L’Intérieur du globe terrestre

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L’Intérieur du globe terrestre
Revue des Deux Mondes3e période, tome 83 (p. 140-170).
L'INTERIEUR
DU
GLOBE TERRESTRE

I. Œuvres d’Edouard Roche. (Mémoires de l’Académie des sciences de Montpellier.) — II. A.-H. Green, Geology, 3e édition. Londres, 1882. — III. A. de Lapparest, Traité de géologie, 2e édition. Paris. — IV. Nordenskiöld, Om den Kant-Laplace’ska teorien. Stockholm, 1883.

Les générations futures arriveront-elles à savoir ce qui se passe à six millions de mètres au-dessous de l’Observatoire de Paris ? En dépit du progrès continu du savoir et du perfectionnement incessant de l’outillage, il n’est pas permis à un utopiste, si hardi qu’il soit, de rêver sérieusement à l’exécution du tunnel de Maupertuis, perçant le globe d’outre en outre. Est-ce à dire qu’il faille renoncer à tout espoir d’acquérir sur l’intérieur du globe quelques notions sommaires ? Nous est-il défendu d’émettre des conjectures plus ou moins bien fondées ? Un certain nombre d’auteurs n’ont pas désespéré de la puissance de leurs raisonnemens, et, s’appuyant sur un petit nombre de données expérimentales, ils se sont demandé ce que deviennent les lois de la gravitation au sein de la terre, quelles indications fournirait un thermomètre enfoui dans ces mystérieuses profondeurs, et enfin quelle substance chimique compose les assises primordiales.

I

De nos jours, la forme du globe, grâce aux nombreuses mesures géodésiques qui ont été effectuées depuis cent cinquante ans, est connue avec une grande précision. Notre domaine a la forme d’un ellipsoïde de révolution aplati, c’est-à-dire que son axe polaire est plus court que son rayon équatorial de la trois-centième partie de celui-ci. Plusieurs auteurs attribuent à la terre une figure moins simple encore et signalent des inégalités d’ordre secondaire. M. de Lapparent juge même que les deux hémisphères ne sont pas exactement pareils et que l’équateur ne figure pas un cercle parfait. Au fond, toutes ces divergences n’ont aucune importance, sinon quand il s’agit de calculs d’une extrême rigueur. Si nous pouvions apercevoir la planète circulant dans l’éther, il nous semblerait voir une sphère géométrique. Du reste, on l’a dit bien souvent, un tourneur fort habile aurait peine à façonner un globe si parfaitement ajusté ; une boule de croquet, une bille de billard sont certes moins rondes que ce solide si complexe que les géodésiens allemands ne savent plus quel nom lui appliquer. Les grosses planètes, comme Jupiter ou Saturne, examinées à l’aide d’une bonne lunette, montrent une ellipticité autrement exagérée (1/10e ou 1/11e) due à la rapidité de leur rotation diurne. La lune offre, au contraire, un disque parfaitement circulaire ; mais le calcul démontre que, sous l’influence de l’attraction de la terre, ce satellite a pris l’aspect d’un œuf dont le gros bout est tourné de notre côté. Quoi qu’il en soit, la terre est une surface centrée, et l’axe idéal autour duquel s’accomplit la révolution de vingt-quatre heures passe par le centre et aboutit aux deux pôles arctique et antarctique.

La matière pondérable située à la surface du globe et au-delà subit l’attraction terrestre comme si toute la masse de la planète était ramassée dans un noyau unique. En d’autres termes, pour être parfaitement clair, on peut toujours, dans les calculs relatifs à la gravitation universelle, supposer la terre réduite à son centre, ce dernier ayant une masse égale à celle de la totalité de la sphère.

Supposons tout d’abord, pour plus de simplicité, que nous foulons aux pieds une boule d’une parfaite homogénéité. Nous pénétrons dans l’intérieur ; que va-t-il se passer ? Sans doute, dira-t-on, l’attraction va augmenter à mesure que nous approchons du centre qui est le point attirant, et elle va devenir infinie quand la masse attirée sera en coïncidence avec le milieu de l’axe terrestre. Le raisonnement semble assez logique au premier abord ; par le fait, il est radicalement faux. S’il s’agit d’une masse extérieure au globe, toutes les molécules de celui-ci contribuent sans exception à exercer des efforts de même sens, qui, bien qu’inégaux, se superposent et s’ajoutent entre eux. Mais, dans le cas d’un point intérieur, les particules attirantes, disposées dans tous les sens, se contrarient mutuellement, et une partie des forces mises en jeu est détruite. Il ne reste comme produisant un effet vraiment utile que le noyau sphérique dont le rayon est égal à la distance au centre de la masse attirée. Celle-ci étant supposée parvenue jusqu’au centre même, notre sphère idéale a un rayon nul et l’attraction est elle-même égale à zéro ; il suffit, pour le prévoir, de remarquer qu’aucune raison ne saurait faire mouvoir un objet quand il est également sollicité dans toutes les directions par des influences identiques.

Ainsi, au centre de la terre, plus de pesanteur : le père Kircher, dans son Mundus subterraneus, examine soigneusement, avec figures à l’appui, comment se comporteraient un homme, une plante, un oiseau transportés à travers les profondeurs du globe jusqu’au cœur de l’univers. Nous ne le suivrons pas dans son expédition.

Abordons toutefois l’examen d’un curieux paradoxe, qui va nous conduire à des conséquences aisées à prévoir par la mécanique. Imaginons un vide, un creux sphérique occupant l’intérieur de notre petit monde et placé bien concentriquement à celui-ci. La pesanteur sera identique pour tous les points contenus dans cette caverne, qu’ils soient rapprochés ou éloignés des parois ; mais comme, au centre commun de la terre et de notre cellule hypothétique, l’attraction est manifestement nulle, il en est de même dans toute la capacité. Comme, de plus, cette anomalie est indépendante des dimensions du creux, pourvu qu’il soit régulièrement découpé, on pourrait, à la rigueur, sans blesser les lois d’ensemble de la mécanique céleste, concevoir le globe comme formé d’une croûte mince, mais fort dense, enveloppant un espace creux de dimensions un peu moindres au sein duquel aucune pesanteur ne se ferait sentir. Qui empêche même de se mettre en frais d’imagination et de peupler ce séjour souterrain d’êtres animés dégagés de tous liens terrestres ? Cette fantaisie ne repose sur aucun fondement ; tout au contraire, la science contemporaine ne manque pas de bonnes raisons pour croire que l’ensemble de l’intérieur du globe est plus dense et plus riche en matières que les couches superficielles. Cependant, après des millions d’années, si les prophéties de M. Faye se réalisent, l’excavation se formera peu à peu par suite du refroidissement de l’univers.

Une dernière hypothèse : creusons par la pensée, entre Paris et les antipodes, un puits gigantesque dont le milieu coïncidera avec le point sans attraction. Laissons tomber dans ce puits un corps pesant quelconque, une pierre par exemple : le mobile se précipitera jusqu’au centre avec une vitesse progressivement accélérée ; mais, en vertu de l’inertie, il dépassera ce but, et sa marche, de plus en plus ralentie, ne prendra fin qu’à l’orifice opposé ; après quoi il retombera vers l’intérieur, franchira de nouveau le diamètre terrestre, reviendra à Paris, d’où il repartira de nouveau, et ainsi de suite jusqu’à la consommation des siècles. Si l’on fait intervenir la résistance de l’air, on trouve que ce mouvement oscillatoire doit s’amortir par degrés, et finalement notre pierre atteindra le terme de son voyage au bout d’un temps extrêmement long ; après quoi elle flotterait le long des parois sans avoir besoin de soutien et sans remonter à la surface, à moins qu’une force étrangère n’intervint. La légende du tombeau du Prophète, nageant au sein de l’air, deviendrait une réalité.


II

La densité de l’ensemble du globe terrestre est un élément de la plus haute importance, qu’il est essentiel de connaître avec exactitude. Les calculs de la mécanique céleste nous fournissent les masses, non-seulement du soleil, mais encore de toutes les planètes accompagnées de satellites, comme Mars, Jupiter et Neptune, rapportées à la masse de la terre prise pour unité. Ainsi, par exemple, on a pu estimer que le soleil pèse trois cent cinquante mille fois plus que la terre. Si l’astre n’est pas pourvu de satellites, ce qui est le cas de Mercure, de Vénus, des astéroïdes, s’il s’agit des lunes elles-mêmes ou des comètes, le problème ne saurait être abordé directement ; il faut alors user de voies détournées et souvent se contenter d’approximations un peu grossières. Enfin, dans plusieurs circonstances, on se heurte à une impossibilité absolue. Mais les chiffres trouvés, qu’ils soient exacts ou seulement voisins de la vérité, n’exprimeraient que des rapports abstraits si l’on ne pouvait traduire en tonnes ou en millions de tonnes le poids de notre planète elle-même ; au contraire, celle-ci étant pesée, les autres corps célestes le sont par cela même. Comme les astres depuis longtemps ont été jaugés grâce aux mesures micrométriques, et qu’au moyen de triangulations géodésiques les dimensions et le volume du domaine de l’homme sont faciles à déterminer, il s’ensuit que de la connaissance des poids, on déduira sans peine les densités, non-seulement de la terre, mais de la plupart des constituans du monde solaire.

Une fois que la réponse à la question concernant la densité de la terre aura été obtenue, elle nous fournira peut-être des indications précieuses sur ce que l’intérieur du monde peut renfermer. La croûte superficielle par nous explorée est réellement fort peu de chose si on la compare à l’immensité des profondeurs inconnues ; on peut en faire abstraction et la considérer comme négligeable. Le poids spécifique moyen de toute la terre se confond approximativement avec celui d’un noyau intérieur dont la surface passerait à quelques kilomètres au-dessous du niveau des mers. Or jamais l’homme n’a même songé à pousser aussi loin, abstraction faite des sondages hydrographiques. La densité d’une matière étant fixée, il semble que la nature de cette substance est déterminée grâce à la connaissance de ce caractère spécifique presque invariable ; tout au plus le choix paraît-il restreint à un petit nombre de corps. Malheureusement, le chiffre découvert ne saurait se rapporter qu’à une moyenne affectant l’ensemble de l’énorme masse, ce qui amoindrit a priori son utilité, si l’on est forcé d’admettre pour cette même masse une constitution disparate.

Nous ignorons sur quelles raisons s’appuyait Newton lorsqu’il assignait au poids spécifique de la terre une valeur de 5.50, qui est, comme nous le verrons, l’expression exacte de la vérité ; mais assurément la coïncidence est d’autant plus surprenante qu’il ne fit aucune recherche expérimentale pour justifier son pressentiment. Ce ne fut que dans les dernières années du XVIIIe siècle que Cavendish imagina un instrument des plus ingénieux, dans lequel il mit à profit l’élasticité de torsion des fils métalliques très fins. En France, peu d’années auparavant, Coulomb, officier du génie, réussissant à formuler les lois des attractions et répulsions électriques, venait de montrer quel merveilleux parti les physiciens pouvaient tirer de ces mêmes propriétés. Nous ne pouvons guère qu’indiquer ici le principe de l’expérience. On pèse deux petites sphères en cuivre, égales en toutes choses, ce qui revient à mesurer l’attraction de la terre sur ces boules. Ces petites sphères sont ensuite disposées aux deux bouts d’un levier horizontal en sapin, suspendu lui-même par son milieu à un fil métallique. Au moyen d’un mécanisme, on approche deux énormes blocs de plomb, qui jouent par rapport au cuivre le rôle de masses attirantes et dévient le levier en tordant le fil. L’angle de torsion une fois déterminé, il est aisé d’estimer la force qui a été mise en jeu et de la comparer au poids des sphères en cuivre. Le rapport de ces deux nombres donne celui des masses agissantes, qui sont d’abord la terre entière et ensuite les globes de plomb. Finalement, on trouve combien il faudrait accumuler de masses semblables pour balancer le poids de notre planète. Quand on passa du poids à la densité, les résultats dus à Cavendish se traduisirent par le nombre 5.48. Depuis le commencement de ce siècle, de nouvelles expériences ont été poursuivies avec des appareils perfectionnés. Baily trouve un nombre un peu plus fort, 5.67 ; et, presque à la même époque (vers 1840), Reich installe ses instrumens au fond de la mine de Freiberg, afin d’obtenir une température bien constante : il trouve successivement 5.44, 5.49 et 5.58. Tout récemment enfin, la question est étudiée à nouveau par M. Cornu, professeur à l’École polytechnique, secondé par M. Baille, répétiteur de physique à ladite école. Sans parler des dispositifs d’ensemble, nos deux’ compatriotes, ayant à leur disposition un agent docile et exact dont étaient privés leurs devanciers, — c’est de l’électricité que nous parlons, — ont pu éviter les trépidations, qui sont fort nuisibles dans des expériences aussi minutieuses. Ils n’opèrent et n’observent qu’à distance, laissant la nature agir elle-même sans que l’intervention de l’homme vienne troubler son travail ; ce qui prouve leur succès, c’est le parfait accord des nombreuses séries de résultats qu’ils ont obtenus durant plusieurs années : leurs expériences donnent, pour la densité de la terre, 5.50.

Ce chiffre 5.50, qui représente une moyenne, mérite d’être étudié de près, et tout d’abord, notons-le, il est assez élevé. On peut objecter que l’or, le platine, le cuivre, le plomb, le fer même sont beaucoup plus lourds ; mais si l’on rejette ces corps infiniment rares à l’état libre, et si l’on ne considère que des substances communes, des minéraux usuels, on ne trouve nulle part une pesanteur spécifique aussi considérable. La densité de l’eau étant prise pour unité, le calcaire, le gypse ont une densité moyenne peu supérieure à 2. Le granit, base fondamentale du terrain primitif, approche du nombre 2.7 ; une roche éruptive, le basalte, est un peu plus pesante encore et va jusqu’à 3 ; mais si, pour certaines laves, il est permis d’ajouter encore quelques dixièmes, ce dernier chiffre n’en doit pas moins être considéré comme marquant une limite supérieure qu’aucune matière répandue en masses considérables ne peut franchir dans l’état actuel de nos connaissances. Inversement, grâce à une coïncidence purement fortuite, la densité de la terre est comprise entre celles de deux métalloïdes introuvables à l’état de pureté, l’arsenic (5.67) et le titane (5.30) ; pourtant nul n’ira supposer que nous habitans un monde bâti en titane ou en arsenic.

Examinée à ce même point de vue, la terre parait occuper un rang fort avantageux parmi les corps célestes que nous connaissons le mieux ; peut-être même que la première place doit lui être attribuée. Écartons tout d’abord le soleil et les quatre grosses planètes, et ne considérons que les planètes dites moyennes : Mercure, Vénus et Mars, en un mot les astres les plus voisins et les plus comparables au domaine de l’homme. Mars et Vénus ont des densités certainement inférieures à celle de la terre, celle de Mars étant 3.9 et celle de Vénus 4.5. Quant à Mercure, on lui attribue une densité qui dépasse 6 ; mais sa masse est encore mal connue, et il est possible que le chiffre en question ne soit pas exact.

N’oublions pas la lune, qui sert d’appendice à notre globe, mais qui, comme pesanteur de matériaux, ne lui ressemble guère, puisque leur densité n’équivaut qu’aux 3/5e du nombre 5.50, soit 3 environ. Or, d’une part, toutes les observations télescopiques sont d’accord pour manifester la constitution volcanique de la lune, et, d’autre part, le poids spécifique de toutes les roches éruptives, beaucoup plus denses que celles d’origine sédimentaire, se trouve précisément osciller dans le voisinage de 3. L’astronomie physique et l’astronomie mathématique conduisent donc, chacune de leur côté, à des résultats parfaitement conformes, ce qui, par parenthèse, n’a pas toujours lieu.

La partie de la croûte terrestre superficielle qu’ont étudiée les géologues et les minéralogistes est douée d’une légèreté qui ne cadre guère avec le chiffre élevé convenable pour l’ensemble du bloc, et, en somme, on ne peut attribuer à l’écorce une densité approximative supérieure à 2.25 ou 2.75. Sans doute, répétons-le encore, la pellicule externe visitée par l’homme est si peu de chose, que de ce seul défaut de condensation, lequel s’exagère encore si on tient compte de la masse des mers, on ne saurait conclure à bon droit qu’au centre la matière est plus pressée. Mais cette divergence a servi à attirer les regards des mathématiciens sur la théorie de la condensation interne, et c’est grâce à elle que les savans ont été conduits à classer presque au rang des vérités démontrées l’hypothèse d’un noyau lourd.

Dans le cours de ses travaux scientifiques, l’illustre Laplace ne négligea pas le problème du noyau du monde, et Legendre s’est aussi occupé de ce sujet intéressant ; mais, pour abréger, nous analyserons directement les travaux plus récens d’Edouard Roche, mort il y a quelques années, correspondant de l’Institut et professeur à la faculté des sciences de Montpellier. Ses calculs, fort élégans et relativement simples, s’appuient sur la discussion de deux élémens déterminés de nos jours avec une suffisante approximation : nous voulons parler de l’aplatissement terrestre et de la précession des équinoxes, comparés avec les poids spécifiques respectifs de l’ensemble et de la superficie, celui-là connu depuis les travaux de Cavendish, celui-ci approximativement déterminé par les observations géologiques. Rappelons en peu de mots en quoi consiste le phénomène de la précession : la ligne idéale autour de laquelle le globe effectue sa rotation diurne ne conserve pas toujours dans l’espace une direction absolument fixe ; cette ligne oscille lentement, de façon à ce que sa direction, prolongée dans l’espace, aille effleurer, tantôt une étoile, tantôt l’autre. Actuellement, l’axe du monde aboutit non loin de la Polaire, mais dans douze mille ans il pointera sur Véga de la Lyre, pour s’écarter ensuite de cette brillante étoile. Le balancement que subit ordinairement le pivot métallique d’une toupie en mouvement peut fournir le sujet d’une comparaison. Depuis longtemps l’on a reconnu la cause de la précession des équinoxes, compliquée elle-même d’une perturbation secondaire nommée nutation ; le tout dérive de l’action du soleil et de la lune sur le renflement équatorial, et le raisonnement prouve que la distribution interne de la matière influe sur cette sorte de tremblement, qui doit être d’autant plus atténué que le noyau est plus lourd et les couches périphériques plus légères, puisque, dans ce dernier cas, l’importance relative du bourrelet est moindre.

Il y a près de quarante ans que parut le premier mémoire de Roche sur la question qui nous occupe. Après avoir mis de côté l’hypothèse de l’homogénéité, complètement abandonnée aujourd’hui, le professeur montpelliérain formula une règle assez simple : la densité moyenne est double de la densité superficielle, mais elle est à peu de chose près égale à la moitié de la densité au cœur du globe. Ainsi, il admet implicitement l’existence de deux masses dissemblables dont la plus lourde est intérieure.

Ces vues ne tardèrent pas à être confirmées d’une manière éclatante par les expériences de l’astronome anglais Airy, lequel a longtemps dirigé l’observatoire de Greenwich. Il s’agissait d’étudier les variations de la pesanteur à l’intérieur de la terre. Le principe adopté était, du reste, fort simple. A la surface du globe, ces changemens de forces attractives sont accusées par le pendule qui décrit des oscillations d’autant plus lentes que la gravité est moins forte. Par exemple, le pendule bat moins vite à Paris qu’à Stockholm, aux Antilles qu’en Islande, parce qu’à mesure que l’on s’avance vers l’équateur, l’accroissement du rayon terrestre, d’une part, et d’autre part, l’influence de plus en plus marquée de la force centrifuge produite par le mouvement diurne, contribuent simultanément à l’affaiblissement de la pesanteur. Une horloge de précision bien réglée à l’Observatoire de Paris retarderait de plusieurs secondes par jour si on la transportait à Cayenne, comme il arriva en 1672 à l’astronome Richer[1]. Ceci posé, installons, comme le fit Airy, au fond d’une mine, une pendule donnant la seconde et disposons à l’orifice l’horloge dont le balancier a même longueur que le pendule. Ébranlons ce dernier, et, par le moyen de l’électricité, transmettons ses vibrations isochrones jusqu’à un appareil enregistreur placé à côté de l’horloge. Au bout d’un certain temps, nous remarquons une différence appréciable dans le nombre des battemens du pendule et du balancier ; l’accord primitif n’existant plus, l’intensité de la pesanteur aux deux stations ne saurait être la même.

Tout d’abord le lecteur, se rappelant ce qui a été dit plus haut, se dira que le pendule, au fond de son puits, devant marquer une attraction inférieure en énergie à celle qui règne au-dessus de la mine, oscillera moins vite que l’horloge et retardera sur celle-ci. Or le contraire fut précisément observé par Airy : loin de décroître, la pesanteur, à mesure que l’on descendait, s’était accrue d’une légère fraction, 1/20,000e environ. Que faut-il en conclure ? Notre énoncé était-il faux ? Non, sans doute ; mais l’hypothèse qui nous servait de base est erronée. Le globe terrestre n’est pas homogène ; son noyau est plus dense que sa surface, comme le soupçonnaient Laplace, Legendre et Roche. La plus grande proximité des couches condensées du cœur du globe compense et au-delà la diminution provenant du sous-solde la mine, qui agit en sens inverse ; bien mieux, les formules antérieurement établies par Roche s’accordent à merveille avec l’accroissement que l’expérience seule a manifesté à Airy au sein de la mine de Harton. Ces mêmes formules montrent que la gravité ne cesse de croître jusqu’à une profondeur égale à un sixième du rayon terrestre, soit un millier de kilomètres, et il se trouve une couche dans laquelle l’attraction locale surpasse l’attraction superficielle d’un quinzième environ. L’excès, comme l’on voit, est peu de chose, et si l’on descendait encore plus près du centre de la terre, l’on pourrait s’abaisser encore de 1,500 ou 2,000 kilomètres sans changement appréciable dans le poids des objets. Mais, à partir de cette limite, la diminution serait rapide et, au centre. même, la pesanteur n’existerait plus.

Roche, dans les dernières années de sa vie, fut amené à modifier légèrement son hypothèse primitive, ou, pour mieux dire, il indiqua une formule mixte qui tenait à la fois des deux lois entre lesquelles il avait hésité tout d’abord. Selon lui, une première couche externe dont la densité est à peu près égale à 3 en moyenne, mais qui est un peu plus légère vers la superficie, occupe le sixième du rayon et entoure un noyau constituant la majeure partie du globe. Au cœur du noyau, dont le poids spécifique 7 à 7.5 coïncide approximativement avec celui du fer, se trouverait une sphère de dimension relative assez faible, mais composée de matériaux fort lourds, non pas aussi lourds que l’or, comme l’a pensé Élie de Beaumont, mais comparables à l’argent ou au plomb (10 à 12).

Après avoir terminé son expérience (1854), Airy voulut en profiter pour peser le globe. La force d’attraction qui s’exerce dans l’observatoire souterrain dérive de l’influence des couches inférieures ; elle est contrariée par 385 mètres de terres ou de rochers surplombant. Or, ce dernier élément peut s’apprécier au moyen de sondages et d’études géologiques et permet de trouver la densité de la terre. Le chiffre qui ressort des calculs, à savoir 6.57, est évidemment un nombre trop fort, mais on n’était pas en droit d’espérer beaucoup mieux. Toutefois, l’autorité de Cavendish en fut quelque peu ébranlée tout d’abord. Après discussion et révision des méthodes et des calculs de l’astronome britannique, un Belge, M. Folie, s’est trouvé presque d’accord avec lui, au lieu qu’un Anglais, M. Haughton, a prouvé ou cru prouver l’incorrection des résultats, lesquels, mieux déduits, mèneraient au vrai chiffre 5.48. Enfin, Sterneck, en Hongrie, a opéré, comme Airy, dans la mine de Przibram, à trois niveaux différens ; mais les trois valeurs correspondantes sont ou trop grandes ou trop petites.

Non-seulement l’intensité de la pesanteur se modifie à mesure qu’on descend au-dessous de la surface, mais cette même intensité varie si l’on grimpe au sommet d’une cime élevée comme le Mont-Cenis. D’une part, l’éloignement du centre de la terre ralentit les oscillations du pendule ; de l’autre, la masse supplémentaire sous-jacente précipite un peu le mouvement. En suivant cette méthode, au fond identique à celle d’Airy, Carlini n’arriva qu’à une solution approchée : 4.8.

Maskelyne, au siècle dernier, et M. Mendenhall de nos jours, au lieu d’étudier l’énergie de la force centripète, se sont proposé d’examiner les changemens de direction que subit cette même force dans le voisinage des montagnes. Déjà, lors de leur célèbre voyage au Pérou, Bouguer et La Condamine avaient remarqué que l’action de la puissante masse du Chimborazo tendait à faire dévier le et à plomb ; l’instrument, n’étant plus rigoureusement soumis à la seule pesanteur, au lieu de coïncider avec la verticale astronomique, se relevait quelque peu. Hâtons-nous de dire que l’écart mesuré est infime et dépasse à peine 6 ou 7 secondes ; mais si l’on choisit une montagne bien isolée, bien rectiligne, orientée de l’est à l’ouest, de forme peu complexe, et que l’on répète l’observation sur chacun des deux flancs nord et sud, la perturbation s’exagère et se mesure plus aisément ; les deux verticales, correspondant respectivement à chaque station, au lieu de concourir au centre de la terre, s’infléchissent l’une vers l’autre. Maskelyne s’aperçut que toutes les conditions nécessaires étaient remplies par une montagne du comté de Perth (Ecosse), le Shéallien, et son expérience a rendu cette taupinière plus célèbre que bien des cimes alpestres ou européennes incomparablement plus élevées. La somme des déviations atteignit 11 secondes 1/2, soit un peu moins d’un cinquième de minute, et la moitié de ce chiffre indiqua le rapport de l’attraction de toute la terre à l’attraction de la colline écossaise, puisque, sollicité par les deux influences, très inégales d’ailleurs, le fil à plomb se dirigeait suivant leur résultante. Cuber exactement le Shéallien n’était pas chose difficile, et Maskelyne s’imaginait que, vu l’homogénéité de la structure géologique de l’assise, il suffisait d’étudier quelques échantillons des roches constituantes pour en déduire la densité, puis la masse, de l’ensemble. Le poids du globe terrestre fut enfin mis en évidence à la suite de pénibles calculs, et le nombre trouvé s’accorde avec les résultats de Cavendish et de M. Cornu. Par malheur, le géologue Hutton en premier lieu, et Playfair après lui, ayant examiné plus attentivement le Shéallien, déclarèrent qu’il fallait corriger le poids spécifique de la montagne et estimer celui de la terre par la valeur 4.5 seulement, chiffre certainement trop bas. En 1880, des observations analogues ont été exécutées au pied du Fusiyama, la montagne sainte des Japonais, connue pour son aspect régulier ; l’expérimentateur, M. Mendenhall, s’est fort approché de la vérité (5.77).

En définitive, bien des mesures ont été effectuées, et plusieurs d’entre elles sont passablement discordantes. Lesquelles méritent la confiance des astronomes et des physiciens ? Nous répondrons que la marche suivie, après Cavendish, par M. Cornu, est la seule qui conduise à un résultat précis. Quant aux autres méthodes, elles sont ingénieuses, mais entachées d’erreurs impossibles à rectifier, car il faut ici connaître exactement la nature d’un sous-sol, d’un terrain minier, ou apprécier la densité d’une montagne, et l’inspection géologique la plus attentive est encore insuffisante. Une foule de perturbations locales, souvent dues à des influences de nature douteuse, troublent les phénomènes généraux, au point de les défigurer et parfois même de les masquer complètement. L’écorce terrestre est loin d’être homogène ; la pesanteur peut s’accroître d’une façon sensible au centre d’une vaste plaine, pour peu que, dans les couches sous-jacentes, il y ait une agglomération locale de matière. Si le pendule, transporté dans les îles, bat un peu plus vite, alors que l’influence de l’eau, corps relativement léger, devrait au contraire ralentir ses oscillations, c’est parce que la croûte qui supporte les mers se trouve alourdie, d’après M. Faye[2], par les actions simultanées du froid et de la compression ; d’autres auteurs ont soutenu que l’accumulation océanique provenait justement de ce fait que l’excès d’attraction inhérent à ces zones denses avait primitivement contribué à retenir le liquide.

Bouguer et La Condamine, enchantés d’avoir découvert la déviation du fil à plomb par le Chimborazo, commencèrent immédiatement à traduire en chiffres les indications fournies par l’expérience. Les résultats furent si contradictoires que les deux savans déclarèrent que de gigantesques cavernes devaient être cachées au sein des Andes, de manière à en atténuer le pouvoir attractif. L’énorme masse du Gaourisankar, ce géant de l’Himalaya, ne change pas d’une façon appréciable la direction apparente de la verticale.

Toutefois, l’hypothèse séduisante des vides ou des cavités isolées au sein de la terre et séparées du reste du monde doit être rejetée. Les nombreuses fentes, crevasses ou grottes de la superficie du globe, toutes dues à des affaissemens ou creusées par les eaux, les cheminées volcaniques, communiquent avec la surface extérieure. Jamais, à notre connaissance, les travaux des mines ou les innombrables percemens des tunnels entrepris durant ces quarante dernières années n’ont révélé l’existence de semblables trous. Lorsque les ingénieurs s’avisèrent de vouloir perforer le Mont-Cenis, les incrédules objectèrent que les ouvriers, ne tarderaient pas à se trouver arrêtés par d’effrayans abîmes. « Tant mieux ! répondit-on, nous les franchirons en viaduc, et ce sera autant de fait ! » Cette occurrence ne s’est pas réalisée, non plus qu’au Saint-Gothard ou à l’Arlberg. Voici la vraie explication, bien simple du reste, de cette apparente anomalie : au-dessous des axes de soulèvement se trouvent des couches peu denses, parce que les parties élevées, en surgissant, leur ont emprunté de la matière et les ont appauvries, tandis qu’un excès de chaleur contribue à dilater le sous-sol et la base du mont.


III

Quels sont, en définitive, les points les plus bas, les plus voisins du cœur de notre planète que l’homme ait pu explorer ? Notre réponse va sembler quelque peu singulière ; elle s’appliquera aux abîmes de l’Océan, et nous attribuerons la palme aux hydrographes qui ont immergé leurs sondes à 8 ou 9 milliers de mètres sous les flots. Abstraction faite des mers, la profondeur verticale maxima qu’un outil humain ait jamais atteinte est celle de 1,700 mètres au sondage de Schlagdebach, près Leipsig. Les ouvriers qui ont travaillé au forage des grandes percées alpines étaient séparés de la surface par des kilomètres de rocs, mais ils ne se sont pas enfoncés vers l’intérieur, tandis qu’après avoir creusé 1,100 mètres dans le sol, les mineurs bohémiens de Przibram ont pu se vanter d’avoir pénétré plus avant dans l’écorce terrestre qu’aucun être animé. Il faut, cela va sans dire, retrancher de ces deux chiffres, 1,700 et 1,100 mètres, la cote d’altitude des orifices.

En admettant même qu’un passage naturel se présentât ou qu’il fût possible d’en creuser un de main d’homme, comme on veut faire, paraît-il, aux États-Unis, une simple excursion à trois lieues sous terre serait-elle chose réalisable ? Nous ne promettons pas de réponse catégorique à cette demande, et encore, avant de rien formuler, nous devons examiner une des questions les plus complexes et les plus obscures de la physique du globe, celle du degré géothermique.

Chacun sait qu’au fond d’un puits ou d’une cave règne une température assez uniforme qui nous parait chaude en hiver, fraîche en été ; à partir d’une certaine limite, le cours des saisons n’exerce plus aucune influence, et la colonne d’un thermomètre reste absolument immobile de juillet à janvier et de janvier à juillet. C’est ce qui se passe dans les célèbres caves de l’Observatoire de Paris, où persiste constamment une tiédeur accusée par 11°, 2, ce qui dépasse à peine la température moyenne de Paris. Mais qu’on descende dans une mine assez profonde ou qu’on adapte un thermomètre à une sonde de puits artésien, à un trépan, et l’on observe une chaleur de plus en plus forte à mesure que l’on s’éloigne de la surface. Il est clair, du reste, qu’en un lieu donné cette température élevée est immuable d’un bout de l’année à l’autre, puisque déjà les choses se passent ainsi pour de médiocres profondeurs.

On peut objecter que la présence de nombreux ouvriers dans une galerie, que la combustion de l’huile de leurs lampes produit un échaufferaient artificiel qui fausse les mesures. Inversement, l’aérage mécanique rafraîchit l’air ambiant et les eaux enfin, dont l’origine n’est pas toujours locale, agissent tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. La conclusion forcée est qu’il faut s’attaquer à la roche elle-même, tout en se méfiant, de la chaleur développée par le forage. Si l’air ambiant est moins froid ou plus froid que la paroi, celle-ci se dépouillera de son calorique ou en absorbera, suivant le cas, au détriment de la précision des études. La routine et le raisonnement sont d’accord pour conseiller au physicien d’opérer autant que possible dans un boyau récemment percé, de creuser à la hâte un trou de mine, de laisser bien dissiper l’élévation de température provoquée par le travail du fleuret. Ensuite, on enfouit rapidement le thermomètre et on le consulte au bout de quelques heures ; les résultats ainsi obtenus sont dignes de confiance. Le problème est plus simple si l’on examine les puits artésiens ; on a construit des thermomètres à déversement qui répondent fort bien au but proposé et fournissent la température demandée, quelque profond que soit le puits.

S’agit-il maintenant de formuler ce qui a été reconnu ? Tantôt on exprime qu’à un niveau de tant de mètres l’appareil marque tant de degrés. D’autres fois on indique le degré géothermique, c’est-à-dire la profondeur traduite en mètres dont il faut s’abaisser verticalement dans les entrailles de la terre pour que le thermomètre progresse de 1 degré.

Les mesures d’une irréprochable précision ne manquent pas ; elles sont même très nombreuses : nous n’avons que l’embarras du choix. Tout d’abord, à Paris, l’eau du puits de Grenelle, qui vient de 548 mètres de profondeur, marque 27°,07, ce qui conduit à un degré géothermique local de 32 mètres, suivant Arago, Dulonget Walferdin. En Brandebourg, Dunker a réussi à pousser jusqu’à 1,269 mètres le sondage de Sperenberg ; l’instrument a fini par accuser 48° à cette énorme profondeur, d’où résulterait un degré géothermique moyen de 32m, 5, sensiblement égal à celui de Paris. Un immense forage fut entrepris, il y a cinquante ans, à Yakoutsk (Sibérie), dans l’espoir de rencontrer de l’eau qui fût liquide toute l’année ; les travaux conduisirent jusqu’à 115 mètres, sans qu’on pût trouver un sol qui ne fût pas gelé. Arago, qui a rendu compte de cette entreprise, observe que l’on était très près d’atteindre le but souhaité, puisque l’échelle thermométrique signalait alors — 0°, 6, mais il ne dit pas si les ingénieurs russes se lassèrent ou persistèrent dans leur dessein. Un peu plus d’un demi-degré au-dessous de zéro constitue sans doute une « chaleur » très relative, mais n’oublions pas que dans certaines provinces de la Sibérie la moyenne annuelle de l’atmosphère est — 10° ; ce relèvement correspond donc à un degré géothermique resserré. Si pour ce dernier élément, Henwood a trouvé dans les mines de Cornouailles une faible valeur de 19 mètres, le même observateur a noté à Minas-Geraes (Brésil) un nombre considérable : 86 mètres. Il est possible de recueillir des divergences encore plus choquantes si on se borne à un territoire limité, comme la région minière de la Saxe, où les expériences se comptent par centaines. Dans tel puits, il faut descendre sept fois plus que dans tel autre pour réussir à faire monter le mercure d’une division à la suivante. En résumé, bien que la chaleur souterraine d’un très petit nombre d’exploitations gêne les ouvriers, jamais pareil obstacle n’a complètement arrêté les travaux d’excavation jusqu’à présent. Nous sommes en présence d’un phénomène naturel fort capricieux, mais ce défaut absolu d’uniformité n’a rien de surprenant, pour peu que l’on réfléchisse à la variété presque infinie des circonstances accessoires. Tout d’abord, la plupart des savans ont pensé, non sans de justes raisons, que la diversité des pouvoirs conducteurs des roches, dépendant de la nature de celles-ci, peut, soit favoriser ou ralentir le flux de chaleur venant de l’intérieur de la terre, soit contrarier ou accroître le refroidissement dû aux parties superficielles. Ainsi, les roches cristallines telles que le granit, le gneiss, laissent mieux suinter le calorique que les roches sédimentaires stratifiées. Et encore, dans ce dernier cas, la même propriété de convection se modifie suivant qu’il s’agit du sens des feuillets ou de la direction transversale ; ce dernier cas est le plus défavorable de tous. Le degré géothermique est plus considérable dans les mines métalliques ouvertes au sein des terrains anciens que dans les houillères percées dans des formations plus modernes, pour cette raison que, plus la résistance est faible, plus grande est l’épaisseur nécessaire et suffisante pour arrêter 1° centigrade. De plus, certaines réactions chimiques purement- locales, l’oxydation lente des pyrites ou des sulfures, par exemple, tendent quelquefois à échauffer artificiellement le sous-sol, et à proximité des sources thermales ou des conduits volcaniques, la tendance générale, il est presque oiseux de le faire observer, subit un trouble manifeste.

En ce qui concerne l’élévation de température que l’on observe à mesure que l’on descend dans les profondeurs de la terre, il faut noter attentivement une circonstance essentielle : le phénomène dépend plutôt de la distance verticale au niveau du sol du point étudié que de l’altitude géographique absolue de ce même point, laquelle semble n’avoir pas d’influence. Qu’on creuse un puits de mine dans un pays peu élevé ou dans un canton montagneux, au centre d’une plaine basse ou sur un haut plateau, la loi ressortira toujours sans se montrer plus régulière ou moins variable. Cependant peut-on dire que les expériences réalisées dans les houillères de la Cornouailles, inférieures au niveau de l’océan, ont été exécutées dans les mêmes conditions que les recherches entreprises dans les mines du mont Hualgayoc (Pérou) ou à Valenciana (Nouvelle-Espagne) avec des cotes de plusieurs milliers de mètres ? Il est clair que les ingénieurs anglais se sont notablement plus rapprochés du centre de la terre avec des excavations moindres.

Comme la température interne résulte du conflit réciproque de deux élémens : le flux de chaleur qui se propage du centre à la circonférence et l’influence frigorifique de la surface extérieure libre, le raisonnement établit que, dans le cas où cette dernière action se complique, il en est de même de la loi de distribution. Si, aux alentours mêmes de la fosse, le terrain est sensiblement plat, le froid pénétrera seulement par l’axe de la percée ; mais si l’on réalise un forage au sommet d’une élévation irrégulière et escarpée, comme certaines aiguilles alpestres, l’invasion, favorisée par la forme tourmentée du profil, peut se propager à travers les flancs jusqu’aux parois. Il faut alors faire intervenir un nouveau facteur : le plus court chemin vers l’atmosphère. On se dira peut-être que notre réflexion est plus curieuse qu’utile, que jamais mine ou puits n’a été organisé dans des conditions aussi absurdes, et l’on aura bien raison. Mais, à défaut de trouées verticales, l’homme s’est vu obligé de pratiquer de vastes galeries se maintenant à niveau, comme les grands tunnels des Alpes et d’autres souterrains dépourvus de bouches d’aérage. Au centre des longs boyaux du Mont-Cenis et du Saint-Gothard règne perpétuellement une température de 30 à 31° ; nous voulons parler de la voûte, car l’air ambiant est plus chaud encore, surtout au Saint-Gothard. Combinée avec l’humidité, cette même température devient malsaine à la longue pour les ouvriers, et il n’est pas impossible que cet obstacle arrête un jour l’exécution de certains forages. Si l’ingénieur veut procéder à son œuvre avec sécurité, il fera bien de préférer les cimes abruptes, dont les parties supérieures, glacées par les neiges éternelles, n’ont aucune influence sur les bases qu’elles dominent, aux massifs moins élevés qui s’étalent en pentes douces.

Un grand nombre de savans étrangers, et presque tous les géologues ou astronomes français, MM. Faye, Daubrée et Lapparent entre autres, tout en reconnaissant les singularités qui défigurent la loi naturelle exposée ci-dessus, sont d’avis que, si nous pouvions pénétrer plus avant dans la croûte du globe, nous verrions peu à peu l’harmonie se faire jour, l’uniformité remplacer la confusion, et, à partir d’un niveau suffisamment profond, tous les points situés à égale distance du centre du globe et distribués sur une sphère de rayon donné posséderaient la même température. Celle-ci croissant toujours, le degré de l’eau bouillante serait atteint, puis dépassé ; les roches les plus réfractaires se ramolliraient d’abord, puis finalement deviendraient parfaitement fluides. Sauf un mince pellicule de 30 kilomètres d’épaisseur, la terre ne serait qu’un immense bloc de silicates liquéfies.

Les adversaires de la doctrine du feu central sont pour la plupart des étrangers. « Les observations scientifiques ne manquent pas, il est vrai, déclarent ces incrédules, mais il vaudrait mieux qu’elles fussent moins nombreuses et plus concluantes. Les anomalies, les singularités sont par trop considérables. Vous affirmez qu’elles doivent s’atténuer, puis disparaître au-delà d’une certaine limite. Qui vous autorise à le croire ? Les sondages profonds ne fournissent pas de chiffres moins discordans que ceux qui se sont arrêtés plus haut. En revanche, il semble à peu près prouvé que le degré géothermique augmente avec la profondeur, ce qui veut dire que l’accroissement de température, d’abord assez rapide dans le voisinage de la surface, se ralentit peu à peu. Pourquoi cette même température, loin de croître indéfiniment, ne convergerait-elle pas vers une limite fixe, indépendante du niveau, mais d’ailleurs plus ou moins reculée ? » Quand on exécuta le grand forage de Sperenberg, Dunker, qui présidait aux expériences, voulut en exprimer le résultat au moyen d’une formule mathématique d’interpolation. Suivant cette règle empirique, la température atteindrait 51 degrés au bout d’une épaisseur de 1,600 mètres, et au-delà il y aurait diminution. Les adversaires du feu central triomphèrent, et l’un d’eux, M. Mohr, écrivit : « Cette vieille théorie a reçu son coup de grâce. » Malheureusement, si l’on continue d’appliquer la formule, on s’aperçoit qu’à 3 kilomètres 1/2 sous terre règne la température de la glace fondante ; Ounker avait, bien malgré lui, inventé l’hypothèse plus que paradoxale du froid central, et ce seul fait suffit pour montrer quel cas l’on doit faire de ces interprétations fantaisistes. Il y a quelques mois, les journaux ont annoncé que dans les mines de Lansell, près de Sandhurst (Australie), le thermomètre avait enfin accusé une légère dépression vers 536 mètres ; mais ce phénomène, en admettant même que la nouvelle soit exacte, est encore isolé.

En définitive, tout partisan du feu central croit aussi à la liquidité de l’ensemble du globe terrestre, à la réserve d’une couche externe relativement insignifiante, et tout argument qui milite contre l’une de ces deux doctrines s’attaque par cela même à l’autre. Hopkins, en étudiant la précession des équinoxes, dans l’hypothèse d’une sphère entièrement solide, trouve un résultat parfaitement concordant avec ce que les observations astronomiques nous apprennent. Sir W. Thomson a invoqué le phénomène des marées ; l’action combinée de la lune et du soleil attire les eaux de la mer et déforme la surface de l’océan ; si la terre était constituée d’une matière non rigide, sa croûte, obéissant à la même attraction, aurait, elle aussi, ses marées, et, en définitive, les deux effets se masqueraient mutuellement, et le résultat apparent serait nul ou à peu près. Comme cependant les marées existent et sont très apparentes, la planète n’est pas fluide ; et même, si l’on compare les résultats du calcul aux données expérimentales, on trouve que les marées sont plus hautes que si le globe possédait la rigidité du verre, matière assurément peu déformable. Thomson se croyait donc en droit de conclure à une cohésion presque absolue. Malheureusement, la hauteur des marées tient à d’autres causes fort complexes, trop difficiles à analyser pour que l’on puisse en tenir compte dans des formules. Le même auteur s’est également appuyé sur la précession pour établir, chiffres en main, la solidité presque absolue du monde où nous vivons ; mais, pour être parfaitement exact, nous tenons à dire que l’éminent physicien a fait plus tard amende honorable devant un congrès scientifique tenu à Glasgow, et qu’il a reconnu, sinon la fausseté, du moins l’insuffisance de ses objections à l’égard d’un noyau liquide (1876).

Il est incontestable que les partisans de la fluidité intérieure se sont vu souvent adresser un argument assez spécieux, quoique non irréfutable. En admettant l’existence d’un liquide parfait, ou même d’une pâte brûlante, on est par cela même obligé de supposer qu’une pression effroyable, dirigée dans tous les sens, et notamment de haut en bas, s’exerce déjà au sein des couches voisines de la coque ; ces couches elles-mêmes pèsent sur les parties intérieures, qu’elles écrasent de leur poids. A mesure que l’on se rapproche du centre de la terre, les différentes zones concentriques reçoivent, de la part de celles qui leur sont supérieures, des poussées de plus en plus énergiques. Les actions élémentaires accumulées ne sont peut-être pas intégralement transmises, mais il suffit qu’elles le soient en partie. La pesanteur diminue, il est vrai, au-delà d’une certaine limite de profondeur, de sorte que, à épaisseur égale, les couches les plus écartées sont celles dont l’effet se trouve le plus considérable ; néanmoins, celles du cœur ont l’avantage d’être beaucoup plus denses, et les deux causes, agissant en sens opposé, peuvent se balancer. Quoi qu’il en soit, si l’on pouvait immerger d’un demi-myriamètre seulement un objet quelconque dans cet abîme de feu, il subirait une compression bien supérieure à celle que les derniers perfectionnemens de la physique moderne permettent de réaliser dans nos laboratoires. L’imagination humaine est impuissante à concevoir la tension des molécules reléguées vers le noyau ; peut-être faudrait-il chiffrer par millions d’atmosphères ! Comment alors concilier ce résultat avec ce qu’on sait positivement au sujet de la densité moyenne du globe, et même avec ce qu’on est fondé à croire exact relativement à la condensation centrale ? La médiocrité des nombres trouvés, les uns absolument certains, les autres fort probables, ne correspond pas, à beaucoup près, avec les poids spécifiques énormes qu’entraînerait une puissante compression, et l’insuffisance de ces valeurs ressortirait bien davantage si l’on voulait, comme plusieurs auteurs le font, reléguer dans les parties les plus reculées les métaux précieux qui, pour être lourds, n’ont pas besoin d’être comprimés[3].

Les défenseurs de la solidité interne de notre sphère ont beau jeu pour déclarer qu’au contraire rien n’est plus naturel que de supposer des rochers formant voûte et se soutenant mutuellement, en dépit de la poussée des matériaux supérieurs et de l’attraction de la pesanteur. Dès lors, qu’on se trouve loin ou près de la surface, les circonstances restent à peu près semblables.

Toutefois, l’objection précitée ne saurait avoir grande valeur. Elle frise un peu le cercle vicieux, et suppose que des substances soumises à des conditions dont nous n’avons aucune idée se comportent comme les matières usuelles dans nos expériences de cabinet. A l’heure actuelle, peu de savans tiennent pour un liquide parfait remplissant exclusivement la coque ; il faut nécessairement admettre un fort degré de viscosité, ce qui ramène dans le champ de l’incertitude. En revanche, on aurait tort d’invoquer l’influence des millions de degrés qu’on attribuait jadis fort libéralement au centre de la terre ; nul ne croit plus à des températures pareilles, qui seraient capables cent fois de disloquer notre pauvre machine ronde. Demandons-nous plutôt s’il est bien prouvé que la compressibilité d’un corps à peu près liquide soit indéfinie, et si, une fois parvenues à un certain degré de rapprochement, les molécules continueront d’obéir à la force agissante. Autant que nous l’apprennent les notions encore vagues de la mécanique, il est au contraire probable que les influences répulsives augmentent rapidement à mesure que les particules se rapprochent.

Longtemps on a cru que le point de fusion des corps solides en général et celui de la glace en particulier ne dépendait point de la pression subie pendant la fusion. Rigoureusement parlant, cette indépendance n’existe pas. La théorie, d’accord avec l’observation, nous apprend qu’un accroissement de pression tend à maintenir l’état solide, en élevant artificiellement le degré de liquéfaction s’il s’agit d’un corps qui augmente de volume en fondant. Tel est le cas du soufre, pour nommer un corps usuel ; tel est aussi le cas des principales roches. Pour l’eau et pour d’autres matières dilatables par congélation, la règle est inverse. On s’est dit qu’à raison de la chaleur interne, une couche assez épaisse de laves pouvait parfaitement acquérir une notable fluidité, tandis que la forte pression exercée par ce liquide maintenait toutes les parties inférieures à l’état solide, et cela en dépit de l’accroissement de température. Quelques géologues ont été moins affirmatifs et se sont bornés à faire observer que personne ne sait ni ne peut juger quelle est la plus énergique de ces deux influences qui se contrarient réciproquement. Il est possible d’ailleurs que ce déplacement du point de fusion soit un phénomène limité, et peut-être qu’au-delà de certaines bornes un énorme surcroît d’écrasement ne détermine qu’un retard de quelques dixièmes de degré pour la température de liquéfaction.

On voit qu’il n’est pas déraisonnable d’imaginer un noyau solide bien que passablement chaud, entouré par une couche de rocs en fusion, et finalement une croûte superficielle froide et rigide enveloppant le tout. C’est l’hypothèse que Roche avait adoptée comme conclusion de ses recherches ; actuellement, M. Stanislas Meunier semble partager la même croyance. Tout en admettant que la terre a été autrefois entièrement fluide, le géologue anglais Green fait observer que les parties extérieures solidifiées les premières seraient retombées, grâce à leur excès de poids, au sein de la masse interne encore liquide. Dans les environs du centre régnait une pression très forte, qui empêchait une nouvelle fusion de se produire. Un noyau solide interne s’agglomérait donc au cœur du globe et s’accroissait jusqu’à ce que les zones moyennes fussent devenues trop pâteuses pour livrer passage aux substances refroidies. Dès lors, les couches extrêmes perdaient du calorique par rayonnement et par conductibilité, mais ne s’enfonçaient plus comme auparavant, et une coque encroûtait la surface. Entre la pellicule et le noyau, les zones moyennes conservaient l’état liquide ou pâteux qu’elles ont peut-être encore. Cette théorie suppose toutefois qu’une compression énergique s’oppose absolument à la liquéfaction.

Une autre opinion, qui, en apparence, diffère peu de celle du feu central, mais qui, en réalité, s’en éloigne par de fortes divergences, est la doctrine de la « croûte épaisse. » Hopkins l’a présentée sous sa forme la plus absolue, c’est-à-dire la moins admissible, en proposant l’hypothèse d’une planète parfaitement liquide, mais douée d’une enveloppe externe entièrement solide de 1,200 à 1,500 kilomètres d’épaisseur. Suivant le même auteur, il y aurait transition brusque de la croûte durcie aux premières couches fluides. Hennessy, compatriote de Hopkins, a interposé entre deux une enveloppe de matières pâteuses ; il réduit d’autant l’épaisseur des parois de la coque, mais il déclare prudemment qu’il ne peut ni apprécier le degré de viscosité de son magma ni soupçonner les limites à partir desquelles cessent la mobilité parfaite ou la rigidité absolue. Il a fini par déclarer qu’après tout 30 kilomètres de matériaux résistans pourraient suffire à la rigueur, et cet aveu implique une adhésion presque sans restriction à la théorie du feu central. Pour étayer ses énoncés de quelques preuves, Hennessy observe qu’avec un globe primitivement fluide, les élémens ont dû se superposer dès le principe par ordre de densités, et qu’un refroidissement superficiel ne saurait faire replonger très bas les zones extérieures primitives. Cette circulation, dit-il, est presque impossible, parce que chaque nouvelle couche traversée, étant plus lourde que celle située au-dessus, résiste davantage, parce qu’aussi cette densité s’exagère à raison de la chaleur cédée aux portions moins chaudes venues d’en haut, et parce qu’enfin celles-ci, de plus en plus réchauffées et dilatées, tendent de moins en moins à s’affaisser, sans compter que les gaz issus de la masse en fusion ont adhéré aux scories flottantes et leur ont aidé à surnager. Résultat final : un noyau liquide entouré par un revêtement pâteux limité lui-même par une enveloppe attiédie. Toutefois, si l’on écoute l’archidiacre Pratt, adepte de la même école scientifique, Hennessy a été trop timide et a trop aminci la coque supérieure ; si vagues qu’ils soient, ses chiffres doivent être notablement forcés. M. G. Darwin (un fils du célèbre naturaliste) et M. Mallet ont conclu dans le même sens qu’Hennessy, à la suite de leurs études sur cette question u brûlante. » M. Mallet s’est même éclairé du secours de l’expérience, et il a vu d’assez gros fragmens de laitiers projetés dans des bains de scories liquéfiées s’enfoncer d’abord, puis revenir à la surface et y demeurer jusqu’à ce que l’excès de chaleur du foyer provoquât la fusion.

Les partisans de la solidité de l’intérieur de notre globe ont jadis beaucoup insisté sur un argument qu’ils croyaient péremptoire : l’absence de marées souterraines ébranlant la croûte externe et s’accentuant aux syzygies avec production d’effroyables tremblemens de terre. Depuis bien des années, Delaunay a tranché sans réplique toute difficulté ; l’argument n’a de valeur que s’il s’attaque à un fluide parfait, comme celui des mathématiciens. Au contraire, le liquide intérieur des défenseurs du feu central constitue une masse visqueuse équivalant en pratique à un solide non-déformable. Si des observations même superficielles dénotent dans l’eau elle-même une cohésion appréciable, à plus forte raison a-t-on le droit d’attribuer cette propriété à une gigantesque agglomération de laves fondues. L’action du satellite de la terre sur ce gouffre enflammé, niée par quelques-uns, acceptée par d’autres, est assurément contestable et contestée.


IV

Soit que l’on admette la solidité de l’ensemble de la terre, soit qu’on relègue le feu interne au cœur même du globe, loin de la superficie, il faut trouver une explication plausible à toute une série de faits sur lesquels les partisans de la croûte mince s’appuient pour confirmer leurs théories. Le géologue, s’il adopte cette dernière hypothèse dans toute sa rigueur, dispose à son gré d’un abîme embrasé qui, tantôt s’abaissant, tantôt se soulevant en vagues brûlantes, a produit les froissemens, les rides, les plis de l’écorce. De ce réservoir inépuisable sont venues les matières d’origine éruptive, les granits, les laves, les basaltes ; le même foyer suffit à alimenter copieusement tous les volcans du globe jouant le rôle de soupapes de sûreté. Enfin, pourquoi nous étonner que de temps à autre il se produise des tremblemens de terre, du moment que nous habitans une sorte de radeau flottant sur une mer intérieure ; il doit forcément se propager dans cet énorme océan des ondulations dont nous ressentons le contre-coup. Certains astronomes, — Edouard Roche était du nombre, — restreignent considérablement le domaine des rocs en fusion et n’admettent pas qu’il s’étende jusqu’au centre du monde ; mais qu’importe, la part assignée suffit encore aux savans pour l’interprétation des phénomènes, et la plupart d’entre eux déclarent ne pas avoir besoin d’un noyau fluide, pourvu qu’on leur accorde seulement une couche surchauffée assez épaisse.

Sans être géologues ou minéralogistes, beaucoup de personnes n’ignorent pas que les pétrographes ont classé les roches en deux catégories jointes par un assez grand nombre de types de transition : les roches plutoniques ou éruptives, dont l’origine est attribuée au feu central, et les roches dites métamorphiques, dérivant de l’action des eaux ou d’autres causes accidentelles. Les unes ont jailli de l’intérieur telles quelles ou à peu près ; les autres se sont produites dans la suite des temps, grâce à des altérations progressives d’autres substances. Or, aujourd’hui, non-seulement la barrière élevée entre les deux séries extrêmes tend à être abaissée, mais plusieurs savans anglais la renversent complètement ; ils déclarent, par exemple, que certains granits prétendus éruptifs ont été produits dans l’emplacement même où ils sont actuellement, ou du moins ne sont jamais venus des grandes profondeurs de la terre. On peut donc se passer du feu central et expliquer cependant divers phénomènes postérieurs à la consolidation de l’univers. Effectivement, il est indiscutable qu’un des trois élémens nécessaires du granit, le quartz, surtout s’il forme des grains volumineux et s’il domine dans la roche, est criblé d’un nombre infini de cavités minuscules pleines d’eau et visibles au microscope sous un fort grossissement. M. Sorby conclut à l’origine aqueuse du minéral, et le même auteur fait observer que la présence, dans les granits de la Cornouaille, d’une multitude de petites tourmalines capillaires, rend peu croyable l’application d’une chaleur supérieure au rouge sombre, qui aurait fondu les tourmalines.

En ce qui touche les volcans, les savans de l’école antiplutonique se refusent à croire qu’un réservoir commun serve à alimenter toutes les bouches, et sont d’avis que chaque cratère est nourri par un foyer spécial, ce qui revient à concevoir l’existence d’un certain nombre de lacs ou de bassins dissimulés au sein de la croûte. Du reste, suivant eux, rien n’empêche de supposer que des canaux mettent en communication les réservoirs ignés : il se peut aussi que l’étendue de ces réservoirs, loin d’être limitée au sous-sol de la région minée par les feux souterrains, soit assez considérable. Mais, ce qui est hors de doute, c’est que non-seulement les matières vomies par les divers volcans diffèrent beaucoup entre elles, mais encore les éjections de deux cratères assez voisins l’un de l’autre sont loin d’être comparables. L’Etna déverse des roches acides (c’est-à-dire riches en silice), au lieu que les dépôts accumulés par le Vésuve sont de nature basique[4].

Poursuivons notre raisonnement dans le même esprit de critique : nous voilà naturellement conduits à nous demander si, pour expliquer la formation des montagnes, il est indispensable d’avoir recours à une force venue d’en bas et de supposer une poussée verticale faisant surgir les chaînes. Un résultat est-il forcément l’effet immédiat d’une cause déterminante ? Non sans doute, et, pour citer un exemple familier, ne voyons-nous pas, dans un appareil Carré, la chaleur du foyer de charbon créer une certaine quantité de glace, c’est-à-dire provoquer un phénomène d’ordre absolument inverse ? Or, du moment que nous nions la fluidité interne de la planète, il nous faut renoncer aux flots de pâte surgissant à travers les fentes de l’écorce « comme un doigt au travers d’une boutonnière, » suivant le mot de M. Paye.

Mais ce n’est pas tout que de détruire ; il s’agit de rebâtir. L’idée première du principe que nous allons exposer semble due à Descartes, qui a été suivi plus tard par Prévost, Élie de Beaumont, de La Bêche et d’autres encore. D’après les sectateurs de cette école géologique, qui, d’ailleurs, compte dans ses rangs, non-seulement les adversaires du feu central, mais même une partie de ses défenseurs, la terre, depuis son origine, va sans cesse en se refroidissant ; elle a été jadis brûlante, et la chaleur actuelle n’est qu’un reste de la température primitive ; quant à l’intérieur, le fait n’est pas niable : sans être fondu, il est du moins plus chaud que la surface. Donc la terre perd du calorique, surtout dans le voisinage de la périphérie, car dans les couches centrales, le flux de chaleur dépendant, non plus du rayonnement seul, mais de la conductibilité, est assez faible. Les matériaux qui constituent l’écorce terrestre ont suivi la règle générale de la nature et se sont contractés. De plus, en vertu d’une autre loi très fréquemment vérifiée, le décroissement de volume, toutes choses égales d’ailleurs, est d’autant plus sensible que la température de déperdition est plus élevée. Par suite, le retrait est moins notable au-dessus de la croûte qu’à quelques kilomètres par-dessous. Un creux, un vide se forme entre le noyau et l’enveloppe ; celle-ci, à la longue, finit par céder, rejoint le noyau, mais, ne pouvant s’appliquer exactement sur lui, se froisse plus ou moins. Un papier s’applique sur une grosse orange, s’il est convenablement ajusté, remarque Green, à qui nous empruntons cette comparaison ; mais si l’on entoure de ce même papier une orange plus petite, il se produira des plissemens. M. Green ajoute que les rides qui se forment sur la peau des vieilles pommes desséchées et racornies peuvent encore servir d’exemple. Le phénomène a été reproduit en miniature par MM. Daubrée et Favre, qui se sont servis, le premier de balles en caoutchouc, le second de feuilles de caoutchouc enduites d’argile plastique. D’abord tendue, puis relâchée, la gomme élastique obligeait l’argile à s’accumuler suivant certaines directions simulant les contours des chaînes de montagnes.

Voilà donc les inégalités de la planète attribuées à un phénomène de contraction de la croûte, d’où résultent par contre-coup de puissantes pressions latérales s’exerçant dans l’enveloppe, et, en fin de compte, des saillies, des coupures prennent naissance. Peut-être qu’à certaines époques critiques le travail a été plus énergique, plus intense que durant d’autres périodes de l’histoire ; mais, quoi qu’il en soit, il n’a jamais été complètement interrompu, et si nous descendons jusqu’à l’ère moderne, nous voyons constater des exhaussemens ou des dépressions dont la marche lente, mais continue, se manifeste dans certaines régions, comme la Scandinavie ou le Groenland.

Hâtons-nous, car il reste à analyser les causes indépendantes du feu central qui ont peut-être provoqué les transformations métamorphiques et engendré les volcans. Prenons une boule de fer d’une certaine grosseur et chauffons-la de manière à ce qu’elle se dilate d’une fraction donnée de son volume, d’un millième, par exemple : la sphère aura absorbé une certaine dose de chaleur dont l’effet sera d’écarter les molécules et de provoquer le grossissement. Au contraire, par le moyen d’un procédé mécanique arbitraire, comprimons notre boule de façon que le volume diminue d’un millième : il se dégagera une quantité de calorique justement égale à celle qu’il avait fallu dépenser lors de la première expérience et le fer semblera brûlant. En effet, la compression force les molécules à se rapprocher, et, par cela même, la chaleur est exprimée de même que l’eau suinte d’une éponge mouillée que l’on presse entre les doigts.

M. Mallet, lequel, malgré la tournure française de son nom, est un savant britannique, a recherché au moyen du calcul si, par les vicissitudes de contraction et de froissement, il ne pouvait exsuder de l’intérieur des rocs écrasés assez de calorique pour provoquer les réactions chimiques, et engendrer les feux souterrains. Le résultat s’est trouvé plus que suffisant, en égard à l’effet voulu ; mais, en pareille matière, des observations des faits valent encore mieux aux yeux des géologues que des formules même bien déduites, s’appuyant sur des données de nature hypothétique. Grâce à des expériences très soignées, Mallet a pu vérifier sur une petite échelle la justesse de ses pressentimens, et l’examen raisonné de certaines montagnes anglaises ou écossaises lui a révélé que les couches ayant subi la compression la plus énergique sont aussi celles où se manifestent le mieux les indices d’une transformation moléculaire graduelle. Examinée au microscope en plaque mince, la roche semble avoir subi un travail de cristallisation incomplet d’où dérive une structure feuilletée. Plus l’influence du réchauffement a été vive, mieux la texture se développe, de façon que l’axe central de soulèvement comprend toujours les roches les mieux cristallisées, comme, par exemple, le granit ; il est clair que, dans le voisinage de cet axe, l’effort subi a été plus violent qu’ailleurs. Il n’est pas nécessaire, nous l’avons déjà dit, que la température des matériaux ait été bien élevée ; pour l’accomplissement d’un phénomène de chimie géologique, la durée de l’influence peut suppléer à son intensité, et non sans avantage. Maintenue à l’état liquide par la même force d’écrasement qui la surchauffait et saturée de principes alcalins, l’eau contenue dans les poches ou les fissures a dû acquérir un pouvoir dissolvant considérable, et, par suite, son rôle, lorsque ces gigantesques évolutions ont pris place, a été des plus essentiels. Le minéralogiste qui, pour réaliser la synthèse du quartz, chauffe de l’eau pendant plusieurs semaines, dans des tubes de verre scellés, ne fait qu’imiter en très petit l’œuvre de la nature[5].

Il n’est pas absurde de supposer que, dans le voisinage de certains plis de l’écorce, l’extrême énergie de la force d’écrasement ait pu déterminer la fusion des roches ; les matériaux brûlans se sont ouverts un chemin vers l’extérieur, et une bouche ignivome a pris naissance. Cette théorie, qui satisfait pleinement M. Mallet, mais aussi M. Mohr, pour ne citer que des chefs d’école, n’a cependant pas été approuvée par tous les sectateurs de la croûte épaisse. Suivant Hopkins, la partie solide de la terre renferme des ampoules remplies de laves liquéfiées et constituant autant de centres d’activité volcanique. Ces poches sont dues à la force d’expansion des gaz ou vapeurs dégagés pendant les âges primitifs par le globe encore liquide, mais déjà partiellement refroidi ; l’homogénéité de l’enveloppe fut altérée dès le principe, car aux emplacemens où l’élasticité des vapeurs ne réussit pas à vaincre la résistance de la pellicule, il se forma un alvéole au sein duquel le progrès ultérieur de la concrétion s’est trouvé bien moins rapide que dans les couches non déformées. Quelques-uns de ces alvéoles doivent être fort vastes ; on peut aussi les supposer groupés ou ramifiés, ou même imaginer que partie d’entre eux communiquent avec le noyau intime de la planète, lequel est demeuré fluide. Sir William Thomson ne semble pas fort éloigné de partager la même croyance ; il affirme que la structure interne du globe rappelle un peu celle d’un « gâteau de miel. » Toutefois, nous ne pouvons oublier que l’indiscutable harmonie qui règne entre les directions des rangées de cratères et celle des axes d’élévation n’est guère favorable à l’hypothèse d’Hopkins ; si sa théorie était rigoureusement exacte, les volcans sembleraient distribués au hasard sur les continens. Cette objection n’est pas la seule ; on conçoit très bien qu’un volcan s’éteigne s’il a épuisé la provision de lave ou de calorique dont son réservoir dispose, mais on ne comprend pas comment et pourquoi ce même volcan reprendrait son activité première, et, par malheur, ils ne sont que trop nombreux les exemples qu’on cite de cratères rallumés après un long repos !

Scrope a imaginé une autre explication, suivant laquelle, au-delà d’une certaine profondeur, les roches se trouvent dans un état perpétuel d’équilibre instable, tantôt liquides, tantôt solides, suivant que la température l’emporte sur la pression ou que la pression triomphe de la température. La chaleur est favorisée par l’accumulation de puissantes couches sédimentaires, et, d’un autre côté, partout où les rocs supérieurs sont fissurés ou soulevés, l’écrasement est forcément moins énergique. Peut-être que la première des causes citées est insuffisante, quoique l’astronome Herschel lui ai fait jouer un rôle capital ; mais les géologues qui ont invoqué la seconde semblent être tombés juste. Si une montagne surgit, les zones sous-jacentes sont décomprimées, et la masse, obéissant alors librement à l’influence dissolvante « du calorique, » entre en fusion ; ces filons de pâte brûlante accompagnent donc les axes d’élévation et débouchent extérieurement de place en place au moyen d’une file de cheminées.

Toutes les hypothèses que nous venons de passer sommairement en revue ont pour but d’expliquer, sans avoir recours aux doctrines ultra-plutoniques, comment de vastes foyers de chaleur ont pu prendre naissance dans la croûte de notre planète ou du moins s’y maintenir jusqu’à ce jour. Aucune d’elles, proclamons-le bien haut, ne mérite une confiance absolue, et toutes ont été vigoureusement attaquées. M. de Lapparent n’admet en aucune façon que les exhaussemens du sol aient pu dériver d’une cause aussi insignifiante, d’après lui, que le retrait des matériaux superficiels. Quant à M. Faye, il pense qu’actuellement la croûte est assez mince et assez élastique pour s’appuyer sur le noyau liquide et se contracter en même temps que lui ; mais, dans un avenir des plus lointains, l’écorce épaissie formera une voûte rigide, capable de retenir par son attraction les couches fluides. A partir de ce moment la diminution de volume, au lieu de se produire vers la circonférence, se manifestera au centre où l’influence de la gravitation est minima. Finalement, un vide au sein duquel la pesanteur n’agit pas s’élargit par degrés, et notre vieux monde refroidi n’est plus qu’une vaste géode, tapissée à l’intérieur de cristaux que jamais œil de minéralogiste ne contemplera.


V

Les savans des différentes écoles ne sont guère d’accord au sujet des conditions présumées dans lesquelles se trouvent les parties profondes de la planète, et pourtant aucun d’eux ne songe à nier que les couches extérieures ne soient aussi les plus légères : même la plupart d’entre eux sont d’avis que le cœur est composé de matières assez lourdes intrinséquemment. Les rêveurs ont à coup sûr le droit de reléguer vers le centre des substances inconnues fort pesantes qui ne verront jamais le jour ; nul ne peut les contredire formellement, mais la philosophie scientifique n’est pas favorable à leurs suppositions. L’analyse chimique, réalisée au moyen du spectroscope, révèle à l’astronome la composition élémentaire du soleil ou des étoiles avec presque autant de certitude que si un fragment détaché du corps céleste était soumis, entre nos mains, aux investigations du laboratoire ; il ne semble pas qu’aucun élément inconnu à notre monde ait encore été constaté dans un astre. Bien mieux, ces échantillons hypothétiques, ces débris cosmiques ne nous manquent pas, et ils ont pu être soumis à l’attaque de nos réactifs ; ce sont les météorites. On sait que, si les bolides ne renferment pas, à beaucoup près, des échantillons de tous les corps simples connus, ils n’ont du moins pas contribué à prolonger la série des élémens déjà découverts[6].

Loin de se combattre, le raisonnement et l’expérience sont en parfaite harmonie pour nous faire concevoir l’idée d’un intérieur pauvre en oxygène. D’abord, si primitivement la terre a été gazeuse, l’oxygène, à raison de sa légèreté, s’est vu repoussé vers l’extérieur, tandis que les matériaux pesans s’agglomérant à l’intérieur échappaient par cela même à sa puissante affinité. Donc les roches acides, dans lesquelles dominent la silice et l’oxygène, doivent être des combinaisons superficielles, et les roches basiques, bien moins oxydées, ont dû naître dans les entrailles de la terre. Non-seulement les études géologiques favorisent cette manière de voir, mais l’excès de densité qu’exigent les calculs de l’astronomie concorde à merveille avec la pesanteur assez considérable des roches ultra-basiques, comme les laves et les péridotites.

Davy, peut-être parce qu’il avait isolé le potassium et le sodium, voulait que le noyau du globe fut constitué de métaux alcalins non altérés ; il ne croyait pas au feu central, et faisait dériver la chaleur volcanique de l’oxydation de ces mêmes métaux par les eaux souterraines. Gay-Lussac, contemporain de Davy, sceptique comme lui, avait recours à l’action décomposante de l’eau sur les chlorures et sulfures métalliques.

De nos jours, un assez grand nombre d’auteurs, dont quelques-uns fort autorisés, se sont préoccupés de l’extrême abondance des matières ferrugineuses dans le sol comme au sein des roches, et ont observé ce fait que les laves volcaniques, dont l’origine peut être approximativement indiquée, sont d’autant plus riches en fer qu’elles viennent d’un niveau plus bas ; de là une hypothèse fort séduisante, d’après laquelle la teneur en fer croîtrait sans cesse jusqu’à la (surface d’un bloc métallique central inoxydé. Mais, au lieu d’exposer nous-même cette théorie, nous préférons céder la parole à l’un de ses défenseurs, M. Nordenskiôld : « La géologie, dit le célèbre explorateur, nous apprend que le globe terrestre se compose tout d’abord d’une partie interne ou noyau inaccessible à l’observation de l’homme, mais qui, selon toute probabilité, est formé de fer métallique. Cette opinion est corroborée par le poids spécifique du globe terrestre, qui surpasse notablement celui des matériaux superficiels et se rapproche de la densité du fer, en-deçà des limites de pression que le physicien peut atteindre avec un instrument. Si le coefficient de compressibilité qui a été déterminé dans de pareilles circonstances s’appliquait encore avec une pression aussi énorme que celle régnant au sein de la masse terrestre, il deviendrait nécessaire de supposer que l’intérieur du globe renferme des substances, non pas plus pesantes que les roches extérieures, mais même plus légères que ces roches. Toutefois, il est vraisemblable que tous les corps solides et liquides présentent un maximum de densité dont la valeur ne diffère pas, à quelques centièmes près, de celle du poids spécifique sous la pression atmosphérique, et une fois ce point critique dépassé, aucune force ne suffit à comprimer la matière, de sorte que la connaissance de la densité du globe nous induit réellement à croire que son cœur est constitué de fer sous forme métallique. Les propriétés magnétiques de la terre servent de preuve à l’appui, pourvu toutefois que l’on ne croie pas à l’effrayante chaleur que les plutonistes veulent faire régner au centre de la terre. »

En effet, l’on n’ignore pas que les corps magnétiques perdent à la chaleur rouge toute influence sur les aimans. Mais que les défenseurs de la haute température centrale se rassurent : l’action du couple terrestre sur l’aiguille aimantée s’explique encore fort bien avec un noyau aussi brûlant qu’on voudra ; la seule influence des composés du fer enfouis dans les couches externes suffit largement ; or, l’effet d’une enveloppe sphérique creuse sur un point extérieur équivaut à celle d’une sphère pleine concentrique de rayon convenable. Autrefois, Halley avait matérialisé cette boule hypothétique ; elle était en fer, cela va sans dire, et tournait sur elle-même immergée au sein d’un abîme de feu ; la pression subie maintenait la vertu magnétique du métal, et, grâce à quelques inégalités dans la forme, la position, le mouvement de rotation du bloc, les anomalies de l’aimant terrestre se trouvaient expliquées.

Le métal qui constitue la majeure partie du globe n’est probablement pas chimiquement pur de tout alliage ; peut-être est-il mélangé d’un peu de soufre, métalloïde qui figure toujours dans les. parties inférieures des filons, de silicium selon M. Daubrée, de carbone d’après M. Mendeléjeff. M. Daubrée incline à supposer que le cœur même renferme une certaine proportion de platine.

Nous ne parlerons pas des analogies frappantes qui règnent entre certaines roches ultra-basiques (laves, basaltes, Iberzolites, etc.), et les variétés des météorites appartenant au groupe des crypto-sidères et les sporadosidères. M. Daubrée en ayant déjà bien mieux parlé que nous ne saurions le faire ; mais nous consacrerons quelques lignes à résumer une hypothèse très hardie, inventée ou peut-être seulement développée par M. Nordenskiöld. Le globe terrestre, dans le cours des siècles, n’a pas uniquement varié au point de vue qualitatif, en ce qui concerne le groupement moléculaire de ses matériaux, mais sa masse elle-même a dû se modidifier par voie d’accroissement. Des matières cosmiques, soit flottant dans l’espace à l’état de fines poussières, soit agglomérées en fragmens assez lourds, ont contribué dans une large mesure à grossir le volume et le poids de notre planète, et le mouvement rapide dont ces aérolithes étaient animés, s’étant converti en chaleur, a suffi pour porter au rouge aussi bien le projectile que la partie du globe atteinte par son choc ; un lent et gigantesque travail d’affinage, interrompu, puis renouvelé après chaque nouvel apport, séparait le métal de la gangue. Il en est résulté un noyau interne composé presque exclusivement de fer et dominé par une coque de scories. Mais de bonnes raisons font supposer que jamais le dégagement de chaleur n’a été assez énergique pour faire fondre la totalité du bloc terrestre. Le centre lui-même est demeuré froid, conformément aux idées émises par Poisson, il y a quarante ans ; comme M. Nordenskiöld, Poisson supposait un réchauffement ultérieur superficiel ; seulement il l’attribuait, non aux corps célestes tombant sur la terre, mais à la température brûlante de certaines régions planétaires traversées par le globe.

Cet ingénieux système, que nous nous gardons bien de défendre ou de critiquer, nous entraîne si loin, en plein inconnu, que nous préférons interrompre ce long enchaînement d’observations et de théories. Et cependant que de questions omises ou superficiellement effleurées ! Aucune allusion n’a été faite aux dissentimens de deux sectateurs du feu central (MM. Paye et de Lapparent) au sujet de l’épaisseur présumée de la croûte, ni à la rotation propre de la sphère ignée (P. Secchi). Le lecteur, s’il a bien voulu nous suivre : jusqu’à la fin, excusera d’autant mieux ces lacunes qu’il sera en droit, de nous reprocher l’abus des suppositions et des paradoxes trop souvent contradictoires.

Qui donc a raison ? Qui donc est dans le vrai ? Peut-être personne, mais beaucoup plus probablement tout le monde, du moins à notre très humble avis. Telle est la variété des phénomènes de la nature, telle est la complexité des lois du monde matériel, qu’il est possible que des savans d’écoles très opposées aient réellement entrevu certains détails du vaste édifice dont l’ensemble nous échappe encore ; seulement, de ces investigateurs, il en est qui ont imprudemment généralisé, au gré de leur imagination, certaines découvertes incontestables sans doute, mais purement locales. Il doit en être du monde souterrain comme de l’univers extérieur tout entier : à mesure que le niveau des études s’élève, l’œuvre du Créateur perd progressivement ce cachet d’élégante simplicité qu’on se plaisait tant à lui attribuer ; elle trahit au contraire une complication poussée à l’extrême, de nature à décourager l’esprit humain, s’il n’était insatiable de connaissances. Enfin, qu’on nous permette une dernière réflexion susceptible d’encourager les timides. Il s’agit des météorites, si bien étudiés par MM. Nordenskiöld et Daubrée : l’examen attentif de ces débris étrangers à notre planète, non-seulement nous permet de répondre à la question que posait le titre même de ce travail, mais encore nous suggère une nouvelle théorie géogénique au moins acceptable ; grâce à un certain nombre de bonnes observations d’astronomie, combinées avec une série d’analyses chimiques habilement conduites, nous voilà, dispensés d’accompagner, à la suite de M. Jules Verne, Otto Lidenbrock et son neveu Axel dans leur périlleuse excursion.


ANTOINE DE SAPORTA.

  1. Il serait du reste facile de remédier à cet inconvénient en raccourcissant quelque peu le balancier. Inversement, si l’on se rapproche du pôle, la tige doit être allongée. Une pareille perturbation qui, toute minime qu’elle semble, n’en est pas moins susceptible de nuire gravement aux observations nautiques ou astronomiques, ne saurait affecter les chronomètres de marine. Dans les appareils de ce genre, l’échappement est produit par un ressort dont l’élasticité ne dépend que des actions moléculaires mises en jeu, et nullement de l’intensité de la pesanteur.
  2. Les conclusions de M. Faye ont été vivement combattues par M. de Lapparent.
  3. Des calculs, dont nul ne conteste l’exactitude, nous démontrent l’énormité de la force d’attraction qui règne à la surface du soleil ; les observations télescopiques établissent surabondamment l’existence d’une immense atmosphère flottant autour de l’astre, et dans laquelle l’analyse spectrale décèle de nombreuses matières métalliques ; enfin, d’après les raisonnemens les moins hypothétiques, la température solaire n’excéderait pas 2,000 ou 3.000°. Commentée fait-il alors que la densité moyenne de ce foyer de chaleur soit si faible ? On pourrait signaler une anomalie assez semblable concernant la planète Jupiter. Néanmoins, il ne faut pas trop attacher d’importance à ces contradictions apparentes entre des faits bien établis isolément. Notre connaissance des lois naturelles est encore trop imparfaite.
  4. Les avocats du feu central, pour expliquer ce fait, ont supposé l’existence du cloisonnement divisant la masse brûlante ; sans avoir même recours à cette explication, il suffit d’attribuer ce défaut d’homogénéité de la masse pâteuse à son extrême viscosité, qui s’oppose au mélange des diverses parties.
  5. Voir, dans la collection de la Revue (année 1833), un article d’Ampère dans lequel le grand physicien attribue à l’eau, et non au feu, la production des silicates anhydres comme le pyroxène.
  6. Voir la belle étude de M. Daubrée sur les Météorites, dans la Revue du 15 décembre 1885.