Jours d’Exil, tome II/Las Coplas de los Majos

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Jours d’Exil, tome II
Las Coplas de los Majos


LAS COPLAS DE LOS MAJOS.




Madrid, Agosto 1853.


« Es el mas agil mancebo que conocemos,
gran tirador de barra, luchador extremado
y gran jugador de pelota : corre como un gamo,
salta mas que una cabra,
y birla los bolos como por encantamento :
canta como una calandria, y toca una guitarra
que la hace hablar, y sobre todo
juega una espada como el mas pintado. »
M. Cervantes.


218 Le majo de vingt ans, le beau garçon aux moustaches noires, a jeté sur ses épaules la veste brodée de gances précieuses. Sa maîtresse en est fière. La danse a commencé. Lui dit sur sa guitarre :

« Belles et suaves contrées, Espagne, Andalousie, je vous chanterai jusqu’à mon dernier jour ! — Bénies soient les chansons !

» L’Espagnol est trop riche pour épargner. La Nature travaille pour lui ! — Bénie soit la Nature !

» Notre terre est prodigue de trésors. Sous le soleil tout naît et meurt vite. Une seconde de plaisir ne vaut-elle pas mieux qu’un siècle de fatigue ? — Ave Maria santisima ! — Béni soit le Plaisir !

219 » Dans les premiers jours de mai, toutes nos fleurs éclatent à la fois. À quinze ans toutes nos filles ont aimé. À vingt-huit ans nos femmes sont vieilles ; à trente nos hommes ne comptent plus. — Viva l’hermano Christo ! — Béni soit l’Amour !

» Chez nous, quand le soleil se voile, c’est pour un instant. Les étoiles ne manquent guère plus d’une nuit dans le ciel. La colère, la jalousie, la vengeance, le délire d’amour, toutes les passions, frappent comme la foudre, pleurent comme l’orage, crient comme la tempête. Puis le ciel se rassérène, et les traits resplendissent de nouveau. Rien de triste ne saurait subsister parmi nous. — Deo gratias ! — Bénie soit la Gaîté !

» La cigale chante. L’ombre est bonne. Le travail est indigne des hommes libres. Nous avons du pain pour tout le jour ; demain, Dieu nous en donnera, si bon lui semble. — Si Dios quiere ! — Bénie soit la Liberté !


» Quittons l’ouvrage. Accordons nos guitares. Que le cigarro brûle. Suivons le côté de l’ombre et chantons des coplas aux belles demoiselles qui passent : — Salero !

» Ma capa me sert de lit ; le soleil est ma cheminée, le firmament, mon toit. J’achète un pain blanc, une tranche de sandia, un vasito d’aguardiente : j’en ai pour six cuartos par jour. Le dimanche, je fais ma provision de tabac pour la semaine. Que me faut-il de plus ? Ainsi j’attends le retour des étoiles dans les cieux et de ma maîtresse au balcon. — Salero !

» La Granadine a caché son front sous la mante. Voyez courir ses petits pieds. Elle dédaigne les majos qui l’admirent. Mais sa mère qui la suit recueille leurs compliments. — Salero !

» Salero ! gracieuse, divine, trésor de caprice et d’esprit, mes chères amours ! Le mot dit tout cela : — Salero ! Salero !

» Ma Rosa fleurie, j’aime mieux ta figure brune se détachant sur la nuit claire que les figures d’or de la reine sonnant sur le bois des comptoirs. Malheur aux avares ! Malheur aux jeunes ambitieux ! L’épargne et l’intrigue font mourir dans le pays où tout abonde. — Salero !


» Terre rude que la nôtre pour qui n’en voit que le gazon desséché et la croûte fendue ! Hommes rudes que nous pour qui ne voit que nos pommettes, nos cheveux durs et nos traits heurtés ! Femmes rudes que les nôtres pour qui les entend parler haut et 220 ferme, pour qui les suit à la promenade et ne recueille que leurs dédains ! — Salero !

» Mais terre chérie par qui sait découvrir des ruisseaux sous les pierres, des fruits suaves dans le cœur du rocher, des hommes sensibles sous une écorce mâle, et des femmes passionnées sous une fierté de glace ! — Salero !


» Sois humaine ma toute belle ! Vois s’épanouir les fleurs de l’oranger. La bergerette a chanté sur les sables du Jenil ; les amants out entendu sa voix. Depuis six mois je passe les nuits sous ton balcon, jamais tu ne t’endors que bercée par ma guitare. Pour toi je détache une à une les perles des grenades de leurs enveloppes amères. Pour toi je renferme les fins bonbons dans du papier rose orné de rubans verts. Pour toi je défie le taureau. Commande encore, ordonne toujours… Mais viens enfin ce soir, sous les étoiles, aux fontaines de l’Alhambra ! — Salerito ! !


C’est le chant du majo.