmes ne se chantent plus.

Il nomme notre poésie une langue triée, à laquelle on ajoute la rime. Il se trompe. Tout homme qui dit bien ses vers les chante, en quelque sorte.


Le noble et l’ignoble sont les deux noms qui distinguent le mieux, à mes yeux, les deux races d’hommes qui vivent sur terre.

Ce sont réellement deux races qui ne peuvent s’entendre en rien et ne sauraient vivre ensemble.


Les plus effrayés du choléra étaient les plus vieux. — On dirait qu’à force de vivre, ils s’imaginent qu’ils accumulent avec les années des pierres d’un bel édifice, que rien ne peut détruire, et dont il faut avoir bien soin à mesure qu’il vieillit.


31 décembre, minuit. — L’année expire enfin ; cette douloureuse année a soufflé sur nous le choléra et les guerres de toute nature. Tout ce qui m’est cher a été préservé. Étranger à toutes les haines, j’ai été heureux dans toutes mes affections, je n’ai fait de mal à personne, j’ai fait du bien à plusieurs. Puisse ma vie entière s’écouler

ainsi !
1833


L'Histoire universelle de Bossuet, c’est Dieu faisant une partie d'échecs avec les rois et les peuples.

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Clarisse est un ouvrage de stratégie, en quelque sorte. Vingt-quatre volumes employés à décrire le siège d’un cœur et sa prise. C’est digne de Vauban.

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STELLO. — La troisième consultation sera sur les hommes politiques. La quatrième consultation sera sur l’idée de l'amour qui s’épuise à chercher l’éternité de la volupté et de l’émotion.

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Les Aflinités électives que le préfacier de Gœthe critique amèrement. C’est un grand malheur que de porter avec soi dans l’avenir son maladroit critique comme un ballon sa nacelle.

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Plus je vais, plus je m’aperçois que la seule chose essentielle pour les hommes, c’est de tuer le temps. Dans cette vie dont nous chantons la brièveté sur tous les tons, notre plus grand ennemi, c’est le temps, dont nous avons toujours trop. À peine avons-nous un bonheur, ou l’amour, ou la gloire, ou la science, ou l’émotion d’un spectacle, ou celle d’une lecture, qu’il nous faut passer à un autre. Car que faire ? C’est là le grand mot.

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Les rois font des livres à présent, tant ils sentent bien que le pouvoir est là. — Il est vrai qu’ils les font mauvais.

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Les gouvernements regardent la littérature comme une colonne inutile où leur jugement est écrit : ils voudraient l’empêcher de s’élever.

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Bonaparte aimait la puissance et visait à la toute-puissance ; c’était fort bien fait, car elle est un fait et un fait incontestable, facile à prouver, tandis que la beauté d’une œuvre de génie peut toujours se nier.

Gœthe fut ennuyé des questions de tout le monde sur la vérité de Werther. On ne cessait de s’informer à lui de ce qu’il renfermait de vrai. « Il aurait fallu, dit-il, pour satisfaire à cette curiosité, disséquer un ouvrage qui m’avait coûté tant de réllexions et d’efforts incalculables dans la vue de ramener tous les divers éléments à l’unité poétique. » La même chose arriva à Richardson pour Clarisse, à Bernardin de Saint-Pierre pour Paul et Virginie. Quand j’ai publié Stello, la même chose pour madame de Saint-Aignan, dont j’avais inventé la situation dans le dernier drame d’André Chénier ; la même pour Kitty Bell, dont j’ai inventé l’être et le nom. Pour Servitude et Grandeur militaires, mêmes questions sur l’authenticité des trois romans que renferme ce volume. Mais il ne faut pas en vouloir au public, que nous décevons par l’art, de chercher à se reconnaître et à savoir jusqu’à quel point il a tort ou raison de se faire illusion. Le nom des personnages réels ajoute à l’illusion d’optique du théatre et des livres, et la meilleure preuve du succès est la chaleur que met le public à s’informer de la réalité de l’exemple qu’on lui donne.

Pour les poëtes et la postérité, il suffit de savoir que le fait soit beau et probable. — Aussi je réponds sur Laurette et les autres : Cela pourrait avoir été vrai.

——
Sainte-Beuve fait un long article sur moi. Trop préoccupé du Cénacle qu’il avait chanté autrefois, il lui a donné dans ma vie littéraire plus d’importance qu’il n’en eut, dans le temps de ces réunions rares et légères. Sainte Beuve m’aime[9] et m’estime, mais me connaît à peine et s’est trompé en voulant entrer dans les secrets de ma manière de produire. Je conçois tout à coup un plan, je perfectionne longtemps le moule de la statue, je l’oublie
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ALFRED DE VIGNY

et, quand je me mets à l’œuvre après de longs repos, je ne laisse pas refroidir la lave un moment. C’est après de longs intervalles que j’écris, et je reste plusieurs mois de suite occupé de ma vie, sans lire ni écrire. Sur les détails de ma vie, il s’est trompé en beaucoup de points. Jamais je ne comptais sur la popularité d’Éloa et je voulais l’imprimer à vingt exemplaires. En faisant Cinq-Mars, je dis à mes amis : C’est un ouvrage à public. Celui-là fera lire les autres. Je ne me trompais pas. Il ne faut disséquer que les morts. Cette manière de chercher à ouvrir le cerveau d’un vivant est fausse et mauvaise. Dieu seul et le poëte savent comment nait et se forme la pensée. Les hommes ne peuvent ouvrir ce fruit divin et y chercher l’amande. Quand ils veulent le faire, ils la retaillent et la gâtent.

——

Je n’ai compris ce mot s’amuser que comme exprimant le jeu des enfants et des êtres sans pensées. Du moment où l’on pense, qu’est-ce que cela ? Aimer, oui, car l’amour est une inépuisable source de réflexions, profondes comme l’éternité, hautes comme le ciel, vastes comme l’univers.

——

L’ennui est la maladie de la vie. On se fait des barrières pour les sauter.

——

Quand on se sent pris d’amour pour une femme, avant de s’engager, on devrait se dire : « Comment est-elle entourée ? quelle est sa vie ? « Tout le bonheur de l’avenir est appuyé là-dessus.

——

Cinq-Mars, Stello, Servitude et Grandeur militaires (on l’a bien observé) sont, en effet, les chants d’une sorte de poëme épique sur la désillusion ; mais ce ne sera que des choses sociales et fausses que je ferai perdre et que je foulerai aux pieds les illusions ; j’élèverai sur ces débris, sur cette poussière, la sainte beauté de l’enthousiasme, de l’amour, de l’honneur, de la bonté, la miséricordieuse et universelle indulgence qui remet toutes les fautes, et d’autant plus étendue que l’intelligence est plus grande.

——

Les Français ressemblent à des hommes que je vis un jour se battant dans une voiture emportée au galop. — Les partis se querellent et une invincible nécessité les emporte vers une démocratie universelle.

——

Chateaubriand vient de faire une brochure-plaidoirie pour la duchesse de Berry, dans laquelle il esl un peu républicain. Le moindre écrivain républicain ne se croit nullement obligé d’être un peu monarchique. — Marque certaine que le mouvement des esprits est démocratique, puisque le plus ardent monarchiste fait le démocrate.

———

J’ai entendu le concert historique de Fétis. Cet érudit en musique a imaginé de rassembler les monuments musicaux de la France et de les faire exécuter avec les mêmes instruments qu’au seizième siècle. La viole, la basse, l’orgue soutiennent la mélodie simple et grave des chants. Jamais l’art ne m’a enlevé dans une plus pure extase, si ce n’est lorsque, étant malade à Bordeaux, j’écrivais Eloa. Les chants divins qui m’ont ravi surtout sont ceux de Laudi spirituali, cantiques à la Vierge, chantés par les confréries italiennes. Il y avait aussi un air de danse grave, dansé à la cour de Ferrare, au mariage du duc Alphonse d’Este ; air d’une modestie et d’une grâce incomparables. Je voyais passer, en l’entendant ces belles princesses aux yeux baissés et aux longues robes traînantes, se tenant droites et recevant des aveux d’amour avec réserve.

Il y avait un madrigal à cinq voix (par Palestrina), délicieuse composition pleine d’amour et de suavité. Puis un ’’concerto passegiato’’ pour violes, harpe, orgue et théorbe.

— La terre parle avec ces instruments ; avec l’orgue le ciel répond. — Puis enfin la ’’Romanesca’’, air tel qu’un ange en peut inventer pour adorer.

Que j’ai admiré ces médailles de la musique !

———

IDÉE DE POEME. — LA FORNARINA. — O maîtresse de Raphaël, tu le vis s’épuiser dans tes bras.

Qu’as-tu fait, ô femme ! qu’as-tu fait ! Une idée par baiser s’écoulait sur tes lèvres …

Elle s’endort dans les bras de Raphaël après qu’ils sont allés visiter la Campagne de Rome. — Elle rêve que ses idées, tuées par elle, viennent se plaindre ; les idées de Raphaël sont des tableaux sublimes. Les personnages se groupent, puis se détachent en soupirant et reprennent leur vol vers le ciel.

La Fornarina s’éveille, embrasse Raphaël : il était mort.

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C’est une effrayante chose que la facilité avec laquelle les Français affectent la conviction qu’ils n’ont pas, le caractère du voisin jusque dans leurs œuvres les plus
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ALFRED DE VIGNY

élevées. Rien ne montre mieux l’absence de foi et de caractère même.

———

Barbier vient de publier il Pianto. Les délices de Capoue ont amolli son caractère de poésie, et Brizeux a déteint sur lui ses douces couleurs virgiliennes et laquistes dérivant de Sainte-Beuve. — Ils ont mêlé leurs couleurs et leurs eaux ; à peine retrouve-t-on dans ce Pianto quelques vagues du fleuve jaune des lambes. L’eau bleuâtre qui entoure ces vagues est pure et belle, mais ce n’est pas celle du fleuve débordé d’où jaillit la Curée. Brizeux est un esprit fin et analytique qui ne fait pas des vers par inspiration et par instinct, mais parce qu’il a résolu d’exprimer en vers les idées qu’il choisit partout avec soin.

Il a des théories littéraires et les a coulées dans l’esprit de Barbier, qui dès lors, se méfiant de lui-même, s’est parfumé de formes antiques et latines qui étouffent son élan satirique et lyrique.

Barbier et Brizeux devraient ne jamais se voir, malgré leur amitié.

Il arrive à Barbier ce que je lui ai prédit ; on s’écrie : C’est beau, mais c’est autre chose que lui.

———
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JOURNAL D’UN POÈTE

Dans le roman, un homme parfait comme Grandisson ennuie toujours. Dans l’histoire, comme Washington, il parait froid, et, dans la vie, il est froidement aimé. Un homme parfait est aimé comme Dieu, assez froidement. C’est que les passions seules intéressent les hommes, toujours agités par des passions. Les pendules seules se meuvent par des principes ; les hommes font des principes et agissent contre ces principes mêmes.

———

Les anciens étaient ’’naturels’’, ’’vrais’’ dans leurs manières, comme sont encore les Italiens et quelques peuples orientaux. J’ai été ému en relisant l’entrevue d’Alexandre et de Néarque, au retour de celui-ci après son admirable expédition maritime. Le premier événement dans l’histoire de la navigation est ce voyage du golfe Persique à l’Indus. — J’aime les pleurs d’Alexandre recevant Néarque et demeurant longtemps sans pouvoir parler, parce qu’il croit que ses Macédoniens et ses vaisseaux ont péri. — L’homme antique ne faisait jamais de fausse dignité ; il pleurait sans rougir de ses larmes, quelque grand qu’il fût.

Si j’ai le temps, je montrerai cette belle et vraie nature antique sur la scène.

———
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ALFRED DE VIGNY

Mouvement de poésie qui s’élancent malgré moi. O ma muse ! ma muse ! je suis séparé de toi. Séparé par les vivants qui ont des corps et qui font du bruit. Toi, tu n’as pas de corps ; tu es une âme, une belle âme, une déesse.

——

Bonaparte, c’est l’homme ; Napoléon, c’est le rôle. Le premier a une redingote et un chapeau ; le second, une couronne de lauriers et une toge.

——

Le 6 de ce mois de mars, ma mère, ma bonne mère a eu une attaque de paralysie sur tout le côté droit, joue, bras et jambe ; les saignées l’avaient rétablie.

Aujourd’hui, elle a une seconde attaque d’apoplexie que deux saignées suspendent ; mais on ne peut parvenir à dégager le cerveau, qui s’égare et reste perdu peut-être pour toujours. — Elle avait un jeune médecin, M. Magistel ; j’y joins M. Salmade, médecin expérimenté et âgé, pour que sa prudence empêche l’ardeur trop hardie de l’autre.

——

DU 17 AU 18 MARS. — Nuit d’angoisses. Je la passe debout, près du lit de ma mère, — Au jour, son visage était effrayant.

Dans la journée, ma mère me reconnaît. Elle me pénètre de douleur et de reconnaissance en me parlant avec amour ; elle est charmée de me voir près d’elle, je lui fais plus de bien que les médecins, dit-elle. — J’ai réussi avec ma voix à la calmer en lui parlant.

——

19 MARS. ~ Nuit affreuse. — Saignée. Consultation de MM. Salmade, Magistei et Doulile. — Émétique.

Le cerveau est dégagé. Sa vie sauvée.

Depuis ce jour, elle s’affaiblit, puis reprend des forces.

Elle a sa tête et me donne ses clefs. Elle me prie de diriger ses affaires. Heureuse de n’avoir plus à y penser. Elle me dit devant Lydia[10] et le médecin, qu’elle n’a pas fait de testament et ne laisse rien qu’à moi, et à Angélique, sa femme de chambre, une pension qu’elle me prie de lui faire. J’en fais sur-le-champ l’engagement et le remets à Angélique devant elle. — Cela lui donne beaucoup de caime. La nuit est bonne. Je trouve un ordre admirable dans ses papiers ; je les remets devant elle dans son secrétaire, et je ne prends rien de l’argent qu’il renferme ; je veux que, si elle est guérie, elle retrouve tout dans l’état où elle l’a laissé. Je paye toutes les dépenses de sa maison. Quand son sang coule, mon sang souffre ; quand elle parle et se plaint, mon cœur se serre horriblement ; cette raison froide et calme comme celle d’un magistrat, brisée par le coup de massue de l’apoplexie, cette âme forte luttant contre les flots de sang qui l’oppressent, c’est pour moi une agonie comme pour ma pauvre mère, c’est un supplice comparable à la roue.

——

27 MARS. — Jour de ma naissance. Je l’ai passé à écouter et regarder ma mère dans son lit de douleur. Il y a trente-six ans, elle y était pour me donner le jour ; qui sait si elle n’y est pas pour quitter sa vie ?

——

31 MARS AU SOIR. — Ma pauvre mère était douloureusement mieux ce soir. Elle était calme, elle était gaie, ne souffrait pas et s’amusait de la nouvelle du mariage de Mary Runbury. Elle m’a dit : « Quoique je ne sois pas là tout entière, écris-lui que je prends beaucoup de part à son bonheur. »

MÊME ÉTAT. — Ma mère m’a dit : « Je serais bien égoïste de ne pas te laisser prendre mes livres, moi qui ne pourrai plus lire. »

« Il vaudrait mieux pour moi être morte que rester ainsi. » — Pauvre mère, elle me tue avec ces mots-là.

―――

3 Avril. — Un vaisseau cargue toutes ses voiles dans l’orage et se laisse aller au sent. Je fais de même dans les chagrins et les grands événements ; pour ménager les forces de ma tête, je ne lis ni n’écris, et je ne laisse prendre à la vie sur moi que le moins possible.

Malgré tout ce travail de la volonté, la douleur nous saisit au cœur malgré nous et reste là.

―――

La vie de famille attendrit l’homme. Un mameluk est acheté à l’âge de douze ans en Circassie. Il est élevé en soldat, en centaure. Il a des esclaves égyptiennes qui jamais ne lui donnent d’enfants en Égypte ; il n’a ni père ni fils ; il a des compagnons d’armes qu’il ne pleure pas quand ils tombent.

Il est l’homme le plus énergique de la terre.

Quelquefois, j’envie cet homme et je regrette mes

quatorze ans d’armée.
1834


ROMAN MODERNE. — UN HOMME D’HONNEUR. — L’honneur est la seule base de sa conduite et remplace la religion en lui. — Le faire passer sa vie entière par toutes les professions actuelles, dont en même temps son contact fera ressortir les défauts et dont sa conduite fera la satire.

L’honneur le défend de tous les crimes et de toutes les bassesses : c’est sa religion. Le christianisme est mort dans son cœur. À sa mort, il regarde la croix avec respect, accomplit tous ses devoirs de chrétien comme une formule et meurt en silence.

L’ennui est la grande maladie de la vie ; on ne cesse de maudire sa brièveté, et toujours elle est trop longue, puisqu’on n’en sait que faire. Ce serait faire du bien aux hommes que de leur donner la manière de jouir des idées et de jouer avec elles, au lieu de jouer avec les actions qui froissent toujours les autres et nuisent au prochain. Un mandarin ne fait de mal à personne, jouit d’une idée et d’une tasse de thé.

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Le gentleman ou gentilhomme est l’homme d’honneur même qui, par les convenances, est retenu dans les limites de bonne conduite et de bienséance que la religion n’atteindrait pas ; car il y a des choses que ferait un prêtre et que jamais ne pourrait faire un galant homme.

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La Restauration n’était ni redoutée ni aimée. Si elle eût été l’un ou l’autre, elle était sauvée : on ne l’a défendue que par honneur et par acquit de conscience ; on l’eût défendue de manière à la maintenir.

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Je crois, ma foi, que je ne suis qu’une sorte de moraliste épique. C’est bien peu de chose.

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Il est déplorable qu’un poëte comme Lamartine, s’il s’avise d’être député soit forcé de s’occuper des bureaux de tabac que demandent des commettants. Il devrait y avoir des députés abstraits, députés de la France, et d’autres députés des Français.

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Les acteurs sont bien heureux, ils ont une gloire sans responsabilité.

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LE BEAU. — La majorité des publics grossiers, en France, cherche dans les arts l’amusant et jamais le beau. De là les succès de la médiocrité.

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DAPHNÉ. — Prouver qu’une âme contemplative comme celle de Julien, quand elle daigne donner quelques-unes de ses idées à l’action, la domine et l’agrandit ; tandis qu’une âme active comme celle de X… quand elle veut s’élever à la contemplation poétique ou philosophique, ne s’y peut guinder[11]

On a fait des satires gaies ; je veux faire, soit dans des livres comme Stello, soit au théâtre, des satires sombres, tristes et mélancoliques.

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Comme quoi toutes les synthèses sont de magnifiques — sottes.

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Je ne peux plus lire que les livres qui me font travailler. Sur les autres, ma pensée glisse comme une charrue sur du marbre. — J’aime à labourer.

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Si le bonheur n’était qu’une bonne heure ? s’il ne nous était donné que par instants ?

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On dirait que la question religieuse trop débattue a fatigué la tête du monde. Il n’a plus la force d’y penser.

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Si j’étais peintre, je voudrais être un Raphaël noir forme angélique, couleur sombre.

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Dans les temps les plus vicieux de l’histoire, je vois que la majorité est consciencieuse et cherche le vrai et l’honnête.

J’ai rendu gràce à Dieu en mon âme en faisant cette remarque ; j’ai cherché à l’appliquer à tous les temps, en tremblant, et je l’ai trouvée juste avec bonheur.

J’en ferai grand usage et l’appliquerai à notre temps et au passé.

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Le malheur des écrivains est qu’ils s’embarrassent peu de dire vrai, pourvu qu’ils disent. — Il est temps de ne chercher les paroles que dans sa conscience.

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Avec la Maréchale d’Ancre, j’essayai de faire lire une page d’histoire sur le théâtre. Avec Chatterton, j’essaye d’y faire lire une page de philosophie.

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Le tempérament ardent, c’est l’imagination des corps.

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Les hommes d’action s’étourdissent par le mouvement, pour ne pas se fatiguer à achever des idées ébauchées dans leur tête. Doués d’un peu plus de force, ils s’assoiraient ou se coucheraient pour penser.

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Nous nous plaignons qu’il n’y a pas de foi politique en France. Eh ! de quoi nous plaignons-nous ? N’est-ce pas la preuve la meilleure de l’esprit infiniment subtil qui règne dans la nation ? Elle sent le vrai partout, et où il manque, elle dit qu’il n’y a rien. Or aucun parti ne satisfait ses besoins actuels, ni ne leur donne le moindre espoir éloigné. Il n’y a de foi polilique en un gouvernement que dans les esprits bornés.

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Plus le cerveau est intérieurement occupé, plus la face est immobile. La demi-occupation, l’élan, le sentiment se peignent seuls sur la figure. Le travail intérieur absorbe les forces au dedans et pâlit le front et les joues.

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J’aime peu la comédie, qui tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie. Il est plus philosophique de faire conclure pour l’idée dominante du livre, sans effort et par la présence et l’action simple et naturelle des personnages.

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Consolons-nous de tout par la pensée que nous jouissons de notre pensée même, et que cette jouissance, rien ne peut nous la ravir.
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La contemplation du malheur même donne une jouissance intérieure à l’âme, qui lui vient de son travail sur l’idée du malheur.

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Dans l'état actuel des théâtres, et tel qu’est le public, j’ai peu d’estime pour une pièce qui réussit, c’est signe de médiocrité ; il faut au public quelque chose d’un peu grossier ; Henry Monnier était un acteur trop fin pour le parterre, Ingres est trop pur de dessin, Decamps trop original, Delacroix trop coloriste. — Je me méfie aussi d’un livre qui réussirait sur-le-champ et sans un an au moins d’intervalle, pour que l’élite puisse y convertir la masse idiote.

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La terre est révoltée des injustices de la création ; elle dissimule par frayeur de l'éternité ; mais elle s’indigne en secret contre le Dieu qui a créé le mal et la mort. Quand un contempteur des dieux paraît, comme Ajax, fils d’Oïlée, le monde l’adopte et l’aime ; tel est Satan, tels sont Oreste et don Juan.

Tous ceux qui luttèrent contre le ciel injuste ont eu l’admiration et l’amour secret des hommes.

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Le christianisme est un caméléon éternel. — Il se transforme sans cesse.

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Il n’y a pas un homme qui ait le droit de mépriser les hommes.

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Je n’ai pas rencontré un homme avec lequel il n’y eût quelque chose à apprendre.

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Il n’y a jamais eu ni ordre ni liberté nulle part, et jamais on n’a cessé de désirer l’un ou l’autre.

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La vérité sur la vie, c’est le désespoir. La religion du Christ est une religion de désespoir, puisqu’il désespère de la vie et n’espère qu’en l’éternité.

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PASSION. — O mystérieuse ressemblance des mots !

Oui, amour, tu es une passion, mais passion d’un martyr, passion comme celle du Christ.

Passion couronnée d’épines où nulle pointe ne manque.

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La religion de l’honneur a son dieu toujours présent dans notre cœur.

D’où vient qu’un homme qui n’est plus chrétien ne fait pas un vol qui serait inconnu ? L'honneur invisible l’arrête.

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Les masses vont en avant comme les troupeaux d’aveugles en Égypte, frappant indifféremment de leurs bâtons imbéciles ceux qui les repoussent, ceux qui les détournent et ceux qui les devancent sur le grand chemin.

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Je ne sais pas si l’apprêt qu’il exige n’est pas un des germes de mort de l’amour.

Cette nécessité d’être toujours sous les armes finit par faiiguer l’un et l’autre amoureux. La presse est une bouche forcée d’être toujours ouverte et de parler toujours. De là vient qu’elle dit mille fois plus qu’elle n’a à dire, et qu’elle divague souvent et extravague.
Il en serait ainsi d’un orateur, fût-ce Démosthène, forcé de parler sans interruption toute l’année.

1835



L’honneur, c’est la poésie du devoir.

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Quand vint la révolution de Juillet, le soldat était mort en moi depuis quatre ans ; il ne restait que l’écrivain, regardant si la liberté serait tuée ou sauvée.

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Le seul gouvernement dont, à présent, l’idée ne me soit pas intolérable, c’est celui d’une république dont la con stitution serait pareille à celle des États-Unis américains.

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Le moins mauvais gouvernement est celui qui se montre le moins, que l’on sent le moins et que l’on paye le moins cher.

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Une des choses qui m’ont le plus touché dans les Mémoires de Sainte-Hélène, c'est que ce pauvre Napoléon ne pouvait pas obtenir un exemplaire de Polybe, pour y lire des instructions imaginaires sur la guerre qu’il n’aurait plus jamais le plaisir de faire.
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Las des compositions trop tortillées, je viens d’en faire une de celles dont on peut dire : C’est une idée — comme de Chatterton. — Il n’y a rien de compliqué — c’est tout simple. Un caractère développé et voilà tout ; je ne sais pas comment on jugera d’abord le capitaine Renaud ; mais je suis sûr que, plus tard, si ce n’est dès à présent, on sentira qu’il représente le caractère de l’officier éclairé actuel, comme il doit être.

Je l’ai écrit du 22 juillet au 11 août 1835.

Je ne sais pourquoi j’écris. — La gloire après la mort ne se sent probablement pas ; dans la vie, elle se sent bien peu. L’argent ? Les livres faits avec recueillement n’en donnent pas. — Mais je sens en moi le besoin de dire à la société les idées que j’ai en moi et qui veulent sortir.

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IL n’y a que le mal qui soit pur et sans mélange de bien. Le bien est toujours mêlé de mal. L’extrême bien fait mal. L’extrême mal ne fait pas de bien. J’aime l'humanité. J’ai pitié d’elle. La nature est pour moi une décoration dont la durée est insolente, et sur laquelle est jetée cette passagère et sublime marionnette appelée l’homme[12].
L’Angleterre a cela de bon qu’on y sent partout la main de l’homme.
Tant mieux. Partout ailleurs, la nature stupide nous insulte assez.

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L’indépendance fut toujours mon désir et la dépendance ma destinée.

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Le cœur a la forme d’une urne. C’est un vase sacré tout rempli de secrets.

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Le mot de la langue le plus difficile à prononcer et à placer convenablement, c’est moi.

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Notre littérature ne jette souvent que des cris de malade, comme Volupté, Dernières Paroles, etc., etc.

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L’autre jour, je montai à Montmartre.

Ce qui m’attrista le plus fut le silence de Paris quand on le contemple d’en haut. Cette grande ville, cette immense cité ne fait donc aucun bruit, et que de choses s’y disent ! que de cris s’y poussent ! que de plaintes au ciel ! Et l’amas de pierres semble muet.

Un peu plus haut, que serait cette ville, que serait cette terre ? Que sommes-nous pour Dieu ?

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Je pense qu’il y a des cas où la dissipation est coupable. Il est mal et lâche de chercher à se distraire d’une noble douleur pour ne pas souffrir autant. Il faut y réfléchir et s’enferrer courageusement dans cette épée.

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DAPHNÉ. — Julien commence un poëme ; dans les intervalles, il dirige le monde et gagne des batailles. Il donne le poëme à un de ses amis, Libanius, en mourant.

Un vers lui coûte plus que le plan d’une bataille.

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Il m’est arrivé ce mois-ci trois choses heureuses : Emile Péhant, placé à Vienne comme professeur de rhétorique. — Sauvé. Chevalier, marié par amour, et heureux.

Léon de Wailly a hérité de cinq cent mille francs, dit-on.

Que les autres soient heureux au moins, leur vue me fait du bien.

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Bonaparte et tous les aventuriers ont posé le pied sur les événements qui les menaçaient, comme le toréador sur le front du taureau. En relevant la tête, le taureau le jette sur son dos. — Il s’y assied.

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Aucun siècle passé n’est regrettable pour le nôtre. — Cela ressort de toute vue de l’histoire.

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La beauté souveraine n’est-elle pas cachée, toute formée, derrière quelque voile que nous soulevons rarement et où elle se retrouve. Inventer, n'est-ce pas trouver? INVENIRE.

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Voici mes amis qui succombent à une faiblesse d’un moment, et qui consentent à lire leurs poëmes dans des salons.

L’un Hamlet, l’autre Macbeth, traduits ; l’autre des vers satiriques. Ils vont s’user dans ce frottement, perdre leur caractère et s’arrondir comme des cailloux.

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J’ai remarqué que l’habitude de voir le défaut de chaque œuvre tourne à l’accroissement de l’ennui. Pour accroître le plaisir, je m’amuse à présent à faire le contraire. Il est facile de supposer un sens caché à la plus mauvaise œuvre, et, en suivant cette idée que n’a pas eue l’auteur, de s’en faire pour son usage une œuvre sublime. — Cette opération, on ne cesse de la faire sur les morts ; je veux m’amuser à la faire sur les vivants. J’ai commencé cela hier à la Porte-Saint-Martin, sur le Monomane.

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Ce qui manque aux lettres, c’est la sincérité.
Après avoir vu clairement que le travail des livres et la recherche de l’expression nous conduit tous au paradoxe, j’ai résolu de ne sacrifier jamais qu’à la conviction et à la vérité, afin que cet élément de sincérité complète et profonde dominât dans mes livres et leur donnât le caractère sacré que doit donner la présence divine du vrai, ce caractère qui fait venir des larmes sur le bord de nos yeux lorsqu’un enfant nous atteste ce qu’il a vu. — C’est d’après cette pensée que, dans la nuit du 29 au 30 juin, je me laissai aller au besoin de dire au public, comme à un ami, ce que je venais de faire pour lui[13]. — J’étais encore tout ému de l’enthousiasme fiévreux du travail et je ne pouvais m’empêcher de dépasser la barrière du dernier mot du drame. Le moule était plein et il me restait encore de la matière à employer.

À présent, au moment de l’imprimer et relisant à froid ces pages, j’ai été tenté de les brûler comme j’ai fait souvent de beaucoup de mes œuvres. Je pensai que cet enivrement paraîtrait sans doute ridicule, présenté à des lecteurs distraits ; mais aussi je songeai à ceux qui se pénètrent plus profondément des émotions qui naissent d’une œuvre sérieuse, et il me sembla que je leur devais un compte fidèle du travail que je venais de faire, et qu’il fallait les faire remonter jusqu’à la source même des idées dont ils avaient suivi le cours.

C’est pour cela que, m’attendant bien à paraître extraordinaire, j’ai voulu passer par-dessus ce qu’il y a de puéril ou d’exagéré dans l’inspiration aux yeux des gens froids.


Il est certain que la création est une œuvre manquée ou

à demi accomplie, et marchant vers sa perfection à grand’peine.
Dans les deux cas, soyons humbles et incertains.
Il n’y a de sûr que notre ignorance et notre abandon — peut-être éternel ! …

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Un acteur prend un drame comme une robe, le revèt, le chiffonne et le jette pour en mettre un autre. Mais cette robe dure plus que lui.

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Toujours en conversation avec moi-même, je me parle de choses dont les hommes ne se parlent que rarement entre eux ; et c’est une ciiose de jour en jour plus pénible pour moi que de répondre à ceux qui me parlent sur des futilités.
Je pourrais dire à presque tout le monde : « Je voudrais être seul dans ce moment pour écrire ce que je pense tan- dis que vous me parlez. »
La vue des hommes m’irrite à des pensées intérieures, contraires souvent à celles que je dis, et faites pour être tennes en réserve pour un temps meilleur, parce que je sais qu’elles amèneraient de trop longues explications qui me fatigueraient la poitrine. Je me tais et je deviens distrait. D’autres fois, je parle d’autre chose avec une longue digression et sans plaisir. Les attentifs ou ceux qui m’aiment peuvent deviner aisément que la crainte de perdre une autre idée meilleure m’interrompt quelquefois et me fait dire des paroles oiseuses.

ÉLÉVATION. — Dieu voit avec orgueil un jeune homme illustre sur la terre.

Or ce jeune homme était très-malheureux et se tua avec une épée. Lorsque son âme parut devant Dieu, Dieu lui dit : « Qu’as-tu fait ? pourquoi as-tu détruit ton corps ? » L’âme répondit : « C’est pour t’affliger et te punir. Car pourquoi m’avez-vous créé malheureux ? Et pourquoi avez-vous créé le mal de l’âme, le péché, et le mal du corps, la souffrance ? Fallait-il vous donner plus longtemps le spectacle de mes douleurs ? » Sous ce titre : Élévation, Alfred de Vigny a plus d’une fois jeté çà et là dans ses notes des pensées, des projets de poèmes dont l'Élévation, on le voit, consistait moins dans l’orthodoxie que dans la hauteur philosophique de la méditation. L. R.

L’ennui est la maladie de la vie. Pour la guérir, il suffit de peu de chose : aimer, ou vouloir. — C’est ce qui manque le plus généralement. Et cependant il suffirait d’aimer quelque chose, n’importe quoi, ou de vouloir avec suite un événement quelconque, pour être en goût de vivre et s’y maintenir quelques années.

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Je remarque aux répétitions qu’il y a tel acteur qu’il faut laisser aller dans le moment où il est. — En lui voulant donner une nuance, il en fait une couleur, et, étalant cette teinte nouvelle, il change le ton général de l’ouvrage[14].
1836



Avoir une tête sérieuse où chacun vient verser des sottises chaque jour par les deux oreilles, quel supplice !


DAPHNÉ. — Julien prend la résolution de se faire tuer en Perse quand il est certain qu’il a été plus avant que les masses stupides et grossières ne pouvaient aller. — Il sent qu’il est un fardeau et s’est trompé en croyant pouvoir élever la multitude à la hauteur de Daphné.

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Les jeunes auteurs prennent des sujets plus forts que leurs pensées et leur style. Le cheval jette à terre le cavalier.

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UNE FABLE. — Un houmme est condamné à mort après

un crime, un assassinat. — un an s’écoule entre la condamnation et l’exécution. Échappé à l’étranger et grandi dans sa vie. Dans cet intervalle, il devient illustre et vertueux. — Le jour arrive, on l’arrête, on l’exécute. La loi le tue en santé, lui donne la mort en pleine vie, la honte en pleine gloire. Donc, les juges condamnent un scélérat ; mais le bourreau tue un homme régénéré, moral et chrétien.

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Les criminalisles de tous les temps ont déclaré que la vengeance n’était pas le but de la loi pénale, qui, dans sa rigueur, ne se propose que de prévenir le retour du mal : tel est l’esprit chrétien. Si tel est l’esprit chrétien sur la terre, pourquoi a-t-il un autre esprit pour le ciel, en fondant les peines éternelles qui ne sont qu’une éternelle vengeance ?

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Ce matin, j’ai trouvé M. Magistel, jeune médecin, étudiant chez lui un cerveau dans un crâne sur une table. J’ai passé deux heures avec lui à examiner cela. Les bosses extérieures du crâne sont représentées à l’intérieur par autant de cavités égales, les veines même sont sillonnées intérieurement. — L’énorme quantité de cervelle que nous avons, fait notre empire sur les animaux. Le lion, l’éléphant même n’en ont pas la moitié. La cervelle, divisée en quatre parties peu distinctes, est un amas de graisse sillonnée de lignes rouges et semblable à une éponge. Ses cavités sont nombreuses ; il les a ouvertes devant moi. — Il m’a semblé plus que jamais qu’une seule formation préside à toute chose et que la tête humaine est une boule semblable à la terre. Nos os sont les rochers ; nos chairs, le sol gras et humide ; nos veines, les fleuves et les mers ; nos cheveux, les forêts. Je n’ai éprouvé aucune horreur à cette vue, mais seulement une vive curiosité et une admiration religieuse pour ce perpétuel miracle de la vie.

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LA TRAGÉDIE FRANÇAISE. — Le genre bâtard, c’était la tragédie faux antique de Racine. Le drame est vrai, puisque, dans une action tantôt comique, tantôt tragique, suivant les caractères, il finit avec tristesse comme la vie des hommes puissants de caractère, énergiques de passion. Le drame n’a été appelé bâtard que parce qu’il n’est ni comédie ni tragédie, ni Démocrite rieur, ni Heraclite pleureur. Mais les vivants sont ainsi. Qui rit toujours, ou toujours pleure ? Je n’en connais pas, pour ma part. En tout cas, comme Henri de Transtamare, le bâtard a roulé par terre le légitime et l’a poignardé.

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DAPHNÉ. — Diviniser la conscience.

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Je ne fais pas un livre, il se fait. Il mûrit et croit dans ma tête comme un fruit. Dittmer vient me voir. Causé de Servitude et Grandeur militaires. Il pense, comme moi, que l’honneur est la conscience exaltée, et que c’est la seule religion vivante aujourd’hui dans les cœurs mâles et sincères. Mon opinion porte ses fruits.

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MINUIT, APRÈS LA LECTURE DE JOCELYN. — J’ai lu, j’ai pleuré, j’aime dans ce livre tout ce qui est hymne — prière ou méditation. Tout cela est beau et grand. L’adoration dans le temple, les rêveries de Jocelyn près de Laurence avant qu’il soit reconnu pour femme, l’admiration qu’il a pour cet angélique enfant, tout cela est adorable. Là surtout est le caractère délicieux et fécond du beau talent de Lamartine, inépuisable dans tout ce qui est sentiment, amour de belle nature et description d’une beauté.

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On ne peut répandre son âme dans une autre âme que jusqu’à une certaine hauteur. Là, elle vous repousse et ous rejette au dehors, écrasée de cete influence souveraine et trop pesante.

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DAPHNÉ. — Julien pousse l’idée chrétienne jusqu’au dépérissement de l’espèce et à l’anéantissement de la vitalité dans l’Empire et dans les individus.
Arrivé à ce point, il s’arrête épouvanté et entreprend de rendre sa vigueur à l’homme romain et à l’Empire.
Voilà comme il faut l’envisager.

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Comment ne pas éprouver le besoin d’aimer ? Qui n’a senti manquer la terre sous ses pieds sitôt que l’amour semble menacer de se rompre ?

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L’amour est une bonté sublime.
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Le travail est un oubli, mais un oubli actif qui convient à une âme forte.

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Aimer, inventer, admirer, voilà ma vie.
1837


4 DÉCEMBRE 1837. — Ce matin, la messe funèbre de Berlioz pour l’enterrement du général Damrémont. L’aspect de l’église était beau ; au fond, sous la coupole, trois longs rayons tombaient sur le catafalque préparé et faisaient resplendir les lustres de cristal d’une singulière lumière. — Tous les drapeaux pris sur l’ennemi étaient rangés au haut de l’église et pendaient, tout percés de balles. La musique était belle et bizarre, sauvage, convulsive et douloureuse. Berlioz commence une harmonie et la coupe en deux par des dissonances imprévues qu’il a calculées exprès.

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Le 7 décembre, à cinq heures du soir, est mort Alfred Johannot. J’ai appris hier sa mort de Gigoux, qui avait passé la nuit chez lui avec Tony Johannot, pour peindre la tête morte d’Alfred Johannot. Il y avait dix ans que nous disions : « Il ne vivra pas trois mois. » Il toussait toujours et crachait le sang. — Avant sa maladie, il n’était que graveur ; depuis son attaque à la poitrine, il était devenu peintre de premier ordre. On eût dit que les souffrances avaient développé en lui l’intelligence et l’avaient élevé plus haut et porté plus près du beau idéal.

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J’ai beaucoup connu le général Danrémont ; c’était un homme assez gras, d’un visage doux et affectueux, calme et froid de manières, parlant doucement et lentement. Il s’était attaché à donner aux fermes résolutions de son caractère l’enveloppe la plus polie. Il était animé dans sa conduite publique par l’àme chaleureuse de sa femme, mademoiselle Baraguey d’Hilliers, — femme assez grande de taille, avec des yeux noirs et brillants comme ceux des Arabes, qu’elle est allée voir ; énergique, courageuse, très-sensible. Elle est partie pour Alger avec ses deux enfants. Là, elle a appris la mort de son mari ; c’est un affreux malheur, mais le plus beau malheur possible. — Son père, le général des dragons de la République et de l’Empire, mourut aussi d’un coup de feu. Le général Damrémont est mort précisément comme Turenne, en visitant les batteries la veille d’une bataille.

7 DÉCEMBRE. — Ce matin, on m’annonce M. de Jennison, l’ambassadeur de Bavière, comme je me levais à midi, ayant passé la nuit à écrire.

Il m’attend dans mon salon, et, peu après que j’y suis entré, aborde la question qui l’amène et que depuis longtemps il méditait peut-être :

— Je viens de Bavière ; j’y suis allé à la hâte, près de ma mère qui était malade ; elle est sauvée.

Je lui réponds par l’histoire de la mienne, qui est chez moi guérie, heureuse, choyée, à quatre-vingts ans.

— Voulez-vous me rendre un service ?

— De tout mon cœur, s’il s’agit de vous être agréable personnellement.

— Le roi de Bavière a un fils de vingt-six ans, son héritier. Le prince royal de Bavière désirerait entrer en correspondance avec vous. Lui répondriez-vous, s’il le faisait ?

Je me suis tù un moment et lui ai dit :

— Ce que vous me demandez est, je puis le dire, un service véritable, car il faudrait que chaque journée eût quarante-huit heures, et le temps me manquera. Cependant, si vous voulez me donner une assurance importante, j’y consentirai ; cette assurance est que ni dans le présent ni dans l’avenir le prince ne se croira obligé de m’en témoigner sa gratitude par autre chose qu’une lettre de lui. Sans cela, ce serait un traité, un marché.

Il m’a interrompu vivement, en me serrant les mains. — Oui, c’est un service, et il en sera vivement touché ; mais avec vous on sait que de tels services sont sans prix, et il ne vous en offre d’autre que son amitié. — Prenez garde, ai-je ajouté, que rien n’est ferme et persévérant comme mon caractère ; ne vous fiez pas à ma douceur de voix. Rien n’est entêté comme une colombe. J’en ai connu une qu’il aurait fallu tuer pour la chasser de mon lit ; je l’y ai laissée, elle a gagné son procès. Tout ce qui me fera ici passer par-dessus la lassitude de parler de choses sur lesquelles je suis blasé, ce sera le plaisir de penser un jour, dans ma vieillesse (si j’ai une vieillesse, chose douteuse), qu’un jeune roi me devra quelques idées justes sur la France et sur son esprit. — Donc, tout étant bien pur, bien désintéressé, regardant cette correspondance comme l’élan de deux âmes qui oublient qu’elles sont dans le corps d’un prince royal et d’un poëte, je vous le répète, j’accepterai.

Autre question :

— Est-ce de vous qu’est venue cette idée de mettre votre jeune prince en correspondance avec moi ?

— Non ; lui-même y a pensé le premier après avoir lu vos ouvrages, ainsi que le roi son père.

— Avait-il pensé à écrire à quelque autre avant ou en même temps ?

— À personne.

— Je consens à répondre, mais répondre seulement ; qu’il m’écrive d’abord ; vous savez qu’en Angleterre, la terre classique de l’étiquette, le plus haut placé met sa carte le premier chez l’autre. — Le prince fera tout ce que vous voudrez et tout ce qu’il pourra pour acquérir un ami comme vous et former son âme sur la vôtre. D’où vient que l’idée n’est pas venue plutôt à ce jeune homme d’écrire à un des quarante académiciens ?[15]

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Le soir : J’ai lu toute la soirée à ma mère l’histoire de Port-Royal, de Sainte-Beuve. Elle l’a écoutée avec un plaisir extrême et un esprit plus remis et plus net que jamais depuis quatre ans.

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Une famille troublée par le danger subit d’un malade n’a pas le temps de sentir d’abord sa douleur tout entière, parce qu’elle court et s’agite comme l’équipage d’un navire en danger ; mais c’est après la mort qu’un étonnement

profond la saisit et une indicible stupeur de voir l’absence de la vie et du mouvement.

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VENDREDI 22 DÉCEMBRE. — Après avoir prié sur le cercueil de ma pauvre mère. Mon Dieu ! mon Dieu ! avez-vous daigné connaître mon cœur et ma vie ? mon Dieu ! m’avez-vous éprouvé à dessein ? Aviez-vous réservé la fin de ma pauvre et noble mère comme un spectacle pour me rendre à vous plus entièrement ? Avez-vous donc permis que la mort attendît mon retour ? Son âme, sa belle âme, avait-elle encore assez de force pour s’arrêter et m’attendre ?

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MARDI SOIR… — Aurai-je la force de l’écrire ? Encore cela, ô mon Dieu ! afin que, si j’ai le malheur de vivre et de vieillir, la faiblesse humaine ne me fasse jamais oublier cette nuit fatale et sombre, mais où quelques signes consolants et divins me sont apparus ! Mon Dieu ! je me jette à genoux, à présent, je parle à vos pieds, je m’abreuve de ma douleur, je m’y plonge tout entier, je veux me remplir d’elle uniquement et repasser dans mon âme tous les instants de cette perte de ma mère.

Paisible tout le jour et gaie, elle a embrassé, en jouant avec eux, Henry, fils de mon beau-père, et m’a dit qu’il ressemblait à une petite fille ; elle parlait avec gaieté de Noël, Christmas, et du jour de l’an, disant qu’elle me voulait à dîner, ce jour-là, avec elle et que je ne devrais accepter aucune invitation. À dîner, gaie et douce, elle m’embrasse, toute prête à se coucher. Moi, je sors pour lui chercher quelques petits cadeaux pour le jour de l’an. Je rentre à minuit, elle m’entend passer et m’appelle. J’y vais, elle se plaint d’avoir trop chaud, puis trop froid. « Je souffre partout, disait-elle, mais pas plus dans une partie du corps que dans l’autre. » Je lui couvre les pieds de son édredon et je lui offre d’éveiller Cécilia, sa demoiselle de compagnie. « Non, je ne veux réveiller personne,» me dit-elle. Je ne l’écoute pas, alarmé de la faiblesse de son pouls. Lydia se lève et court à elle avec sa chaleur ordinaire et son cœur de fille dévouée. Toutes deux la pressent de questions, — Je ne sais pas ce que j’ai ! — Une heure vient dans cette incertitude. Elle était fâchée sérieusement contre moi de mes questions et de mon importunité d’avoir éveillé tout le monde. Je monte faire lever encore deux personnes ; Julie et son mari allument le feu, préparent les bains de pieds. Elle disait encore n’avoir besoin de rien. On me priait de me coucher et de ne pas revenir. J’allais m’y rendre, quand de nouvelles plaintes de ma mère, petits gémissements sourds, qui lui étaient familiers pourtant, me décident à aller chercher moi-même le médecin. Un quart d’heure me suffit pour le faire lever, habiller, revenir avec moi et mon portier. Il monte et entend ma mère dire très-haut que ce n’est rien ; que, demain, elle sera mieux. « Voilà, me dit-il, une voix forte qui annonce une bonne santé. » Il entre, il était environ deux heures. Il lui tâte le pouls et dit de préparer bains de pieds et sinapismes, écrit une ordonnance de looch avec lenteur, me soutient que son oppression vient d’une affection catarrhale, essaye de me tromper en me parlant dans une autre chambre. Hélas ! mon Dieu ! c’était l’agonie. Je cours à elle, je lui prends la main et lui baise le bras droit. Elle pensait au médecin, qui l’importunait de questions, et disait : « Je ne veux pas le voir ! » Un peu après, pendant que je retournais le chercher dans la salle à manger, elle se penche vers Cécilia et lui dit : « Ah ! ma petite ! la tête me tourne ; nous ne nous promènerons pas demain. Mon fils ! où est mon fils ? » J’accours ; elle était assise sur son lit, je lui baise le front, je la tiens dans mon bras gauche, je serre sa main froide dans ma main droite en lui criant : « Maman ! maman ! chère maman, un mot à ton Alfred, ton fils, qui t’aime, qui t’a toujours adorée ! » Elle me serre la main et laisse tomber sa tête sur sa poitrine. La vie avait cessé. — Je continuais de l’appeler, l’éther que je tenais sous ses narines était inutile. Tout était fini. Je ne sais qui m’a soulevé, j’étais à genoux près de son lit. Avez-vous reçu dans votre sein cette âme vertueuse, ô mon Dieu ? Soutenez-moi dans cet espoir, que ce ne soit pas un passager désir, qu’il devienne une foi fervente ! Depuis quatre ans, j’avais reçu ses continuelles tendresses et des adieux intérieurement destinés à moi, mais qu’elle n’osait exprimer pour ne pas trop s’attendrir. Là sont mes consolations secrètes. Ses mots échappés nourrissent mon amour pour elle et apaisent un peu ma douleur ; mais pourquoi ne plus entendre sa voix ? Le 9 de ce mois, un samedi, selon ma coutume, j’avais fait porter chez elle mon déjeuner ; elle était riante et assise dans son fauteuil favori, les pieds sur son tabouret, me regardant avec son air bienheureux. Elle se mit à dire des vers en cherchant un vieil air et répéta quatre fois ces vers que j’écrivis, les larmes aux yeux :

Une humble chaumière isolée
Cachait l’innocence et la paix.
Là vivait, c’est en Angleterre,
Une mère dont le désir
Était de laisser sur la terre
Sa fille heureuse, et puis mourir

. « De qui est donc ceci, maman ? lui dis-je, — De Jean-Jacques, me dit-elle. Sa fille heureuse, et puis mourir ! entends-tu ?» — Je me sauvai, sentant que je pleurais trop.
———

Mais, mon Dieu ! n’est-ce pas un bienfait de votre main, qu’après une tendresse si grande que la mienne, je n’aie pas eu la douleur de la voir périr il y a quatre ans, et que j’aie joui de sa voix et de sa vue pendant si longtemps ? que jaie pu l’amener à s’apaiser dans les irritations violentes de sa maladie, à reconnaître qu’elle était heureuse et vénérée, adorée et divertie de ses ennuis par des soins et des caresses sans fin ? à se plaire à la vue des tableaux et en écoutant la belle musique ? Est-ce pour qu’elle s’éteignît ainsi plus doucement, que vous avez permis qu’elle allât s’affaissant par degrés jusqu’à la fin et qu’elle conservât toujours cette sublime sérénité, et ce repos pur et profond ? — Je cherche inutilement des consolations dans cette assurance qu’elle devait finir manquant de la force de vivre, qu’elle n’a pas souffert et qu’elle a entendu mes paroles et y a répondu par son adieu. Donnez-moi, ô mon Dieu ! la certitude qu’elle m’entend et qu’elle sait ma douleur ; qu’elle est dans le repos bienheureux des anges et que par vous, à sa prière, je puis être pardonné de mes fautes.

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D’où vient, hélas ! qu’après cette profonde ardeur de mes prières, plus paisible que je ne l’étais, je reviens dans ma maison déserte avec plus de force pour contenir mes larmes ? Mais d’où vient aussi que mon cœur toujours serré me porte à la chercher sans cesse autour de moi, et que je me dis avec une terreur sans bornes : « Je ne l’ai plus ! je ne l’ai plus ! » Sommes-nous donc si faibles, que nos plus saintes prières ne puissent nous rien ôter des tendresses du sang et des nœuds de famille ? Quand vous les rompez pour toujours, pourquoi ne nous pas donner la force de croire qu’ils seront retrouvés, et de le croire sans hésiter ? …

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Derniers moments ! Agonie ! Derniers moments, vous ne sortirez jamais de ma mémoire. Je veux plonger cette nuit dans mes plus cruels souvenirs. Si j’ai fait quelque faute, que ce soit mon expiation. J’y trouve un amer bon heur et je veux ainsi me flageller. — Je serai cruel, cruel à moi-même, mon Dieu ! cruel et sans pitié : dût mon cœur se fendre et me faire mourir ! Il y a vingt ans, mon père mourut aussi ; j’étais près de son lit ; ses blessures, ses infirmités, l’âge aussi (de soixante-quatorze ans), après un faible rhume, le faisaient mourir. Il me tendit la main courageusement. Il avait sa raison entière et dit au médecin : « N’est-ce pas le râle, monsieur ? » — Il ne se trompait pas. — « Mon enfant, me dit -il, — j’avais dix-sept ans — je ne veux point faire de phrases, mais je sens que je vais mourir ; c’est une vieille machine qui se détraque. Rends ta mère heureuse, et garde toujours ceci. » C’était le portrait de ma mère fait par elle-même ; je l’ai encore, placé sur sa tabatière. J’ai obéi et je l’ai rendue heureuse. Cela est écrit dans ma conscience et je l’écris devant tous et devant Dieu. Lorsqu’elle grondait, c’était la maladie qui parlait par sa bouche ; je m’en allais, de peur de répondre. Mon père, couvert de blessures, était courbé en marchant. L’horrible douleur de l’agonie le redressa violemment: il mourut droit, sans se plaindre, héroïquement. J’étais trop jeune pour supporter cette vue ; je m’évanouis. À présent, j’ai plus vécu, j’ai vu mourir. J’ai pu soutenir ma mère ; mais ma douleur est plus profonde et plus grave, son acier me pénètre bien plus avant. M. de Saint-Chamans, chevalier de Malte, vieil ami de ma famille et de ma mère, est venu me voir et j’ai longtemps parlé avec lui hier, tout le soir. Une sorte de fierté me donne des forces et me fait relever la tête. Dans ces quatre années d’épreuves qui viennent de se passer, ma vie était entravée de difficultés sans nombre et tout se réunissait contre moi pour me faire résoudre à me séparer de ma mère. Il me fut souvent conseillé de l’envoyer dans une maison de santé ; je refusai, je la logeai chez moi. Ce qu’il m’a fallu de combinaisons pour consoler les femmes qui la servaient et que sa maladie lui faisait maltraiter, pour empêcher que les dépenses qu’elle causait ne fussent senties et ne vinssent nuire au bien-être de la famille, était d’une telle difficulté, exigeait tant d’efforts de patience, que je me suis vu plusieurs fois sur le point d’y succomber. Quatre fois, j’en ai été malade, et la fièvre m’a pris après trop d’efforts pour retenir les émotions douloureuses que cette vie me causait. J’aurais mieux aimé me faire soldat que d’emprunter le moindre argent à mes plus proches parents ; et presque tout ce que m’ont donné mes travaux : Chatterton, Servitude et Grandeur, mes œuvres complètes, a servi à payer les dettes que des dépenses, toujours au delà de mon revenu réuni au sien, m’avaient fait contracter. Le travail est beau et noble. Il donne une fierté et une confiance en soi que ne peut donner la richesse héréditaire. Bénis soient donc les malheurs d’autrefois, qui ôtèrent à mon père et à mon grand-père leurs grands châteaux de la Beauce, puisqu’ils m’ont fait connaître cette joie du salaire d’ouvrier qu’on apporte à sa mère, en secret et sans qu’elle le sache.

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27 DÉCEMBRE. — La douleur n’est pas une. Elle se compose d’un grand nombre d’idées qui nous assiègent et qui nous sont apportées par le sentiment ou par la mémoire. Il faut les séparer, marcher droit à chacune d’elles, la prendre corps à corps, la presser jusqu’à ce qu’elle soit bien familière, l’étouffer ainsi ou du moins l’engourdir et la rendre inoffensive comme un serpent familier. Les souvenirs aujourd’hui m’attaquent et me serrent le cœur. Tout les fait naître. Le bruit de la pendule noire de ma mère me rappelle le temps où elle fut achetée. Mon père l’aimait beaucoup. Il la choisit lui-même chez Tarault et l’envoya rue du Marché-d’Aguesseau, où nous demeurions. Elle marqua les heures de mon éducation. Sur ses quantièmes, ma bonne mère, bien belle alors, m’apprit les mois de la République et ceux du calendrier actuel. Les premiers me furent plus faciles et j’aimais les beaux noms de fructidor, thermidor et messidor. Devant cette pendule s’asseyait mon père, ses pieds sur les chenets, un livre sur ses genoux, moi à ses pieds, assis sur un tabouret. Il racontait jusque bien avant dans la nuit des histoires de famille, de chasse et de guerre. C’était pour moi une si grande fête de l’entendre, qu’il m’arriva, plus tard, habillé pour le bal, de laisser là les danses et de m’asseoir encore près de lui pour l’écouter. Les chasses au loup de mon grand-père et de mes oncles, les meutes nombreuses qu’ils faisaient partir du Tronchet et de Gravelle pour dépeupler la Beauce de ses loups ; la guerre de Sept ans ; Paris, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, le baron d’Holbach, M. de Malesherbes et ses distractions, tout était présent à son esprit et l’est encore au mien.

DECEMBRE. — Son visage était angélique dans la mort ; j’ai pleuré à genoux devant elle, j’ai pleuré amèrement, et cependant je sentais que son âme sans péché était délivrée, et, revêtue d’une splendeur virginale, planait au-dessus de moi et de son beau visage, dont les yeux étaient doucement entr’ouverts comme dans le sommeil des bienheureux. Pourquoi donc ai-je tant pleuré ? Ah ! c’est qu’elle ne m’entendait plus et qu’il me fallait garder dans mon cœur tout ce que je lui aurais dit. 31 DÉCEMBRE, — L’année dernière, à pareille heure, j’attendais avec ma mère l’heure de minuit, où l’aiguille noire de sa pendule sauta du 31 au ler ; alors, je l’embrassai en lui disant : « Bonne année ! » J’étais à genoux à ses pieds et je pensais bien qu’elle aurait la force de vivre toute cette année. Mon Dieu ! vous n’avez pas permis qu’elle me restât jusqu’au dernier jour et vous l’avez

enlevée dans mes bras ! Mon Dieu ! si les épreuves sont une épuration à vos yeux, recevez-la et qu’elle prie à son tour pour son fils, son pauvre fils qu’elle a nommé en mourant !
1838



JANVIER 1838. — Hélas ! toujours la même vie ! Je quitte le chagrin pour la maladie et la maladie pour le chagrin.

26 MARS. — La veille du jour de ma naissance, visité la tombe de ma mère. — J’étais avec Antony Deschamps. Je l’ai prié de me quitter et je m’y suis rendu seul.

Le terrain n’a pas été gâté par les pluies. Il m’a semblé la visiter encore comme je faisais tous les jours et tous les soirs dans son lit en ouvrant ses rideaux. Mes idées étaient plus douces et mes émotions moins cruelles que je ne l’aurais cru. J’ai entendu en fermant les yeux sa voix douce et harmonieuse qui me disait : « Bonjour, mon enfant ! » et je me suis retracé ces moments, les plus heureux peut-être de ma vie, où je me mettais à genoux près d’elle et où elle me caressait les cheveux avec ses deux mains.

J’ai commandé une pierre faite en forme de toit pour empêcher l’eau de pénétrer, et une grille de fer. Dimanche, cela sera posé. J’y reviendrai pour décider la forme du monument.

12 MARS. — Soirée chez madame de la Grange (la marquise Édouard de la Grange ) donnée pour me faire rencontrer avec Lamartine. Vingt personnes environ. Les lampes voilées pour la vue d’Edouard. — Lamartine vient à moi et nous causons deux heures dans un petit coin sombre, comme dit le Misanthrope. Il est incroyable combien un salon fait dire de sottises aux gens d’esprit par les distractions qu’il donne. J’ai fort étonné Lamartine en lui disant que je n’étais de son avis sur rien. Nous avons parlé d’abord des lois de septembre et de la censure. Je lui ai reproché en termes polis d’avoir abandonné la question des théâtres et lui ai dit que le théâtre à présent était un instrument mutilé et imparfait ; que mon opinion était que l’on ne devait pas avoir de censure ; qu’une pièce condamnée par le public était morte à jamais, et que, par le gouvernement, elle vivait d’une vie secrète et menaçante ; sous la Restauration, on en vit cent exemples. — Il a en l’idée d’un jury de gens ayant intérêt à l’ordre, jury élu. Et ce terme moyen, je ne l’ai jugé possible qu’autant que nul membre ne tiendrait au gouvernement, ajoutant que, par son influence corruptrice, un homme venant du pouvoir en entraîne dix dans ce peuple valet, comme l’a dit tristement Paul-Louis Courier. Il me promet de proposer ce jury quand viendront les discussions du budget. Je lui ai demandé s’il était toujours occupé de l’Orient, Il se montre enthousiasmé des malheurs des mahométans et les regarde comme plus civilisés que nous, à cause de la charité extrême en eux. — Cependant, lui dis-je, l’islamisme n’est qu’un christianisme corrompu, vous le pensez bien. — Un christianisme purifié ! me dit-il avec chaleur. Il ne m’a fallu que quelques mots pour lui rappeler que le Coran arrête toute science et toute culture ; que le vrai mahométan ne lit rien, parce que tout ce qui n’est pas dans le Coran est mauvais et qu’il renferme tout. — Les arts lui sont interdits parce qu’il ne doit pas créer une image de l’homme. — Je lui propose de rédiger en forme de pétition un projet de loi en faveur des poètes faibles et distraits comme la Fontaine. La rédaction en serait à peu près celle-ci : « Si un poëte a produit une œuvre qui obtienne l’admiration générale, il recevra une pension alimentaire de deux mille francs. Si, après cinq ans, il produit une œuvre égale à la première, sa pension lui sera allouée pour sa vie entière. S’il n’a rien produit dans l’espace de cinq années, elle sera supprimée. »

25 AVRIL. — Cette —nuit, je lisais le Stabat Mater en rêvant. À la seconde lecture, j’ai cru voir ma pauvre mère étendue à mes pieds et j’ai pleuré amèrement. Mes sanglots m’ont éveillé, et, en portant ma main à mes joues, je les ai trouvées inondées de larmes. J’avais passé la soirée au théàtre à songer à ces putérilités et à ce petit combat. 20 MAI. — M. de Talleyrand est mort. Les partis l’ont insulté, et on a été jusqu’à écrire : « Il n’y a en France qu’un malhonnête homme de moins. » Les indignations sont toutes justifiées par sa vie polilique. Il a une immense flétrissure sur son nom : c’est d’être devenu le type du parjure élégant et récompensé.

NOVEMBRE. — AU MAINE-GIRAUD. — Il n’y a qu’aux poètes qu’il arrive de pareilles choses. —Mes pères aimaient ce château féodal. C’est une petite forteresse entourée de bois de chênes, d’ormes, de frênes, et de vertes prairies rafraîchies par des fontaines et des sources pures. Les rentes féodales et les prises seigneuriales lui donnaient beaucoup de valeur et épargnaient presque toute culture. On se promenait à l’ombre des bois et au bord des eaux ; le revenu arrivait tout seul. — La Révolution vient et fait la soustraction de tout revenu. Il me reste donc de grands bâtiments et un grand parc à entretenir, et des bois que je n’ai pas le courage de couper parce que les vieux arbres ressemblent à de grands parents, et que leur absence ôterait tout charme à l’habitation.

Si tout cela, du reste, ne rapporte rien, il y a un dédommagement : c’est que les impositions en sont énormes et me donnent le droit d’être député. — Or c’est justement ce que je ne veux pas être. Mon âme et ma destinée seront toujours en contradiction. — C’était écrit.

Cette terre est une sorte de cheval que je nourris chèrement et que je monte une fois en sept ans.

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Le 7, mercredi. — Je reçois la nouvelle de la perte de mon beau-père. Dans la crainte qu’elle ne tombe malade ici, où je suis loin des secours et des médecins, je la cache à Lydia Madame AIfred de Vigny.. Ma pauvre enfant, vous dormez tandis que je souffre pour votre avenir des inquiétudes mortelles. — La destinée a juré de m’empêcher de travailler. À peine je repose ma tête, qu’elle me secoue par le bras et me force de souffrir et partir. Ma lutte contre la vie est perpétuelle et fatigant ?. La vie me lasse et ne me donne de plaisir nulle part ; je n’en avais depuis deux mois qu’à voir la gaieté de Lydia revenue avec la paix de la campagne. Il faut qu’un chagrin pour elle vienne m’y frapper. Je retarde le coup qu’il faudra bien lui donner. — J’ai ressenti un tremblement nerveux et un frisson de fièvre toute la nuit. Votre calme, votre sommeil, ma chère Lydia, ma seule amie, me déchire le cœur.

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Les lettres ont cela de fatal, que la position n’y est jamais conquise définitivement. Le nom est, à chaque œuvre, remis en loterie et tiré au sort pêle-mêle avec les plus indignes. Chaque œuvre nouvelle est presque comme un début. Aussi n’est-ce pas une carrière que celle des lettres. — LA CAMPAGNE. — Une visite à Paris est une fatigue d’une heure au plus. C’est une conversation au fond de laquelle il y a un petit intérêt entouré d’esprit. — À la campagne, une visite est une fatigue d’un jour entier. C’est une conversation pesante et niaise dont la grosse écorce est tout de suite dépouillée et dont l’ennui n’est supportable que lorsqu’on est tout à fait abruti.

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ARCHiTECTURE. — Le temple antique est élégant et joyeux comme un lit nuptial ; l’église chrétienne est sombre comme un tombeau. L’un est dédié à la vie, l’autre à la mort.

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DE LA CRITIQUE. — La plus élevée est mesquine presque toujours, parce qu’elle s’attache à la surface et non au fond. Dans le roman, par exemple, on débat la supériorité des genres de roman sur la plus ou moins grande étendue que l’auteur donne à la vérité ou à l’invention dans son œuvre d’art. C’est le fond qu’il faudrait voir, et la portée des sentiments et des idées de l’auteur. DE SAINT AUGUSTIN. — Il défendait la grâce contre Pelage ; mais il avoua qu’il sentait en lui un libre arbitre. C’est que les deux sont en nous ; nous gémissons du poids de la destinée qui nous opprime ; mais savons-nous si Dieu ne gémit pas de notre continuelle action et n’en souffre pas ?

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Je sais apprécier la charge dans la comédie, mais elle me répugne parce que, dans tous les arts, elle enlaidit et appauvrit l’espèce humaine, et, comme homme, elle m’humilie.
Le Petit Pouilleux de Murillo est beau d’exécution, mais si près du singe, qu’il me fait honte.
Le Légataire uuiversel, dérivé du Médeein malgré lui et de toutes les farces italiennes, me fait mal au cœur comme une médecine. Je ne peux rire du gros rire, je l’avoue, et les saletés de la santé humaine font que je fronce le sourcil de tristesse et de pitié, voilà tout. — Ne pourrait-on trouver ailleurs le comique satirique dont on fait tant de cas ? — La mesure de comique du Misanthrope et de Tartufe n’est-elle pas supérieure à tout cela et d’une nature plus pure ?


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J’ai reçu une éducation très-forte. L’habitude de l’application et d’un travail perpétuel m’a rendu si attentif à

mes idées, que le travail du soir ou de la nuit se continue en moi à travers le sommeil et recommence au réveil. Puis vient la vie de la journée, qui n’est pour moi que ce qu’était la récréation du collège, et, le soir, revient le travail du matin dans sa continuation vigoureuse et toujours la même.

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DE VOLTAIRE. — L’esprit vif et impatient de Voltaire faisait qu’il ne se donnait pas le temps de résumer ses idées.
Quelquefois pourtant, il le fait vite et comme à la hâte, et il est d’une admirable justesse.
Comme ici, où je trouve jetée au hasard cette ligne sur l’orthographe :
« L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est. »

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DE SHAKSPEARE. — IL ne suffit pas d’entendre l’anglais pour comprendre ce grand homme, il faut entendre le Shakspeare, qui est une langue aussi. Le cœur de Shakspeare est un langage à part.

DE LA COMPARAISON. — Les hommes du plus grand génie ne sont guère que ceux qui ont eu dans l’expression les plus justes comparaisons. Pauvres faibles que nous sommes, perdus par le torrent des pensées et nous accrochant à toutes les branches pour prendre quelques points dans le vide qui nous enveloppe !

Le temps ôte tant d’à-propos, de grâce, de grandeur à tous les livres, que l’on est tenté de croire qu’ils sont comme les pièces de théâtre, bons surtout pour le moment même où ils sont produits.

PORTRAITS DE FAMILLE. — Je cherche inutilement à rien inventer d’aussi beau que les caractères dont ma famille me fournit les exemples. — M. de Baraudin, son fils, ma mère et ma tante.
J’écrirai leur histoire, leurs mémoires plutôt, et je les ferai admirer comme ils le méritent.

RÊVERIE

Silence des rochers, des vieux bois et des plaines,
Calme majestueux des murs noifs et des tours,
Vaste immobililé des ormes et des chênes.
Lente uniformité de la nuit et des jours !
Solennelle épaisseur des horizons sauvages,
Roulis aérien des nuages de mer !…

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LE MAINE-GIRAUD. — ROMAN HISTORIQUE. — Sur un parchemin que j’ai retrouvé dans mes papiers de famille, Je ferai un roman historique. Ce sera une assez noble manière de donner de la valeur à cette pauvre terre.
Les décorations seront mes terres et le château du Maine-Giraud avec les ruines de Blanzac.
L’époque 1679. Celle de Louis XIV.
En 1680. — La Brinvilliers est briilée.
En 1679 meurt le vieux cardinal de Retz.
En 1670. — Le voyage à Douvres de la duchesse de Porlsmouth.

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MiLON DE CROTONE. — Milon a joué avec les lions et les a tués de sa main. Il a vu un grand chêne au milieu d’une forêt et s’est diverti à l’ébrancher ; il a fait souffrir le chêne et l’a brisé à demi. — Un jour, Milon s’avance et veut le fendre avec ses mains, dernier affront. Mais le chêne se révolte et resserre ses deux lianes comme des tenailles inflexibles. — Les lions et les loups voient Milon saisi par sa victime et se jettent sur lui. Ils le dévôrent et le mettent en pièces. Le chêne est inexorable et ne lui laisse pas une main pour se défendre. — femme méchante ! ton esprit est pareil à ce Milon. Sans pitié il déchirait le chêne pour se jouer. Mais cet arbre sait bien qu’on l’appelle le chêne, — et qu’il est le plus grand des arbres de nos bois. — Il sait cela et s’est vengé. — À présent, les

aniinaux vils vont te dévorer.
1839


19 FÉVRIER. — Décidément, le papier ne donne pas de bonheur, dit Stello. J’y ai mis tout ce qu’on y peut mettre en public, poëmes, livres, pièces de théâtre, et je n’en suis pas plus gai.


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LA MISÈRE. — Oui. dit Stello, je la hais, je hais la misère, non parce qu’elle est la privation, mais parce qu’elle est la saleté. Si la misère était ce que David a peint dans les Horaces, une froide maison de pierres, toute vide, ayant pour meubles deux chaises de pierre, un lit de bois dur, une charrue dans un coin, une coupe de bois pour boire de l’eau pure et un morceau de pain sur un couteau grossier, je bénirais cette misère parce que je suis stoïcien. Mais, quand la misère est un grenier avec une sorte de lit à rideaux sales, des enfants dans des berceaux d’osier, une soupe sur un poêle et du beurre sur les draps, dans un papier, — la bière et le cimetière me semblent préférables.

SOPHIA, JANE, À NAMMWICH. — Deux jeunes sœurs. L’une et l’autre d’une éblouissante blancheur. L’aînée, coiffée en longues et innombrables boucles, a les plus admirables cheveux blonds, un peu colorés de feu, que j’aie jamais vus de ma vie. Grande, souple, gracieuse dans tous ses mouvements. L’autre, décolletée plus qu’on ne l’est au bal en France. Ses épaules et son col de cygne rougissent de temps à autre, quand elle parle, et ces taches larges sont passagères, tandis que son visage reste pâle. Elles ne savent pas un mot de français el m’ont prié d’écrire des vers français dans leur album ; j’ai fait ceux-ci pour elles :

Comme deux cygnes blancs, aussi purs que leurs ailes,
Vous passez doucement, sœurs modestes et belles,
Sur le paisible lac de vos jours bienheurcux.
En langage français, quelques vers amoureux
En vain voudraient vous peindre avec des traits fidèles ;
Vous lirez sans comprendre, et, sur votre miroir,
Comme les beaux oiseaux, passerez sans vous voir !

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— Eh ! mon Dieu, dis-je, soyez tranquilles, il arrivera quelque chose avant dix ans ; et je leur rappelai la Fontaine : « Le roi, l’âne ou moi, nous mourrons. » Je fis faire aux hommes d’État amis de M. de Villèle, qui me parlaient, une vilaine grimace, et on me regarda comme libéral et philosophe.

Aujourd’hui, même chose. On se donne la peine aux Tuileries de penser à une régence pour le petit comte de Paris et à constituer une branche aînée dans la branche cadette. Eh ! bon Dieu, qu’importent ces branches et ces branchages à la plus démocratique des nations ?

L’espoir vrai de la France est, comme je le dis tranquillement à Louis-Philippe en 1830, l’indifférence en matière de gouvernement. Peu nous importe quelle troupe fait son entrée sur le théâtre du pouvoir.

Nos besoins politiques sont ceci ou cela. — Nos passions : la fierté nationale, l’amour de la gloire, etc., etc.

Satisfaites-les. Quand vous nous tromperez, nous ferons baisser le rideau.

La fortune a mieux traité la branche aînée au lit de mort que la branche d’Orléans.

Le duc de Berry poignardé disant : Grâce pour l’homme ! est beau dans la mémoire des hommes.

Si le jeune duc d’Orléans a pu réfléchir dans son agonie, Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/172 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/173 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/174 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/175 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/176 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/177 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/178 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/179 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/180 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/181 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/182 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/183 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/184 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/185 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/186 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/187 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/188 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/189 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/190 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/191 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/192 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/193 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/194 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/195 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/196 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/197 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/198 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/199 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/200 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/201 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/202 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/203 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/204 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/205 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/206 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/207 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/208 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/209 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/210 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/211 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/212 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/213 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/214 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/215 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/216 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/217 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/218 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/219 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/220 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/221 s’attache à récompenser surtout les talents sérieux et attachés à l’art vrai et pur, que M. de Laprade et M. de Champagny ont aussi la croix.




note. — 20 janvier. — Un ami du jeune duc d’Aumale me dit qu’après la séance de ma réception, le duc d’Aumale a dit :

— M. Molé s’est mal conduit.

Le duc d’Aumale avait assisté à la séance, dans une loge au-dessus de la statue de Sully.




guiraud. — Sa mort presque subite a beaucoup attristé l’Académie. — J’ai particulièrement été fort affligé de ne pouvoir siéger près de lui, comme je me l’étais promis et comme il s’en réjouissait avec moi. Une opération maladroitement faite par un chirurgien l’a tué.

C’était un homme qui tenait de l’écureuil par sa vivacité, et il semblait toujours tourner dans sa cage. Ses cheveux rouges, son parler vif, gascon, pétulant, embrouillé, lui donnaient l’air d’avoir moins d’esprit qu’il n’en avait en effet, parce qu’il perdait la tête dans la discussion et s’emportait à tout moment hors des rails de la conversation. Mais très-sensible, très-bon, très-spirituel, Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/223 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/224 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/225 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/226 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/227 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/228 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/229 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/230 Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. 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CODICILLE DE MON TESTAMENT.


« Après avoir étudié et éprouvé l’excellence d’esprit et de cœur de mon ami Louis Ratisbonne, je l’institue et nomme propriétaire absolu et légataire de mes œuvres littéraires, sous toute forme, qui ont été publiées jusqu’à ce jour. Livres et théâtre n’auront, en l’absence éternelle de l’auteur, d’autre autorité que la sienne et il y tiendra ma place en tout :

» 1° À cette seule condition qu’il ne sera jamais cédé par lui une édition nouvelle que par un traité stipulant que, cette édition écoulée, il rentrera, à l’expiration du traité, dans la plénitude de sa propriété ;

» C’est-à-dire qu’il pourra, sans conteste, en céder une nouvelle édition dans quelque format que ce soit, même celui dans lequel viendra d’être imprimée la plus récente édition ;

» 2° Et sous cette condition encore, que jamais M. Louis Ratisbonne ne cédera à aucun éditeur la propriété entière de mes œuvres et la possession perpétuelle.

» Il sait que l’expérience a démontré que, pour exciter et renouveler la curiosité publique, les éditeurs souillent par des préfaces et des annotations douteuses, quand elles ne sont pas hostiles et perfides, les éditions posthumes des œuvres célèbres.

» C’est pour mettre à tout jamais mon nom a l’abri de ces insinuations littéraires flétrissantes et dangereuses que mon ami, M. Louis Ratisbonne, veut bien accepter ce modeste legs.

» Sa charmante famille ne se compose, jusqu’à présent, que de plusieurs jeunes filles en bas âge

» Mais, s’il devient père d’un garçon, il lui transmettra mes instructions.

» Sinon, un gendre y suffira, ou bien un auteur de ses amis, soit poëte, soit écrivain éminent, qu’il choisira comme je le fais ici pour lui-même.

» Fait à Paris, le samedi 6 juin 1863.
» ALFRED DE VIGNY »
OUVRAGES DE LOUIS RATlSBONNE
———

LA DIVINE COMÉDIE DE DANTE, traduite en vers, tercet par tercet, avec le texte en regard. Ouvrage couronné doux fois par l’Académie française, (Prix Montyon et grand prix Bordin.)

L’ENFER (3e édition), 2 vol. grand in-18.
Le PURGATOIRE (nouv. édition revue et corrigée), 1 vol, gr. in-18.
LE PARADIS (nouvelle édition revue et corrigée), 1 voL gr. in-18.

HÉRO ET LÉANDRE, drame antique en vers, représenté au Théâtre-Français (2e édition), 1 vol. grand in-18. IMPRESSIONS LITTÉRAIRES, 1 vol. grand in-18.
MORTS ET VIVANTS (Nouvelles Impressions littéraires), 1 vol. grand in-18.
LA COMÉDIE ENFANTINE, illustrée par Gobert et Froment. Ouvrage couronné par l’Académie française 5e édition, 2 beaux volumes grand in-8.

LE MÊME OUVRAGE, les deux volumes en un seul, format grand in-18 (7e édition).

AU PRINTEMPS DE LA VIE, 1 vol. in-32 (épuisé).
LES FIGURES JEUNES, 1 beau volume in-8.


  1. Voir, à la fin de ce volume, l’Appendice.
  2. Né à Loches le 27 mars 1797, il est mort à Paris le 17 septembre 1863
  3. « Le recueil est digne du poëte, » dit M. Sainte-Beuve. MM. Jules Janin, Cuvillier-Fleury, A. de Pontmartin, Caro, Challemel-Lacour, Ed. Fournier, etc., ne l’ont pas jugé autrement. « Les plus belles pages qu’il ait jamais écrites ! » s’écriait hier à l’Académie française Jules Sandeau. Un critique, M. Barbey d’Aurevilly, que ses croyances auraient pu rendre moins favorable, et que je cite pour cela, cède à l’admiration : « D’inspiration semblable, je n’en connais pas… Comme Catinat, que ses soldats appelaient le père La Pensée, Alfred de Vigny, l’auteur des Destinées, peut porter le même nom. Il peut s’appeler aujourd’hui le poëte La Pensée. »
  4. Dans son discours à l’Académie française, en réponse à M. Camille Doucet.
  5. Première idée qui est devenue Laurette, ou le Cachet rouge.(L.R.)
  6. Stello n’était pas encore achevé et déjà le poëte songeait à une deuxième consultation du Docteur noir. L’ouvrage, comme on sait, n’a pas vu le jour. Le poëte, retenu par un rare scrupule, a craint le danger de cette consultation où on eût pu voir une sorte de justification du suicide. (L. R.)
  7. Ces mémoires, malheureusement, sont restés à l’état de projet. L’idée d’un journal a seule été réalisée en quelque façon par le poëte, et c’est de ce journal, journal de sa pensée plutôt encore que de sa vie, qu’on a ici des fragments. (L. R)
  8. C’est de cette anecdote qu’Alfred de Vigny tira sa comédie Quitte pour la peur, cette perle fine qui fut montée avant les proverbes d’Alfred de Musset, auxquels elle semble avoir servi de premier modèle. (L. R.)
  9. « Sainte-Beuve m’aime… » J’aurais bien envie d’ajouter : qui depuis… Dans un article de la Revue des Deux Mondes, après la mort d’Alfred de Vigny, l’éminent critique a jugé de nouveau avec sa finesse accoulumée et mis à son rang, au premier, le poête de Moïse, d'Éloa et des Destinées ; mais la personne du poëte n’est pas sortie de cette étude sans égratignure, faite, il semble, avec assez de plaisir. Que les amis d’Alfred de Vigny ne s’en montrent pas trop affligés. Lui-même, s’il avait lu cet article, ne s’en fût pas vengé autrement qu’en disant encore comme ici, avec un autre sourire seulement : « Sainle-Beuve, qui m’aime… » ( L. R. )
  10. La femme du poëte, née Lydia Bunbury
  11. Alfred de Vigny a porté longtemps l’idée d’un roman et même d’un drame dont Julien dit l’Apostal eût éte le héros, Daphné l’héroïne. Et c’est sous cette rubrique du nom de Daphné qu’il inscrivait tout ce qui avait trait à cette idée. (L. R.)
  12. Le poëte devait développer plus tard cette idée en vers admirables dans le poëme des DESTINEES: La Maison du berger. (L. R)
  13. Allusion à la Préface de Chatterton. L,. R.
  14. On répétait alors Chatterton.
  15. Alfred de Vigny n’entra à l’Académie française qu’en I845.