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L’Effort français - Notre Artillerie

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L’Effort français - Notre Artillerie
Revue des Deux Mondes6e période, tome 47 (p. 721-744).
L'EFFORT FRANÇAIS

NOTRE ARTILLERIE

A la veille de la guerre, le Décret du 2 décembre 1913, portant règlement sur le service en campagne, disait : « L’infanterie conquiert et conserve le terrain… Le feu de l’artillerie n’a qu’une efficacité minime contre un adversaire abrité. Pour amener cet adversaire à se découvrir, il faut l’attaquer avec l’infanterie. » Ces formules représentaient alors, non pas une doctrine particulière à l’armée française, mais la doctrine universelle, unique, réputée intangible, la seule que les guerres du passé eussent enseignée aux Allemands comme à nous, et ce fut, chez les Allemands et chez nous, la même surprise et le même désarroi, quand, aux premiers mois de la lutte, l’expérience révéla une vérité autre, provisoire elle aussi, mais qui, durant trois ans et plus, devait régir impérieusement la guerre, celle que le général Pétain, en 1916, exprima ainsi : « Dans la guerre, actuellement, l’artillerie conquiert le terrain, l’infanterie l’occupe. »

Pour passer de l’un à l’autre système, pour se ployer aux conditions d’une immense guerre de siège, les deux adversaires durent réviser en plein combat, bouleverser de fond en comble leurs idées, leurs méthodes, leurs règlements, leur outillage métallurgique, leurs matériels d’artillerie, tout refondre, tout recréer. Ce fut, de part et d’autre, un travail prodigieux, mais qu’il semblait impossible que la France envahie, réduite à des moyens industriels et métallurgiques dérisoirement inférieurs, pût accomplir. Pourtant elle y a réussi, tout en versant chaque jour, sans fin, son sang sacré. Regarder sa détresse initiale, les obstacles accumulés contre elle, quels ressorts d’intelligence et d’énergie elle tendit pour les réduire, c’est une façon très sûre de se confirmer dans sa foi en elle, et d’apprendre à la chérir d’un amour, non pas plus tendre, mais plus fier.


I. — AVANT LA GUERRE : LE PROBLÈME DE L’ARTILLERIE LOURDE

Dans la période de paix armée qui sépare les deux grands conflits, la France et l’Allemagne, se fiant l’une et l’autre aux leçons des guerres napoléoniennes et de la guerre de 1870, ne cherchèrent d’abord qu’à améliorer leur seule artillerie de campagne : c’était à qui trouverait le canon le plus rapide dans son tir et le plus mobile. Durant des années, les deux armées rivales durent se contenter de résultats presque identiques : le canon allemand de 88, le canon français de 90, très analogues, se valaient. Mais, en 1896, les Allemands mirent en service un matériel nouveau, leur canon de 77 : ce n’était, dit-on, — est-ce vérité ou fiction ? — que la copie d’un faux modèle français, qu’un faux traître leur avait livré. Presque simultanément, en 1897, sortait des ateliers français le canon de 75, et de ce jour l’égalité fut rompue.

Notre 75 l’emportait par plus de précision, par une portée un peu supérieure, mais surtout par une vitesse de tir plus grande : quinze coups à la minute, et plus, au lieu des deux ou trois coups du nouveau canon allemand. Depuis, vingt ans (>nt passé : les organes divers et les projectiles des deux canons ont été si souvent modifiés, surtout au cours de la guerre, que leurs caractéristiques ne ressemblent plus guère à ce qu’elles étaient alors. On ne saurait se proposer ici, et pour cause, de décrire ces transformations. Il suffira de dire que, si le 75 garde aujourd’hui encore une certaine supériorité sur le 77, il passait chez nous avant la guerre pour un outil infiniment plus efficace. La guerre prouva que cette opinion était juste. Elle reste juste : il n’est pas une armée, de l’aveu de tous, dont l’artillerie de campagne vaille la nôtre.

Mais l’artillerie de campagne n’est pas toute l’artillerie. Il va sans dire que nous possédions des matériels plus puissants que le 75 : des canons de 95, de 120 long, de 155 long, des canons courts de 155, des mortiers de 220 et de 270, — tous engins destinés à attaquer les places fortes ou à les défendre, mais qui, vu leur poids, ne pouvaient être mis en batterie que sur des plates-formes, elles aussi très lourdes, et dont le montage exigeait un jour ou deux de travail.

Ils se prêtaient donc fort mal à des déplacements fréquents et rapides. Or, il peut se produire, même dans une guerre de mouvement, telles circonstances où, pour briser certains obstacles, par exemple pour atteindre des troupes abritées derrière une crête, il sera nécessaire d’amener vite sur le champ de bataille et de mettre en batterie sans plate-forme des pièces qui tirent des projectiles plus lourds que les pièces de campagne, à plus grandes distances, et selon des trajectoires plus courbes. Nous avions cru trouver la solution complète du problème en recourant aux canons courts, lesquels, tirant à faible charge, ont une faible longueur d’âme, une faible épaisseur de métal, et par conséquent pèsent relativement peu : six chevaux ou huit peuvent les traîner. C’est ainsi que notre armée avait été dotée, dès 1893, d’un canon court de 120 millimètres (canon Baquet, modèle 1890) et, peu après, d’un canon de 155 court (modèle 1893) ; enfin, à partir de 1904, d’un canon de 155 court à tir rapide (le canon Rimailho, dit 155 C. T. R.).

Il semblait d’ailleurs acquis en ce temps-là, — il y a quelque quinze ans, — que l’on n’aurait à employer cette artillerie lourde qu’en des cas fort exceptionnels. Une même doctrine régnait alors dans toutes les armées. Toutes admettaient que l’artillerie ne tire utilement qu’à la faible distance où il reste possible d’observer le tir, c’est-à-dire à quatre kilomètres au plus, et qu’elle ne doit pas prétendre à détruire l’artillerie ennemie, abritée comme elle derrière des positions masquées, et par conséquent invisible. Dès lors, une artillerie de campagne, très légère et très mobile, assistée, en de certaines circonstances limitées, par des canons courts, semblait devoir suffire : ni la longue portée, ni les gros calibres n’offraient d’utilité.

Cependant, après la guerre russo-japonaise, on vit avec surprise l’Allemagne s’orienter peu à peu vers la fabrication de canons de gros calibre à longue portée. Elle en vendait à des Puissances étrangères. A son exemple, notre industrie privée, pour satisfaire ses clients étrangers, étudia des modèles, fabriqua pour l’exportation ; de leur côté, nos services techniques entreprirent l’étude de quelques matériels.

Mais était-il vraiment nécessaire d’imiter les Allemands ? Il suffit de parcourir au hasard les derniers volumes de l’une quelconque de nos nombreuses Revues militaires pour constater que le problème fut chez nous maintes fois débattu et aussi que nos artilleurs le résolurent le plus souvent par la négative : imiter les Allemands, disent-ils presque tous, ne serait que duperie. Quelle est la vraie doctrine ? La controverse se prolonge, et les années passent. En 1910, paraît un Règlement provisoire de manœuvre : il n’a pas pris nettement parti.

Viennent les guerres des Balkans. L’un de nos plus savants artilleurs, le général Herr, visite les champs de bataille de la Thrace et de la Macédoine. Il en rapporte des enseignements propres à le confirmer dans la persuasion qu’il nous faut des canons à longue portée et que nous n’avons que trop tardé. Il le dit fortement dans la Revue d’artillerie (t. LXXXI, mars 1913, p. 305) ; chacune de ses observations sur les diverses batailles balkaniques aboutit à la même conclusion, nette, énergique, prophétique, hélas ! « L’utilisation, écrit-il, des pièces à longue portée par un seul des deux partis en présence rompt à son avantage l’équilibre entre les forces d’artillerie opposées. Celui des deux adversaires qui dispose de ces engins reste libre de détruire une partie de l’artillerie de campagne de l’ennemi, sans que celui-ci puisse le contrecarrer, ni rétablir l’équilibre par la destruction, dans des conditions analogues, des batteries de campagne adverses… » « Disposer de pièces à longue portée devant un ennemi qui n’en possède pas, augmente les chances de succès ; n’en pas avoir en face d’un adversaire qui en est muni, constitue un danger… Si l’on ne dispose pas d’un matériel de ce genre, il sera parfois impossible d’engager et de soutenir la lutte d’artillerie sans la presque certitude d’être écrasé… Les batteries à longue portée doivent faire partie intégrante des corps d’armée… Les batteries à longue portée des corps d’armée doivent être constituées en canons longs d’un calibre voisin de 100 millimètres. » Quel Français pourrait aujourd’hui lire cette étude sans admiration, mais aussi sans quelque serrement de cœur ?

La doctrine qui s’y trouve développée est celle que dans le même temps les Allemands professent, et que déjà ils se sont mis en mesure d’appliquer. Pour l’instant, ils la professent à portes ouvertes, sans en faire nul mystère, et nos Revues militaires abondent en descriptions de leurs canons longs, de leurs mortiers et de leurs obusiers de campagne[1], en analyses de leurs livres sur l’emploi tactique de l’artillerie lourde[2], en commentaires sur leur nouveau Règlement de l’artillerie à pied. Ces livres, ce Règlement officiel parlent clair : les Allemands voient dans leur nouvelle artillerie lourde une véritable arme de campagne : opérant en liaison avec les autres armes, elle tiendra en campagne un double rôle ; d’une part, elle agira à grande distance avant la bataille pour retarder l’ennemi, l’inquiéter, l’obliger à se déployer prématurément, etc. d’autre part et surtout, sa mission sera de prendre à partie l’artillerie et de l’écraser.

Si nous n’avons pas imité les Allemands, ce n’est donc pas faute d’avoir connu, observé, compris leur idée et leurs préparatifs. Mais la collection de la Revue d’artillerie témoigne que, jusqu’à la veille des hostilités, des techniciens nombreux persistèrent dans la créance qu’il serait inutile, voire imprudent, de les imiter. Plusieurs d’entre eux avaient visité, tout comme le général lien., les champs de bataille des Balkans, mais pour en rapporter des observations bien différentes des siennes.

Voici leur thèse[3]. Est-il sûr, demandent-ils, que, dans une guerre de mouvement, une artillerie à plus grande portée doive nécessairement dominer une artillerie à moindre portée, qu’elle soit propre à la détruire ou même à la maîtriser ? On ne tire bien que sur ce que l’on voit bien, et comment concevoir un engagement de batteries invisibles contre des batteries invisibles ? Oui dit artillerie lourde dit artillerie imposante, sans doute, mais pas nécessairement artillerie puissante. Certes, et c’est une vérité par trop vraie, un canon qui porte plus loin qu’un autre est puissant à partir de la distance où l’autre devient impuissant ; mais, comme il n’a acquis cet avantage qu’au prix de certains sacrifices, aux dépens de sa légèreté, de sa maniabilité, de la vitesse de son tir, il devient moins puissant que cet autre à toutes les distances où cet autre peut servir. Si, pour tirer à 8 000 mètres, un 120 long vaut quelque chose et un 75 ne vaut rien, il n’en reste pas moins que, à 6 000 mètres, un 75 vaut mieux qu’un 120 long (ou tout autre canon à longue portée). Pris sous le feu à 8 000 mètres, un 75 ne pourra pas riposter, c’est l’évidence ; mais qu’il se dérobe, qu’il fasse appel à la manœuvre, qu’il se rapproche, — sa mobilité le lui permettra toujours, — et, une fois à portée propice, il prendra l’avantage par la rapidité et l’efficacité supérieures de son tir. Divers incidents des guerres balkaniques le prouvent ; n’a-t-on pas vu, par exemple, au combat de Vietressa (10 juillet 1913), les Grecs, pourvus seulement d’artillerie de campagne et arrêtés d’abord à neuf kilomètres par l’artillerie lourde bulgare, se rapprocher de nuit des grosses pièces ennemies, les réduire au silence, et le lendemain, reportant en avant leur infanterie appuyée par une simple artillerie de montagne, capturer toute l’artillerie bulgare, légère et lourde ? Durant les guerres des Balkans, — c’est la conclusion commune de ces diverses études, — l’artillerie lourde n’a servi que dans quelques occasions spéciales, et surtout pour permettre à des chefs timorés d’éliminer le risque. Au contraire, dans une suite d’opérations menées très activement et par un chef habile à exploiter les ressources de la manœuvre, elle ne trouvera que bien rarement son emploi.

C’est ainsi qu’au printemps de 1914 le problème était encore agité, et l’on voit qu’il était complexe, surtout parce qu’on le liait à des doctrines alors courantes sur l’esprit d’offensive : à la guerre rapide, toute de mouvement, qu’on se représentait à l’avance, il fallait une armée essentiellement manœuvrière, dont il semblait bien qu’une artillerie de campagne excellente dût être l’outil nécessaire et suffisant. Dans une telle guerre, notre canon de 75 n’aurait affaire qu’au canon de 77 et à l’obusier léger de 105 allemand, et il suffirait contre eux.

Une circonstance venait d’ailleurs de renforcer notre confiance : depuis 1910, l’invention de la nouvelle fusée permettait le tir à ricochet et avait accru l’excellence du canon de 75. L’obus du 77, alors peu dangereux contre l’infanterie, était impuissant dans la lutté d’artillerie, tandis que le canon de 75, grâce à son obus explosif, constituait une arme très utile contre de l’artillerie à découvert et peu éloignée, seules conditions envisagées dans la guerre de mouvement. Il apparaît donc, en tout état de cause, que la constitution d’une artillerie lourde s’imposait aux Allemands plus impérieusement qu’aux Français : c’est ainsi que les instructions secrètes du général von Schubert, grand maitre de l’artillerie allemande, prescrivaient de pousser l’artillerie lourde en tête des colonnes et lui assignaient la mission de détruire l’artillerie ennemie, mission que nous remettions à notre canon de campagne.

Bref, la guerre vint, avant que les partisans de l’artillerie lourde eussent chez nous gagné leur cause. Leurs efforts tenaces n’avaient guère abouti qu’à la mise en commande au Creusot d’un canon à tir rapide de 105 long ; malheureusement, le premier groupe ne sortit des ateliers qu’aux derniers jours d’août.


II. — LES PREMIERS MOIS DE LA GUERRE

A l’entrée en guerre, les Allemands possédaient des batteries d’obusiers lourds de campagne de 15 centimètres (tirant à 8 500 mètres), de mortiers de campagne de 21 centimètres (tirant à 8 200 mètres), des canons longs de 10 centimètres (tirant à 10 000 mètres), des canons longs de 13 centimètres (tirant à 15 000 mètres). Chaque division d’infanterie était dotée de trois groupes de 77 et d’un groupe de 105, soit 144 canons ou obusiers légers par corps d’armée, et au moins 16 pièces de gros calibres.

En regard, le corps d’armée français ne comptait que 120 canons de 75 ; quant à l’artillerie lourde, elle était chez nous organe d’armée et non de corps d’armée, et nous en avions très peu : quelques batteries de 155 Rimailho et de 120 court Baquet remises en service, quelques groupes de 120 long hippomobiles ou à tracteurs. Seuls, les 155 Rimailho étaient des pièces modernes à tir rapide. Trois cents pièces en tout.

Dès les premières batailles, le 75 répondit à nos espérances et les dépassa. Son tir à ricochet se révéla si puissant que nos commandants de batterie en firent aussitôt grand usage : la proportion des obus à balles (trois sur quatre) et des obus explosifs (un sur quatre), prévue avant la guerre, dut être renversée. En revanche, pour la contre-batterie, le 75 manquait de portée, et le pouvoir de l’artillerie lourde ennemie se manifesta.

Par elle, nous avons souffert gravement, et l’on ne saurait trop admirer pour leur clairvoyance ceux de nos techniciens qui, à l’exemple du général Herr, avaient préconisé l’emploi des canons à longue portée comme arme de campagne. Pourtant, il serait inexact d’attribuer tous nos revers du début à notre infériorité en artillerie lourde. Ils eurent d’autres causes, comme on sait, et de plus essentielles, et d’abord celle qui les domine toutes, le crime de l’invasion de la Belgique, qui seul permit l’enveloppement de notre aile gauche. Qu’en certaines affaires, à Dieuze, à Sarrebourg, les Allemands aient dû principalement la victoire à leur artillerie lourde, c’est chose certaine ; mais ce furent des batailles très analogues à celles de la guerre de position, où ils nous arrêtèrent sur un terrain préparé à l’avance, organisé défensivement dès le temps de paix. Au contraire, dans les batailles qui retinrent les caractères de la guerre de mouvement, leur artillerie lourde fut loin de leur assurer la prépondérance, ou du moins notre artillerie de campagne sut répondre, et ceux qui l’avaient prédit reprennent par-là quelque avantage. Car jamais ils n’avaient dit, absurdement, que dans une guerre de siège ou de position, notre artillerie de campagne suffirait ; ils avaient dit que notre artillerie de campagne suffirait en rase campagne, et ce fut une erreur sans doute, mais non pas totale. Nous avons vaincu à Guise, il ne faudrait pourtant pas l’oublier, sans autre artillerie que de l’artillerie de campagne. Nous avons vaincu sur la Mortagne sans grand déploiement d’artillerie lourde ; nous avions très peu de canons lourds sur la Marne, et nous avons vaincu ; sur l’Yser, et nous avons vaincu.

La vérité est que les deux premiers mois de la guerre bouleversèrent toutes les prévisions sur le rôle de l’artillerie dans la bataille, les prévisions des Allemands aussi bien que les nôtres. Eux aussi, eux surtout, ils étaient entrés dans la lutte avec des idées de guerre rapide, d’offensive foudroyante, d’avance irrésistible, de décision presque immédiate. Dès les premiers chocs, ils furent contraints, tout comme nous, à déchanter. Ils avaient eu beau s’exercer dans leurs camps d’artillerie et, durant les guerres des Balkans, commander des batteries turques : ni leur science de la balistique, ni les chétives batailles balkaniques, qui ne représentaient guère que de petites expériences de laboratoire, n’avaient suffi à les renseigner pleinement sur les engins qu’ils maniaient. Pour la première fois depuis quarante-trois ans, deux grands peuples européens s’affrontaient : leurs armées, qui n’avaient jamais fait la guerre, allaient éprouver l’une et l’autre ce qu’elles seraient et constater que leurs systèmes du temps de paix devaient être révisés profondément.

Dès que les canons commencèrent leur office, Allemands et Français découvrirent à la fois, comme une chose imprévue, comme un formidable mystère soudainement dévoilé, la puissance du Feu. Il sembla qu’un second Prométhée se fût révélé, qui déchaînait un élément nouveau. Les deux infanteries parurent frappées d’une égale stupeur. Tous les récits de combattants que l’on a publiés en Allemagne comme en France, et qui relatent les premiers chocs, s’accordent à signaler, avec la même surprise, le vide du champ de bataille, et quelles grandes pertes subirent leurs unités, sans qu’elles eussent aperçu un seul ennemi. On vit même, en de certaines affaires, l’artillerie mener seule le combat, aussi bien dans l’attaque que dans la retraite, et souvent des masses d’infanterie allemande qui avançaient furent clouées sur place par une artillerie française restée seule en ligne.

Cette puissance du feu, qui fut la vraie révélation des premières semaines de la campagne, entraînait deux conséquences : d’une part, la nécessité pour l’infanterie de se retrancher et de s’abriter ; d’autre part, la nécessité pour l’artillerie de dépenser, contre ces fantassins retranchés et abrités, une quantité de projectiles qui dépassa toutes les prévisions.

Il en fut ainsi dans les deux armées adverses. Si les Allemands furent vaincus sur la Marne, ce fut, pour une part, faute de munitions ; et, si nous n’avons pu exploiter à fond notre victoire et les rejeter des hauteurs de l’Aisne, ce fut, pour une part, faute de munitions : vers la fin de la bataille, dans certains corps d’armée, les caissons étaient vides. En sorte qu’on pourrait dire, sans paradoxe trop arbitraire, que ceux-là n’avaient pas eu tout à fait tort qui avaient soutenu avant la guerre qu’il importait plus de décupler nos approvisionnements en obus de 75 que de fabriquer des canons lourds. Au lendemain de la Marne, sans canons lourds, rien qu’avec nos canons de 75, pourvu qu’ils eussent eu des projectiles à dépenser à profusion, nous aurions pu rejeter l’ennemi jusqu’à la Meuse.

Mais le 75 n’était approvisionné qu’à 1 300 coups et, dès les premières journées, maintes pièces avaient tiré à raison de 15 coups par minute ; et nous n’avions prévu, pour le cas de guerre, qu’une fabrication totale de 15 000 coups par jour. Là, dans l’estimation trop faible de ce que la bataille moderne consommerait de munitions, fut notre plus grande erreur. Elle n’a de comparable que l’erreur similaire des Allemands : si notre 75 n’était approvisionné qu’à 1 300 coups, leur 77 ne l’était qu’à 800[4].

Pour toutes ces causes, les Allemands comme les Français virent, dès les premières semaines, gauchir leurs doctrines sur le rôle de l’artillerie. C’en était fait, pour eux comme pour nous, du rêve d’une campagne brève, où quelque manœuvre souveraine, inspirée par le génie de l’offensive, saurait, en quelques semaines ou en quelques mois, soit par l’œuvre du seul 77, soit par l’œuvre du 77 assisté d’obusiers légers et de canons longs, mettre l’adversaire hors de cause et le réduire à merci. Notre victoire su l’Yser acheva de ruiner chez les Allemands cette espérance. Les fronts se cristallisent. La lutte sera longue. Elle prend les aspects de la guerre de forteresse. Il s’agit de se résigner à ces conditions nouvelles, et de s’y approprier. Alors, contre ces nécessités soudaines, notre effort se déploya.


III. — NOTRE EFFORT : LES MUNITIONS

Il faudra créer presque tout. Mais d’abord et d’urgence, pour soutenir la lutte quotidienne, le problème est d’alimenter les bouches à feu que l’on a. Des munitions d’abord, obus, poudres, explosifs, gaz, artifices. Quant à fabriquer des canons nouveaux, on verra plus, tard, bientôt.

Le temps presse, l’ennemi n’attend pas. Son artillerie lourde, déjà braquée contre nous, est largement approvisionnée : à 4 000 coups par pièce[5]. Quant à son artillerie de campagne, si les premières batailles l’ont appauvrie pour un temps, tout a été prévu pour que la fabrication de ses projectiles se poursuive aisément. En France, au contraire, la mobilisation a fermé ou désorganisé nos usines. De plus, non par leur valeur guerrière, mais plutôt par leur crime, qu’il ne faut pas se lasser de rappeler, par l’invasion de cette Belgique qu’eux-mêmes avaient déclarée « État perpétuellement neutre, » les Allemands venaient de nous déposséder de nos plus riches centres industriels.

Ils exultent, et leurs statistiques précises et triomphales expliquent quelle doit être la détresse de la France : « Des 123 hauts fourneaux, disent-ils, qui étaient à feu en France au commencement de 1913 sur les 170 existants, il n’y en a pas moins de 95 qui se trouvent dans la zone de guerre ; 30 hauts fourneaux à peine peuvent fournir de la fonte en France[6]. » Ils supputent, — et ils n’exagèrent pas, — ce que la France a perdu : 60 000 de ses ouvriers métallurgistes sur 112 000, et en outre 40 pour 100 de ses ressources en charbon, 80 pour 100 de ses ressources en coke, 90 pour 100 de ses ressources en minerai de fer, 70 pour 100 de ses ressources en fonte, 80 pour 100 de ses ressources en acier, 80 pour 100 de son outillage.

La voilà donc désarmée, disent-ils, à jamais. Ils se sont trompés. La France saura pourvoir à ses besoins et au-delà, pourvoir aux besoins de ses Alliés, et au-delà. Comment elle rouvrit les usines qui lui restaient, les remit en branle, les agrandit, les transforma toutes en usines de guerre, en créa de nouvelles ; comment, pour se procurer la main-d’œuvre qu’il fallait, elle embaucha les femmes (41 000 femmes dans les usines au 1er juin 1915, 109 000 au 1er janvier 1916, 204 000 au 1er octobre 1916, 300 000 au 1er janvier 1917) ; comment elle ramena de la tranchée à l’atelier ou à la mine les ouvriers qualifiés et jusqu’à de simples manœuvres, et recruta des travailleurs jusque dans ses colonies les plus lointaines ; comment elle constitua, après les équipes de jour, les équipes de nuit ; par quelles merveilles de son double génie d’improvisation et d’organisation elle se constitua en grande puissance industrielle : c’est une noble histoire qu’il serait beau de retracer, que nous tenterons peut-être de retracer un jour. Qu’il nous suffise ici de noter quelques faits.

Pour la fabrication des obus, privés que nous sommes des bassins de Briey et du Nord, il nous faut importer le minerai et le charbon (sans compter le cuivre) : l’Espagne, l’Angleterre, la Suède, les États-Unis nous alimentent. Les sous-marins ont beau entraver bientôt les importations : du chiffre prévu de 5 000 obus à fabriquer par jour, les arsenaux français, puissamment aidés par l’industrie privée, parviennent par degrés à une production quotidienne de 250 000, dont 60 000 de gros calibres.

Pour les poudres, nos difficultés sont pires. Avant la guerre, vu le médiocre développement de notre industrie chimique, nos poudreries étaient (chose singulière) tributaires de l’Allemagne pour une part des matières premières qui entrent dans la composition de la poudre B. Le coton, surtout depuis que les départements envahis du Nord ne fournissent plus les déchets de leurs filatures, vient d’Amérique. L’acide sulfurique provient du traitement de pyrites importées. L’acide nitrique est extrait des nitrates venus du Chili ou produit en Norvège au moyen de l’azote extrait de l’air. L’alcool et l’éther nous sont fournis par la Russie et l’Espagne. Néanmoins, ce n’est pas en vain que notre alliée l’Angleterre nous assure la liberté des mers : nous réussissons à nous procurer toutes ces matières, et nos poudreries produisent continûment vingt fois ce qu’elles produisaient en temps de paix[7].

Elles suffisent à nous donner les poudres nécessaires, mais il en va autrement des explosifs. Les usines privées, plus nombreuses que celles de l’État (17 usines privées, 14 poudreries nationales), interviennent pour fabriquer les matières premières, dont certaines d’ailleurs sont utilisées pour la poudre. Comme elles nous venaient en partie d’Allemagne, il faut créer ou développer en France des industries jusqu’alors inconnues ou négligées : distillation du goudron de houille, débenzolage du gaz. — Nous recevons encore, mais dans de faibles proportions, les essences de Bornéo. — Les nitrates, dont la consommation est importante, proviennent en majeure partie du Chili. On fait appel à la houille blanche et plusieurs usines se fondent pour extraire l’azote de l’air. — Les acides nitrique et sulfurique sont obtenus, le premier grâce à ces procédés nouveaux d’extraction de l’azote, le second par le traitement des eaux mères des marais salants, en France et en Tunisie. — Enfin, le chlore, base de toute industrie chimique et, plus particulièrement, de toute une série d’explosifs, est également obtenu au moyen de la houille blanche. — Les gaz et les artifices viennent encore accroître les quantités nécessaires de ces matières premières, auxquelles il faut ajouter le mercure (détonateurs, capsules), qui nous vient d’Espagne.

Le tonnage de ces importations devient considérable : ce n’est pas nous seulement qu’il faut ravitailler en poudres, en obus, en gaz, en artifices : c’est l’artillerie de la plupart des armées alliées. A toutes ces tâches la France a pourvu.


IV. — LES MATÉRIELS

Il ne suffisait pas d’alimenter en munitions nos bouches à feu des premiers mois de la guerre. Elles s’usent : il faut les remplacer. Elles sont trop peu nombreuses : il faut les multiplier.- lles tirent à trop faible distance : il faut créer des matériels nouveaux.

En premier lieu, s’est révélée une nécessité inattendue, aussitôt après la cristallisation du front : la guerre de tranchée exigeait une artillerie de tranchée. Nous possédions, pour la défense de nos places fortes en cas de siège, des mortiers lisses en bronze, lançant des bombes sphériques, qui peuvent rebondir et courir sur le sol. Nous retirons de nos arsenaux ces engins de fabrication très ancienne : la plupart remontent au temps de Louis-Philippe ; ils se tirent avec de la poudre noire, qui fait beaucoup de fumée, de sorte qu’ils sont trop facilement repérés.

Les Allemands avaient ici l’avance sur nous : au lieu de ces vieux mortiers, ils trouvèrent tout prêts dans leur matériel de siège des engins récemment construits : dès la fin de 1914, aux Éparges, nos soldats virent cheminer lourdement dans l’air, à une allure instable, et s’abattre dans leurs tranchées, les énormes et terribles projectiles des Minenwerfer. Mais, à la même date, nous commencions, de notre côté, les essais de types modernes de mortiers tirant de la poudre B : le canon 58 de tranchée, etc.

Dans un document capturé par nous, daté du 4 juillet 1915, un général allemand, le général Fleck, dit en ces termes combien fut prompte et vigoureuse la riposte française : « Au début de la guerre de position, nous n’avions qu’un nombre infime de Minenwerfer, sur l’emploi desquels ni le commandement subalterne ni le haut commandement de l’infanterie n’étaient bien fixés. Les Français, dépourvus de ces engins, se rendirent vite un compte exact de leur puissance. Ils en créèrent bientôt par des moyens de fortune, puis en quantités toujours plus grandes et sous des formes chaque jour plus parfaites. Bientôt ils furent en état d’en accroître les effets et de pratiquer des tirs intensifs ; ils prirent à cet égard la supériorité sur nous. Nous réussîmes peu à peu à rétablir l’égalité, grâce au nombre et à l’organisation méthodique de nos Minenwerfer… »

Mais, chez nous aussi, le nombre s’accrut, l’organisation méthodique se précisa, et nous pûmes multiplier des armes de types divers, de plus en plus redoutables : tel le canon de 240 millimètres, qui lance à 500 mètres au moins, à 2 350 mètres au plus, un projectile de 94 kilogrammes, chargé de 47 kilogrammes d’explosif. Le 25 septembre 1915, nous pouvions concentrer, sur les fronts de nos attaques de Champagne et d’Artois, 500 canons de 58 de tranchée et 30 canons de 240 de tranchée. Dix mois plus tard, nos attaques sur la Somme disposaient de 900 canons de 58, de 80 mortiers de 75, de 100 canons de 240, de 80 canons de 150, de 10 canons de 340, au total de près de 1 200 matériels d’artillerie de tranchée.

Ces chiffres et ces données se réfèrent à des temps lointains, et surtout à des engins qui, tout comme les engins allemands d’ailleurs, n’étaient pas très précis : car la rayure et le forcement (chez les Allemands, la rayure sans forcement) sont remplacés dans l’artillerie de tranchée par un empennage propre à simplifier la manœuvre et augmenter la portée, mais au détriment de la précision. Mais depuis quelques mois, la France possède un matériel nouveau, dont les Allemands ont éprouvé déjà la précision plus grande.

En même temps que se constituait notre artillerie de tranchée, il nous fallait nous renforcer en artillerie lourde. Nos premières batteries de 105 long avaient pu déjà participer à la bataille de l’Yser : leur nombre alla toujours et vite croissant. D’autre part, nous avions formé à la mobilisation des batteries de pièces de 120 long et de mortiers de 220 traînées par des chevaux : à partir de janvier 1915, on augmenta le nombre de ces batteries attelées, et l’on organisa des batteries à tracteurs : pièces de 155 long, mortiers de 220 et de 270. On mit en position aussi vite que possible les grosses pièces de notre artillerie de côte et de marine : peu à peu, on les munit de tracteurs. Nous reçûmes aussi de notre industrie privée, du Creusot et de Saint-Chamond, des matériels nouveaux. Ce furent les débuts, relativement humbles, du développement de notre artillerie lourde : elle compte aujourd’hui plus de trente sortes de matériels de calibres divers, dont l’échelle va jusqu’au calibre de 520 millimètres : le mortier de 520 lance deux projectiles, qui pèsent l’un 1 200, l’autre 1 400 kilogrammes.

Si l’on veut mesurer ce que furent les premiers accroissements de notre artillerie lourde, voici quelques points de repère. Pour la bataille de l’hiver de 1915 en Champagne, nous n’avions pu concentrer sur le front de notre attaque qu’une centaine de pièces de 95 et au-dessus : aux batailles d’Artois de mai-juin 1915, le nombre des pièces lourdes n’atteignait pas encore 400. Mais, le 25 septembre 1915, sur le double front d’Artois et de Champagne, il dépassé déjà 1 100 : les premières pièces de 240 et de 370 font partie de cette masse. En août 1917, sur la Somme, plus de 1 200 canons lourds sont concentrés, dont une centaine des fabrications nouvelles à tir rapide de 155 long et court et de 280 ; près de 150 canons sont d’un calibre égal ou supérieur à 240 millimètres. Du mois d’août 1912 au mois de juin 1917, le nombre des canons de 75 a augmenté de 50 p. 100 ; celui des canons lourds organisés en régiments a passé de 300 à 6 000, modernes pour la plupart. Et tous ces chiffres sembleraient médiocres, si nous disions ceux d’aujourd’hui.

En somme nous avons réussi, en utilisant toutes nos ressources, à nous procurer les matériels nécessaires. Un programme d’artillerie lourde de grande envergure, qui récapitulait d’ailleurs toutes les demandes antérieures, avait été tracé le 30 mai 1916 : il fut exécuté depuis continûment et fermement. Faut-il croire qu’il marque le terme de l’évolution ? C’est peu probable. De plus en plus, il faudra chercher la grande portée, la puissance et le poids des projectiles. D’autre part, c’est un problème que de découvrir, pour l’artillerie lourde à grande puissance, un mode de transport qui permette de réduire l’usage de la voie ferrée et des « épis, » si malaisés à camoufler. Le problème est-il résolu ? S’il l’est ou non, les batailles en cours l’ont sans doute déjà dit aux Allemands.


V. — L’EMPLOI DE L’ARME

Ce développement énorme des matériels en nombre et en puissance fut fonction des exigences croissantes de la guerre de position. De part et d’autre, à mesure que les organisations défensives se renforçaient, on reconnut qu’il ne devait plus suffire à l’artillerie de s’attaquer aux obstacles superficiels qui peuvent arrêter l’infanterie, réseaux de fils de fer, tranchées, réduits, abris de mitrailleuses, batteries rapprochées ; qu’il lui fallait aussi atteindre les défenseurs au fond de sapes et de casemates blindées ou bétonnées, tout au moins les y maintenir emmurés jusqu’à l’instant où les vagues d’assaut les encercleraient ; qu’il fallait encore que l’artillerie protégeât ces vagues d’assaut par des barrages mobiles. De plus, il fallut s’attaquer non plus seulement aux premières positions, mais aux secondes, aux troisièmes, aux quatrièmes ; et, pour empêcher les relèves, l’arrivée des renforts, des vivres, des munitions, tirer au loin sur les voies d’accès, battre une zone de plus en plus profonde.

Ce fut une révolution totale dans les caractéristiques des feux de l’artillerie. Tandis qu’il était admis avant la guerre que l’artillerie ne tire qu’exceptionnellement au-delà de quatre kilomètres, elle s’attaque aujourd’hui, réglée comme elle l’est par les ballons et les avions, à des objectifs lointains, invisibles de tous les observatoires terrestres, et son tir utilise fréquemment toute la portée des pièces. — Tandis qu’il était admis avant la guerre qu’il lui suffisait d’ « arroser » les positions ennemies, aujourd’hui elle les « pilonne, » et le tir, de destruction, jadis exceptionnel, s’est fait quotidien. — Tandis qu’il était admis avant la guerre qu’il fallait presque renoncer à contre-battre les batteries adverses, aujourd’hui c’est elles principalement que l’on prend à partie, et il est écrit dans nos Règlements que « la destruction matérielle de l’artillerie ennemie doit être la première et constante préoccupation du commandement. » Cette évolution n’a pas été soudaine : dans les deux armées elle s’est faite par étapes, selon la loi d’un crescendo plus formidable à chaque étape.

Regardons aux deux termes extrêmes de la route. Voici, pris au hasard entre tant d’autres, un plan d’action de notre artillerie, qui date des premiers temps de la guerre de position, du mois de novembre 1914. Il s’agissait, en Artois, d’enlever la position allemande sur un front de trois kilomètres. Pour préparer l’attaque, il fut prescrit ce qui suit. Au point du jour, deux compagnies du génie ouvriraient des brèches dans les réseaux de fils de fer. A sept heures, deux batteries de 120 long, cinq batteries de 155 court à tir rapide ouvriraient le feu sur les tranchées ennemies. Vingt-cinq minutes plus tard, à sept heures vingt-cinq, l’artillerie de campagne tirerait sur les mêmes tranchées. Cinq minutes plus tard, à sept heures trente, l’infanterie attaquerait. Les choses se passèrent comme il avait été ordonné, et la position fut enlevée. De telles préparations suffisaient alors à assurer le succès d’un ample combat : en 1916 et 1917, elles auraient appuyé à peine un chétif coup de main.

En 1916 et 1917, au cours de la préparation et de l’exécution d’une seule attaque, un canon de 75 consommait en projectiles ce qu’on avait admis avant la guerre qu’il consommerait en deux ou trois mois. Pour détruire cent mètres de tranchées il fallait, dans un tir bien exécuté et bien observé, tirer au moins, après le réglage, 300 obus du 155 long. Pour faire une brèche de quinze à vingt mètres de large dans un réseau de fils de fer, il fallait tirer environ 500 obus de 75. On en vint ainsi à prévoir, par journée de préparation et d’attaque, de 300 à 400 coups par pièce de 75, de 200 à 300 coups par pièce de 155, de 80 à 100 coups par pièce de 220 à 270[8]. Dans le mois de juillet 1916, notre canon de campagne a consommé 6 400 000 obus ; en octobre 1916, 5 500 000. Si l’on calcule le poids des projectiles lancés sur les tranchées allemandes dans nos offensives de 1917, on trouve les chiffres suivants par mètre courant : artillerie de campagne, 400 kg. artillerie de tranchée, 200 kg. ; artillerie lourde, 700 kg. ; artillerie lourde à grande puissance, 150 kg. ; au total, plus de 1 400 kg. L’apport d’un jour de feu aux batteries a parfois atteint 1 200 tonnes pour un corps d’armée ayant deux divisions d’infanterie engagées.

Ces chiffres monstrueux sont pleins de beauté. Si un seul jour, tandis que la France se battait presque seule, elle avait tremblé devant l’accumulation sans cesse croissante des engins d’Essen, si un seul jour elle avait tardé, qu’en serait-il aujourd’hui de la cause des Alliés et de leur indépendance ? La France n’a ni tardé ni fléchi, mais tenu tête et peu à peu pris l’ascendant.

Comment ? Ce n’est pas que le mode d’emploi tactique de l’arme diffère grandement ici et là : chaque nouvel emploi qui donne d’heureux résultats à l’un des belligérants est adopté aussitôt par les autres, et tous les genres de tir se font, avec plus ou moins de réussite, dans toutes les artilleries. Mais il en va autrement de la conduite du tir. Les Allemands, disent nos artilleurs, emploient à peu près les mêmes méthodes générales que nous ; mais, une fois le réglage obtenu, ils procèdent par tir sur zone et ne contrôlent pas comme nous : leur pratique est plus brutale, plus dispendieuse, au total moins puissante, et il apparaît que notre supériorité réside là, dans la conduite plus savante du tir.

C’est là une grande chose, dont seul un technicien saurait expliquer la noblesse. Mais ce que chacun, si profane soit-on, peut voir à plein, c’est qu’il faut bien que l’artillerie française ait possédé dès 1914 quelque vertu qui fût vraiment sienne, quelque germe de supériorité, puisque, si pauvre initialement en matériels et en munitions, si médiocrement soutenue au début par une industrie métallurgique désorganisée, elle a su résister, gagner du temps, donner à la nation le loisir de se reprendre et de s’armer. Durant toute l’année 1915 et jusqu’aux premières semaines de Verdun, il faut bien que notre artillerie ait eu à son avantage quelque mérite particulier, qui fit contrepoids à la force d’écrasement de bouches à feu ennemies plus nombreuses et plus puissantes, et qu’était-ce donc, sinon plus d’intelligence ?

Voilà ce que chacun peut voir à plein et sentir, s’il considère ce qu’il a fallu assembler, conjuguer, déployer des énergies les plus diverses de l’intelligence française pour rétablir l’équilibre ; — pour parvenir, du jour où la guerre prit la forme d’une guerre de siège, à étendre et à adapter, non seulement à notre artillerie lourde, encore embryonnaire, mais à notre artillerie de campagne, les méthodes de l’artillerie à pied ; — pour établir, sur le modèle des rares plans directeurs de tir de nos places fortes, des cartes où fût décrite, avec le même détail, de la mer aux Vosges, toute la zone des positions ennemies ; — pour constituer l’art de l’observation terrestre et l’art de l’observation aérienne ; — pour imaginer la longue série des procédés de signalisation qui va des évolutions naïves de l’avion de 1914 jusqu’à l’installation à bord de l’avion d’aujourd’hui d’un poste d’émission, puis d’un poste de réception de télégraphie sans fil ; — pour inventer les méthodes subtiles du repérage par les lueurs, du repérage par le son ; — pour combiner le système des liaisons, optiques, téléphoniques, et de celles qu’on doit à la télégraphie sans fil et à la télégraphie par le sol ; — pour calculer, dans la conduite du tir, toutes les causes dont les effets peuvent être chiffrés, en sorte que l’on fasse profiter chaque tir de tous les enseignements de la balistique, par un travail qui commence au lotissement des projectiles et se poursuit, par l’étude des variations du vent et de la densité de l’air, jusqu’à l’examen des bulletins de tir. Météorologie, acoustique, optique, cartographie, quelle science l’artillerie n’a-t-elle pas réquisitionnée à son service ? De tout temps elle fut l’« arme savante, » mais surtout dans cette guerre, et ce que le plus profane peut voir et admirer, c’est qu’aujourd’hui tout commandant de batterie, un simple officier d’antenne, un simple lieutenant observateur, est devenu le technicien de vingt techniques, le spécialiste de vingt disciplines scientifiques.

Si notre artillerie satisfait aujourd’hui à tous nos espoirs, c’est que, dès le temps de paix, elle était constituée fortement, sinon en matériels, du moins en hommes, grâce à notre École Polytechnique, à notre École de Fontainebleau, à notre École de Versailles, à notre École Centrale, et à toutes nos écoles d’ingénieurs ; et c’est que, depuis la guerre, au pays de Descartes et d’Ampère, en notre vieux pays de large culture et de science, nos artilleurs de carrière, tout en dirigeant la refonte de notre armement et tout en assurant le commandement des batteries engagées au combat, n’ont pas été en peine de recruter dans la nation, tant qu’ils en ont voulu, de jeunes officiers nouveaux, bientôt dignes de leurs anciens, assez doués intellectuellement pour s’initier vite à leur tâche ; et n’est-il pas admirable qu’en la seule année 1917 il soit sorti de notre École de Fontainebleau jusqu’à dix mille aspirants et sous-lieutenants d’artillerie ? Leurs aînés les y instruisent, et s’instruisent eux-mêmes et se perfectionnent sans cesse, à mesure que les méthodes se renouvellent, dans les nombreuses écoles de la zone des armées : cours pratiques de tir pour les jeunes officiers dans les divisions et les corps d’armée, cours supérieurs pour les commandants de batterie dans les groupes d’armées, cours plus élevé encore pour les commandants de groupe et de groupement, et même pour le haut commandement, sous la haute direction du général en chef, c’est comme une vaste et vivante Université nouvellement sortie de terre, dont la base est l’École de Fontainebleau, dont l’organe supérieur et régulateur est le Centre d’études de l’artillerie, lequel, pour assurer l’unité des vues et des pratiques, et par suite le bon rendement de l’arme, fixe périodiquement la doctrine.

Cette doctrine ne régit pas seulement l’artillerie française : toutes les artilleries alliées, ou presque toutes, ont, à des degrés divers, reçu et continuent de recevoir l’inspiration de la France. La France, tour à tour emprunteuse et prêteuse, et toujours aussi prompte à reconnaître ses dettes qu’à multiplier ses dons, se loue d’avoir tant reçu de ses alliés britanniques et américains, matières premières, charbon, acier, munitions. En retour, elle a ravitaillé la Russie (hélas !), la Roumanie, la Serbie, la Belgique, en explosifs, en projectiles, en canons : naguère si dépourvue elle-même d’artillerie lourde, n’a-t-elle pas réussi à livrer à ses divers alliés jusqu’à 950 pièces lourdes ? Mais, bien plus que de son assistance en engins de guerre, elle doit s’enorgueillir d’avoir fourni à la plupart de ses alliés des idées et des instructeurs. Alors qu’elle était presque seule encore à soutenir le choc de l’Allemagne, elle a commencé de les aider, matériellement, intellectuellement. Elle n’a pas cessé. Et l’on peut dire que l’artillerie française a plus ou moins servi de modèle à toutes les artilleries de l’Entente.


Tous ces aspects de l’énergie française m’apparurent à la fois, et je les contemplai pieusement, humblement, vénérant la patrie, en cette semaine d’octobre 1917, dont le souvenir sans cesse me hante, où il me fut donné de suivre la préparation par l’artillerie de la bataille de la Malmaison. Durant quatre jours, tandis que la canonnade, s’apaisant, s’irritant, courait du moulin de Laffaux au bois de la Royère, je pus voir ou entrevoir, appliqués à leurs diverses tâches, nos artilleurs, ceux-ci au fond de leurs abris souterrains et d’autres sous les toiles bizarrement camouflées des tentes, ceux-ci qui étudiaient le réseau de réglage ou le système des liaisons, et d’autres qui se penchaient sur le croquis des destructions entreprises et déchiffraient d’heure en heure les photographies aériennes.

Et, me reportant par la pensée à trois ans en arrière, aux jours où la France pacifique fut saisie à la gorge, je songeais que rien alors n’existait chez nous, ou presque rien, de toutes ces choses maintenant étalées sous mes yeux, ni ces engins, ni ces méthodes, ni sur leurs affûts-trucs ces pièces monstrueuses, ni ces chars d’assaut, ni la voix souveraine de ces obusiers de 400, ni, sur les routes fourmillantes de troupes, les cheminements sans fin de ces batteries à tracteurs, ni ces convois immenses de munitions qui montaient à la nuit des échelons aux lignes : de tant de puissances maintenant ramassées sur elles-mêmes et prêtes à se déchaîner, rien encore n’existait chez nous en 1914, sinon cette grande chose, la volonté de mourir ou de vaincre, et cette autre chose, non moins grande, une longue tradition d’art militaire et de science, entretenue vivante par le corps de nos officiers d’artillerie. Et parce que, durant trois années, aux batteries, aux postes d’observation et dans les laboratoires, ils avaient beaucoup travaillé et beaucoup souffert, maintenant l’effort de la patrie se révélait en sa majesté, et plus majestueux d’heure en heure, à mesure que se développait la lutte d’artillerie, et tant que vint la nuit choisie pour l’attaque, la nuit désirée.

Au fort de Condé, nous étions plusieurs dans l’attente, anxieux, et le vieux fort semblait un vaisseau battu des vents et des vagues, et qui vibre de la carène à la mâture. Par intervalles, las d’écouter des casemates les bruits assourdis de l’ouragan, nous moulions par les rudes échelles de fer jusqu’au plus haut observatoire, et là nous regardions au loin rouler la houle, stupéfaits chaque fois que l’horreur eut pu croître. Les ondes inégales des sons et des lueurs déferlaient, comme aux jours primitifs du chaos. Ces plaines, ces vallons, ces hauteurs, que pourtant l’avant-veille nous avions longuement regardés de la même terrasse du fort, on ne les reconnaissait plus. C’était un paysage sans lignes, bien que la nuit fût claire, un paysage mouvant, fait d’épaisses masses d’ombres et de lourdes masses sonores, qui se pourchassaient confusément comme des nuées, et l’on ne savait plus ce qui était son et ce qui était forme, et, quand parfois l’ouïe avait cru saisir un rythme ou la vue préciser un contour, aussitôt une rafale discordante brisait le rythme, aussitôt l’éclatement d’un obus allemand ou le cône de lumière d’un projecteur déchirait un vaste pan d’ombre, et tout muait et chavirait, et ce n’était plus qu’un abîme d’éclairs, de bruits, de fumées, de ténèbres remuées. Pour trouver un point de repère stable sur ce gouffre, il me souvient que je m’étais imposé de fixer du regard une de nos pièces, tapie dans les broussailles au pied du fort, à droite, à deux ou trois cents mètres peut-être, qui tirait éperdument.

Or, chaque fois qu’elle tirait, revenait à mon esprit désemparé, comme il arrive dans les cauchemars, une parole, toujours la même, et je savais bien d’où elle venait, cette phrase obsédante : d’une lettre, publiée par les journaux aux premiers mois de la guerre, qu’une paysanne lorraine avait écrite à son mari, un canonnier, pour lui dire sa détresse, leur village incendié par les Allemands, leurs enfants chassés, et la dernière-née tuée dans son berceau : « Venge ta petite, disait la mère ; tu ne l’avais jamais vue, elle était belle, c’était une autre Fernande ; venge-la ; envoie-leur en des boulets plein la gueule ! » Et chaque fois qu’elle tirait, la pièce au pied du fort, elle répétait ce cri de haine ; et c’était lui, j’en étais sûr, qui pointait cette pièce, lui le père de la petite Fernande et de l’autre, heureux, et sa jouissance était faite de sa souffrance. Et des voix pareilles, vengeresses, chargées de la même colère, éclataient de toutes parts, et leur haleine embrasait la plaine. Sous la lune, tous les canons hurlaient à la mort, comme des chiens.

Mais l’instant vint, celui dont nul n’a besoin de demander si c’est l’heure H, car chacun la reconnaît, à l’étrangeté d’un silence solennel, à l’arrêt de son cœur, et chacun sent bien que c’est le septième ange qui va sonner la septième trompette.

Alors, quand brusquement le régime du tir changea et que tous les feux, dans l’aube naissante, semblèrent se concentrer et s’abattre à la fois sur une seule ligne, quand jaillirent de toutes parts les fusées allemandes demandant le tir de barrage, quand on comprit que nos parallèles de départ s’étaient vidées là-bas et qu’ils s’étaient élancés, les vaillants, alors le soleil dissipa les prestiges et les cauchemars nocturnes, et, tandis que nos fusées et nos pots Ruggieri, s’éloignant, s’arrêtant, reprenant leur marche, marquaient le jalonnement de nos lignes et les mouvements de flux et de reflux de la bataille, il apparut que l’œuvre de ces jours et de ces nuits tragiques n’était pas un chaos, mais une harmonie. Il apparut que ni la colère, ni la haine, ni même la vaillance ne sont puissantes, que seule l’intelligence est puissante. Cette lutte d’artillerie, ce n’était pas le déchaînement d’une tempête absurde, c’était le déroulement d’une pensée hardie et savante, réglée par la raison, et brillante de lumière. Cette bataille était construite selon les lois exactes du rythme et du nombre, comme un poème, et la voûte d’acier des trajectoires avait été calculée aussi précisément que la portée des arcs d’ogive de nos vieilles cathédrales. Je revis dans ma pensée tant de techniciens qui avaient façonné dans les états-majors ce chef-d’œuvre de la raison française, et le maître du chœur, le démiurge, celui qui avait dressé le plan d’artillerie, réparti les calibres entre les échelons, distribué les missions entre les calibres, arrêté le triple croquis des destructions, des contre-batteries et des déplacements des feux de l’artillerie ; et je compris ce qu’est une victoire, non pas de celles que l’ennemi remporta sur nous au début de la guerre à la faveur du guet-apens de Belgique, mais une victoire française, et que, pour en remporter de telles, il y faut le plus haut labeur de l’esprit, et le concours des ancêtres, leurs vertus accumulées, des siècles de sage culture et de vie scientifique.

« L’artillerie conquiert, l’infanterie occupe… » Sur le terrain conquis, vers la ligne des crêtes, d’où l’ennemi avait été culbuté, le lieutenant M… qui fut durant ces jours mon guide très noble, me conduisit le lendemain, et nous vîmes la poussée en avant de l’artillerie de campagne. Croisant les troupeaux humiliés des Bavarois capturés dans les creutes, nos artilleurs montaient en bel arroi vers la Forêt de Pinon et le Chemin des Dames, et nous vîmes aussi redescendre des abords d’Allemant une pièce à demi brisée, fière encore pourtant : devant son poste de commandement, près de Lallaux, le colonel l’attendait ; les canonniers défilèrent devant lui, leurs yeux brûlaient d’insomnie et de joie, et pour les remercier, les trompettes sonnaient à l’étendard. Plus loin, au-delà de la caverne de Fruty, bombardée la veille à bout portant par nos chars d’assaut, d’autres artilleurs mettaient en batterie à même la route, et ceux-ci, agiles et rieurs, parlaient le patois de mon cher Dauphiné. Dans tous les vallonnements, sur des positions improvisées, les batteries, les groupes nouvellement amenés foisonnaient, tandis que nous cheminions en direction de la Malmaison, par la terre a jamais sacrée, puisqu’elle porte le nom d’une victoire française, mais dévastée. Nous allâmes par un bois : notre artillerie y avait lancé sa hache et l’avait rasé au ras du sol ; — par une prairie : ce n’était plus qu’une coulée de lave et de cendre ; — par un champ de labour : le blé n’y croîtrait plus. Terre douloureuse ! Qu’elle ne regrette pas pourtant l’herbe des prés, ni la frondaison des bois, ni les blés, ni le doux rythme des travaux rustiques ! Elle a vu des géorgiques plus belles. Notre victoire, qui l’a déchirée jusqu’aux entrailles, l’a imprégnée aussi et fécondée : elle y a fait des semailles, et déjà le grain lève : liberté, justice, amour, qui nous est plus nécessaire que le blé. C’est pourquoi, sur cette glèbe ravagée, mon cœur loua la France, Celle qui, si souvent ii travers les siècles, a mis ensemble la justice et la force et su faire que le juste fût fort et que ce qui est fort fût juste,


JOSEPH BEDIER.

  1. Voir, par exemple, la Revue d’artillerie, au tome LXXXI (novembre 1912), p. 121 ; au tome LXXXII (1913), p. 298, 374. 444.
  2. Voir au tome LXXXIII, p. 113, de la Revue d’artillerie, un compte rendu critique, par le capitaine Pesseau, de l’ouvrage de Hans Friederich, Die taktische Verbendung der schweren Artillerie, Berlin, 2e édition. 1913.
  3. D’après divers articles de la Revue d’artillerie, dont nous reproduisons ici l’essentiel.
  4. Il est vrai que l’artillerie de campagne allemande n’avait pas toutes les missions de la nôtre, puisque l’artillerie lourde la Suppléait en bien des cas. En outre, la fabrication des munitions du 77 durant la guerre avait été prévue en Allemagne comme devant être poussée très activement.
  5. Les Allemands avaient cru, — on peut mesurer par-là leur illusion et leur déception, — que cet approvisionnement suffirait pour toute la guerre : la fabrication des munitions d’artillerie lourde devait cesser à la mobilisation.
  6. Statistique dressée par Schroeder, président de l’Association métallurgique allemande.
  7. Une évolution cependant se produit dans la fabrication : la poudre B est remplacée, pour partie, par la poudre à la nitroglycérine, qui demande moins de coton et ne demande pas d’alcool.
  8. Un document capturé, énumérant la première armée allemande, groupement von Stein, indique ce qu’ont consommé les batteries allemandes au cours de la bataille de la Somme. Nous en extrayons quelques données.
    Consommation moyenne par batterie. «
    Pendant la lutte d’artillerie du 24 au 30 juin Pendant l’attaque d’infanterie du 1er juillet Consommation maxima relevée pour certaines batteries
    Batteries de 77 1 500 2 250 4 000
    Batteries d’obusiers légers de 105 1 000 1 800 3 000
    Batteries d’obusiers lourds de 15 cm 500 900 1 200
    Batteries de mortiers de 21 cm 200 400 500